Cette histoire ce passe dans un monde fictif. C'est-à-dire que la date est approximative de même que les lieux. Je me suis simplement laissée porter par l'idée que nos deux héros préférés pourraient se rencontrer à bord d'un vaisseau pirate pendant une grande révolution. Ce qui est différent dans celle-ci, c'est que le pouvoir est renversé : Élisabeth est une princesse anglaise en fuite alors que William est un riche homme d'affaire américain (nouveau riche). Je vous réserve toutefois autant de surprises et de retournements qu'à mon habitude. Désolé pour celles qui n'aiment pas. Je persiste et signe : moi, j'aime les histoires d'amour et j'aime le mélo drame! Miriamme
Première partie
Depuis déjà quatre semaines la princesse Élisabeth et sa sœur Jane se préparaient à l'inévitable. Tous les signes étaient là. Leurs alliés avaient tous quitté les lieux et les regards hostiles que les jeunes filles sentaient constamment sur elles en circulant dans le château devenaient de plus en plus nombreux.
Leur père, résigné mais digne, comme tout bon souverain, ne leur avait pas caché lors de leur dernière vraie conversation - celle-ci avait probablement été entendue par plusieurs de leurs ennemis d'ailleurs - qu'un coup d'état se préparait et qu'il fallait à tout prix qu'elles trouvent une façon de fuir. Il insistait également pour qu'elles ne fassent confiance à personne. Les autres membres de la famille royale et les nobles de naissance avaient déjà pris la fuite et certains avaient fort probablement déjà gagné la côte en utilisant des noms d'emprunt ou en offrant une importante récompense pour être certain d'arriver sur l'autre rive en vie. Avec un peu de chance, l'un de ceux-là pourrait peut-être leur donner un coup de main lorsqu'elles traverseraient à leur tour. Si tant est que l'un d'eux ait survécu et qu'elles réussissent non seulement à sortir du château, mais qu'elles arrivent également à trouver une façon de prendre la mer.
Ce soir-là, le souper se déroule dans une atmosphère aussi tendue que d'habitude. Faisant bonne figure, comme depuis le tout début des manifestations, le roi entretient la conversation autour de la table, ne faisant que répéter des potins ou des informations que le reste de la famille connaît déjà. Élisabeth n'est pas dupe de sa tentative pour détendre d'atmosphère et c'est pourquoi elle participe de son mieux à la discussion, histoire de rendre l'exercice crédible pour ceux qui les surveillent. Seule la tristesse qui est visible dans les yeux de son père témoigne de sa peine et de la difficulté qu'il a à supporter la situation, surtout après avoir vu sa femme se faire décapiter devant lui la veille. Si les rebelles l'avaient épargné lui à ce moment-là, c'est qu'ils étaient convaincus que le roi pouvait encore leur être utile pour identifier ceux et celles qui étaient toujours fidèles à la couronne.
Depuis l'exécution de leur mère la veille, les filles savaient que l'heure de leur propre exécution approchait. Tout en avalant son dessert sans réel appétit, Élisabeth repassait mentalement la procédure qu'elle avait mise en place pour leur évasion. Heureusement que Ralf, son fidèle complice et cousin avait pris tout son temps libre pour l'entraîner à l'art de l'épée et au tir au pistolet. En cachette bien entendu, puisqu'il aurait été bien trop choquant qu'une femme pratique ce genre d'activités.
Pendant de nombreux mois, durant la nuit, Élisabeth et son cousin s'étaient retrouvés pour parfaire son éducation. Jane, quant à elle, n'avait pas voulu y prendre part, convaincue qu'elle était qu'une femme ne devait jamais se servir d'une arme. Le repas terminé, Élisabeth se lève de table et embrasse son père avant de prendre congé. Elle met dans cette étreinte toute l'affection et l'amour qu'un adieu peut contenir. Par sa façon de lui serrer la main et de poser ses lèvres contre ses tempes en les pressant un peu plus longtemps que d'habitude, son père répond à son adieu en toute connaissance de cause. Entraînant Jane derrière elle, Élisabeth longe le corridor principal et regagne sa chambre. Dès qu'elles sont seules, Élisabeth remet son déguisement à Jane et commence à se changer pour mettre le sien.
