Une femme blonde serrait un homme aux cheveux roses dans ses bras. Ils étaient au beau milieu d'un champ de bataille, des corps les entouraient, certains étaient leurs ennemis, d'autres leurs amis. La femme pleurait à chaudes larmes, l'homme avait enfoui sa tête dans le cou de sa compagne. Ils étaient blessés de toute part, ensanglantés, la longue écharpe blanche de l'homme était couverte de taches rouge foncé, comme du sang séché, alors que les habits de la femme étaient réduits en charpie, ne lui laissant qu'un mince bandeau sur la poitrine et un pantalon troué de toute part, raccourci jusqu'au genou sur sa jambe gauche.
Ils semblaient ne plus pouvoir bouger de leur position, retrouvant leurs forces dans celles de leur partenaire. Puis l'homme s'éloigna, écartant les poignets de la femme qui tentait de résister, en vain. Le désespoir se lisait dans ses yeux. Ses lèvres bougèrent et une supplique parvient aux oreilles de l'homme. Il n'en avait pas besoin pour comprendre ses pensées.
« —Ne me quitte pas… »
Les orbes vert onyx plongèrent dans leurs jumelles chocolat et l'homme eut un léger sourire. Le sourire le plus triste qu'elle n'ait jamais vu. Plein de tristesse et de désespoir.
« —Désolé Luce.
—Non… Non ! Tu… tu ne peux pas me quitter ! sanglota-t-elle. Tu avais promis…
—Je suis désolé… »
Tendrement, il encadra son visage de ses grandes mains et l'embrassa. Avec toute son âme, tout son amour, tout son être. Tout son espoir et son désespoir. Toute sa joie de la voir vivante et son chagrin de briser sa promesse de rester à ses côtés. Elle lui rendit son baiser avec désespoir, en profitant pour l'enlacer de nouveau, de toutes ses pauvres forces, pour l'empêcher de la quitter. Les larmes coulaient sur leurs visages, traçant des sillons dans la poussière et le sang qui les recouvrait. Le leur, celui des autres.
L'homme s'écarta de nouveau, son chagrin de quitter cette vie, de la quitter elle, éclatant dans tous ses gestes. La femme ramena ses bras sur elle, tremblant de tout son être, alors qu'il s'effaçait progressivement sous ses yeux horrifiés. Il lui offrit un dernier sourire éclatant de tristesse et elle put lire dans ses yeux ce qu'il voulait lui dire, ce qu'il n'avait pas le temps de lui dire.
Ces derniers mots tournoyèrent dans son cerveau, entrechoquant la tristesse et le désespoir, saignant à blanc son cœur à vif, écrasant impitoyablement ses sentiments, son espoir. Elle tomba à genoux, se recroquevilla au-dessus du dernier vestige de son amour perdu.
On se retrouvera dans une autre vie Luce.
Un bout de tissu, salit, taché, plus noir que blanc. Elle tendit une main tremblante vers l'écharpe d'écailles de dragon, la saisit d'un mouvement haché, peinant à mouvoir ses doigts correctement alors que ses blessures et sa fatigue se rappelaient à elle.
On partira à l'aventure.
Elle la ramena vers elle, la serra contre son cœur déchiqueté par le chagrin. Un chagrin immense, étouffant. Elle toussa violemment, s'étouffa, vit le sang écarlate qui atterrit sur sa main. La lueur dans ses yeux mourrait à petit feu, à mesure que la douleur de la perte, plus vive que la douleur physique, la transperçait. Lui. Leurs amis. Leur famille. Disparus à jamais.
Ensemble.
Un sourire douloureux se dessina sur ses lèvres alors que les perles salées ne cessaient de couler, témoins silencieux de son âme brisée. Son œil gauche changea doucement de couleur, s'assombrissant pour devenir d'un vert presque noir.
Vert onyx.
