Près du Lac

Auteur : r0z'

« L'alcool fait oublier le temps »

L'air était glacé, les arbres saupoudrés de neige fine ressemblaient à des bâtons de réglisse sucrés. Ils étaient nus et froids, se balançant lentement au rythme du léger vent. La nuit était belle, le ciel piqueté de grosses étoiles. On ne distinguait que très légèrement la lune, fondue dans la masse épaisse et brumeuse des nuages.

Elle avançait le long du sentier, ses talons trouaient le tapis cotonneux. Elle avançait, regardait droit devant elle, ses joues rosies par le froid et par sa course effrénée, ses cheveux qu'elle avait libéré de ce chignon moche, cette boule qui lui tirait le crâne et qui ne ressemblait absolument à rien, tombaient lourdement sur ses épaules nues et blanches. Ses épaules nues parce qu'elle avait laissé glisser son châle noir et fin à ses coudes.

« Mione, Mione je crois que je suis plus amoureux. »

Et elle avançait dans un bruissement de froufrou, de jambes qui frottent le tissu volant et mousseux, de talons s'enfonçant dans la neige étouffant le claquement contre le bitume. On dirait un chuchotement, le chuchotement qui répondait au murmure du vent. On aurait dit un chuchotement mais il y avait un cri intérieur qui émanait d'elle, un cri de trop-plein, elle voulait tout envoyer valser. C'était une mer violente qui se déchaînait en elle, des vagues de dégoût, des vagues toujours plus fortes. Elle rageait, ivre de fureur. Et ivre un peu d'alcool, juste quelques verres de vodka qui lui piquaient délicieusement la langue. De la vodka et de la manzana, pour relancer cet océan.

« Je suis lâche de te dire ça alors que je suis pratiquement ivre mort mais je n'aurais jamais le courage de te dire ça en face. »

C'était le chemin pour aller au lac, et il fallait le quitter. Enfoncer ses chaussures dans la neige, la neige qui montait jusqu'à ses chevilles et les gelait, les rougissait de froid.

Et il s'était devant elle, sombre, un second ciel tout aussi hostile et inconnu. Le lac était noir, calme, aucune onde ne ridait l'eau, aucun vent n'effleurait la surface. Tranquille, si tranquille.

«Je crois que… Je crois qu'on est pas faits l'un pour l'autre. »

Elle alla au bord, juste pour regarder de plus près ce lac qui ne gelait pas, qui ne bougeait pas. Elle n'avait même pas froid. Sa robe bustier qui lui comprimait la poitrine, affinait sa jolie taille. Elle coulait, fine, et se terminait en volants et froufrous vaporeux à ses genoux ; elle était de la même couleur que l'essence d'une mûre que l'on a écrasé, un violet tendre, gourmand, beaucoup plus clair qu'une prune. Son châle noir enroulait ses bras, grand et aérien, il s'étendait autour de son dos nu car la robe s'échancrait dans son dos en un 'v' immense, large et victorieux.

« L'eau est froide ? »

Elle se retourna, légèrement surprise. La question était stupide, vu le temps qu'il faisait, l'eau devait à peine frôler le degré.

« Viens voir par toi-même, Malfoy. »

Il se tenait derrière elle, il avait un pantalon noir et une chemise blanche dont plusieurs boutons avaient été défaits. A son cou, un nœud papillon blanc dont les ailes délacées pendaient contre cou. Il avait l'air négligé, les cheveux coiffés par un simple geste de la main et il dégageait une odeur d'alcool fort, le genre d'alcool qu'on boit cul sec pour prouver ce que l'on vaut ; ainsi qu'une délicieuse fragrance de cigarettes.

« Si tu as l'intention de te noyer dans cette flotte visqueuse, je n'ai pas vraiment l'envie ni le désir d'aller te sauver. »

Il la détailla, de haut en bas, s'attardant sur ses jolies jambes, sur la courbe de ses mollets, sur la cambre de son dos, ses mains qu'elle faisait glisser le long de ses hanches parce que l'air était véritablement glacial.

