Je n'avais pas remis les pieds dans une église depuis plus de dix ans, et je ne comptais pas m'y attarder. La dernière fois qu'un souvenir de moi dans une des ces bâtisses me revenait, je ne devais pas dépasser la dizaine d'années. L'image était floue, quelques détails seulement refaisaient surface tels que le pull rouge en laine que ma grand-mere avait tricoté, ou bien le goût désagréable de l'hostie qui craquait sur ma langue. De ce que je savais, c'était une cérémonie des rameaux, où je devais rester assis longtemps en me taisant, puis me lever durant de longues minutes pour reciter des chants que je comprenais même pas. Ma mère m'avait dit que c'était important que je vienne avec elle à l'église, comme mon père refusait souvent d'y aller, elle disait que ca lui faisait plaisir. Et quoi de mieux pour un enfant que de faire plaisir à ses parents pour gagner un sourire. Je n'en gardais vraiment pas un bon souvenir.

Je donnais l'adresse de l'église au chauffeur du taxi en m'installant dans la banquette arrière, m'affalant contre le tissu noir abimé des sièges; je n'avais pas les moyens de me payer une voiture alors je n'allais pas en plus utiliser mon argent dans un taxi hors de prix. Pour ce trajet, celui-là suffira amplement. Tout avait l'air vieux et cliché à l'intérieur; des tapis en boule en bois qui couvraient les sieges avant jusqu'au petit sapin rouge odeur fraise qui pendait au rétroviseur avant. Je ne m'attardais pas sur a décoration, mettant ma ceinture en silence, faisant à peu prêt attention à ne pas froisser mes habits. Priant pour que le chauffeur ne soit pas du type bavard, je soupirais en comprenant que mes espoirs étaient réduits à néant au moment même où il ouvrit la bouche, démarrant le moteur par la même occasion.

-C'est pas souvent qu'on me fait faire ce voyage; il disait sans me regarder, les yeux rivés vers la route; vous allez visiter? C'est plutôt beau comme bâtiment.

Roulant les yeux dans mes orbites en empêchant un lourd soupire de sortir de ma gorge, je préférais répondre d'un ton froid et monotone, quoique deja exaspéré par la discussion à venir; bon sang que j'aurais voulu voir une vitre apparaitre entre moi en cet espagnol en costume gris, presque le même costume que le mien, à la seule différence que celui qui était sur moi était complètement noir.

-Pas de visite, cérémonie d'enterrement. Je finis la phrase d'un ton froid, m'accoudant à la portière en jetant un oeil par la fenêtre, me rendant compte que le ciel était aussi grisâtre que la veste bon marchée du chauffeur.

L'espagnol laissait sortir une excuse breve et discrete, pensant avoir attaqué un sujet sensible. Et ça l'était. Je ne l'aurais pas pensé d'ailleurs, que je puisse être aussi mal pour cette cérémonie qui juste ici ne m'avait fait ni chad ni froid. «C'est le choc» on m'avait répété depuis que j'avais reçu la carte d'invitation ornée de deux petite croix noires dans le bord haut droit et mon nom en plein milieu. «Tu ne ressens rien parce ce que tu ne l'acceptes pas, mais quand tu y sera tu verra les choses différemment». Je n'imaginais pas que le therme différemment pouvait avoir cette ampleur, car de la phase de non acceptance où je restais calme, j'étais passé à un stade où j'étais prêt à casser tout ce qui m'entourait en hurlant clairement à la face du monde que je les emmerdais profondément. Un changement radical qui n'avais pas fait plaisir à tout le monde... Surtout pas Anna. J'avais réussi à causer le départ de quelqu'un par un comportement insupportable et violent, ce que je ne me pensais pas capable de faire. J'aurais aimé qu'elle soit là avec moi.

-Les enterrements en novembre sont les pires; la voix de l'homme réapparue en me sortant de mes pensées; le temps est triste, l'air et froid et tout ce qu'on peut faire c'est resté assis sur un banc en bois en écoutant les paroles d'un prêtre.