Deux explosions suivies d'une forte secousse leur confirment que le renversement a bel et bien commencé. Des cris se mettent à retentir dans tout le château et des coups de feu se font entendre au premier étage. Dès qu'elles sont méconnaissables, les deux jeunes filles sortent de la chambre et se jettent dans la mêlée. Des serviteurs et des soldats courent partout à la recherche d'une issue. Habillées en hommes de la tête aux pieds, les deux fugitives aboutissent à l'extérieur grâce à leur connaissance parfaite des lieux et prennent la direction du port. La ville entière est sur un pied de guerre. Les gens hurlent et les portes se ferment sur leur passage. Arrivées au port, Élisabeth entraîne Jane dans le bar le plus populeux du coin où elle sait que la canaille vient prendre un coup après être descendue de bateau. Le propriétaire qui ne semble même pas conscient qu'une bataille a commencé dans le haut de la ville leur sert une bière aussitôt qu'elles déposent un billet sur le comptoir. Tout en lui faisant voir un second billet, Élisabeth lui demande s'il connaît un capitaine qui recherche des matelots pour compléter son équipe. Un brin méprisant, l'homme lui suggère de se rendre directement sur le quai pour questionner les marins à bord de leurs embarcations. Au bout de quelques minutes, les deux filles sortent du bar et suivent les indications du propriétaire pour se rendre au quai.
La bataille qui se déroule au château n'a toujours pas atteint le port. Les fugitives marchent vers les trois plus gros bateaux dont deux semblent sur le point d'appareiller. Osant monter sur la passerelle du premier de ceux-ci, Élisabeth saute sur pont et demande au premier matelot qu'elle croise s'il sait où elle peut trouver le capitaine. Totalement ivre, l'homme lui barre le chemin et lui ordonne de redescendre.
-On est complet! Il n'y a pas de place pour vous ici! Surtout si vous êtes de jeunes freluquets en mal d'aventures! Allez voir sur le Templier! Je crois qu'il reste encore de la place!
-Je sais qu'on a l'air faible m'sieur, mais c'est seulement une apparence!
-On est complet j'ai dit! Allez, redescendez où je vous fais jeter à la mer!
Sentant qu'il n'hésiterait pas à passer à l'action, Élisabeth rebrousse chemin tout en poussant Jane devant elle.
Arrivées devant le second bateau, elles constatent immédiatement qu'il n'y a personne à bord et que la passerelle est levée. Avançant vers le troisième navire, elles s'immobilisent à nouveau lorsque des rugissements s'élèvent à bord du vaisseau. Un individu hurle si fort que des beuglements d'insatisfaction retentissent un peu partout dans le port. Les deux jeunes femmes aperçoivent alors un homme qui a beaucoup de peine à marcher et qui se fait entraîner par un colosse qui lui crie des bêtises.
-Ta nourriture est aussi infecte que ton haleine. Je t'avais interdit de boire. Tu es renvoyé. Je ne veux plus te voir à bord sinon tu vas te retrouver avec de l'eau salée dans les poumons.
Le géant pousse l'homme ivre jusque sur le quai avant de se retourner d'un seul mouvement et sans un regard pour son cuisinier.
-Pardon Capitaine? Vous cherchez un cuisinier? Ose lui demander Élisabeth en montant rapidement sur la passerelle et le dépassant pour lui couper le chemin.
-Hein! Quoi? Un cuisinier tu dis? Oui, mais il m'en faut un bon. Et à cette heure de la nuit et avec ce que je viens de boire, je ne serais pas en mesure de juger de quoi que ce soit.
