L'assassin royal
En un pays de légende, au temps de la magie, le destin d'un grand royaume repose sur les épaules d'un jeune garçon. Son nom : Merlin.
Résumé des épisodes précédents (quelque part entre les saisons 1 et 2) :
Le jeune Merlin vient parfaire son apprentissage à la cour de Camelot auprès de Gaïus, médecin du Roi Uther. Le vieil homme, ami de longue date de ses parents, est le seul à savoir qu'il possède un don avancé pour la magie, interdite à Camelot sous peine de mort. Très vite, Merlin entre au service du Prince Arthur et apprend du dragon enchaîné sous le château, qu'il a pour mission de protéger celui qui est destiné à devenir Roi d'Albion. Cependant, une ombre plane sur Camelot : en effet, autour de la pupille du Roi Uther, Dame Morgane, des événements inhabituels se produisent.
Etrangement, les images de son cauchemar, d'habitude si vivaces, s'estompaient déjà de sa mémoire. La panique qui les avait accompagnées, par contre, se prolongea bien après son réveil et il fallut plusieurs secondes à Dame Morgane pour retrouver une respiration normale. Incapable de rester allongée, elle se leva et se dirigea vers la fenêtre. L'immobilité du paysage qu'elle pouvait apercevoir lui permit de retrouver un semblant de calme et de se plonger, ce qu'elle s'était toujours refusée à faire, dans une dérangeante introspection. Elle connaissait les termes de la question depuis longtemps mais pour la première fois, elle osa les prononcer à mi-voix : « Ces visions, est-ce de la magie ? Suis-je une sorcière ? ». Et ce problème posé, il lui fallait décider d'un plan d'action. Elle avait besoin de renseignements. Où pourrait-elle en trouver ? Auprès d'un sorcier, elle n'en doutait pas mais elle n'en connaissait pas et en chercher un était plus dangereux encore que d'obtenir une réponse positive à ses questions. Il lui fallait trouver autre chose. Un sourire passa furtivement sur ses lèvres tandis qu'elle trouva la seule réponse possible : les archives scellées de la bibliothèque.
Subtiliser la clé au gardien fut d'une simplicité déroutante : il était vieux et totalement confiant sur le désintérêt que le monde pouvait porter à ses ouvrages. Dame Morgane s'installa donc sur la grande table, au milieu d'une pile de livres allant des travaux de sorcellerie majeurs déterrés des archives aux traités de médecine qu'elle avait retirés de la bibliothèque commune. Elle se mit à feuilleter compulsivement des pages et des pages sans bien savoir au juste ce qu'elle cherchait. Au petit matin, elle avait déjà rangé les quelques ouvrages les plus compromettants, qu'en vérité elle n'avait pas osés ouvrir. Ce fut alors qu'elle entendit la voix de Guenièvre. Cette dernière passa la tête par la porte et, si elle fut étonnée d'y découvrir sa maîtresse en habits de nuit, elle ne fit aucun commentaire se bornant à la presser de revenir passer des habits corrects. « Des cavaliers de Cavenhorst ont été aperçus depuis le guet » expliqua-t-elle.
Morgane leva les yeux et déplaça quelques piles pour masquer le volume qu'elle consultait.
« Hum, Leordeen … Avec Arthur, cela nous fera 2 enfants à occuper ». Sur ce bon mot, que Guenièvre apprécia à sa juste valeur, elle poussa un long soupir et s'engagea à sa suite, abandonnant la bibliothèque et son livre ouvert sur une page qu'elle venait de tourner, celle des devins.
« Et qui est donc ce Prince Leordeen ? » demandait Merlin à Arthur alors que celui-ci l'avait fait appeler pour préparer son habit d'apparat. Tout en déjeunant, celui-ci répondit avec une nonchalance étudiée : « Le prince de Cavenhorst. Escrimeur passable et chasseur raisonnablement doué. Il m'arrive même d'avoir quelques conversations intéressantes avec lui.» Arthur semblait ce matin là doté d'un besoin irrépressible de faire quelque chose de ses mains et de ses jambes : il ne tenait pas en place. Regardant les habits, il fit une moue désapprobatrice. « Tu n'as rien de mieux, Merlin ? Je ne voudrais pas passer pour un mendiant. Il faut montrer à Leordeen que Camelot n'a rien à envier à son royaume». Merlin surprit alors un sourire furtif sur le visage de son maître. Il n'avait pas passé si longtemps auprès de lui pour ne pas comprendre que ce prince mystérieux devait être une personne importante pour Arthur. De fait, ce dernier, pendant la demi-heure qui suivit, ne s'adressa pas une seule fois à Merlin si ce n'est pour lui donner des ordres brefs et sembla totalement absorbé par la rencontre à venir. Merlin en conçut un singulier agacement.