-C'est vrai, vous n'avez pas tort; ma réplique sonnait creux, essayant juste de placer quelques phrases courtes où j'acquiesçait ce qu'il disait, alors qu'il partait dans un long monologue sur le temps qu'il faisait, trop froid, trop gris, trop long.

Il parlait de resté coincé sur un banc avec un prêtre et moi tout ce que je faisais pour le moment c'était rester assis sur la banquette arrière déchirée d'une vieille FX4 en écoutant le long bla-bla d'un homme qui commençait à m'agacer. Je devais juste rester calme et détendu pendant les quelques minutes de trajet qu'il restait, continuant ce dialogue de sourd en regardant le paysage defiler sous mes yeux ternis par la fatigue et l'ennui. Le coté droit de la route était bordé par la foret, de larges et haut sapins à la verdure sombre qui me faisaient détourner le regard. Je n'aimais pas la foret.

-Désolé si c'est indiscret, mais c'était une de vos connaissances? Il finit enfin par demander, comme si cette question lui démangeait la gorge depuis le debut du trajet. Au moment où j'avais prononcé le mot «enterrement», on aurait vu l'interrogation apparaitre dans son cerveau comme une lampe qui s'allumait subitement.

-Deux connaissances même; je répliquais sèchement en le regardant à travers le rétroviseur intérieur, lui lançant un coup d'oeil meurtrier qui aurait pu lui loger une balle entre les deux yeux si une oeillade pouvait tuer. D'ailleurs; je continuais avec un rire qui ne donnait pas envie de sourire pour autant; l'un d'eux parlait beaucoup, il adorait parler et maintenant il se retrouve allongé les bras croisés dans une caisse en bois à six pieds sous terre.

Il parut comprendre ma comparaison et la menace qui se cachait derrière puisqu'il ne dit pas un seul mot par la suite, donnant lieu à un silence malaisant pour lui et soulageant pour moi. Je pouvais avoir l'esprit tranquille et ainsi me préparer au long moment qui m'attendait, voyant le haut du cloché se dessiner derriere la colline qui n'allait plus me séparer de ma destination plus longtemps. Je n'avais pas envie d'y aller et pourtant j'avais bien les fesses posées dans ce qui m'emmenait vers le derniers objet de mes envies. L'homme semblait le comprendre aussi malgré son air lourdeau, puisqu'il se mit à ralentir un peu en dessous de la vitesse autorisée, me laissant le temps d'accepter que je ne pouvais pas faire demi-tour. Je ne pouvais maintenant plus reculer car, meme si la lenteur du véhicule me permettait de souffler un coup, nous étions deja devant l'allée en gravir qui conduisait solennellement à la maison du seigneur qui ressemblait plus à un manoir en pierres de films d'horreur. Je reluquais le bâtiment de bas en haut, prenant un peu de temps pour me détailler mentalement chaque pierre, chaque gargouilles et décorations qui se trouvaient sur les murs. Quand mon regard redescendit, il tomba sur le groupe de personnes qui attendaient deja devant la porte, lancés dans des courtes discussions entre-coupés de quelques pleurs ou plaintes qui étaient vite stoppées par des câlins et des sourires rassurants.

-Jeune homme? Je sentais une main se poser sur mon épaule pour me secouer un peu, et je tournais rapidement la tete pour voir l'espagnol me regarder avec des yeux concernés, presque inquiets. La tête que je devais faire ne devait rien annoncer de bon, ce que je pouvais moi meme confirmer en me regardant brièvement dans le reflet de la vitre. J'avais la peau claire de nature, mais là c'était le mot pâle qui pouvait me décrire le mieux. Un mort vivant aurait surement plus d'allure et l'air bien plus en forme que moi si on nous mettait cote à cote à cet instant-ci.

