Salut les gens,
Alors ça fait assez longtemps que je n'ai rien publié sur FF et je suis désolé de ne pas continuer « Etincelle de Lune » pour le moment. J'ai la tête ailleurs, car il me faut surmonter mes doutes.
En fait, j'ai perdu un texte très important pour moi, une histoire qui me tenait vraiment à cœur et qui était un vrai bijou d'écriture, de l'orfèvrerie littéraire. En tout cas, c'est comme ça que je la voyais. Moi qui ai toujours du mal à apprécier le rendu final de mes récits, j'étais enfin parvenu à cet état de grâce dans lequel j'étais fier du tissage de mots que j'étais parvenu à créer. Et une fausse manipe plus tard, j'écrasai malgré moi cette fierté pour la perdre à jamais dans les abîmes cybernétiques.
Ça a été un sacré coup dur. Je n'ai pas pu taper un mot pendant des mois. C'était comme si j'étais à deux doigts de mettre au monde mon chef d'œuvre et que l'instant d'après, il se transformait en fausse couche, en mort-né. Mon moral en a été largement atteint et j'ai pleuré pendant des jours. Puis il y a eu cette phase de désintérêt total pour l'écriture. Je ne savais plus si j'avais envie. Toute cette énergie perdue dans le néant, toute cette recherche de poésie effacée par accident…
Il m'a fallu retrouver le goût des mots, puiser en moi pour ne pas me laisser engloutir par la déception, ne pas perdre l'espoir qu'un jour, je réussirais peut-être à m'extirper de mes propres jugements. Je me suis combattu pour ne pas y voir un signe de ma médiocrité. C'était très difficile et je reviens, plusieurs mois plus tard, avec ce nouveau texte.
Il ne pète pas trois pattes à un canard, mais il est une sorte de thérapie. Il est une tentative maladroite de rééducation. J'espère que vous saurez l'apprécier pour ce qu'il est. En remerciant par avance toutes celles et ceux qui prendront le temps de me lire, je vous laisse donc avec ce nouveau récit.
Bien à vous,
DbZ0
L'encre des sentiments :
Lorsque Stiles rentra du lycée, il fut surpris de trouver sur la table de la cuisine, une grande enveloppe en papier kraft sur laquelle figurait son nom. Son père avait dû la poser là avant de partir travailler. Aucun timbre n'était collé dessus, ce qui suggérait que quelqu'un avait directement placé ce courrier dans sa boîte aux lettres plutôt que de passer par le service postal. Le jeune hyperactif fronça les sourcils avant d'étudier succinctement l'écriture particulière qui notifiait : « à l'attention de Mieczylow Stilinski, dit Stiles ». C'était rare qu'il reçoive quelque chose et là, ça ressemblait de plus en plus à une énigme qu'il avait envie d'élucider tout de suite.
Il lâcha immédiatement son sac de cours et s'assit pour s'empresser d'ouvrir l'enveloppe. Il n'aurait su expliquer ce qui suscitait sa hâte, mais il voulait absolument découvrir ce qui se cachait derrière cette manière de faire. Il sortit un imprimé de quatre feuilles agrafées ensemble et une petite bafouille écrite à la plume. Ses yeux coururent d'eux même le long des lignes manuscrites, prit par une étrange frénésie.
« Coucou petite tête,
Avoue que tu ne t'attendais pas à ça. Alors, je ne sais pas vraiment si ce que je fais aura du sens pour toi, mais on m'a conseillé de te laisser lire ce que j'avais rédigé. Tu ne peux pas savoir à quel point ça m'est difficile de faire ça. Je ne partage jamais ce que j'écris parce que c'est tellement personnel. Pourtant, c'est mon prof qui m'a suggéré cette idée et je crois qu'il a raison, il est temps que tu saches. Le texte qui suit est une rédaction que j'ai rendue la semaine dernière. Ne t'inquiète pas, Monsieur Russel est ouvert d'esprit et plutôt discret.
Voilà, je n'en fais pas plus long. J'espère seulement que tu ne seras pas choqué, ni même dégoûté de moi. Bon, je te laisse sinon je vais être tenté de tout brûler avant de m'enfuir en Alaska.
GML »
Stiles ignorait pourquoi, mais son cœur tambourinait dans sa poitrine et ses doigts tremblaient. Qu'est-ce que voulait dire tout ça ? Qu'est-ce que son ami avait pu raconter dans sa rédaction qui méritât cette curieuse mise en scène ? La bouche de l'adolescent s'était asséchée et troublé, il se leva pour aller se chercher un verre de jus de fruit. Quand il revint s'assoir à la table du coin repas, une inexplicable appréhension courrait dans ses veines. Il fallait qu'il arrête de se questionner inutilement et qu'il lise. A n'en pas douter, les réponses étaient là, contenues dans ces paragraphes qui n'attendait que son regard pour prendre du sens. Il but sa dernière gorgée et reposa son verre à côté de lui, puis commença.
Hale Derek
Terminale B
Devoir de littérature
Sujet : Puisez dans vos expériences ou vos points de vu personnels, ce que signifie pour vous : tomber amoureux. Vous rendrez une composition de deux à six pages sur ce sujet. Coefficient 4.
Note : A+
Remarque de l'enseignant : Excellent travail.
On ne décide pas de qui l'on tombe amoureux. C'est comme ça. D'ailleurs, on ne dit pas tomber amoureux parce que c'est un choix, mais bel et bien parce que ça ressemble à un accident. C'est comme un écroulement de volonté, une avalanche de désirs qui nous enterre dans l'obligation de les combler. C'est plus fort que la logique qui gouverne l'esprit. C'est plus fort que l'éducation de nos réflexes. C'est plus fort que le caractère qui se redessine sous la mine sensible du crayon des sentiments.
Un jour on rencontre une personne et elle devient le centre de notre univers sans que nous sachions pour quelle raison étrange, tout cela est arrivé. Mais c'est là, planté dans le cœur comme une clef secrète qui en remonte les mécaniques. Il bat dès lors de nouveaux rythmes, inventés afin de donner un sens inédit aux mélodieuses vagues d'émotions qui nous dévient de nos croyances. Et nous dérivons, perdus sur une barque percée au milieu d'un océan de doutes, noyés par l'évidence qui redéfinit nos espoirs.
Je suis tombé amoureux alors que j'avais treize ans. Je n'ai pas tout de suite su ce qui m'arrivait, mais j'eus l'impression obsédante de devenir fou. Je ne pouvais plus penser à rien d'autre qu'à ce chamboulement dans mon corps, qu'à ce nouveau visage qui hantait toutes mes pensées. Il m'a fallu du temps pour me l'avouer, car je me suis senti trahi par mes propres émois, et pourtant, j'aspirais de tous mes vœux à ce qu'ils soient exhaussés.