La rencontre eut lieu dans la salle du trône, richement décorée comme si cette visite protocolaire n'avait rien d'impromptue. Cet empressement se traduisait dans les habits d'apparat que la cour avait revêtus si rapidement et par la liesse qui flottait par-dessus la foule. L'arrivée du Prince Leordeen était fêtée pour l'attachement qui liait les royaumes et les hommes. L'impatience se lisait particulièrement sur le visage d'Arthur et même dans le léger sourire qui s'attardait sur le visage de Dame Morgane. Guenièvre et Merlin, eux, se regardaient perplexes. Un coup de trompe surmonta le brouhaha joyeux, annonçant l'arrivée du visiteur tant attendu. Arthur se porta en avant comme le battant s'ouvrait, et s'arrêta net. Les conversations firent de même. Le Roi Uther, le premier, avait pris conscience du changement et s'était levé, comme il se devait, pour accueillir un Leordeen grave arborant des vêtements de deuil et la couronne, désormais sienne, de Cavenhorst.
« Soyez le bienvenu à Camelot, Roi Leordeen. » Et la voix profonde du Roi Uther résonna dans la salle. Le Roi Leordeen s'inclina brièvement devant son hôte, puis pris une profonde inspiration pour entamer un discours qu'il avait visiblement longuement pesé.
« Roi Uther, me voici devant vous dans ces tragiques circonstances pour renouveler l'engagement et les liens d'amitié pris par nos deux pays et en appeler à votre esprit de justice. » Leordeen laissa filer quelques secondes sans que le visage d'Uther ne trahisse la moindre émotion, et il reprit : « Mon père, le roi Denerh, a été assassiné, il y a six jours, lors d'une partie de chasse qu'il effectuait accompagné de ma plus jeune sœur. Celle-ci a rapporté qu'un cavalier masqué s'était porté à la hauteur de mon pauvre père et l'avait passé par le fil de son épée. Ma sœur s'est jetée sur lui mais n'a pu retenir qu'un morceau de tissu et entrevoir une tâche de naissance. » Quelques hochements de tête discrets saluèrent le courage de la demoiselle mais comme Uther et sa cour restaient muets, Leordeen lâcha la dernière partie de son discours qui tomba telle une sentence définitive : « Roi Uther, ma sœur a formellement reconnu vos couleurs sur ce chevalier ».
« C'est impossible ! » La voix tranchante et emportée d'Arthur se substitua à celle grave et posée du Roi Leordeen. La colère qui avait saisit Arthur était violente, l'accusation affectait l'honneur de ses chevaliers et donc le sien et il ne tolèrerait pas qu'un autre que lui, fusse-t-il son père, y réponde. Aussi enchaina-t-il sans laisser place à quiconque : « Leordeen. (Un rappel discret de Dame Morgane le fit reprendre:) Sire Leordeen, je me porte garant de chacun de mes chevaliers. S'il faut les examiner un par un pour vous prouver qu'aucun d'entre-eux n'est le coupable, alors je le ferais moi-même. » Le Roi Uther approuva et, comme Leordeen approuvait de même et la proposition et le courage de celui qui l'avait faite, il ajouta : « Faites sonner le rassemblement, nous éclaircirons cette affaire dans l'heure ! Il ne sera pas dit que Camelot fait défaut à son alliance avec Cavenhorst ».