Je m'excusais de mon court moment d'absence en sortant quelques billets de dix euros de mon porte monnaie, les posant dans la main du conducteur qui me remerciait en me souhaitant avoir passer un agréable voyage; souhait auquel je répondis par un sourire partagé entre le oui et l'envie de lui rire au nez. Je sortais de la voiture noire en frottant la saleté qui s'était posé sur les manches de ma veste à force d'être resté accoudé sur la portiere poussiéreuse. Je n'avais jamais été maniaque jusque là, j'étais meme loin d'aimer l'ordre et d'être quelqu'un de doué en ménage; quoique j'avais fini par apprendre avec mon... petit travail; mais depuis quelques temps je faisais plus attention à la saleté. C'était devenu une espèce de toc, mais rien de bien grave ou important. Ce qui l'était plus en revanche, c'était que mes jambes avançaient toutes seules sur le chemin, alors que je sentais les gravier rouler sous la semelle de mes chaussures, signalant ma présence meme avec le bruits des discussions. Mon arrivée ne les stoppa pas pour autant, personne ne m'attendait de toute manière: j'avais décidé de venir seul. J'allais donc me placer sous l'espèce de proche en pierre sous lequel avait été posés quelques bouquets de fleurs, attendant que la cérémonie commence.

J'étais venu seul, et je rentrais seul également lorsque les cloches commencèrent à sonner. Les bancs étaient étrangement plutôt pleins. «Le vieux connaissait du monde c'est vrai... » je me rappelais en reconnaissant quelques visages autour de moi, alors que j'allais m'asseoir dans le dernier banc en bois complètement vide, celui du fond. Les gens de devant ne me regardaient pas; tant mieux à vrai dire; ils ne se retournaient pas et étaient concentrés sur leurs pleurs et sur les paroles du prêtre qui commençait à récit des passages de la Bible ou des témoignages de ceux qui n'osaient pas parler d'eux meme.

«Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux: un temps pour naitre, et un temps pour mourir.»

A partir de cette phrase, je n'écoutait plus ce qu'il pouvait dire. Deja parce que ces quelques mots m'avaient lancé dans une reflexion douloureuse sur ce que j'avais vécu ces derniers mois; choses que je voulais oublier, mais que tout semblait me rappeler; et aussi parce que je venais de sentir le banc s'affaisser un peu, signe qu'on m'avait rejoint dans ma solitude du fond de salle. Je ne tournais pas la tete, je ne bougeais pas les yeux pour reluquer la personne qui s'était mise à une faible distance de moi pour la simple et bonne raison que je savais qui c'était. Je le savais meme si j'étais sûr d'être venu seul. Aucun de nous deux ne parlait, on se contentait de fixer le dossier d'en face en, silence, immobiles. On aurait cru que nous étions gelés par le froid qu'il faisait entre les quatre murs gris de la bâtisse. Lui hésitait à parler, et moi je ne voulais pas lui dire un mot. Je sentais son hesitation d'ici au bruit de ses mains qui se frottaient entre elles et le léger son de sa nuque qui craquait pour faire passer le stress. Mes mains à moi étaient liées, tremblantes.

-Alec...; Il finit par m'appeler avec une voix faible; ne dérangeant pas la cérémonie, les mots presque bloqués par son espèce de masque chirurgical blanc. Il attendait une réponse, son regard vide posé sur moi.

-Pourquoi tu es venu? Je demandais en me redressant, m'appuyant sur le dossier en haussant un sourcil, tournant finalement la tete vers lui avec lenteur. Je croyais que tu devais rester à l'hôpital aujourd'hui.

-Elle m'a laissé sortir, et je voulais venir ici. Je voulais te voir aujourd'hui... Il parlait lentement avec une voix presque éteinte. Il devait être exténué à cause des soins mais je n'allas pas le prendre en pitié.

-Tu es là juste pour ca? Je grognais doucement, ne m'attendant pas à une raison pareille. Si c'était pour de la visite qu'il était venu, il pouvait vite fait ressortir. Si c'est pour me tenir compagnie que tu te montre ici, je peux tout de suite te montrer la sortie. Dis moi vraiment pourquoi t'es là.

Je serrais les dents en le dévisageant, faisant tout mon possible pour ne pas trop hausser le ton, voyant que deja quelques personnes se retournaient, l'air agacés par notre discussion qui n'avait pas lieu ici.