Mes envies se sont subitement transformées sans que je l'aie décidé et tout cela avait un arrière-goût d'inadmissible. Je suis devenu le pantin d'un désir dictateur, qui a opprimé tout ce que je croyais être avant de vivre ce coup de foudre monumental. J'ai eu la désagréable impression que mon esprit ne fonctionnait plus normalement, que mes entrailles se liquéfiaient sans fin. Tout mon monde a été pulvérisé par l'inconnu et j'ignorais qui je pourrais devenir après ça. En vérité, c'était autant effrayant qu'irrésistible.
Il faut dire que je suis un garçon et que cette subite passion qui m'a envahi concernait… un autre garçon. Cela n'a pas aidé à accepter ce qui m'arrivait. On ne m'avait pas préparé au fait qu'on pouvait éprouver ça pour quelqu'un du même sexe. J'étais ignorant des choses de l'amour et j'avais le sentiment qu'on m'avait sciemment enfermé dans la naïveté.
Comme j'en voulus à mes parents de ne m'avoir rien expliqué de la vie, de m'avoir maintenu dans l'insipidité de croyances débiles. Entre les cigognes, les bonnes fées et la poudre de perlimpinpin, on avait tu ma curiosité, on m'avait pris pour un idiot toute mon existence. En définitive, on m'avait forcé à croire que le monde était un endroit qu'il n'était pas. À treize ans, je détestais tous les adultes qui m'avaient menti et découvrir ces drôles de sentiments pour quelqu'un me blessa d'abord.
Le garçon qui a contribué à mon éveil amoureux faisait partie de la vague de nouveaux, de ceux qui avaient fini l'école primaire et entraient dans l'univers impitoyable du collège. Je l'avais déjà vu de loin, mais je ne m'étais jamais intéressé à lui. Il n'avait que onze ans et qui plus est, tout le monde semblait se moquer de lui. Il n'avait qu'un ami, un garçon un peu niais qui le suivait partout. Autant dire qu'il n'avait pas vraiment d'existence réelle à mes yeux avant que je le rencontre de la façon la plus absurde qui soit.
Pendant l'interclasse, quelques jours après la rentrée scolaire, alors que j'étais tranquillement en train de ranger mes affaires dans mon casier, « S » m'a percuté de plein fouet parce qu'il ne regardait pas où il courrait. Toutes nos affaires se sont éparpillées autour de nous et il m'a entrainé dans une chute rocambolesque. Je me souviendrais à jamais de ce moment. Le temps s'est ralenti et je me suis écroulé au sol dans une lenteur irréelle. Je ne sais pas pour quelle raison étrange, j'ai tout fait pour rattraper le gamin, pour lui éviter de se faire mal. Et alors que mon dos s'affaissait durement sur le carrelage froid du couloir du bâtiment B, j'enserrai le corps du maladroit contre mon torse.
J'ai rarement eu des instants aussi lucides que ceux issus de mes heurts fortuits avec cet empoté de « S ». Toujours est-il que le souvenir de notre rencontre s'est gravé dans le marbre de ma mémoire. Tandis que nous reprenions nos esprits, il a relevé la tête et son regard de miel m'a transporté hors de cette école, au-delà de toutes ces colères qui guidaient ma rébellion d'adolescent. Son visage était magnifique et l'embarras qui l'imprégnait lui donnait cet air craquant que je n'ai vu nul par ailleurs. Personne n'avait jamais réussi à susciter une émotion aussi vive en moi. Personne d'autre que lui. Vu mon caractère maussade et emporté, j'aurais dû être énervé, mais je ne pouvais pas m'empêcher de timidement sourire, de trouver ce jeune étourdi absolument adorable.
― Excuse-moi de t'avoir foncé dedans, mais… est-ce que tu peux me lâcher ? Tout le monde nous regarde.
Il me fallut un temps avant de comprendre ce que venait de me dire ce jeune gaffeur embarrassé, qui avait fini sa phrase en chuchotant. J'étais hypnotisé par ses grands yeux de biche, par sa bouche généreuse qui s'agitait si gracieusement. Il détourna son attention de moi et j'eus comme une douleur dans l'estomac. Pourquoi ne me regardait-il plus ?
― Ouah, S'Mac, je crois qu'il s'est cogné la tête par terre. Merde, j'ai causé un traumatisme crânien à un grand de quatrième, mon père va me tuer.
Il parlait vite et je repris conscience d'où nous étions. Quand je vis son pote avec sa bouille de gentil simplet, un frisson d'indignation parcourut mon dos. Le retour sur terre fut très désagréable. C'était comme si après un silence céleste, j'entendais de nouveau. Le temps reprit son cours. Les ricanements, les rires moqueurs et les pouffements qui fleurirent un peu partout autour de nous me firent mal. Je lâchai instantanément le gamin que j'avais rattrapé, envahit par une honte aussi subite qu'incompréhensible et je le repoussai violemment, contrarié par mes propres réactions. Il atterrit sur les fesses et une plainte s'échappa de sa gorge. Je me redressais laborieusement et m'adossai aux casiers.
― La prochaine fois, regarde où tu vas espèce d'abruti fini. Et t'as intérêt à ramasser toutes mes affaires, dis-je en croisant les bras sur ma poitrine.
Mes mots étaient autoritaires, durs, agressifs et ma voix en pleine mue avait des accents de maturité qui firent rougir le godichon. Il se relava rapidement. Je lui avais fait peur et aidé de la bonne pâte qu'était visiblement son ami, il s'activa à récupérer frénétiquement toutes les affaires qui trainaient dans nos parages. Mal à l'aise de tous ces témoins qui prenaient un plaisir malsain à me voir réprimander un nouveau, je les fusillai du regard. Je refusai qu'on juge la victime de ma mauvaise humeur affectée et pourtant, sans bouger, je l'observai œuvrer avec toute la gaucherie qui semblait le caractériser. En vérité, j'avais juste envie de me laisser fondre. C'était impensable. Était-il possible que la maladresse dont faisait preuve ce garçon m'apparaisse séduisante ? Pourquoi son tempérament étourdi me faisait-il littéralement craquer ?
Ma première envie avait été de vérifier qu'il ne s'était pas fait mal en me tombant dessus. La seconde était plus intime, elle me forçait à l'ignorer sciemment parce qu'elle était plutôt humiliante à mes yeux (je voulais le kidnapper pour consoler ses lèvres et caresser ses joues rosies). Et la troisième aurait simplement consisté à être sympathique et avenant, à lui donner un coup de main pour tout trier en discutant. Mais je ne m'engageai dans aucune de ses possibilités. Je ne fis rien d'autre que le regarder froidement. J'étais figé dans une colère facile, qui n'était qu'un masque pour ne pas perdre la face devant cette ménagerie qui peuplait la jungle du collège.
― Qu'est-ce que vous avez tous à regarder ? Dégagez ! Bande de nazes.