Le rassemblement fut donc sonné et les chevaliers entrèrent dans la salle du trône qui s'était vidée de sa cour. Tous étaient ignorants de ce qui venait de se passer et regardaient Arthur dans l'expectative. Celui-ci se tenait aussi loin de Leordeen que le protocole le lui permettait et s'appliquait à ne pas le regarder. Lorsque tous furent présents, il déclara :« Chevaliers, notre honneur a été mis en cause par celui d'entre vous qui porterait une marque de naissance. Je tiens donc à identifier moi-même le coupable. Je parle là d'un régicide, le coupable sera condamné par Cavenhorst à mort. Leur nouveau Roi, ici présent, se porte garant de ces informations. » La tache de naissance fut décrite : une forme de trèfle à la base de la nuque. Merlin sentit soudain son estomac se nouer. Il ferma les yeux, inspira plusieurs fois, manquant d'air tandis qu'Arthur effectuait son inspection sur chacun des chevaliers. Rien ne fut trouvé. Arthur se tourna vers Leordeen et leurs regards se confrontèrent un instant, chacun cherchant à faire valoir à l'autre sa position sans heurter son honneur, tâche au combien complexe. Arthur lança un sourire méprisant et reprit : « Puisqu'il ne reste qu'un seul chevalier dans cette pièce » et se tournant vers Guenièvre « Deux miroirs». Guenièvre et Dame Morgane lui en tendirent chacune un. Arthur s'en saisit et les plaça de manière à pouvoir contempler sa propre nuque. Avant que Merlin eût pu l'empêcher, son atroce présage se confirma aux yeux de tous et la marque de naissance d'Arthur se refléta dans les miroirs. Ce dernier se tourna vers lui et le fixa furieux de se retrouver dans cette position, furieux que l'on puisse mettre son innocence et son honneur en doute, furieux enfin que celui-ci ait pu vouloir intervenir. Soudain, avant que la révélation ne soit vraiment parvenue jusqu'aux consciences de Camelot, les chevaliers de Cavenhorst qui constituaient la garde de Leordeen se mirent en mouvement. L'un d'eux sortit précipitamment de la salle afin de rejoindre les troupes postées à l'extérieur de la cité tandis que les autres se mirent en formation autour de leur jeune roi, preuve qu'ils étaient bien formés.
Un long, très long silence s'en suivit. Le prince Arthur soutint le regard du roi Leordeen avant que celui-ci ne se tourne vers le roi de Camelot. Sa voix calme, froide et déterminée trancha l'air ambiant. « Roi Uther, cet homme semble être celui que nous recherchons. Sommes-nous en guerre et dois-je me considérer comme prisonnier ? ». Prévenant une déclaration enflammée de son fils, le roi de Camelot voulut reprendre en mains le flot des événements et interrogea les chevaliers sur leurs missions des six derniers jours. Ils témoignèrent chacun qu'ayant appris qu'une bande de pillards ravageaient les terres du Nord, le Prince avait décidé de se placer à la tête d'une compagnie et de se renseigner dans les villages et les tavernes qu'ils croiseraient. Finalement, dans la taverne dite de la Grenouille ventrue, certains de ces hommes avaient pu être reconnus et appréhendés à la suite d'une rixe avec un certain aventurier qui avait déjà disparu à leur arrivée, sans payer la note. Interrogeant les gredins, le Prince avait pu apprendre que leur chef avait dissout la bande et chacun se dispersant s'était donc évertué à reconstituer pour son compte une bande toute aussi efficace que la précédente. Jusque là, le témoignage des chevaliers concordait et assurait une défense solide à Arthur. Puis le récit se fit moins assuré : Arthur avait alors décidé qu'ils devaient se séparer afin de débusquer un maximum de ses brigands avant qu'ils ne constituent une menace plus importante et lui même partit seul. Le Roi Leordeen lui demanda où il était allé et pourquoi il était parti seul. Il répondit qu'il s'était aventuré jusqu'au village de Lyure. Le village d'origine de Guenièvre, pensa Merlin et il comprit que s'il avait voulu y aller seul, c'était certainement pour en récupérer seul la gloire auprès d'elle. « Quelqu'un au village peut donc en témoigner » et Leordeen lâcha un léger soupir.
- Je suis désolé. N'ayant vu personne de suspect, je n'ai pas poussé jusque là-bas. J'ai ensuite tourné quelques jours avant de rejoindre les autres. »
Tous purent mesurer la faiblesse de sa défense. Merlin maudit un instant le besoin qu'avait eu Arthur de parader pour qu'une certaine personne à l'autre bout du royaume puisse, une fois la nouvelle reçue, soit une semaine plus tard au mieux, le remercier et le féliciter. Comme s'il n'avait pas assez de ses tournois idiots pour cela. Désormais il était empêtré dans une affaire autrement plus dangereuse que quelques bandits. Merlin, dont toute la réflexion s'était enfin mobilisée vers le seul objectif d'innocenter Arthur, fit alors remarquer que l'endroit où ils se trouvaient à ce moment là était fort éloigné de la frontière d'avec Cavenhorst et que même quelques heures n'étaient pas suffisantes pour commettre le crime. « Par magie, c'est possible ». Une fois encore, la voix de Leordeen glaça l'assistance. Un simple coup d'œil sur le visage d'Uther suffit aux chevaliers de Cavenhorst pour décider d'un seul mouvement de se resserrer autour de leur Roi.