-Si j'arrive à vous préparer de quoi vous rendre sobre, me donnerez-vous la place?
-Ma foi, si tu réussis cet exploit, tu auras le poste!
-Et je pourrais amener mon aide-cuisinier ?
Tournant la tête dans la direction indiquée par Élisabeth, l'homme demande : Est-ce indispensable?
-Comme vous voyez, à deux c'est à peine si on fait un homme normal. Alors?
-Je maintiens ce que j'ai dit : si tu réussis à me rendre sobre, je vous garderai tous les deux!
Suivant Élisabeth et le Capitaine, Jane découvre un bateau vraiment bien astiqué et d'une propreté exemplaire. Élisabeth est toute aussi satisfaite de la cuisine que la Capitaine leur fait immédiatement visiter. Bien qu'elle paraisse étroite, celle-ci semble contenir tout ce qu'il faut pour une longue expédition en mer. Tout en déposant leurs affaires dans un coin, Élisabeth interroge le Capitaine sur sa destination.
-Je tente la grande traversée.
-C'est dangereux n'est-ce pas?
-Seulement si un membre de la royauté se cache à bord ou si nous faisons de la contrebande, mais comme ce n'est pas mon cas.
-Vous devez pourtant avoir reçu plusieurs demandes? Pour des traversées illégales je veux dire?
-Oui, mais à chaque fois, j'ai livré les gens en question aux autorités. D'où croyez-vous que me vient ma fortune personnelle ? Ce bateau est presque à moi maintenant.
Tout en entretenant la conversation et en trouvant dans les réserves du bateau de quoi préparer sa mixture, Élisabeth apprend que l'équipage est entièrement constitué de jeunes hommes tout ce qu'il y a de plus recommandables ayant tous reçu une solide formation de matelot. Élisabeth remercie Ralf en pensée puisque c'est à lui qu'elle doit la recette miracle qui allait leur permettre de trouver un emploi. Ralf lui avait appris à la préparer durant la période où il avait développé l'habitude de prendre de nombreuses cuites. Elle l'avait ainsi sorti du pétrin à plus d'une reprise. Élisabeth verse une partie de son mélange dans un verre et le fait glisser jusqu'au Capitaine. Lorsqu'il porte celui-ci à ses narines, il est si dégoûté qu'il jette le verre contre le mur devant lui.
-Voilà pourquoi je ne vous en ai versé que la moitié. Il faut le boire sans le sentir. Faites-moi confiance… vous ne le regretterez pas.
-Et si tu tentais de m'empoisonner hein?
-Très bien. Regardez.
Après s'être versé un second verre, Élisabeth prend une bonne gorgée du liquide afin de démontrer qu'il n'est pas empoisonné. Lorsque le Capitaine tend la main et saisit le verre à son tour, il se bouche le nez avant d'avaler. Dès qu'il a vidé le verre, il grimace de dégoût. Toutefois, comme l'effet est assez rapide et que son malaise passe tranquillement, il se relève et vient serrer son nouveau cuisinier dans ses bras. Nerveuse et confiante tout à la fois, Élisabeth se laisse faire sachant très bien que le bandeau qui lui écrase la poitrine est assez serré pour qu'il ne remarque rien. Avant de prendre congé pour laisser les deux nouveaux s'installer dans leurs quartiers, le Capitaine remet un cahier à Élisabeth en lui expliquant que c'est dans ce livre que son prédécesseur avait inscrit le menu de la traversée en détail de même que la liste des achats qu'il avait effectués. Après leur avoir donné quelques dernières précisions sur l'horaire d'embarquement et sur le déroulement des journées à bord, le Capitaine quitte la cuisine et regagne sa cabine.
Restées seules, les deux filles se sautent dans les bras, soulagées. Pendant que Jane installe leurs effets personnels, Élisabeth place les instruments et les victuailles dont elles devront se servir dès le lendemain afin d'être à même de faire face à la horde de matelots affamés. Avant de fermer les yeux, elles ont une dernière pensée pour leur père et pour les deux domestiques qui avaient tenu à se substituer à elles en restant dans leurs chambres respectives au risque d'être éliminées.