J'aboyai cet ordre qui fit sursauter les quelques crétins qui avaient cru que pareil à eux, je m'amusais de la situation. Les arrogants me toisèrent et les autres firent comme s'il ne se passait plus rien d'intéressant de ce côté du couloir. Les petits attroupements se dissipèrent rapidement. J'en profitai pour m'accroupir et ramasser les classeurs de ce jeune chien fou qui m'avait fait tomber. J'étais hanté par le regard qu'il m'avait destiné et qui m'avait complètement retourné le cœur. C'était inavouable pour moi, mais j'avais envie qu'il recommence, encore et encore. Quand j'eus fini de rassembler ses effets personnels, je constatai que les deux amis me fixaient avec des yeux ronds.
― Je sais que tu l'as pas fait exprès et je voulais pas te pousser comme ça, ni te crier dessus, dis-je en grommelant, comme pour m'excuser et reprendre contenance devant les nouveaux. Je m'appelle Derek, Derek Hale.
Je me montrai soudainement intimidé, alors que je tendais ses affaires à l'étourdi qui était capable d'arrêter mon temps pour le focaliser exclusivement sur lui. Sans que j'en comprenne la raison, il acquiesça et nous échangeâmes nos dus.
― Merci. Moi c'est « S » et lui c'est mon meilleur ami, S'Mac. Désolé, vraiment désolé. Tu sais, je courrais parce que je voulais… enfin, c'est pas important. Excuse-moi de t'avoir foncé dedans, mais je suis…
― Naturellement distrait ? Oui, ça se voit, dis-je, un irrépressible sourire étirant mes lèvres, sans que je ne puisse totalement le contraindre à s'effacer. Peut-être que tu devrais t'inscrire dans une activité sportive, ça permet de vider le surplus d'énergie, renchéris-je.
Pourquoi discutais-je ? Pourquoi mon cœur battait-il si fort ? Pourquoi ne voulais-je pas partir de ce couloir et rester là ?
― T'en fais toi ? me demanda-t-il, sa moue curieuse s'illuminant un bref instant.
― Je suis dans le club de Basket du collège, répondis-je en fermant mon casier. On a entrainement le mardi et le jeudi après-midi.
― « S », ça va sonner et j'ai vraiment envie de pisser, intervint ledit S'Mac qui semblait mal à l'aise de la tournure des événements.
― Ouais, j'arrive. Prends de l'avance, je te rejoins, dit-il à l'attention de son ami qui acquiesça, penaud.
L'énergumène se retourna vers moi et me fit un grand sourire. Et voilà que le temps s'arrêtait encore, que tout mon corps semblait se transformer en une espèce de guimauve. Comment ce gamin faisait-il pour déclencher des réactions aussi bizarres en moi ? Pourquoi appréciais-je ça ?
― Je crois que je suis trop petit pour faire du Basket Ball et de toute façon je risque de me faire des croches-pattes tout seul. Mais je viendrai te voir pour t'encourager, c'est promis. En fait, sous tes airs de Grand Méchant Loup, t'es sympa. Encore désolé de t'être rentré dedans. Peut-être que ça en valait la peine en fin de compte. À jeudi, dit-il en me faisant un clin d'œil un peu raté.
Et il partit rapidement, au pas de course, me laissant seul devant le constat de ce moment insolite que nous venions de partager. Quand la sonnerie retentit, je ne bougeai pas. Toujours adossé à mon casier, j'étais perdu dans le ressassement de cette rencontre inopinée. « S » n'avait pas seulement percuté mon corps. J'avais la sensation d'avoir le cœur à l'envers, l'esprit éparpillé. Je ne pouvais plus me concentrer sur rien d'autre que sur ce moment où il avait atterri dans mes bras et j'étais totalement brouillé d'attraction.
Hermétique à la plupart des interactions avec mes camarades de classe, je suis resté seul durant toute la journée, à tenter de revenir vers la normalité de ma vie. Mais rien n'y fit, j'étais focalisé sur ce jeune de onze ans dont les iris caramels avaient ravi jusqu'à mon âme. Quand je changeai de cours, j'espérai le voir et scrutai discrètement mes environs à sa recherche. J'étais irréversiblement perturbé et je souhaitais seulement rester dans mes pensées, à revisiter ce que j'avais vécu. Je n'arrivais pas à le sortir de ma tête. Le reste devint une dérangeante distraction qui me frustrait et m'empêchait d'être là où je voulais. À partir de ce jour, je n'ai plus été le même.
Comme il me l'avait assuré, « S » vint me voir à l'entrainement et à la fin, nous en profitâmes pour nous restituer certaines feuilles de cours qui s'étaient hasardeusement immiscées dans nos affaires respectives. Commencer à parler avec lui me rendit fébrile. C'était la première fois que quelqu'un me déconcertait à ce point et j'espérais sans l'admettre que ce soit réciproque. Alors que nous discutions, rien ne parvint à me rassurer et j'eus de plus en plus peur du comportement inédit que m'inspirait ce jeune impétueux. Il avait le don de capter l'intégralité de mon attention et il déclenchait des réactions pétulantes dans la chaîne de mes émotions rendues vives et colorées. J'avais la sensation de passer mon temps à rougir de sa présence et je me transformais en bègue simplement parce qu'il était naturellement avenant avec moi.
Quand nous nous quittâmes, ma décision était prise. En dépit de notre différence d'âge et de tout ce que pourraient penser mes camarades de classe, « S » serait mon ami. Après tout, nous n'avions que deux ans d'écart et pour tout dire, il n'y avait pas vraiment de jeunes de mon entourage pour qui j'avais envie d'être important. Alors que j'avais toujours été réservé en amitié, cet étrange personnage qui semblait incapable de tenir en place m'inspirait l'envie de sortir de ma solitude tant aimée et la partager avec quelqu'un. C'était un signe, je devais faire face au choix d'être aveugle aux avis de mes habituels comparses.
Avec le temps, j'ai appris à connaître « S » et S'Mac. Je ne voulais pas m'avouer les raisons qui faisaient que j'en avais tant besoin, mais c'était plus fort que ma crainte de voir mes camarades de classe me moquer. Je réussis à faire abstraction de tout le négatif, parce que la seule chose qui importait, c'était de garder le contact avec mon turbulent préféré. Il m'était nécessaire de le voir, de m'autoriser à lui parler, de passer des moments privilégiés avec lui.
Si S'Mac était la plupart du temps avec nous, je comprenais désormais pourquoi son ami l'appréciait tant et je revins sur beaucoup d'aprioris le concernant. Faire connaissance avec Stiles a chamboulé pas mal de certitudes que j'avais nourries jusqu'alors. Nous jouions, et je n'avais pas honte ou ne faisait pas semblant que ça ne m'intéressait pas parce que je voulais paraître plus mûr que je ne l'étais vraiment. En réalité, j'étais simplement un gamin amoureux d'un autre gamin, même si j'étais un peu plus âgé.