Dame Morgane s'agita : en moins d'une heure, la situation était devenue bien sombre et la magie se dressait à nouveau devant elle. Leordeen lui jeta un regard rapide. Soucieux d'éviter l'envenimement de la querelle, le Roi Uther réaffirma à son hôte que jamais l'idée d'une guerre ne s'était présentée à son esprit. L'acte était donc l'œuvre d'une personne isolée. Merlin, toujours logique, tenta un deuxième argument : si ce n'était pas la guerre, quelle raison aurait pu pousser le prince Arthur commettre un tel régicide ? Une grimace de douleur passa furtivement sur le visage de Leordeen tandis qu'il extirpait de sa poche un rouleau de parchemin dont l'imposant sceau de Cavenhorst avait été rompu. Le document était visiblement ancien. On demanda à Gaius de le lire à haute voix. Le texte était celui de l'accord passé entre les deux pays. L'une des clauses y stipulait que si l'un des deux pays était privé d'héritier direct et légitime à la couronne, une régence devait avoir lieue sous l'autorité de l'héritier du second pays. Cette clause, pour le moins étrange, avait été insérée en des temps bien plus troubles quand les deux royaumes faisaient face à des instabilités internes et à des ennemis extérieurs communs et où la défaillance de l'un risquait d'entraîner la chute de l'autre. En instant, Arthur comprit l'ampleur de l'affaire : Leordeen n'avait pas d'héritier, s'il disparaissait, lui-même deviendrait de fait roi régent de Cavenhorst. Tout était là : l'opportunité et l'intérêt et Leordeen qui ne manquerait pas de vouloir venger son père comme lui-même le ferait en pareilles circonstances.
Uther dut trancher. Pour ménager à la fois Camelot et Cavenhorst, il décida qu'Arthur serait consigné dans une pièce du château sous la garde des chevaliers de Leordeen jusqu'à ce que l'enquête soit menée à terme. Leordeen accepta et ses chevaliers escortèrent Arthur jusqu'à ses appartements. L'un d'eux se posta dans la chambre, comme un rappel constant du déshonneur qui venait d'avoir lieu. Pendant de longues heures, Arthur fulmina. Merlin, prudemment, s'était esquivé, aidé en cela par la forte surveillance et la suspicion ambiante. Lorsque l'on n'entendit plus les cris de rage d'Arthur qu'à l'autre bout du couloir, Leordeen en déduisit qu'il s'était suffisamment calmé pour entretenir une conversation à l'abri de la cour et du Roi Uther. Il fut mal reçu. Leordeen fit signe au garde de quitter la pièce et il s'approcha d'Arthur.
« Je ne veux pas croire que tu sois coupable, laissa-t-il tomber, il doit s'agir d'un piège. Tu n'es pas assez idiot pour laisser autant d'indices derrière toi.
Leordeen esquissa un pauvre sourire en voyant le scepticisme figer le visage d'Arthur.
- Si c'en est un, il me reste à trouver qui est derrière, répondit ce dernier.
- Celui ou celle qui avait connaissance de ta tache de naissance. Il ou elle s'est chargé de trouver un homme de ta carrure et la partie était jouée. Reste, comme l'a dit ton serviteur, le problème du pourquoi, mais il se réglera en trouvant le qui.
- Cherchons-le tout de suite alors, lança Arthur.
Leordeen le reprit d'une voix douce.
- Non, Arthur, j'enquêterai seul. Tu ne dois pas sortir d'ici si tu ne veux pas aggraver ton cas. Donne moi le nom de toutes les personnes qui étaient au courant de cette marque. Je suppose qu'il y a ton serviteur.
- Merlin, oui sûrement, mais il serait incapable de faire ça, il ne sait même pas tenir une épée correctement et je le vois mal acheter des mercenaires. Et comment veux-tu que je te dise qui l'avait déjà vue alors que jusqu'à aujourd'hui je n'en soupçonnais même pas l'existence ?
- Laisse moi juger des gens répondit Leordeen, laissant volontairement de côté la dernière question issue d'un agacement certain. Même si tu as confiance en ton serviteur, on peut être facilement trompé.
- Crois-moi, s'il avait voulu me tuer ou même déclencher une guerre, il l'aurait déjà fait. Il a eu beaucoup trop d'opportunités pour cela.
- Un simple serviteur aurait pu faire cela ?
Arthur ne répondit pas.
- Qui d'autre ? reprit Leordeen, sentant qu'il était temps de changer de sujet. D'autres serviteurs ? Ton écuyer ? Ton père nécessairement, Dame Morgane sûrement.
