Je vous présente ici une série de One Shots sur divers personnages de l'univers du tome 1 d'Alicia (et possiblement les autres tomes lorsque ceux-ci seront achevés).
Le premier est centré sur Sonja et je précise que tout ce qui est dit se passe dans l'esprit de cette dernière, ce qui explique c'est plutôt... bizarre.
L'inspiration a été obtenue grâce aux thèmes de la nuit d'HPF du 25 février 2017.
Veiller tard
oOo
La douleur, juste la douleur envahissait son corps, le consumant. Tout son organisme entier brûlait alors qu'elle était encore consciente. Il ne lui restait que quelques secondes, peut-être même moins avant de n'être qu'un tas de cendres aux allures d'être humain. La douleur s'éternisait, semblait vouloir toujours durer, comme si quelque chose l'empêchait de totalement s'abandonner à elle et disparaître dans le néant. Des bruits, oscillants entre les murmures et les sifflements stridents vrillaient ses tympans, l'odeur acre de son propre corps se consumant l'asphyxiait, l'air incandescent asséchait sa gorge, sa peau et son esprit s'effritaient. Ses yeux, déjà aveugles, laissaient s'échapper des larmes amères et désespérées.
Sonja ne voulait pas mourir, pas aujourd'hui, pas de cette manière, et certainement pas pour un crime qui n'en était pas un. Elle avait toujours pensé qu'elle périrait au combat ou parce qu'elle l'avait décidé, elle avait toujours pensé qu'elle s'en irait lorsqu'elle aurait vécu plus que cette vie entre les quatre murs d'un château sinistre, à ne pas pouvoir aimer son amant comme elle aurait voulu l'aimer, à ne pas pouvoir penser comme elle pensait réellement. La réalité était drastiquement différente.
La jeune femme avait toujours pensé que mourir ressemblait à un doux endormissement n'aboutissant jamais au réveil, elle n'avait jamais eu peur de ce moment, pensant avoir le temps de s'y préparer, d'y songer avant qu'il ne vienne. Mais face à son destin, elle était aussi terrifiée que n'importe qui. Qu'y avait-il après ? Y-avait-il seulement un après ? Le corps s'éteignait-il seul et l'esprit le suivait-il ? Ou alors demeurait-on coincé de son propre corps jusqu'à la fin des temps ? Retrouverai-je ma mère là-bas ? Pourrai-je me faire pardonner ? Attendrons-nous mon père et ma sœur ? Avoir tué empêche-t-il l'accès au repos ? L'âme est-elle une réalité ? Tant de questions que Sonja se posaient sans en connaître la réponse. Mais voulait-elle vraiment de ces réponses ? Que souhaitait normalement une jeune femme sur le point de mourir ? Que souhaitait-elle hormis remonter le temps et empêcher ce moment ? Que ne donnerait-elle pas pour que tout fût différent ?
Alicia, cette jeune fille que sa mère lui avait donnée comme sœur aurait certainement de nombreuses suppositions sur la chose. Alicia qu'elle ne verrait pas grandir, Alicia qu'elle ne pourrait plus jamais serrer dans ses bras, Alicia qui peut-être la rejoindrait avant d'avoir vécu tant la bêtise du monde était grande et l'injustice omniprésente.
Pourquoi mourir prend-t-il autant de temps ?
Sonja en était certaine, son corps était déjà passé de l'autre côté, elle ne le sentait plus, la douleur s'atténuait, elle disparaissait et avec elle ses sens déjà appauvris. Et pourtant sous ses paupières carbonisées, dansaient des souvenirs. Le visage de Lucian, déjà flou alors qu'il était la raison principale de son décès. L'expression d'horreur d'Alicia découvrant l'enfant qui vivait en elle, celle similaire de son père lorsqu'elle le lui avait annoncé. Alicia recroquevillée, le visage tuméfié et les yeux embués de larmes attendant son jugement. Alicia, hurlant, tentant désespérément de conserver ce lien si spécial que seules deux sœurs pouvaient construire tandis que la plus âgée se consumait devant elle. Alicia et ses magnifiques yeux verts. Alicia, sa petite-sœur.
Me pardonnera-t-elle ?
M'oubliera-t-elle ?