Le lendemain, Élisabeth est la première debout sur le pont. La mer est calme et le soleil commence à poindre. Elle reste là pendant quelques minutes avant de retourner à la cuisine pour réveiller Jane. De concert, elles commencent à préparer le déjeuner en se fiant aux notes laissées par l'ancien cuisinier. Lorsque les premiers matelots arrivent, aucun ne semble avoir remarqué qu'il y a eu un changement de personnel. Mieux que ça, personne non plus ne s'interroge sur le fait qu'ils soient maintenant deux employés au lieu d'un seul. Jane circule entre les tables, commence à distribuer les œufs et le pain grillé tandis qu'Élisabeth continue à s'occuper de la cuisson. Un moussaillon vient proposer son aide pour servir le café. Lorsque les hommes quittent la pièce vingt minutes plus tard, plusieurs prennent le temps de venir les remercier directement. Le capitaine est parmi ceux-là. Pendant que les marins s'activent sur le bateau, les deux filles font la vaisselle et mettent déjà certains plats sur le feu afin qu'ils soient prêts pour le repas du midi. La même procédure se répète pour le souper.
Lorsque vient le temps de se coucher, les deux jeunes filles ne peuvent que remercier leur bonne étoile de les avoir placées sur le chemin de ce merveilleux navire et de son capitaine très respectueux. Les jours qui suivent ressemblent en tout point à cette première journée. Élisabeth et Jane sont très satisfaites de leur sort et en viennent même à rire des blagues grivoises que font les marins entre eux. Il va de soi que si ceux-ci avaient pu savoir que deux femmes étaient à bord, les choses auraient été bien différentes.
En général, lorsque les marins avaient épuisé leur réserve de blagues autour du sexe et des femmes, ils se mettaient à raconter des histoires qu'ils avaient entendues en lien avec les pirates. Les vieux loups de mer devenaient alors très sérieux tandis que les plus jeunes marins buvaient leurs paroles. À ce moment-là, la peur était toujours omniprésente. Élisabeth et Jane échangeaient alors un regard lourd de sens et bénissaient la chance qu'elles avaient d'être aussi bien tombées.
Au cours de la première semaine, tout est paisible. Les vents sont favorables et selon les bribes de conversation saisies en écoutant les plus hauts gradés discuter entre eux, Élisabeth acquiert la conviction que le bateau se dirige exactement là où elles souhaitent se rendre. La deuxième semaine, le temps se couvre et plusieurs hommes deviennent malades. Ceux qui sont valides travaillent beaucoup plus longtemps pour permettre aux malades de récupérer. Jane se rend au chevet de plusieurs marins pour s'assurer qu'ils s'alimentent correctement. Lorsque le temps se stabilise, l'estomac des marins suit la même tendance.
Le premier matin de la quatrième semaine, Élisabeth se lève aussi tôt que d'habitude pour aller prendre l'air sur le pont. Elle s'accote sur le bastingage et attend que le soleil se lève. Lorsque sa présence se manifeste, Élisabeth voit se découper lentement la silhouette d'une immense embarcation auprès de laquelle le navire se rapproche dangereusement vite. Réagissant aussi rapidement que possible – craignant qu'il ne s'agisse de pirates - Élisabeth se lance sur la cloche d'urgence. En une minute à peine, le pont regorge de marins pris de panique. Le capitaine Buck présent dès les premiers tintements scrutait l'horizon dans la direction indiquée par Élisabeth.
-Je crois qu'il s'agit d'un bateau qui a déjà été attaqué. Il ne semble pas y avoir de survivants à bord. Approchons-nous lentement et attendons quelques minutes avant d'aborder.
-Vous êtes certain de ne pas voir personne à bord Capitaine? Vous ne percevez pas de mouvements? Lui demande son second trahissant ainsi sa nervosité.