C'est mon oncle Peter qui me l'a fait comprendre, et même si je lui en ai voulu sur le moment, j'ai enfin saisi ce qui m'arrivait, les raisons qui m'avaient motivé. J'étais amoureux de « S », je désirais que nous soyons intimes, tendres et particuliers l'un pour l'autre. Ce sentiment ne m'a plus jamais quitté le concernant. Mes choix se sont modelés sur l'envie de lui plaire, de continuer de jouer un rôle important dans sa vie, d'être plus qu'un passeur d'expériences éphémères et dérisoires.
Et pourtant, je sus rapidement que c'était peine perdue. Ce que je ressentais pour lui, « S » l'éprouvait pour quelqu'un d'autre, quelqu'un avec qui je ne pourrais jamais rivaliser, quels que soient les moyens dont je disposais. C'était une fille et j'étais un garçon, de quoi éteindre les maigres espoirs que j'avais timidement entretenus. Il nous parlait souvent d'elle comme s'il s'agissait d'une déesse et ma complicité avec S'Mac se fortifia sur la base de notre réprobation silencieuse. Ce béguin faisait du mal à mon ami. Il était clairement en sens unique et qui plus est, littéralement ignoré.
De mon côté aussi, j'avais beau savoir que mes sentiments ne seraient jamais réciproques, je ne pouvais pas m'empêcher de continuer à les cultiver. Je me complaisais dans toutes les tristesses que m'inspirait l'aveuglement du gaffeur qui avait chamboulé ma vie. J'avais besoin de lui pour être quelqu'un de bien, même si cela signifiait que je souffrirais à jamais l'impossible. Enfin, contrairement à mon empoté préféré et si ce n'était pas ce que j'espérais vraiment, je partageais néanmoins quelque chose de fort et d'important avec la personne que j'aimais.
Les années passèrent et nous grandîmes. Nos jeux se transformèrent en discussions, nos rires en questions, nos peines de cœur, en douleurs sourdes et cachées. J'étais toujours là pour « S » et S'Mac, même quand je fus contraint de changer d'établissement scolaire pour aller au lycée, alors qu'ils restaient au collège. Le seul avantage nous apparut quand j'obtins le permis de conduire. Nos virées se firent plus régulières et surtout, relativement loin de notre ville.
Les adultes de mon entourage trouvaient étrange que mes amis soient plus jeunes que moi. Ils prenaient ça pour un signe d'immaturité ou une sorte de moyen dérobé que j'avais adopté pour rester accroché à mon enfance. En réalité, c'était plutôt le contraire. Être le plus âgé de notre groupe m'obligeait à endosser toutes les responsabilités, et il n'était pas rare que je me transforme en rabat-joie simplement parce que je craignais que les idées farfelues de « S » deviennent d'inévitables accidents.
Enfin, seul Peter connaissait la vérité, et malgré son caractère mesquin et moqueur, il ne la trahit jamais. Un enfant homosexuel dans une famille traditionaliste, c'est un peu comme un grain de sable susceptible d'enrailler et faire voler en éclat, les mécaniques bien huilées d'un bonheur préconçu. Le jeune frère de ma mère était trop conscient de cela pour ne serait-ce que tenter d'évoquer ce qu'il savait de mes attirances, et je crois que je suis relié à lui par une sorte de dette karmique.
Quand mon oncle me parlait sérieusement, il était d'ailleurs souvent triste pour moi. Selon lui, il n'était pas sain que je m'accroche ainsi à des sentiments unilatéraux. Je m'empêchais de vivre d'autres expériences, j'oubliais le reste du monde pour quelqu'un qui ne souhaitait qu'une simple amitié. Mon oncle me disait fréquemment que je devais avancer, qu'il serait bien que je m'autorise l'abandon pour vivre quelque chose d'inédit. Peut-être qu'il connaissait mon intime désespoir pour me conseiller ça.
Aujourd'hui pourtant, rien n'a changé. Après avoir été foudroyé par la présence électrique de « S », je n'ai plus réussi à vivre sans. Il est comme l'énergie nécessaire pour que mon cœur continue de battre. J'ai dix-sept ans et je l'aime toujours. Avec le temps, mes sentiments ont pris de nouveaux reliefs, plus complexes que lorsque j'ignorais toute l'ampleur de ce qu'ils impliquaient. Ils se sont enforcis et la douleur qui accompagne leurs incapacités à éclore dans la réalité est chaque jour un peu plus difficile à assumer.
Comment lui dire qu'il m'a volé mon cœur ? Alors qu'il est amoureux de quelqu'un d'autre, comment lui exprimer que je ne peux pas me passer de lui, que je rêve d'un nous plus intime ? J'ai bien peur que de tels aveux le conduisent à fuir ma folie et le poussent à abandonner l'amitié que nous avons bâtie. Je suis effrayé à l'idée qu'il s'en rende compte et en même temps, j'enrage qu'il soit aveugle à tous ces tourments que j'endure pour avoir le courage de lui cacher.
Tomber amoureux, c'est côtoyer les abîmes de ses sentiments, c'est se meurtrir sans fin dans les ombres du secret, c'est accepter que la personne dont on est épris ne puisse pas nous rendre cette grâce et apprendre à vivre avec. Etre amoureux, c'est être heureux pour l'élu de notre cœur, même si cela signifie que nous n'avons qu'un petit rôle à tenir dans son bonheur personnel. Cela nous oblige à entretenir le bon, même si l'on pleure et que l'on a mal dans le silence.
Stiles avait les larmes aux yeux. Il était pétrifié, incapable de se remettre de ce qu'il avait découvert. Au fond de lui, il y avait une petite voix qui lui susurrait que ce ne pouvait être vrai, qu'il avait mal compris ce qu'il venait de lire. Son Grand Méchant Loup, son protecteur depuis quatre ans était en réalité amoureux de lui, et il n'avait rien vu. C'était pourtant si évident quand il y repensait.
L'adolescent avait dû s'arrêter plusieurs fois durant toute la lecture de la rédaction. Son cœur s'était comprimé, sa respiration s'était hachurée d'émotions, son corps entier avait réagi aux mots de Derek. Parfois il avait ris niaisement ou s'était tracassé de la véracité des confidences que cet écrit recelait. Il n'avait jamais rien lu de tel, quelque chose qui l'avait percuté à ce point. C'était peut-être parce qu'on y parlait de lui, Mieczyslow Stilinski. Il n'avait pas imaginé être important à ce point pour celui qu'il nommait dérisoirement : son Grand Méchant Loup. Stiles en était totalement bouleversé et les larmes s'échouaient d'elle-même sur le papier.
Derek l'aimait. Derek était amoureux de lui. Derek pensait n'avoir aucune chance en comparaison de Lydia. Derek, le magnifique athlète au regard si troublant rêvait secrètement d'être son petit ami, et il perdait ses maux dans des phrases envoûtantes. C'était comme un tempête dans le cœur de l'hyperactif, tel un tsunami d'émotions qui venait inonder les terres de ses certitudes, noyer son ignorance pour faire naître d'autres vérités, des réels qu'il n'avait pas pris la peine d'explorer.
