Est-ce que vous croyez aux anges, vous ? Ces créatures divines qui ressembleraient à des humains, qui ne sont qu'amour et veillent sur nous en permanence ? Non ? Il va falloir pourtant. Car c'est un fait, nous sommes tous surveillés par nos anges gardiens du berceau à la tombe. Certains s'entendent bien avec leurs humains, d'autres ont leur raisons de leur rester invisibles. Certains sont bons pour guider leur humain, d'autres moins, une fois de plus pour une raison ou une autre. Pour ceux qui sont restés et me croient… voici l'humble histoire de moi et du mien.

Car oui, je fais partie des chanceux qui ont rencontré le leur. Le mien, je l'ai vu au premier Noël dont j'ai un clair souvenir, ceci expliquant sûrement cela, à mes 5 ans. Nous étions chez mes grands-parents, le salon brillait de toutes les lampes et déco que nous avions installées ensemble, j'avais ouvert mes cadeaux, tout le monde buvait et chantait quand j'ai entendu quelque chose dehors. On aurait dit un bébé qui pleurait. Quand je suis allée sur le balcon, en robe de chambre et pyjama, au milieu de la rue enneigée, j'ai vu un petit garçon en chemise blanche qui pleurait, assis à côté des poubelles les yeux dans ses poings, tandis que les flocons continuaient de s'amasser silencieusement sur sa tête. Comme mes cousins jouaient dans la cour, j'ai demandé à mes parents si je pouvais sortir les voir, ce dont ils m'autorisèrent exceptionnellement, mais seulement si j'étais escortée et correctement habillée. J'étais cependant si pressée que je sortis discrètement sitôt que j'eus enfilé mes petites chaussures aux pieds (c'est bon, je suis habillée !) et mon père, qui galérait à monter un de mes circuits à billes, fit signe à ma mère de me courir après, ce qui la fit ronchonner car d'une part elle était occupée à boire sa liqueur de Noël avec mes tantes, de l'autre ce n'était pas la première fois que je faisais ce coup-là.

Une fois au-dehors, je trottai aussitôt vers le garçon tremblant qui ne m'avait pas vue et m'accroupis à ses côtés.

« Pourquoi tu pleures ? Je lui demandai.

Celui-ci, surpris d'avoir été entendu, renifla et essuya ses larmes contre son bras nu.

-Parce que je suis perdu.

-T'as perdu ta maman ?

-Non. Je cherche quelqu'un mais je sais plus son nom.

-Viens alors, dis-je en lui tendant la main. On va voir ma mère. On va t'aider à le retrouver. Comment tu t'appelles ?

-Baekhyun.

Baekhyun n'était pas comme mes cousins. Il ressemblait à une poupée. Il faisait la même taille que moi, était mince comme moi, mais il avait le visage ovale alors que le mien était rond, des cheveux bruns alors que j'étais blonde et, alors que mes yeux étaient ronds presque globuleux et verts (je déteste la tête qu'ils me font sur les photos !), les siens étaient noirs et en amande, comme ceux que je rêvais d'avoir. La façon dont les coins de sa bouche retombaient alors que le haut de sa lèvre supérieure remontait légèrement me faisait aussi penser à un museau de chiot. Ça ne l'a d'ailleurs jamais quitté.

-Moi, c'est Lili. Li-Li, répétai-je comme on m'avait entraîné à le faire.

-Li-Li, répéta-t-il docilement avant de se relever, comme réveillé d'un sort.

Sitôt qu'il se tint droit, il secoua la neige qu'il avait accumulée et je vis apparaître dans son dos deux petites ailes, comme des ailes de papillons mais couvertes de plumes.

-Pourquoi t'as des ailes dans le dos ?

-Ben, pour voler, me répondit-il comme si je lui avais posé la question la plus bête du monde. T'en n'as pas, toi ?

-Ben, non. Ça vole pas, les enfants !

-Ah bon ? Pourquoi ?

-Je sais pas… parce que !

Tandis que ma mère qui m'avait surveillée tout ce temps du regard (nous étions à à peine dix mètres du palier) m'attendait, les bras croisés et l'air fâché, elle s'adoucit en voyant que je n'étais pas seule.

-Je vois que tu t'es fait un nouvel ami ! C'est toi qui as appelé ma fille ? Dit-elle en s'adressant au petit garçon.

-Maman, c'est Baekhyun, il s'appelle !

-Oh, mais… tu es un ange ! Un petit ange ! S'exclama-t-elle quand elle aperçut ses ailettes pointer dans son dos. Bonjour, Baekhyun, ravie que tu aies atterri ici sain et sauf !

Baekhyun sourit mais ne répondit pas, semblant intimidé par la géante qu'était ma mère. De leur côté, les adultes, qui m'avaient remplacée au balcon pour fumer, regardaient la scène de loin, amusés. Quand je leur souris, ils me sourirent en retour mais ne saluèrent pas Baekhyun, comme si maman et moi étions en train encore de jouer à un de nos jeux idiots qu'ils ne comprenaient pas et auquel seuls ceux de notre petit monde à deux avaient accès.

-Baekhyun, il a un problème ! Répondis-je à sa place comme l'ange semblait trop intimidé pour continuer tout seul.