-Affirmatif.
Pendant que son bateau glisse doucement à coté du navire qui semble abandonné, le Capitaine reste silencieux. Il ordonne à ses hommes de prendre leurs armes et de venir se placer de manière à protéger le flan ainsi exposé. Une fois les amarres fixées temporairement, après un délai d'attente assez raisonnable, Bock et une trentaine d'hommes débarquent à bord du bateau échoué. Lorsqu'Élisabeth et Jane constatent que les hommes du Capitaine sont descendus voir s'il y avait des survivants dans les cabines inférieures, elles sont immédiatement rassurées. Deux secondes plus tard, une violente secousse fait trembler leur bateau. Des balles commencent à siffler à leurs oreilles et des pirates sautent à bord de leur embarcation en passant par le flan opposé, celui qui n'était pas surveillé. Rusés comme des renards, les pirates s'étaient cachés à bord de petites embarcations et s'étaient avancés sans faire de bruit. Ils avaient volontairement abandonné leur navire pour faire croire à un naufrage. Entraînant sa sœur de force sur le pont inférieur où se trouvent les réserves de nourriture, Élisabeth prie le ciel pour que leurs vies soient épargnées. La bataille qui sévit ne peut qu'être sanglante. Les pirates n'ont pas l'habitude de s'embarrasser de prisonniers. Des cris, des coups de feu et même des explosions, tout y passe.
Lorsque les pirates descendent à l'étage où elles se trouvent toutes les deux, Élisabeth cherche autour d'elle des objets qu'elles pourraient utiliser pour se défendre. Elle saisit le couvercle d'une grosse casserole et remet une solide louche en métal à sa sœur. Voulant mettre toutes les chances de son côté, elle s'approche de la porte et se tient du côté où elle sera camouflée lors de son ouverture. Elle ordonne à Jane de rester derrière le baril d'eau potable. Lorsque la porte s'ouvre et que le premier pirate entre, Élisabeth lui écrase le couvercle sur la tête. L'homme s'écroule assommé. Toutefois, celui qui le suivait derrière arrive à esquiver le second assaut de la jeune fille. Il brandit son épée et avance vers elle menaçant.
-Tu te bats comme une fille, mon gars, lui lance l'homme méprisant.
Reculant afin de permettre à Jane de passer derrière lui, Élisabeth s'enfarge dans un sac de farine qui traînait par terre et qu'elle ne pouvait pas voir. Lorsque le sol la reçoit, elle sait que l'homme va abattre son épée sur elle à moins que sa sœur n'intervienne rapidement. Ce n'est pas l'épée qui lui tombe dessus mais l'homme qui la porte, inanimé. Jane aide ensuite Élisabeth à se dégager avant de refermer la porte. Élisabeth ramasse alors les épées des deux hommes et recommande à Jane de la suivre de près. Ouvrant la porte à nouveau, Élisabeth passe la première et se met à courir espérant rencontrer des hommes du capitaine Bock.
-Il y en a deux autres par ici, rugit une voix derrière elles.
Rapidement entourées de toutes parts, les deux filles laissent tomber leurs armes espérant ainsi obtenir la clémence des pirates. Deux individus qui font trois fois leurs tailles les ramassent alors comme deux tapis et les jettent sur leurs épaules. Ils gravissent les marches et les jettent sur le sol dur du pont devant leur chef avec les quelques matelots qu'ils ont également capturés.
-On les met avec les autres prisonniers? Demande l'un d'eux au Capitaine.
-Pour l'instant oui. Je déciderai ce que je fais avec eux plus tard. Emmenez aussi la nourriture.
Ramassées tout aussi facilement que jetées précédemment, les deux filles constatent que les deux géants les conduisent à bord du bateau pirate. Une fois sur le pont, ils descendent deux étages avant de les jeter - sans plus de ménagement que tout à l'heure - dans une pièce sombre et poussiéreuse. Le premier des deux hommes, celui qui tenait Jane, va ramasser des fers et attache leurs deux pieds ensemble. Une dizaine d'autres marins arrivent les uns après les autres et se retrouvent attachés avec des fers.