Arthur sentait l'énervement revenir plus rapidement que de raison.
- Vas-tu soupçonner tous mes proches ?
- Effectivement. Réponds à mes questions veux-tu, qu'on en finisse.
- Pas d'autres serviteurs. Merlin est mon écuyer. Pour Morgane, c'est possible qu'elle est été au courant, mais je la vois encore moins faire cela que Merlin.
- Et Arthur … La voix de Leordeen baissa encore d'un ton et se fit plus amusée. Pas de soubrettes que tu aurais honorées ?
Le visage d'Arthur vira en quelques furtifs instants du rouge de l'aigreur à un rouge gêné puis à une teinte violacée colérique alors qu'il prenait la pleine mesure des insinuations qui venaient d'être faites.
- Non ! "
Puis dans un sursaut de confiance, il livra : « Guenièvre ; la suivante de Morgane, pourrait l'avoir déjà vue. »
Une fois encore, Leordeen ne fit aucun commentaire. Arthur admirait particulièrement la maîtrise du jeune homme et reconnaissait qu'il n'aurait pas échangé leurs situations, si catastrophique que fut la sienne. Ils se dévisagèrent un instant, chacun cherchant à sonder le degré de confiance qu'il pouvait encore accorder à l'autre. Enfin, Leordeen jura à Arthur qu'il trouverait le véritable responsable et frappa trois coups à la porte. Avant qu'il ne sorte, Arthur lui posa une ultime question : « De combien de temps dispose Camelot avant que ton armée ne marche sur nos frontières ? - Trois jours si je ne donne pas d'ordre contraire. Et crois moi Arthur, sans suspect crédible je ne le donnerais pas. » Leordeen fit un pas. Arthur le rattrapa : « Leordeen, je suis désolé pour ton père. Sincèrement. » Celui-ci ne répondit pas. Un garde entra et il sortit. La porte se referma sur la prison du prince Arthur.
Merlin était attablé face à Gaïus, l'esprit préoccupé par le cas épineux qui se présentait à lui. Toute sa concentration était focalisée sur la nécessité de prouver que le Arthur qui avait commis ce régicide était un usurpateur. Il était à peu près certain que même s'il trouvait un témoin capable d'attester qu'Arthur ne se trouvait pas à Cavenhorst à l'instant tragique, son témoignage n'aurait que peu de valeur face à celui d'une princesse. Après avoir retourné tous les termes de la question pendant plusieurs minutes, Merlin s'avoua sans solution.
Gaïus, inquiet par son abattement, lui recommanda comme toujours, la plus extrême prudence. « Uther ne restera pas sans réagir et s'il faut un coupable pour éviter qu'Arthur ne soit accusé ou qu'une guerre ne se déclenche, il en trouvera un. » Il n'était pas besoin de précision supplémentaire mais il ajouta tout de même : « Si un sorcier faisait son apparition maintenant, il serait livré à Cavenhorst, quoi qu'il ait pu faire. » et dardant un œil noir sur son protégé, il lui recommanda de ne surtout pas utiliser ses dons. Uther protégerait le prince mieux que quiconque face à Leordeen et les talents de détective de Merlin s'avéraient limités.
L'inexpérimenté enquêteur, ne souhaitant pas prolonger une discussion vouée à l'impasse, se plongea dans son repas mais il était dit qu'il ne le finirait pas ce jour là. Un chevalier de la garde personnelle du roi de Cavenhorst fit irruption dans la pièce et ordonna qu'il se rende auprès du prince Arthur. L'ordre fut émit d'une voix sèche et ne souffrait d'aucun commentaire. Merlin jeta un dernier regard à Gaïus qui lui réitéra silencieusement ses consignes de prudence, se leva et suivit le chevalier jusqu'à la prison dorée de son maître.
La présence de soldats de Cavenhorst à l'intérieur des murs de Camelot était profondément perturbante, même s'ils se contentaient de patrouiller devant les appartements du prince. La tension régnait jusque dans la ville et les traits tendus de Guenièvre qu'il croisa à ce moment là, renforça Merlin dans sa détermination à trouver une solution rapide à ce qui pouvait à tout moment basculer dans une guerre. Espérant que l'humeur d'Arthur se soit améliorée en quelques heures, Merlin s'arrêta un instant devant la porte flanquée de deux chevaliers lourdement armés ; au bout du couloir, il pouvait apercevoir des chevaliers de Camelot. Ils se surveillaient mutuellement. L'ambiance lui sembla soudain plus lourde de ce côté-ci du mur et il entra.