Le doute l'envahit, égoïste. La peur de tomber dans l'oubli, de réellement cesser d'exister, qui se souviendra d'elle lorsque tous ceux qu'elle aimait mèneront leur vie de leur côté ? Restera-t-elle dans leurs esprits ? Ou ne sera-t-elle qu'un nom de plus sur une longue liste de deuils ? Alicia fleurira certainement sa tombe, au fond d'elle, Sonja le savait, Alicia se souviendrait, parce qu'elle était tout pour elle. Cette réalité tira un frisson imaginaire à la pauvre créature mourante, sa jeune sœur perdait plus qu'une aînée, elle perdait un morceau de sa vie, elle perdait, une amie, une mère, une famille, un amour.
Alicia… Pardon…
Le néant se rapprochait, mais Sonja tenait, s'accrochait au mince filet de vie qui restait en elle, elle refusait, niait, criait dans le vide, frappait avec son esprit, elle voulait veiller. Veiller tard sur sa sœur comme lors de ses premiers instants. Elle voulait que jamais les yeux verts ne se remplissent de larmes aussi adultes que celles qu'elle avait vues perler sur ses joues quelques instants plus tôt. Alors elle luttait vainement, son esprit troué de toutes parts, morcelés en pièces éparpillées, luttait. Elle lutta sans relâche jusqu'au noir complet.
Est-ce véritablement fini à présent ?
La jeune femme ne savait plus ce qu'elle était, elle sentait quelque chose sous elle, autour d'elle, elle ressentait. Pourquoi ? Elle était quelque part entre ici et ailleurs, quelque part sur le pont de l'inconscience, entre l'éveil et l'inertie, dans un endroit où le temps d'existait pas et était relatif à chacun. Alors, elle ouvrit les yeux, aperçut la noirceur des brumes du trépas et se releva. Sonja marcha longtemps dans un lieu qui lui était inconnu, évita les ombres avec habilité, observa le néant avec assurance, ne ressentant absolument rien. Loin devant elle, une lueur la guidait, loin devant elle se tenait quelque chose d'aussi inaccessible qu'attirant. La leur grandissait à chacun de ses pas. Sur quoi marchait-elle ? Quel était réellement cet endroit ? Etait-ce seulement l'expression de ses dernières pensées ? Etait-ce dans ce lieu qu'elle résiderait à jamais ? Etait-ce ce que les autres appelaient l' « au-delà » auquel elle n'avait jamais cru ?
La lueur se rapprochait à mesure que la jeune femme se sentait suivie, une ombre noire, dense et pesante s'attachait à ses pas, gagnant petit à petit du terrain. La leur se trouvait devant Sonja, cette dernière s'arrêta, scrutant avec perplexité la surface lisse et brillante source de la lumière. Elle se pencha, posa ses mains sur la sphère sans aspérité et attendit.
Alicia.
Telles étaient les pensées de Sonja, dirigées exclusivement vers sa sœur et telles étaient les images que la sphère lui renvoyait. Une jeune fille, dansant, ses cheveux noirs ondulant autour d'elle, ses yeux verts rieurs remplis de larmes de joie. La vision était plaisante, féérique, irréelle pour tout autre que Sonja. La jeune femme se pencha un peu plus, jusqu'à coller sa joue contre la paroi, espérant sans doute pouvoir rentrer elle aussi dans ce monde qu'elle ne voyait qu'à la toute fin.
L'image se modifia, laissant apparaître une jeune femme d'une vingtaine d'années, déposant une gerbe de fleurs blanches sur une pierre froide. Sa tombe.
Tu ne m'oublies pas, alors ?
La jeune femme dans la sphère posa un genou au sol, puis les deux, et enfin, s'écroula sur le marbre, pleurant plus de larmes qu'un corps ne devrait en contenir. Le cœur son Sonja se serra douloureusement.
Ne pleure pas Alicia, je suis là !
Mais la jeune femme ne pouvait l'entendre. Sonja tambourina sur la sphère, ne supportant pas le malheur qu'elle y voyait, le malheur dont elle était responsable. Pourquoi la sphère ne lui montrait-elle juste pas la jeune fille danser ? Pourquoi fallait-il qu'elle voit la souffrance ?
Alicia !
La vampire tendit les bras, essayant de saisir l'insaisissable, cherchant à réconforter la vision alors que l'ombre progressait autour d'elle, alors que son esprit, petit à petit s'amenuisait. Alors, qu'elle hurlait et qu'elle suppliait que quelqu'un la libère de cette image qu'elle ne pouvait accepter, celle-ci changea.