Complètement paniquée Jane se colle contre Élisabeth et se met à pleurer. Élisabeth tente de la réconforter en lui murmurant des paroles d'apaisement.
-Hey! Matelots? Quel était le nom de votre bateau et sa destination? Demande alors une voix d'homme juste derrière Élisabeth. Elle réalise alors qu'une autre cellule, aussi grande que la leur partage l'étage en deux.
-L'esquisse du temps. Et nous nous rendions dans les Amériques, répond Jeffrey, un matelot qu'Élisabeth appréciait beaucoup à cause de son intelligence.
-C'est là que nous nous rendions aussi. Vous êtes combien? Demande la voix à nouveau.
-On est seulement quinze.
-De notre côté nous sommes six et nous sommes à bord depuis déjà trois semaines.
-Que vont-ils faire de nous? Demande Jeffrey à celui-ci.
-Je l'ignore. Tout dépend de votre identité.
-Qu'entendez-vous par là? Ose alors demander Élisabeth sans se retourner.
-Y a-t-il des gens qui appartiennent à la noblesse parmi vous?
-Pfff! On est tous de simples matelots, répond Élisabeth, prudente.
-Et vous, qui êtes vous? Demande Jeffrey à son tour.
-Je me nomme William Darcy et je suis américain.
Fixant Jane dans les yeux, Élisabeth constate que celle-ci s'est redressée et qu'elle tente de voir à quoi ressemble l'homme avec lequel son père avait pris des arrangements pour un mariage éventuel. Comme il fait noir, elle se concentre plutôt sur la conversation qui se tient encore entre sa sœur et les deux hommes.
-Comment vous êtes-vous retrouvés ici? Lui demande Jeffrey.
-Durant mon premier voyage pour venir en Angleterre, deux heures avant de voir la côté, nous avons commencé à apercevoir des lueurs anormales et à sentir une forte odeur de souffre. Lorsque nous avons entendu des coups de canons, nous avons fait demi-tour. À quelques minutes de là, nous avons croisé deux navires et avons appris que le château avait été attaqué.
-Que veniez-vous faire en Angleterre? Lui demande Élisabeth, le coupant dans son récit.
-Je venais pour affaires.
-Savez-vous ce qu'ils ont l'intention de faire de nous? Lui demande Jeffrey après un court silence.
-Ils vont nous vendre comme esclave, répond alors une voix beaucoup plus jeune, presque enfantine.
-Six des nôtres ont été envoyés dans les oubliettes et ne sont jamais revenus, répond finalement William à Jeffrey.
-Il y a des femmes avec vous? Lui demande ensuite Jeffrey.
-Nous en avions trois, deux ont été envoyées aux oubliettes.
-Taisez-vous! Rugit une voix grave et bourrue devant la grille principale.
-Le prochain qui ouvre la bouche sera exécuté! Les menace une seconde voix toute aussi désagréable.
Gardant le silence, Élisabeth et Jane s'assoient à même le sol, pressées l'une contre l'autre. Par un curieux hasard, elles se retrouvaient sur le même bateau que l'homme que leur père avait choisi comme époux pour Jane. Elles avaient beau savoir que la guerre imminente avait poussé leur père à conclure cet arrangement beaucoup trop rapidement, elles ne connaissaient rien des motivations qui avaient amené cet homme, prodigieusement riche, à accepter d'épouser une parfaite inconnue, qu'elle soit princesse ou non.