Il retombait dans un long silence, regardant tout autour de lui avec un long mouvement de tete, cherchant surement quelque chose ou quelqu'un. Il était toujours comme ca depuis que je l'avais «ramené» en ville, à surveiller le périmètre autour de lui avec un air concerné, comme s'il sentait qu'on le suivait. Je ne lui faisais meme plus remarquer, sachant que c'était inutile et qu'il n'allait jamais perdre sa paranoïa maladive. Il fallait juste que je lui parle un peu pour qu'il revienne dans le monde réel et j'étais constamment partagé entre l'envie de le laisser comme ca; paniqué à en trembler; ou bien l'aider comme je lui avais promis. Et c'était toujours le deuxième option qui gagnait malgré moi.

-T-...; ca aussi il fallait que je m'y habitue; Dean? Je t'ai posé une question. Je soufflais doucement en me calmant un peu, lui tapotant l'épaule. Il reposait le regard sur moi, apparement soulagé à l'idée que me sois détendu. Pourquoi tu es venu? Réponds moi honnêtement.

Il baissait la tete en continuant de faire craquer les articulations de ses doigts, faisant un petit concert de bruits secs qui résonnaient dans l'enceinte de l'église; sans qu'un des invités ne s'en occupe pour autant. Je n'écoutais plus les paroles de l'homme en toge blanche, ni les discours de vieilles connaissances; des amis du lycée si je me rappelais bien de leu visage; car c'était sur Dean que toute mon attention était posée.

-Qu'est ce que tu crois? Il disait avec un rire nerveux discret; que je me suis déplacé pour admirer le décor de l'église? Que c'est pour rencontrer tes amis de lycée qui ont l'air de t'ignorer?

-Ca aurait pu être des raisons valables; je roulais les yeux dans mes orbites si fort qu'on aurait pu entendre leur mouvement. Il gagnait du temps inutilement en essayant de plaisanter. Dean, c'est pas drôle et tu le sais. J-Je t'avais dit de ne pas venir ici...

Je l'avais dit à Sara, je pensais avoir tout fait pour qu'il ne puisse pas me voir aujourd'hui et malgré ca il était bien assis à coté de moi à chercher ses mots. Ce silence était entre-coupé de soupirs, de regards interrogateur ou de séances ou nos yeux se croisaient juste, attendant un mot de l'autre. Je n'étais pas quelqu'un de doué en conversation, et depuis l'incident rien ne c'était arrangé, mais je l'avais connu plus bavard. Sans m'en rendre compte, le temps passait vite et la sonnerie lourde de la cloche de l'église résonna dans la salle unique, indiquant que tout le monde pouvaient sortir pour se rejoindre à la suite de la cérémonie; surement un repas, auquel je n'allais pas assisté évidemment. Le bruit des bancs en bois qui frottaient le sol, celui des pas des invités qui tapaient la pierre en rythme et des quelques pleurs restant formaient un boucan tel qu'il fallu attendre que le groupe entier sorte pour pouvoir s'entendre penser correctement.

C'était ca qu'il attendait en fait, qu'on soit seuls pour qu'il puisse me parler.

-Alors...? Le calme étant revenu une dizaine de minutes après, je me disais qu'il était enfin en position de me dire la raison de sa venue.

-Selon toi c'est fini? Je ne vais plus disparaitre, je vais avoir une vie normale?

-Tant que tu vas à l'hopital quand on te le dit et que... je te surveille un peu ca ira. Tout est normalement fini pour toi.

J'insistais sur le pour toi, faisant claquer le "t" un peu plus fort. Pour lui c'était fini, du moins je l'espérais. Mais pour moi ça n'allait jamais se finir. Je repensais à la phrase du prêtre; la seule que j'ai entendue et écouté; et je la répétais en la complétant à ma manière.

-Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux: un temps pour naitre, et un temps pour mourir... Il y a un temps pour pardonner mais il n'y a pas de temps pour oublier.

Dean ne comprenait pas vraiment, il savait que je le pardonnais un peu; au fond, je me retrouvais ici à cause de lui; mais ce qu'il ne savait pas, c'était que lui ou moi, on ne pourra jamais oublié ce qu'il s'est passé.