Une jeune femme regardait des ruines en silence, son magnifique visage exprimant une nostalgie non dissimulée. Alicia faisait à nouveau le deuil d'un être cher, le plus important, celui d'elle-même, celui de son enfance et de sa vie passée, aujourd'hui elle avançait dans la lumière. Le jour se levait et la jeune femme après avoir laissé un dernier regard aux morceaux de pierre fumants, rejoignit le jeune homme qui l'attendait en silence un peu plus loin.
Tu n'es pas seule, c'est bien.
Le couple marchait main dans la main, mais Sonja le savait, Alicia n'avait pas l'esprit tranquille, quelque chose perturbait ses songes, l'empêchait de dormir. Et même lorsque, Sonja le voyait, le jeune homme essayait de la rassurer, rien n'y faisait. L'image bougea encore, laissant apparaître une pièce floue, plongée dans la pénombre.
Une femme se tenait dans la pièce, elle marchait lentement, tenant précieusement dans ses bras un paquet qui s'agitait. Sonja se pencha sur la sphère, cherchant à saisir le regard du nouveau-né que berçait tendrement sa jeune sœur devenue mère.
Il a tes yeux.
L'enfant posa son regard larmoyant dans celui aimant de sa mère, le contact visuel le rassura instantanément, et la jeune femme entonna une berceuse. Le petit être cessa alors de pleurer et observa avec admiration le visage délicat qui lui souriait doucement, tentant d'attraper, de ses petites mains malhabiles, une des boucles ébène qui s'échappait du chignon d'Alicia. Celle-ci rit, libéra délicatement ses cheveux des minuscules doigts immaculés et l'enfant referma son poing sur son pouce. La jeune mère caressa le dos de la main frêle avec amour, reprenant sa chanson. Les yeux du petit papillonnèrent avant se clore, tendit que sa mère, toujours, le serrait contre sa poitrine.
Il dort, Alicia, sois tranquille, tu peux aller te reposer maintenant.
L'enfant dormait paisiblement, bercé à présent par les battements du cœur de sa mère. Alicia posa avec délicatesse le petit garçon dans son lit, dégageant doucement son pouce de la poigne de son fils. Alors qu'elle contemplait sa progéniture avec attendrissement, des bras l'enserrèrent avec tendresse et l'attirèrent contre un homme aux yeux gris très clairs. Le couple s'embrassa et après avoir déposé, chacun leur tour, un baiser sur le front de l'enfant, prit la direction de la porte de la pièce.
Sonja suivit des yeux Alicia et Manuel, les regardant s'allonger l'un contre l'autre dans leur lit, les observant s'endormir doucement dans les bras l'un de l'autre. Elle devina leurs rêves, les voyants doux et emplis de sérénité tout comme celui qu'elle faisait actuellement. Car elle rêvait bien, la jeune femme mourante ne faisait que rêver alors que le dernier souffle de vie s'échappait entre ses lèvres calcinées. Elle rêvait la vie qu'elle souhaitait pour l'être qu'elle avait le plus chéri sur cette Terre, elle rêvait la femme et la mère qu'elle ne verrait jamais Alicia devenir. Néanmoins, l'esprit de Sonja, trop éreinté, ne pouvait comprendre tout cela, pour elle, ceci était vrai et le resterait à jamais.
Sonja ne sut jamais à quel moment l'ombre finit véritablement par l'emmener, elle ne sut jamais à quel moment précis elle était morte, elle s'était contentée de fixer les yeux verts en souriant lorsque ceux-ci s'étaient fermés, elle s'était contentée de laisser tomber ses paupières lorsqu'elle avait vu le visage apaisé et serein d'Alicia lui confirmer qu'elle dormait paisiblement. C'était seulement à cet instant qu'elle avait accepté elle aussi de sombrer, étendue sur la grande sphère lumineuse qui lentement, s'éteignait.
Ce soir, au soir de sa vie, elle avait encore veillé tard.
oOo
Je tiens à préciser à nouveau, que tout ce qui est dit ici est juste une extrapolation (probable je vous l'accorde) de la part de Sonja, ce n'est en aucun cas ce qui va se passer dans "Alicia", elle s'invente juste un avenir radieux pour sa sœur avant de mourir, surtout dans l'optique de se rassurer. Cette "vision" ne dure en réalité que quelques secondes.