Épuisées et angoissées, elles finissent tout de même par se détendre un peu. Après quelques heures de sommeil où les mouvements des uns et les ronflements des autres avaient contribué à les réveiller constamment, Élisabeth ouvre les yeux et se concentre sur ce qu'elle entend dans les étages supérieurs. Lorsque les pirates recommencent à circuler au-dessus de leurs têtes, la plupart des prisonniers sont réveillés. Deux colosses édentés descendent l'escalier et s'arrêtent devant les barreaux des deux cages. Ils transportent deux petits chaudrons. Ils ouvrent une trappe qui se trouve dans le bas de la porte et font glisser le premier récipient contenant des tranches de pain rendues vertes par la moisissure et quelques restants de pommes. Devinant que les plus rapides ramasseraient la majeure partie du butin, Élisabeth se jette sur le contenant pour prendre sa part et celle de Jane. Elle ne réussit qu'à attraper un bout de pain séché – sur lequel il n'y a toutefois pas de vert – et la demie de ce qui avait probablement une pomme. Elle revient vers Jane et partage sa ration avec elle. Elle se révolte lorsqu'elle constate que quelques hommes cachent des réserves de victuailles dans leurs vêtements. Elle force Jane à manger en l'encourageant doucement. Lorsque le chaudron est vide – c'est-à-dire bien avant que chacun ait reçu sa part - bien des estomacs le demeurent aussi.
Les cris du capitaine retentissent régulièrement sur le pont et des hommes vont et viennent entre les étages. Environ une heure après avoir mangé, un groupe de pirates vient les rejoindre. Le premier d'entre eux ouvre la porte de la première cage et fait sortir les six personnes qui y sont enfermées. Le bruit des chaînes qui se déplacent fait un tel vacarme et ce bruit perdure tant et aussi longtemps que le groupe est dans les escaliers. Une fois sur le pont, les bruits cessent quelques instants.
Au bout de dix minutes, même manège, une horde de pirate accompagne les nouveaux prisonniers sur le pont. Une fois passé l'effet aveuglant d'un trop plein de lumière dans leurs yeux habitués à la pleine noirceur, les deux filles se mettent à observer les alentours avec curiosité. Les pirates sont pour la plupart affalés à même le sol, ivre morts ou occupés à boire. Ceux qui sont encore vaillants, crient des ordres aux prisonniers qui travaillent à leur place. Un grand gaillard aux cheveux noirs bouclés – dont la beauté stupéfie Élisabeth et Jane au point qu'elles s'arrêtent devant lui pour le dévisager – est occupé à transporter de grosses poches de sable. Bloqué par les deux femmes, il s'arrête, soupire et vient pour les contourner.
-Eh, Darcy? On t'a dit de ne pas t'arrêter. Allez Will, avance.
Pour appuyer ses paroles, il frappe le prisonnier directement entre les deux omoplates lui arrachant un cri de douleur. Reprenant ses esprits la première, Élisabeth empoigne Jane et lui fait faire un pas de côté afin de laisser passer l'homme dont elles connaissent désormais l'identité. Se retournant pour les regarder méchamment, William progresse vers la pile de sacs qu'il doit recomposer sans cesse selon le bon plaisir de son bourreau.
-Eh, vous deux, approchez. C'est moi qui vais m'occuper de vous.
Craignant de recevoir des coups de bâtons si elles n'obéissaient pas rapidement, les deux femmes s'approchent du pirate prudemment. Dès qu'elles arrivent devant lui, l'homme qui empeste l'alcool gifle Élisabeth et frappe Jane dans le ventre avec son poing. À peine remise de sa surprise, Élisabeth voit rouge et s'avance vers le colosse pour le frapper à son tour. Devançant son geste, le pirate utilise son couteau pour la menacer. Levant ses mains en l'air en guise de reddition, Élisabeth recule tant et aussi longtemps que l'homme s'avance vers elle entraînant Jane avec elle puisqu'elles sont liées par les fers qu'elles portent aux pieds.
-Je vais t'apprendre les bonnes manières. Chaque fois que tu encaisses mal mes coups, tu en recevras le double.