Et puis, quand il fut nécessaire qu'il cesse de s'émouvoir pour ne pas s'en vouloir davantage, il y eut ce moment de flottement dans son humeur, un instant où il parvint à replacer les choses dans leur contexte. Une pointe de panique le paralysa quand il se rendit compte que ces révélations étaient la trame d'une rédaction que Derek avait rendue. Un professeur de littéraire avait lu la confession des sentiments de son aîné. Son palpitant parti dans un rythme affolé et il fallut que Stiles relise la bafouille manuscrite pour s'apaiser de nouveau et se donner le temps de réaliser.
Une myriade d'interrogations s'imposèrent à son jeune esprit. Est-ce qu'il pouvait répondre à Derek ? Oui. Avait-il assez de cran pour lui donner une importance réciproque dans sa propre vie ? Ce n'est pas une question de courage. Pouvait-il vivre sans la présence de son Grand Méchant Loup ? Rien que l'idée le fit souffrir, s'imposant dans son corps comme une blessure vicieuse et sanglante. Non, j'ai besoin de le voir, j'ai besoin de le taquiner, de partager des moments avec lui, de continuer de grandir sous son regard. Est-ce qu'il pouvait l'embrasser, devenir intime de cette manière que Derek espérait?
Il n'eut pas même à formuler de réponse dans ses pensées que son corps réagissait. Son pouls s'accéléra, il sentit la chaleur monter à ses joues. Une fébrilité nouvelle se répandit dans ses chairs et de plaisants frissons naquirent partout sur sa peau. S'imaginer la bouche de Derek contre la sienne excita tout son être au point où le désir s'exprima par un embarrassant gonflement à son entre cuisse. Il lui fallait désormais admettre qu'il n'était clairement pas indifférent aux charmes de son ami et qu'il s'était peut-être voilé la face en refusant de songer à ces possibilités.
Il était explicite qu'il avait toujours trouvé son ami beau et bien fait de sa personne. Un sportif tel que lui avait un corps sculpté, mais l'attrait qu'il pouvait susciter allait au-delà de sa seule apparence. Tout était dans les yeux de Derek, dans ce mélange de couleur indéfinissable et fascinant qui était capable d'exprimer tellement plus que de la singularité. Son grognon préféré avait un caractère tout entier, une prévenance estimée et surtout, une capacité d'écoute merveilleuse. Si sa plastique était particulièrement appréciable, son comportement relativement placide, cela soutenait une attitude réservée et pourtant, tellement généreuse.
Alors qu'il constatait tout ça, l'interdiction foudroya Stiles. Comment se faisait-il qu'il n'avait jamais compris son attirance pour son Grand Méchant Loup ? Lydia. Il avait trop focalisé son attention sur la petite rouquine pour saisir qu'il était capable d'envisager d'autres personnes. Il ne s'était pas interrogé plus avant parce que pour lui, rien n'avait autant d'importance que d'essayer d'obtenir l'attention de quelqu'un qui le traitait avec indifférence. Mais Derek l'aimait, lui. Stiles eut subitement envie de se taper la tête contre un mur et de se traiter de tous les noms d'oiseaux.
Sans réfléchir, il se saisit de son téléphone et composa le numéro de son ami. Il fallait qu'il lui parle, il fallait qu'il le voie. C'était urgent, impossible à contenir dans le temps. Il attendit que la première sonnerie arrive et sa jambe commença à faire de petits rebonds frénétiques. Au bout de la deuxième sonnerie, une angoisse inédite s'infiltra dans ses veines. Stiles se rongeait la lippe. Et si Derek était réellement parti en Alaska, effrayé par les répercussions de sa rédaction ? Il n'eut pas le temps de pousser son imagination dans cette direction.
― Allo, dit subitement une voix grave dans laquelle perçaient des accents de crainte mal contenue.
Stiles soupira de soulagement avant de se lever pour commencer à tourner en rond.
― Merci mon dieu t'es encore joignable, lâcha l'hyperactif qui ne savait plus comment se comporter.
― T'es sûr que ça va bien ? lui demanda son ami, décontenancé.
― Je veux te voir Derek, j'ai… j'ai besoin de te parler. J'ai tout lu et il… s'il te plait, monte dans ta voiture et viens chez moi. Je ne veux pas discuter de tout ça derrière un combiné. Dit oui, je t'en prie, dit oui.
Ses mots moururent dans un étrange essoufflement et il fallut quelques interminables secondes avant que la réponse du correspondant de Stiles ne se fasse entendre.
― J'arrive.
― Merci, susurra-t-il timidement. A tout de suite.
Stiles raccrocha en soupirant son émotivité. Il ferma ensuite les yeux et leva la tête au ciel pour prendre une longue et calmante respiration nasale. Tout son être avait défailli bien trop vite, il fallait qu'il se ressaisisse. Qu'est-ce qu'il allait dire à Derek ? Il ne savait plus lui-même ce qu'il ressentait. Ses pensées étaient un embrouillamini d'impressions qui heurtaient son être et l'exaltait dans une impatiente appréhension.
Le jeune revint vers la table de la cuisine et se saisit du précieux écrit dont il avait hérité la garde, ainsi que la fameuse enveloppe qui l'avait contenu. Il récupéra toutes ses affaires d'école et s'empressa d'aller dans sa chambre pour ranger tout ça. Il relu de nouveau le message manuscrit de Derek. Son cœur battait si vite qu'il avait l'impression de courir. Il ne savait plus ce qu'il voulait et les souvenirs affluaient pour le percuter d'audacieux espoirs.
Stiles resta assit sur le bord de son lit à contempler le vide, perdu dans ses pensées. Il oublia la notion du temps pour revisiter le passé. Il se remémora ce fameux jour où dans la forêt, il avait demandé à Derek et à Scott de lui apprendre à embrasser. Le Grand Méchant Loup s'était montré mal à l'aise et avait immédiatement refusé, prétextant qu'on n'apprenait pas à embrasser avec ses amis. L'hyperactif se rendit compte à quel point cette situation avait été gênante pour le plus âgé du groupe.
Afin d'essayer de convaincre Derek d'accepter, Stiles lui avait dit qu'il n'avait pas à s'en faire, qu'il imaginerait Lydia à sa place, qu'il n'était qu'une aide pour s'entraîner. Comme ses arguments lui firent mal quand ils lui revinrent en mémoire. Bien sûr que le Grand Méchant Loup n'aurait pas pu accepter ce genre de propositions alors qu'il était sentimentalement affecté. Evidemment qu'il n'aurait pas pu dire oui, sachant qu'on se proposait de l'utiliser pour penser à quelqu'un d'autre. Le jeune de quinze ans se sentit soudainement débile en se rendant compte qu'il avait certainement été blessant. Putain, mais quel con ! Il se promit qu'il réparerait ça, tout devait changer.