…
Deux hommes se faisaient face dans une posture peu amicale, semblant à deux doigts de se battre, l'un aux cheveux roses, l'autre aux cheveux noirs. Le premier avait les dents serrées et un regard hargneux, l'autre avait un visage impassible mais ses poings serrés détrompaient son apparente neutralité. A côté d'eux se trouvaient trois femmes, l'une aux courts cheveux blancs, la seconde brune tenant une bouteille au liquide alcoolisé et la dernière aux éblouissants cheveux écarlates. Trois femmes dont les regards se posaient régulièrement sur la scène sans paraître intéressées par ce qu'elles voyaient. Celle-ci n'étant pas rare, peu de personnes intervenaient encore lorsque cela arrivait et les trois femmes étaient trop absorbées par leur conversation pour prêter une attention véritable à leurs camarades. Elles discutaient de cette nouvelle année à venir dans leur université et des nouveaux venus qu'elles rencontreraient. Elles se demandaient à quoi pouvait bien ressembler la meilleure amie d'une amie aux cheveux bleues qu'elles devaient enfin rencontrer, après seize ans de mystère et de spéculations.
Leur discussion fut interrompue, par ces deux hommes qui semblaient vouloir en venir aux mains sans que personne n'y prête attention. La colère parcourut la femme aux cheveux de feu dans un frisson glacé. Elle ne comprenait pas comment deux meilleurs amis pouvaient se disputer autant, elle ne cherchait pas à comprendre, elle se contentait de les arrêter. De les sermonner. Puis elle passait à autre chose, ignorant sciemment le fait qu'elle avait été trop dure, comme à chaque fois. Elle, elle voulait juste protéger leur amitié, en souvenir de la sienne – la plus précieuse de son enfance – qui avait été brisée par une dispute. Elle voulait protéger les autres, Erza. La jeune femme brune laissa échapper un éclat de rire, suivi bien vite de moqueries. Ils en avaient tous l'habitude alors ils répliquèrent sans animosité, parce que c'était sa manière de communiquer, à Kanna. La dernière femme esquissa un joyeux sourire, amusée qu'elle était par la scène présente, tout en prononçant les mots qui devraient tous les calmer quelque peu. Elle était ce genre de personne, Lisanna.
Un appel retentit alors, adressée à cette dernière femme. Celle-ci laissa ses amis là où ils étaient et s'éloigna. Deux femmes la trouvèrent à mi-chemin, au milieu du trottoir, et Lisanna leur offrit un lumineux sourire, éblouissant de gentillesse. La petite femme aux courts cheveux bleus le lui rendit, accompagnée d'un geste de la main amicale, la femme aux éclatants cheveux blonds en revanche lui offrit des paroles de salutation plus formelles, son regard trahissant une réserve qu'on ne lui soupçonnerait pas en premier lieu. La femme aux cheveux blancs lança la conversation, d'abord essentiellement avec celle aux cheveux bleus puis la femme blonde y prit part et des rires s'élevèrent bientôt du petit groupe. Lisanna sut alors sans le moindre doute que la meilleure amie de la femme aux cheveux bleus s'intègrerait sans le moindre problème dans leur groupe d'amis. Elle était d'une rayonnante humeur communicative, Lucy. Son amie de petite taille servit un clin d'œil à la femme aux cheveux blancs, comme si elle savait à quoi elle pensait. Elle était intuitive, Levy.
Quelques temps plus tard, les deux groupes se rejoignirent pour ne former plus qu'un. Les deux hommes avaient enterrés la hache de guerre de mauvaise grâce, sous les menaces d'Erza. Ils étaient comme ça, Gray et Natsu, toujours ensemble mais toujours à se disputer pour tout et rien. Deux paires d'yeux se croisèrent, s'écarquillèrent. Deux corps se figèrent, leur rire coincé dans leur gorge soudainement serrée. Leurs amis écarquillèrent les yeux, choqués, surpris, lorsqu'ils virent.
L'œil vert onyx de la femme blonde s'éclaircit doucement pour devenir marron chocolat, à l'image de son œil droit.
L'œil marron chocolat de l'homme aux cheveux roses s'assombrit pour gagner le même vert presque noir que son jumeau.