Joignant le geste à la parole, il la gifle à deux reprises. Cette fois, Élisabeth serre les dents, mais ne réplique plus. Seules les larmes qui perlent dans ses yeux viennent témoigner de la portée des gifles qu'elle vient de recevoir.
-Ça va. Il a compris. Il ne recommencera pas, ne peut se retenir de répliquer Jane.
-Hey les gars, on a des amoureux sur les bras.
Des cris de luxures moqueurs se sont entendre un peu partout sur le pont. Élisabeth se place devant Jane pour la protéger. Le pirate reprend son couteau et avance vers elle pour la seconde fois avec la ferme intention de la tuer s'il le faut.
-Borden ça suffit! L'arrête le Capitaine d'une voix ferme. Mets-les au travail. Fais leur réparer la grande voile qui est déchirée. S'ils sont aux hommes comme tu le penses, ils doivent être bons en couture…
Cette fois, le rire gagne même certains prisonniers. Entraînée de force avec sa sœur, Élisabeth n'a pas le temps de voir à quoi ressemble le capitaine. Au bout de dix minutes, elles sont déjà occupées à recoudre la voile qui est déchirée à plusieurs endroits et qui a déjà été rapiécée à quelques reprises si on en juge les nombreuses coutures qui la traversent de bord en bord. Tandis qu'elle travaille consciencieusement, Élisabeth observe tout ce qui l'entoure. Elle se soucie de Jane qui grimace encore en se tenant le ventre à l'endroit où elle avait reçu un coup.
Le bateau est beaucoup plus gros que ce qu'elle croyait et les pirates sont vraiment très nombreux aussi. Les prisonniers du premier groupe sont plus bronzés et portent les stigmates d'une mauvaise alimentation. Par contre, leurs vêtements sont plus coûteux et leurs manières, plus nobles. Consciente que sa survie dépendait de sa capacité à jouer un rôle, Élisabeth avait travaillé très fort pour développer ses manières masculines et modifier son langage. Jane quant à elle, se contentait de l'imiter ou de garder le silence le plus souvent possible.
Au bout d'une heure à s'acharner sur la voile à s'en arracher les doigts, Élisabeth remarque que l'Américain est maintenant occupé à démêler des filets de pêche avec un homme qui semble plus petit que les autres matelots de son groupe. En y regardant de plus près, Élisabeth comprend qu'il s'agit d'une femme, mais que celle-ci est plus jeune qu'elle-même. Ses cheveux lui voilent le visage et elle garde toujours la tête baissée. Bien que les pirates jettent sur elle des regards lubriques, la seule raison pour laquelle la jeune femme est encore vivante, c'est qu'ils devaient avoir reçu l'ordre de préserver sa pureté dans l'intention de faire un coup d'argent en la vendant comme esclave.
Élisabeth dévisage à nouveau celui qui veille sur la jeune fille avec curiosité, elle constate qu'il est lui aussi occupé à l'étudier. Baissant les yeux sur Jane, Élisabeth sent longtemps sur son visage le regard inquisiteur de l'homme. Lorsque le soleil est au plus haut dans le ciel, les pirates jettent des bouts de pain aux prisonniers en commençant par le groupe des anciens. Élisabeth remarque que William se choisit une part et qu'il la partage avec la jeune fille qui l'accompagne.
Quelques minutes plus tard, lorsque les pirates reviennent pour nourrir les nouveaux prisonniers, Jane et Élisabeth doivent partager un moignon de pomme de terre de même que deux bouts de fromage plutôt frais. Elles s'assoient à l'écart et avalent leur maigre dîner les yeux presque fermés. Jane sursaute lorsque les pirates reviennent les faire travailler. Les prisonniers reprennent leurs activités comme si celles-ci ne s'étaient jamais arrêtées. Vers le milieu de l'après-midi, lorsque la soif devient intolérable, un cri venant de la cabine du capitaine retentit.
-Navire à bâbord! Navire à bâbord!
À suivre...
Miriamme!