Il n'eut pas le temps de s'appesantir davantage sur cette réflexion, la sonnette de sa maison retentit. Un stress nouveau se répandit dans ses veines et Stiles se dépêcha de sortir de sa chambre, de dévaler les escaliers et d'ouvrir la porte. Derek était là, arborant son éternelle veste en cuir et l'indémodable distance naturelle qui faisait son attitude au quotidien. Il n'osait pas regarder dans la direction de son ami qui s'était pourtant placé de profile pour l'inviter à pénétrer chez lui.
― Et bien… entre, dit Stiles d'une voix que l'émotivité rendait incertaine.
Derek releva la tête et son regard clair se fit insistant alors que sa bouche se tordait dans le manque d'assurance. Ses sourcils exprimaient un étrange accablement et Stiles eut juste envie d'effacer l'expression embarrassée qui envahissait ce si beau visage.
― T'es sûr ? l'interrogea le nouvel arrivant, qui ignorait quel comportement adopter pour faire face à la situation.
Il gardait ses mains dans ses poches et baissait la tête comme s'il était coupable de quelques méfaits connus de lui seul.
― Bon, Grand Méchant Loup, je ne sais pas à quoi tu penses là tout de suite, mais si j'avais plus voulu te voir, je t'aurais évité, rétorqua Stiles. Au lieu de ça je t'ai invité chez moi pour qu'on discute. Est-ce que tu veux bien qu'on parle de tout ce que tu as écrit ? demanda-t-il, les joues rougies, une risette gênée sur le coin des lèvres.
Quand il osa regarder dans la direction de son coup de foudre, les grands yeux de Derek se firent tristes tout autant que défiants.
― J'ai peur Stiles et tu sais comment je suis quand j'ai peur.
Le plus jeune acquiesça gravement avant de commencer à parler :
― Moi aussi j'ai peur, mais je ne veux pas te perdre Derek, dit-il d'une voix chevrotante. T'es mon ami, tu sais que je t'adore sinon je ne te prendrais pas la tête comme ça. Ne te ferme pas s'il te plait. Aller, viens, je peux même te servir une boisson si tu veux, ajouta-t-il avec une bonhomie qu'il exagérait simplement pour rassurer son ami.
Derek expira son appréhension et se donna le courage d'entrer dans la demeure des Stilinski. Stiles fit tout pour qu'il ne se sente pas jugé ou lui donner l'impression que la relation qu'ils partageaient était en danger. Pourtant, l'aîné du duo demeurait tendu comme un string. Il n'éprouvait aucune sorte d'apaisement à se rendre compte que le jeune ne semblait pas tant affecté par les révélations qui lui avaient été faites. Et si tout cela concourait à sa ruine sentimentale ? Derek pourrait-il s'en remettre ou se transformerait-il en handicapé de l'amour ?
Ils s'installèrent autour de la table à manger. Stiles avait servi un jus de fruit à son ami et il se plaça face à lui. Ils s'observèrent quelques secondes, le cadet garda une posture d'expectation. Il était rare qu'il se montre aussi calme, et le plus âgé comprit qu'il attendait qu'il commence à parler. C'était légitime, mais Derek devait tout de même se forcer à prendre la parole, à discuter d'un sujet qui était resté silencieusement enfermé dans ses secrets, pendant plus de quatre ans. Il but une gorgée, tritura ses doigts et se lança à contre cœur.
― Alors, t'as lu, et… ?
Les mots qui sortirent de la bouche de l'aîné se révélèrent aussi fébriles que son attitude. Derek était à fleur de peau et semblait ne plus être capable de respirer normalement.
― Ouah, je sais plus qui je suis Derek, répondit immédiatement Stiles qui devait apparemment calmer une frénésie intérieure ne laissant rien présager de bon. J'ignorais qu'on pouvait me regarder comme ça. Ça m'a complètement retourné. Je... j'ai envie… j'ai le cœur qui panique depuis une heure, j'ai l'impression que je vais tomber dans les vapes, avoua-t-il en essayant de sourire.
Son comparse le regarda subrepticement avant de rediriger son attention sur le plateau en bois de la table. Il était fébrile et ne parvenait manifestement pas à le cacher, chose qui le déstabilisait totalement.
― Moi aussi, grommela-t-il laconiquement.
― Alors… comme ça… t'es amoureux de moi, soupira Stiles qui avait encore du mal à croire qu'une telle chose fut possible.
― Oui, répondit Derek qui se mit malgré lui dans la posture d'un accusé.
― C'est pour ça que t'as voulu devenir mon ami et qu'on a vécu tout ça ?
La question n'en était pas vraiment une et si Derek s'en rendit compte il répondit tout de même. Stiles tenta de rester le plus naturel possible, mais c'était tellement difficile compte tenu de l'atmosphère pesante qui régnait entre lui et son ami qui s'abîmait devant lui. Le plus âgé se racla la gorge et grommela ses raisons comme si la honte en guidait l'expression.
― Je ne peux pas vivre sans te voir. C'était le seul moyen d'être proche de toi, dit-il, accablé par les charges invisibles qui pesaient sur son cœur.
― Regarde-moi s'il te plait. N'aies pas peur. Je t'en prie, n'aies pas peur de ce que je ressens. Je t'ai déjà dit que je t'aimais non ? demanda le plus jeune.
Sa voix était douce et lorsque son ami osa rediriger son attention sur lui, toutes ses mimiques se mirent au diapason du ton employé. Derek, dégluti sa salive et inspira avant de prendre la parole.
― Cinq fois depuis qu'on se connait. Mais c'était toujours pour des trucs légers.
Stiles s'offusqua gentiment de la remarque qui lui était faite. Un sourire délicat étira ses lèvres épaisses et il secoua négativement de la tête.
― Non Derek, c'était pour des trucs qui me tenaient à cœur, même si c'était des délires. Ce n'est pas parce que ce n'était pas des choses passionnantes à tes yeux que ça ne voulait rien dire. Je t'aime, je ne veux pas te perdre.
Le plus jeune triturait ses doigts sur la table alors qu'il lâchait ses propos tout en rosissant quelque peu. Cela n'eut pourtant pas l'effet qu'il aurait souhaité et Derek baissa de nouveau son regard tout en secouant négativement sa tête. Si les propos tenus le rassuraient, l'écrivain en herbe ne s'autorisait pas le droit d'y voir un espoir par peur d'être déçu d'avoir cru que l'impossible pouvait se réaliser. Sa voix devint rauque lorsqu'il parla.
― Mais tu m'aimes comme un ami. Moi je t'aime comme un amoureux, dit-il avec une réserve touchante.