« Quoi que ce soir, tu sois une sang-de-bourbe absolument sexy. »

Elle ne cacha pas son sourire.

Il y eut un silence qui ne fut pas pesant, chacun se plongea dans ses idées. La compagnie de l'autre n'était que factice, ils ne se regardaient pas, ne pensaient en rien de l'autre, ne voulaient pas s'adresser la parole et pourtant, pourtant ils étaient à l'aise ici, leur haine respective mélangée à une douce et délicieuse dose d'alcool qui les rendait différent et leur donnant un seul et unique point commun. Leur ivresse, leur ivresse si gentille qui leur faisait oublier un peu un tout petit peu leurs soucis.

« J'ai envie d'aller nager. Je suis soûle et j'ai envie d'aller nager. Tu es soûl et tu as envie de me parler. Cette soirée est hors du commun , déclara-t-elle soudainement

-Cigarette ? proposa-t-il comme si elle n'avait pas parlé.»

Elle la refusa en opinant de la tête. Elle serrait les lèvres, elle avait envie de tremper ses pieds dans l'eau, d'enfoncer ses jambes. Ce qu'elle fit, doucement. A chaque pas elle retenait un gémissement. Elle s'immergea jusqu'aux cuisses et elle décrivait des cercles autour d'elle, du bout des doigts. Elle était le centre d'une ronde d'eau, le point de départ des vagues qui s'élargissaient d'abord, s'amenuisaient ensuite, sensiblement mais sûrement, pour finir leur course si petites qu'on ne les distingue même plus, pratiquement inexistantes.

« Tu vas finir gelée. Tes lèvres sont violettes. »

Il tirait sur une nouvelle cigarette, la fumée qu'il soufflait était opaque, se mélangeant à son souffle et à la brume environnante.

«Où sont Potter et Weasley ? »

Elle ravala sa remarque sur le fait qu'il n'avait pas insulté ses deux amis et se contenta de répondre.

« Harry est avec Ginny et Ron... Je crois qu'il est soûl, il ne tient pas l'alcool.

-Toi non plus.

-Je suis lucide ! rétorqua-t-elle avec dans la voix un timbre de petite fille offensée.

-Tellement lucide que tu te trempes dans un lac glacé, par un temps glacial. »

Il restait là, planté contre un arbre à l'observer. Elle avait ses lèvres de la même couleur que sa robe et elle ne sentait presque plus ses jambes.

« Ron dit qu'il n'est plus amoureux. Je suis en train de parler à Drago Malfoy sans l'insulter ni même le cogner. Je ne suis pas ivre, je suis folle. »

Il se mit à rire, un rire aussi froid que le temps, aussi pourri que son âme, aussi triste qu'Hermione, aussi fou que cette soirée. Un rire inutile, une moquerie qui se moquait de la moquerie et de cette situation. Se moquant de cette pauvre fille plongée dans l'eau, de cette sang-de-bourbe qu'il ne méprisait pas en cet instant. Se moquant de lui, pauvre petit homme riche auquel personne n'accorde de confiance, ni de respect. Seulement une crainte, ils sont dominées, réduits à néant mais ne le respectent pas, c'est un pauvre petite homme seul. Terriblement seul.

« Je veux bien de ta cigarette, en fin de compte. »

Il eut un sourire narquois et se dirigea vers la jeune femme. Il se retrouva sur la berge et il hésita un instant, passa une main gantée dans ses cheveux et il poussa un soupir.

« Je crois aussi que je suis trop bourré. Je crois que je vais très, très vite regretter cette soirée , avoua-t-il en plongeant ses pieds dans l'eau glacée. »

Il alla jusqu'à Hermione et lui offrit le paquet dont elle tira une longue cigarette blanche. Il lui porta le zippo et une longue fumée opaque fila des lèvres de la jolie brune et resta compacte dans l'air autour d'elle, comme un énorme nuage, caressant ses pommettes, s'imprégnant dans ses cheveux.