Arthur l'accueillit froidement, lui rappelant ainsi qu'il n'avait pas oublié sa récente désertion. Immédiatement, ses interrogations portèrent sur les habitants de sa cité, s'ils avaient appris la nouvelle, s'ils restaient confiants. La réponse de Merlin ne fut pas propre à le rassurer particulièrement. Comme en écho à leurs craintes, le prince Arthur précisa l'état des relations entre les deux pays : « Le roi de Cavenhorst nous a fixé un délais de trois jours pour trouver le coupable, en supposant qu'il soit bien ici. » Son ton s'était fait vaguement méprisant. « Il faut que nous – soupir et il rectifia – que tu surveilles Leordeen. Je veux savoir comment il mène son enquête, qui il soupçonne. » Merlin se fit la réflexion que pour l'instant c'était précisément Arthur qu'il soupçonnait. Il remarqua également le fin bracelet de fils noir, marquant le deuil du feu Roi Denerh, que le Prince avait passé à son bras gauche. Ce dernier garda le silence un long moment, étudiant les allers et venues des passants sous sa fenêtre. Cette inactivité étrange prit Merlin de court, et s'il ne connaissait aussi bien Arthur, il aurait pu croire qu'il devenait mélancolique. Enfin le prince reprit à voix basse, comme s'il se parlait à lui-même : « Il faut veiller sur Leordeen, il se peut qu'il soit visé aussi. Que quelqu'un cherche réellement à me faire devenir roi de Cavenhorst.» Ou, compléta Merlin pour lui-même, que quelqu'un cherche à se débarrasser des deux princes à la fois, situation pour le moins inextricable. Ses idées mises au droit, Arthur redevint le prince de Camelot, le meneur des chevaliers du Roi. Il donna sa liste d'ordres à Merlin : talonner Leordeen, interroger ses chevaliers, mais surtout s'assurer que celui-ci n'était ni suivi ni épié.
Un chevalier de Cavenhorst entra alors, fort à propos, pour introduire le chevalier Leon qui portait les dernières nouvelles de la cour : le Roi Uther avait signé l'ordre d'arrêter toute personne de sexe masculin dont la corpulence était proche de celle du Prince et qui ne pouvait justifier de son emploi du temps pendant la période du crime. Tous les chevaliers étaient réquisitionnés à la tâche. Arthur en déduisit que Camelot se trouvait sans défenses et Merlin qu'il aurait fort à faire s'il lui fallait veiller à la fois sur Arthur et sur Leordeen. Plus encore, tous doutaient que cette initiative permette réellement de lever le voile sur cette affaire : Sire Leordeen ne serait certainement pas dupe d'un tel expédient et c'était lui qu'il fallait convaincre. Le chevalier Leon ajouta : « Nul ne peut dire à l'avance comment le Roi de Cavenhorst réagira, il faut se préparer au pire des cas et envisager la guerre». On vint le chercher avant qu'Arthur ne puisse répondre et la conversation en resta là. Merlin fut congédié.
Ces dernières paroles de Sire Leon eurent un écho particulier dans l'esprit du magicien. Si voir le futur pourrait s'avérer utile, voir le passé paraissait indispensable. Il y avait forcément une formule pour cela. Ragaillardi par cette nouvelle espérance, il cheminait perdu dans ses pensées vers son poste de travail ordinaire à la blanchisserie quand il se rappela les ordres de celui qui, malgré tout, était et restait son maître. Trainant les pieds, il se mit donc en devoir de chercher la trace du Roi Leordeen. On lui indiqua qu'il se trouvait dans la salle des Preuses, qui avait été mise à sa disposition, conformément aux lois les plus élémentaires de l'hospitalité. Merlin, s'efforçant à une nécessaire discrétion, se glissa par l'étroit passage qui menait au balcon surplombant l'entrée et s'aventura à regarder quelques mètres plus bas.
Sa cible se tenait là, entouré de ses chevaliers, tous en vêtements de grand deuil comme lors de leur arrivée le matin même, dans la partie inférieure de la salle. Par esprit courtois, le Roi n'avait pas voulu envahir la partie haute où se tenait en majesté le trône et les couleurs de Camelot, signifiant par la même qu'il avait compris à la fois l'honneur qui lui était fait et la menace qu'il portait. Du reste, il n'y avait là que quelques serviteurs mais plus aucun membre de la cour. Merlin cessa de respirer et se recroquevilla, espérant que nul n'aurait la mauvaise idée de lever la tête. En vérité, comme il était peu probable qu'un conseil de guerre se tienne dans un lieu aussi ouvert, il n'y avait guère de risques. Il regarda longuement les servantes qui s'ingéniaient à rendre pratique le campement improvisé, monté le long des vastes tentures couvrant les boiseries et sous les dix-huit yeux des Preuses de pierre qui protégeaient le trône.