-Et c'est quoi, ton problème ? Demanda maman en se penchant plus près de lui. Dis-moi tout.

Mais avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche, mon père vint nous chercher et nous gronda moi et maman parce que comme j'étais partie en trombe, j'avais sûrement pris froid. Lui non plus ne semblait pas faire attention à Baekhyun. Je trouvais ça bizarre et malpoli. En le suivant, alors que je me débattais contre les trois tonnes de couvertures que papa essayait de mettre sur moi, maman fit signe à l'angelot, resté planté sur place, de suivre notre petite troupe. Cette fois, il ne lui sembla pas difficile de vaincre sa timidité pour accepter l'invitation dans la maison joyeuse et éclairée. Tandis que la soirée reprit son cours et que Baekhyun se tenait à côté de moi devant la cheminée, alors que je me réchauffais les mains et qu'il se défroissait les ailes devant le foyer, ma mère lui fit signe qu'il pouvait parler, comme elle le faisait toujours quand j'avais un problème. Ce que je ne pourrai jamais dire tout haut à personne, sauf à Baekhyun, c'est que j'étais particulièrement jalouse sur le moment. J'aurais préféré qu'elle ne fasse ça que pour moi, sa fille. Mais bon, comme dit papa, c'est ma mère et « en somme, j'ai rien le droit de dire ».

Quand l'angelot réexpliqua son histoire à ma mère, il se remit à pleurer et trembler comme quand je l'avais trouvé. Il ajouta que Dieu lui avait donné le nom de la personne qu'il cherchait et dont il devait devenir l'ange-gardien mais qu'il l'avait oublié, et que tous les autres anges avaient déjà trouvé leurs protégés sauf lui.

-Panique pas, dit ma mère en le tenant par les épaules (une fois de plus comme elle le faisait avec moi), on va t'aider à le trouver, ton protégé. Tu te souviens d'une lettre de son nom ?

-Je me souviens que ça commençait par un E. Et son nom de famille par un V.

-Tiens, c'est drôle ! C'est comme les initiales de quelqu'un, ça !

-Ah oui ! C'est moi !

Quand Baekhyun se tourna vers moi, l'air interrogateur, je lui donnai mon nom complet, Emilie V., et à son tour, Baekhyun écarquilla les yeux :

-C'est ça ! C'est le nom de la personne que je cherche !

Sans trop savoir quoi dire, nous fixant l'un l'autre, on finit par se tourner une fois de plus vers la même personne.

-Ça veut dire quoi, maman ?

A ces mots, ma mère eut un grand sourire et s'accroupit entre nous deux en nous jetant à tour de rôle un regard brillant.

-Tu vois, dit-elle à voix basse au petit garçon, ce n'était pas si dur de le retrouver. Baekhyun, enchaîna-t-elle plus clairement, je te présente ta petite protégée. Et Lili… voilà ton ange-gardien. C'est lui qui va te suivre partout, te protéger et te guider toute ta vie. Tu devrais en profiter, ce n'est pas tout le monde qui a ce privilège !

Même si je n'avais à l'époque aucune idée de ce que voulait dire « privilège », je saurais plus tard qu'elle-même en avait eu personnellement l'occasion tout comme moi. C'était un don rare dans la famille… En attendant, ça resterait notre petit secret à tous les trois, moi, maman et Baekhyun. Papa hélas ne faisait pas partie de ceux doués du don et, dans ma tête, n'en ferait probablement jamais partie. Cette pensée me ramena d'ailleurs à la question qui me brûlait tant les lèvres et qui m'était revenue une fois réchauffée :

-Maman, pourquoi j'ai pas d'ailes, moi ?

-Parce que tu n'es pas un ange, ma puce. Même si ton père et moi essayons d'en convaincre tout le monde, dit maman en riant.

-Ça veut dire que je pourrai jamais voler ? Réalisai-je, déçue, en ignorant sa blague que je n'avais de toute façon pas compris.

-Non. Mais peut-être qu'un jour, dit-elle en me prenant enfin à mon tour dans ses bras, si Baekhyun est assez grand, il pourra te faire voler avec lui. Crois-moi, c'est un spectacle dont on se souvient ensuite toute sa vie. Mais il faudra être patiente.

-C'est vrai ? Baekhyun, tu pourrais faire ça pour moi ? Dis-je en me tournant vers lui.

-Euh, oui, répondit l'ange avec hésitation en regardant surtout ma mère. T'es mon humaine, donc… oui, je t'emmènerai voler avec moi. Promis !

-Trop cool ! »

Et c'est ainsi, tandis que je sautai au cou de mon nouvel ange gardien, que je scellai le pacte qui nous lierait pour la vie, lui et moi. J'étais loin de me douter à ce moment que seul Baekhyun, qui faisait face à ma mère, avait senti son pincement au cœur. Je crois que la raison est que sitôt que j'avais accepté le mien, elle avait vu le sien s'envoler. Ça ne faisait rien. C'était la règle. Et tant que moi et papa étions en sécurité, aucun malheur ne pourrait nous arriver qui ne serait surmontable. Je ne saurais aussi que beaucoup plus tard pourquoi elle avait prié pour que le mien soit à mes côtés si tôt.