Le cœur de Stiles s'emballa une nouvelle fois et il eut de nouveau cette sensation que la pression de l'instant allait le faire s'effondrer. Il fallait qu'il sorte de cette fragilité qui faisait vibrer tous son corps, il fallait qu'il tente de faire comprendre à son ami que le monde n'était pas aussi contrasté qu'il semblait le croire. Il fit abstraction de tous les désagréments qui pesaient sur lui et se lança :
― Je ne sais plus comment je t'aime Derek. Tes mots, ils ont tout changés, annonça le plus jeune, alors qu'il étirait le silence qui suivit pour forcer son aîné à le regarder. Je sais juste que c'est là et que ça pousse mon palpitant dans ses limites tellement c'est fort. Ça je le sais, renchérit-il quand il capta le beau regard vert de son comparse.
Stiles avait placé son poing frêle sur son torse pour lier le geste au propos et l'intensité de ses yeux chamboula totalement Derek qui ne parvenait plus à penser en des termes clairs.
― Ce que ça veut dire pour la suite, je n'en ai aucune idée et c'est pour ça qu'il faut qu'on parle. Je crois que j'ai envie de tomber amoureux de toi, j'ai envie de partager ce que tu ressens, exprima le jeune fougueux alors que ses prunelles s'embuaient d'un optimisme sensible.
Les certitudes de Derek vinrent subitement lui comprimer le cœur et il sembla se défaire dans une sorte de négation qui ne lui faisait que du mal.
― On ne décide pas de qui on tombe amoureux, dit-il avec la conviction que cette vérité était absolue puisqu'il l'avait expérimenté de façon tyrannique et bien malgré lui.
Stiles s'agaça et son tendre minois se chiffonna de contrariété.
― Quand on aime avant toute chose, être amoureux devient une décision. Toi, t'es tombé amoureux, mais t'a quand même voulu tout ce qui a suivi. Moi, je t'aime tout court mec, et quand c'est comme ça, on a le choix de comment l'exprimer. Je ne peux pas passer à côté de tes sentiments et faire semblant que ça ne me touche pas. Tu ne mérites pas des mensonges. Tu comptes pour moi, vraiment beaucoup. J'ai envie de ne penser qu'à ça, expliqua Stiles dans un souffle qui exprimait autant de conviction que de tendresse.
La force de son plaidoyer atteignit Derek jusque dans sa chair. L'invité se demandait s'il avait bien compris ce que son ami lui disait. Assit l'un en face de l'autre autour de cette table, ils s'observèrent comme s'ils cherchaient à tromper l'hésitation et l'embarras. Le plus jeune semblait attendre que son aîné saisisse bien ce qu'il lui annonçait de manière un peu brouillonne, et celui-ci mis un certain temps pour se décider à répondre. Sa bouche se fit sèche quand il osa reprendre la parole et exposé ses intimes questionnements.
― Alors… alors tu crois qu'on pourrait… qu'on pourrait devenir des petits-amis ? demanda Derek, incrédule.
― Non, je crois qu'on pourrait devenir des amis intimes, des âmes sœurs, annonça Stiles qui prit une fragile inspiration dans la foulée.
Derek cola son dos à son siège et sa bouche se tordit de malaise. Son regard d'habitude si perçant se fit nébuleux et la mélancolie vint se loger dans l'éclat ombrageux de ses iris. Il ne comprenait plus rien et se raccrochait à sa morosité. Il avait arrêté d'écouter après avoir entendu « Non » et le mot raisonnait dans son esprit tel une déception qu'il s'était pourtant juré de ne pas éprouver.
― Tu ne veux pas sortir avec moi, lâcha-t-il, à bout de souffle, signe que sa poitrine se serrait désagréablement.
Stiles eut envie de se lever pour lui foutre un coup de poing dans l'épaule. En même temps, l'attitude de son ami le faisait littéralement craquer et il souhaitait le cajoler pour le tranquilliser et lui montrer qu'il se trompait sur toute la ligne. Il soupira exagérément avant de s'expliquer de nouveau.
― Si grand nigaud ! Je veux sortir avec toi, t'embrasser, t'aider à être ce que tu veux dans la vie, apprendre à partager le sexe… mais si on fait tout ça, je ne veux pas que ce soit « petit », c'est tout. Derek et Stiles, c'est grand tu vois, c'est genre énorme. Ça a toujours été le cas, depuis le jour où je t'ai rencontré. Est-ce que tu sais le plaisir que j'ai eu à être considéré par un plus grand qui ne me prenait pas de haut ? Non, tu n'le sais pas apparemment. J'ai bassiné Scott pendant des jours pour qu'il accepte que tu fasses parti de notre équipée sauvage, je te voulais avec nous…
― Oui, il me l'a dit, l'interrompit le plus âgé qui semblait essoufflé.
Derek passa une main incertaine sur son front suant. Exprimer ses émotions verbalement était quelque chose qui ne faisait pas parti de ses qualités. Parler à cœur ouvert avec le garçon qu'il aimait secrètement le chamboulait au-delà de tout et il ne savait plus comment interpréter le moment. Il était complètement perdu et Stiles n'ignorait pas qu'il devait le rassurer. Le plus jeune sourit et continua d'ouvrir son cœur, comme si cela inciterait son ami à s'apaiser.
― J'attends de vivre l'amour réciproque avec quelqu'un depuis toujours, dit Stiles en faisant abstraction de cette petite voix intérieure qui lui soufflait qu'il sombrait dans la niaiserie. Si c'est toi, tout rentre dans l'ordre, plus personne ne souffre en silence et on guérit ensemble. Tu comprends ? demanda-t-il alors qu'il bougeait son bras pour saisir l'une des paluches de Derek qui ne put réprimer un léger sursaut. Si tu es tombé amoureux de moi, je ne peux pas admettre que ça ne veuille rien dire pour moi, murmura l'hyperactif qui concentrait toute son attention dans les iris verdoyants de son admirateur secret. Je ne veux plus m'extasier secrètement pour quelqu'un qui m'ignore. Lydia n'est pas la femme de ma vie, c'est une sorte d'icône intouchable et je me fais du mal avec elle, se justifia-t-il tout en resserrant sa prise sur l'épaisse main de son ami.
Derek déglutit. Ce contact l'électrisait totalement et l'embrouillait d'un plaisir coupable. Stiles l'avait déjà touché avant, mais pas comme ça, pas dans ce contexte. Il était sans voix et sa bouche légèrement entrouverte laissait pourtant difficilement passer l'air de ses expirations retenues.
― L'amour ça doit être bon, ça doit être quelque chose qui fait du bien plutôt que du mal, reprit le cadet avec un engouement qui pouvait paraître décalé. Savoir que tu ressens des choses si fortes pour moi, ça me fait du bien Derek. J'ai envie de tomber amoureux de toi et te donner tout ce qui te fera du bien en retour, et… et je crois que… j'en ai envie depuis plus longtemps que je ne l'aurais imaginé.
Stiles caressa de nouveau la peau vibrante sous ses doigts. Les yeux de l'aîné se chargèrent d'émotions avant qu'un froncement rageur ne vienne gribouiller la tendresse qui s'y déversait. Il reprit sa main dans un mouvement un peu brusque et la crispa dans une sorte de sourde violence que le plus jeune ne comprit pas. Pourquoi Derek s'énervait-il ?