Guenièvre les rejoignit, apportant de quoi assurer une grande part du repas de la troupe. Le coup d'œil poli du Roi à son égard se mua en un intérêt plus militaire que courtois lorsque, répondant à une question d'usage d'un chevalier, elle énonça son nom. Elle était donc la fameuse soubrette d'Arthur. Il resta perplexe un instant devant la jeune fille certes énergique mais qui, à ses yeux, n'empruntait en rien la grâce d'une reine. Et, se souvenant d'un détail qui l'avait intrigué durant la scène du matin, il se décida à rompre le silence qui, même avec une servante, s'attardait à la limite de la politesse qu'un homme de qualité devait à un membre du beau sexe. Il l'interrogea donc avec le sourire qu'il arborait quand il s'adressait à une dame : « Ne seriez-vous pas la servante de Dame Morgane ? - Si fait mon Seigneur » répondit-elle avec une humilité parfaite. Il approuva ses manières. « Connaissiez-vous cette tâche sur la nuque du Prince ? » demanda-t-il sur le ton détaché de la conversation et, intérieurement il savait que la réponse avait probablement peu d'importance. Guenièvre prit un instant de réflexion, instant qui permit l'entrée de Dame Morgane. Sa voix résonna dans la salle presque vide : « Je ne vous crois pas autorisé à pratiquer des interrogatoires sur notre sol, dans notre propre salle du trône, Seigneur Leordeen.» Un jeune et téméraire chevalier s'autorisa à répliquer sentencieusement : « Je vous assure ma Dame que dans le cas qui nous occupe, les interrogatoires seront bien plus sanglants. » La menace fit bien pâlir les quelques habitants de Camelot présents mais ne réussit pas à impressionner la jeune femme qui réclama des explications. Le Roi Leordeen, soucieux de la concorde et qui, malgré tout, conservait encore quelques liens avec ses hôtes, lui certifia qu'il ne croyait pas une femme capable d'une telle traîtrise et lui assura, non sans en souligner la triste ironie, sa sympathie pour cette situation dont il n'était que le fatal vecteur.
Morgane plongea son regard dans ces yeux noirs et tenta d'évaluer la confiance qu'elle pouvait lui donner. Il était impossible de lire dans l'esprit du Roi. Plus jeune déjà, Leordeen était déjà une énigme, toujours poli mais légèrement distant, il portait sur le monde un regard cynique qu'il ne faisait guère partager. Cependant, il s'était toujours montré un ami plus que loyal envers elle et envers Arthur. Elle se rappelait de leurs jeux d'enfants, moments rares mais précieux, auxquels elle n'aurait jamais eu droit de participer si les deux garçons n'avaient fait en sorte de la couvrir. Elle se rappela également de ce jour où Leordeen, plus âgé qu'eux de quelques mois, à cette période où chaque mois éloigne l'homme du garçon qu'il fut, s'était porté en avant pour les défendre d'un brigand qui les avaient surpris dans leur cachette au cœur de la forêt. Elle se rappela enfin de l'expédition qu'Arthur avait monté à la tête de ses chevaliers pour aider Cavenhorst à se débarasser d'une créature fantastique qui avait déjà blessé Leordeen. C'était ce même homme qui aujourd'hui pouvait d'un signe précipiter Camelot dans le chaos de la guerre.
Elle se décida pour une trêve et conclut l'échange par ces quelques mots : « Mais effectivement, je connaissais cette marque de naissance. » Cette fois, nul n'osa répliquer qu'elle n'était pas destinataire de la question. Le roi s'inclina et autant pour rendre hommage à son intelligence politique que pour suivre un dessein plus personnel, il s'aventura à lui demander l'honneur d'une promenade. La demande prit l'assistance par surprise, même celle au balcon. Le roi malgré l'écrasante responsabilité de sa mission semblait ne pas vouloir renoncer à des plans conçus dans d'autres temps. Morgane accepta et ils quittèrent tout deux la pièce, suivis à quelques pas de Guenièvre puis à quelques pas encore de deux chevaliers de Cavenhorst. Les prochaines heures du roi allaient être suffisamment suivies et commentées pour que Merlin juge inutile de poursuivre sa surveillance. De plus, sa nouvelle piste d'investigation restait une priorité, il décida donc de rentrer chez lui.