Les yeux de la femme se plissèrent, laissèrent déborder des larmes qui contenaient souffrance et joie. Un mélange qui se répercutait dans son esprit, l'empêchant de penser, se répercutant dans son cœur, la déchirant de l'intérieur. Les pas de l'homme le rapprochèrent d'elle, ses bras l'attirèrent contre lui. Les perles salées roulaient doucement sur ses joues à lui aussi, témoins des mêmes sentiments que sa compagne.
Leurs amis s'étaient effacés de leurs esprits, ne laissant que des images venus d'un autre monde, d'une autre vie. Un champ de bataille à la couleur rouge, un feu immense brûlant un palais dans la nuit étoilé, des corps aimés gisants autour d'eux. Et une phrase. Elle se répercutait en eux comme une promesse au goût de sang et d'espoir. Leurs bras se resserrèrent sur le corps de l'autre alors que de merveilleux sourires se dessinaient sur leurs lèvres.
Le présent les rattrapa au galop alors que les images d'une autre vie au goût de sang s'effaçaient de leurs esprits. La lumineuse présence de leur joie portée par leurs retrouvailles les inonda, précédant l'intime conviction que leur amour parcourant les siècles et les mondes était encore vivant en chacun d'eux. Ils s'écartèrent un peu, à regret. La femme aux cheveux blonds essuya les sillons d'eau que les perles salées avaient tracés sur ses joues alors que l'homme lui offrait un merveilleux sourire. Un sourire porteur d'amour, de joie et d'amour qu'elle connaissait intimement tout en le voyant pour la première fois, dans cette vie.
« —Je te l'avais dit qu'on se retrouverait ! »
La femme hocha la tête, luttant contre de nouvelles larmes, portées cette fois-ci par la joie pure qui l'inondait. Un éblouissant sourire sur les lèvres, elle se rapprocha de son compagnon pour le serrer dans ses bras une nouvelle fois. La souffrance était partie avec les larmes, le deuil avait été fait de cette vie passée emplie de souffrance. Cette étreinte était dictée par le simple bonheur de le retrouver.
Peu à peu leur monde à deux s'élargit de nouveau à leur entourage. Ils virent l'intimité relative que leurs amis leur avaient laissée en s'écartant de quelques pas. Ils virent leurs regards emplis de curiosité tournés vers eux. Ils virent l'incompréhension vis-à-vis de leurs larmes et la joie qu'ils ressentaient au vue de leur bonheur. Ils virent leurs précieux amis vivants et non pas gisants dans la boue au milieu de gravats. L'homme aux cheveux roses eut un grand sourire et prit la main de sa compagne pour retourner vers eux. La femme blonde pressa sa main, partagée d'un sentiment identique, d'un besoin de contact identique, même infime.
Les deux compagnons d'âmes rejoignirent leurs amis, une nouvelle lueur dans les yeux. Une lueur de bonheur qui les illuminait de l'intérieur. Leurs amis les avaient déjà vu sous le coup de toutes les émotions possibles, mais celle-ci jamais. Ils sourirent tous, heureux pour eux. Heureux qu'ils se soient trouvés.
Au milieu d'un trottoir, devant une université à la réputation controversée, un groupe d'amis. Ils rient, ils se disputent, ils crient et ils pleurent. Ils vivent avec tout leur cœur et ne cachent rien, toujours honnête envers eux-mêmes et envers leurs amis. Au sein du groupe, un couple. Ils viennent de se trouver et s'aiment depuis le commencement du monde.
Un homme aux cheveux roses entraîne en riant une femme aux cheveux blonds vers un grand bâtiment, derrière la grande barrière qui ceint le parc de l'université. Au-dessus de la porte d'entrée, une grande horloge surplombe le nom de l'université. La stridente sonnerie couvre les éclats de rire la femme aux cheveux de la couleur du soleil mais son sourire atteint le cœur de son compagnon comme une flèche de Cupidon. Ils continuent de courir vers leur université, main dans la main, leurs rires s'échappant de leurs bouches pour monter jusqu'aux constellations.
Ils courent vers Fairy Tail.
Ensemble.