― T'as pas à chercher des raisons ou te persuader que c'est ce qu'il faut faire pour me préserver, cracha le plus âgé dont la contrariété infectait l'attitude.
― Putain Derek, comment tu peux dire ça ! s'énerva Stiles à son tour. Pourquoi tu crois que notre histoire doit forcément être désespérée. Pourquoi tu crois que c'est pas possible de choisir qui on aime et comment ? Non. Je… depuis que j'ai lu tes mots, tu me fais littéralement… bander. Je t'jure Drek, là je suis excité et c'est pas parce que je pense à quelqu'un d'autre, mais c'est parce que t'es là avec moi, avec tes beaux yeux tout tristes que j'ai envie de rendre rieurs. Je n'ai jamais ressentis ça. Jamais avant aujourd'hui. J'ai envie de t'aimer, toi, tout entier. Tu comprends ? demanda-t-il alors que le ton de sa voix se fit de plus en plus doux.
Le plus âgé tenta plusieurs fois de répondre, mais il était trop nerveux pour s'exprimer correctement. Du bout des doigts, il s'accrocha aux rebords de la table de cuisine et ferma les yeux pour prendre quelques profondes respirations calmantes. Etait-il possible de se sentir autant dépassé par la possibilité qu'un rêve d'amour réciproque devienne réalité ? Qu'est-ce qui clochait chez lui ?
Derek ne comprenait pas pourquoi tout ça lui faisait si peur. Il aurait dû se réjouir de découvrir que Stiles était suffisamment ouvert pour accepter tout ça, mais il craignait simplement que la force de ses propres sentiments ne l'écrase pour lui révéler à quel point il était nul. Et si Stiles finissait par se lasser de lui, par comprendre qu'il s'était fourvoyé en croyant que vivre une relation intime avec lui pouvait être une solution à ses amours blessés ?
― Et si ça ne marchait pas ? osa-t-il demander, la peur au ventre.
― Et bien on aurait essayé, on saurait que ce n'était pas la solution pour nous. On aurait appris. Et on restera de toute façon toujours important l'un pour l'autre, improvisa Stiles qui ne semblait jamais pris au dépourvu, chose que Derek admirait au plus haut point chez lui. Dans tous les cas, tu seras mon premier et je serais le tien. Toute notre vie ça comptera ça. Je veux que tu aies ce poids dans mon cœur dans le déroulement de ma vie. C'est comme ça que je décide aujourd'hui de te montrer que t'es important à mes yeux, conclut le plus jeune, avec une force de conviction contagieuse.
― T'es gay ? questionna le plus âgé, une pointe de scepticisme dans les mimiques de sa bouche.
― On s'en fout ! s'exclama Stiles, un poil moqueur. Je t'aime, ça j'en suis sûr et, je sais que penser être un couple avec toi, ça me fait tout chaud à l'intérieur. T'es un gars ? C'est pas une tare tu sais ? questionna-t-il en haussant les épaules comme si tout ça n'était qu'un truc secondaire. Non, mais tu t'es vu ? T'es une bombe atomique Drek. En plus, t'es gentil et tu me protèges depuis que tu me connais parce que tu m'aimes d'amour et pour de vrai. Il faudrait que je sois un sacré connard pour ne pas voir la chance que j'aie. Maintenant que je sais ce que tu ressens pour moi, je… je ne peux pas être indifférent. S'il te plait Grand Méchant Loup, ne t'arrête pas à des trucs sectaires comme l'identité sexuelle. Avant que t'arrive, j'ai décidé que j'avais envie d'être ton chéri aussi. C'est tout ce qui compte, non ? demanda Stiles dont les grands yeux expressifs se voilèrent de tendresse.
― Tu me scies les pattes, je… je n'sais pas quoi faire, répondit Derek qui ne s'attendait manifestement pas à ça quand il avait pris le chemin de la maison de la famille Stilinski.
Il paraissait mal à l'aise dans son corps musculeux, incapable de réagir comme il le fallait. Stiles se leva et s'approcha de lui sans couper le contact visuel. Lui aussi semblait fragilisé par l'instant et il tentait par tous les moyens dont il disposait de faire abstraction de ses hésitations. Quand il fut à quelques centimètres de son ami, il posa une main délicate sur son épaule tendue.
― T'as envie de m'embrasser ? souffla-t-il fébrilement.
― Toujours, souffla l'aîné dont le palpitant se détraqua dans d'impossibles rebonds.
Derek ferma de nouveau les yeux tandis que la main de son amoureux secret quittait son épaule pour s'enrouler doucement autour de sa nuque. Sa respiration se fit erratique et il releva les paupières pour constater la proximité de Stiles. Il n'osait pas croire que cela allait enfin arriver, il avait l'impression que c'était beaucoup trop pour lui et en même temps, il souhaitait de toute son âme que ses rêves se concrétisent pour devenir la seule réalité dans laquelle il pouvait être heureux. Un monde où Stiles Stilinski était son compagnon de vie.
― Alors qu'est-ce qu'on attend pour enfin le faire, pour de vrai cette fois ? demanda le plus jeune, un sourire appréhensif plaqué sur son jolie minois.
Derek se leva doucement et emprisonna Stiles dans ses gros bras musclés. Leurs cœurs faisaient vibrer leurs poitrines accolés dans une mélodie d'échos qui se répondaient d'excitation. Ils profitèrent de la chaleur qui s'épanouissait entre eux et le plus jeune enserra la taille de son protecteur.
― J'ai peur que tout ça ne soi qu'un rêve, susurra le plus âgé à l'oreille de son favori.
― Embrasse-moi Drek, montre-moi tous ces espoirs que tu ne sais pas dire, murmura Stiles, tremblant d'impatience contre le torse de son ami.
Et leurs lèvres se trouvèrent, leurs souffles se mélangèrent, leurs langues se cajolèrent, leurs mains se caressèrent, leurs corps parlèrent à la place de leurs esprits. L'échange fut effervescent, maladroit, dévastateur pour leurs centres vitaux qui se perdaient dans des rythmes affolés. Stiles sut qu'il avait pris la bonne décision au moment même où il ressentit toute la vérité d'amour que lui réserva son Grand Méchant Loup par l'intermédiaire de ce premier baiser, magnifique. Derek eut le sentiment que pour la première fois depuis quatre ans, il était libéré de ses tourments et se fut comme si la vie se colorait, comme si son univers de mélancolie s'effondrait pour laisser place à la plus belle sensation d'existence qu'il eut connu. Si l'avenir était toujours aussi incertain, le présent n'avait jamais été plus intense pour ces deux jeunes âmes qui se rencontraient à nouveau.
FIN
Voilà, j'espère que ça vous aura plu. Si c'est le cas, n'hésitez pas à le faire savoir. A plus tard pour de nouvelles aventures.
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