A son arrivée, Gaïus l'attendait, l'air plus sombre encore que lorsqu'il l'avait quitté. Aux premiers mots qu'il lui adressa, Merlin compris que l'ordre du Roi Uther n'avait fait qu'accroître les pressentiments du vieil homme et il s'abstint donc de lui faire part de son idée. Il s'enferma dans sa chambre après lui avoir assurer qu'Arthur se portait bien et il se mit à compulser son traité de magie. Il ne trouva rien qu'une mention cryptique à une grotte de cristal. Soutenu par son idée fixe, il s'extirpa de sa chambre. Gaïus, terrassé de fatigue, avait déjà sombré dans un sommeil profond alors même que les lumières du jour se déversaient encore intensément au travers des ouvertures. Merlin le regarda quelques instants, prenant soudain conscience de son âge avancé et des inquiétudes qu'il lui causait ; il ne dévia pas de son but.
Il se dirigea vers les sous-sols du château, suivant un chemin qu'il connaissait décidément beaucoup trop bien afin d'interroger la seule créature au monde qui pourrait le renseigner, le grand dragon. Si, d'habitude, il pouvait descendre sans encombre, l'agitation qui régnait au château et la suspicion galopante rendait cette excursion plus dangereuse qu'à l'accoutumée. Il se surprit à penser qu'attendre quelques heures la nuit tomber lui aurait faciliter la tâche, mais ce qui le troubla davantage c'est que cette réflexion ne lui vienne que maintenant. Toujours est-il qu'il parvint à destination, non sans avoir dû au préalable détourner l'attention de quelques gardes par des moyens habituels. L'apparition du grand dragon en bas du tunnel l'impressionna comme à chaque fois, même s'il s'efforçait de ne rien en laisser paraître. La bête n'était pas d'humeur loquace si elle l'avait jamais été mais sa voix tonna contre les voûtes de la grotte lorsqu'elle reprit sa formule usuelle : « Que puis-je pour toi, jeune sorcier ? » Alors Merlin lui fit un compte-rendu circonstancié des dernières heures. Le dragon d'humeur sarcastique souligna l'ironie de la situation : « Le Prince de Camelot soupçonné de pratiquer la magie pour agrandir son territoire, voilà ce que je n'aurais jamais imaginé entendre ! Je regrette de ne pas avoir été là pour voir la réaction du roi. Concernant le reste, je te conseille de ne rien faire. Il n'arrivera rien à Arthur.
- Mais, et son accusation ?
- Les loups ne se mangent pas entre-eux. Ils trouveront un arrangement. Quant à toi, jeune sorcier, tiens toi à l'écart.
- Mais n'existe-t-il pas un moyen de connaître la vérité ?
- Quelle vérité veux-tu connaître ? Et si Arthur avait réellement tué ce roi ? Que ferais-tu ? Renoncerais-tu à ton rôle ?
- Je ne sais pas.
Il s'abstint de tout commentaire. Il servait Arthur pour l'homme qu'il était et non pour ce qu'il était appelé à devenir et il si celui-ci s'opposait à ses principes, il le quitterait de manière irrévocable.
Le dragon gronda, faisant vibrer les roches de la grotte.
- De plus la vérité est absolue, elle s'effectue dans les deux sens. »
Merlin saisit le sous-entendu. Et si la seule crainte qu'il avait sur Arthur se limitait à sa réaction face à sa vraie nature, il n'entendait pas lever ce doute là par la magie. Comprenant qu'il n'obtiendrait rien de plus, il remonta à la surface après les remerciements d'usage que lui dictaient sinon sa raison du moins son éducation.
Étendu sur sa couche éclairée par les dernières lueurs du jour, Merlin, après avoir achevé ses corvées, porté Gaïus dans son lit et englouti une soupe, pu enfin prendre quelques minutes pour déterminer une stratégie. La seule solution qu'il pu envisager, à la fois la pire de toute et la moins mauvaise, l'attente, permettrait de déterminer avec certitude si la personne visée par toute cette machination était Arthur ou, contre toute logique, le roi de Cavenhorst ou même, et Merlin pensa avoir touché juste, les deux à la fois. Et pour la première fois de sa vie, et malgré toute l'envie contraire qu'il en avait, Merlin s'apprêta à écouter les sages conseils de Gaïus et à laisser Uther régler ce problème hautement diplomatique, sûr que la volonté des deux camps ne portait pas à la guerre.