« Je devrais boire plus souvent ! ironisa-t-il, Je n'ai même pas envie d'étrangler ta jolie gorge.

-Je ne suis pas assez soûle pour ne pas mourir d'envie de te noyer.

-Le compliment me va droit au cœur, Granger. Et Weasley, tu as envie de le noyer ?

-Ferme-la. »

Le regard chocolat de la jeune femme sembla s'attarder sur un point abstrait au loin. Elle pinçait fort ses lèvres, pour avoir mal, pour oublier cette autre douleur au cœur, elle pinçait, mordait, ne s'accordant aucun répit, se mutilant presque.

« Je crois l'avoir vu peloter une 5è année lorsque je suis sorti. »

Elle se retourna brusquement, dans un claquement d'eau, projetant de l'eau sur Malfoy, faisant tomber plusieurs gouttes autour dans un clapotis cristallin. Des rondes d'eau prirent naissance en mourant aussitôt.

Elle quittait le lac gelé, elle prenait sur elle pour oublier ses jambes qui tremblaient, elle prenait sur elle pour oublier le tissu froid qui se plaquait contre elle, elle prenait sur elle pour oublier cet air gelé qui semblait lui mordre la chair. Oublier tout, tout court.

« Blessée dans ton amour-propre, Granger ? »

Il allait ajouter quelque chose mais sans qu'il ne sache ni comment ni pourquoi, ses mots s'essoufflèrent et il resta là, à happer l'air.

Il se retourna, l'observa. Bleuie par le froid, le mal au coeur, elle était terriblement délicieuse.

« Tu vas aller dormir, toute habillée, complètement pitoyable, à te plaindre sur ta pauvre et petite et triste vie. T'oublieras pas d'enlever ton masque de pauvre petite conne intello avant d'aller dormir, t'es tellement belle lorsque t'envoies tout valser. »

Il quittait l'eau et retournait vers l'arbre. Elle s'était retournée, le yeux rougis comme deux gros boutons de rose qui menaçaient d'exploser.

« Laisse la petite conne que je suis dormir Malfoy, et va faire le chien puant devant celui que tu appelles 'Père'. »

Il se tut. Ils se regardaient. Complètement tournés l'un vers l'autre. Elle dans l'herbe blanche repartant vers le château, lui l'épaule contre l'arbre, tout aussi impassible et blanc qu'une statue tragique. On aurait dit un tableau, tirant son nom d'une pensée mélancolique « Quand Elle pleure » ou d'un titre bref emplit de sous-entendus « Les Regards ». C'était un tableau d'une nuit sombre plongée dans un drap de neige. C'était un tableau où s'étirait un arbre immense.

Drago fit un pas. Il sentit soudain une haine intense lui battant dans la tête.

« Fais attention à toi Granger. Ne me prends pas pour un misérable pion. Le fait que tu sois une femme ne me réprime en aucune raison, je n'ai aucune pitié.

-Tandis que moi le fait que tu sois Mangemort m'amuse tout au plus. »

Ils avançaient l'un vers l'autre, animés par un besoin de se délivrer d'un poids sur le coeur, de remords à l'âme et d'envies inassouvies. Attirés comme deux aimants, ils sentaient leur fierté gagner leur raison prêts à prouver ce qu'ils valaient, prêts à tout. Mélangeant dégoût, froideur et ... compassion ?

Et ils se stoppèrent. Là. L'un devant l'autre. Respirant le même air. Il la dominait de plus d'une tête et baissait la tête vers elle. Il tenait ses mains dans ses poches, elle accrochait les siens autour d'elle. Un air de défi courait sur leur visage. Et puis. Et puis il prit son air aguicheur, une mèche blonde glissa sur sa peau pâle. Ses pupilles pétillèrent de malice.

« Tu as une bouche à tomber. chuchota-t-il»