Perdu dans les glaces

'Les méchants portent leur enfer en eux'

Proverbe français

Je marchais depuis quelques heures. C'était la première fois depuis quelques années que je marchais autant. D'ordinaire, je volais.

Mais aujourd'hui, j'avais une mission spéciale : retrouver quelqu'un. Quelque chose, m'avait dit Nord. Une menace, peut-être. Mais il ne voyait pas ce que je voyais, ne ressentait pas ce que je ressentais. C'était pour cela qu'il m'avait délégué la mission – à contre-cœur.

Alors je marchais, pour être sûr de ne pas manquer mon objectif dans l'obscurité ambiante. Je levai mes yeux vers le ciel, vers l'Homme de la lune. Où est-il ?


C'était un homme. Enfin, il en avait la forme, de loin. Il était bleu, mais il était faible. Car il était prisonnier de la glace.

Je m'approchai doucement, mais il m'avait entendu, j'en étais certain. L'obscurité se faisant moins dense, je pus voir des dessins, des formes blanches sur sa peau calleuse. Son corps était à moitié immergé dans l'eau : un trou semblait avoir été creusé par sa propre chute.

Une lame terne était fermement tenue dans sa main crispée, aussi je restais deux mètres derrière lui. Il avait l'air de se tenir à la banquise, comme pour sortir, ou comme pour ne pas se noyer.

J'entendais son souffle rauque et puissant. Mais je ne le voyais pas trembler. Il était perdu, il était seul, il était dans son élément. Il ressemblait tant au moi d'il y a quatre siècles.

« Qui es-tu ? »

« Jack Frost, le gardien des glaces. »

« Que veux-tu ? M'éliminer ou me sauver ? »

« Cela dépend de toi. »

Il crispa sa main sur sa lame, puis la détendit. Et le métal disparut dans un filet de poussière noire. Était-il un monstre ou un magicien ?


Dans un igloo de ma confection, un feu crépitait. Contre un mur, l'étranger reprenait des forces et des couleurs plus humaines. C'étaient les lignes blanches les premières qui avaient disparues. Puis le bleu de sa peau. À présent, seuls ses yeux écarlates me rappelaient sa magie dissimulée.

« Tu ne m'as pas demandé mon nom. »

« Je suis patient. »

Nos regards s'accrochèrent. Il était puissant, le sien.

« Je m'appelle Loki, le dernier héritier du royaume des géants de glace, Jotunheim. »

« Comment t'es-tu retrouvé ici, sur Terre ? »

Son regard sur moi était étrange. Les enfants avaient mis plus de quatre siècles à me voir, et lui, un étranger millénaire, me fixait droit dans les yeux sans hésitation.

« Je suis sur Midgard ?... je suis tombé bien bas. » Il sourit tristement. « Mais pas aussi bas que je ne le pensais... En lâchant la main de mon frère, je pensais finir dans les limbes spatiales et temporelles. »

« Qui est ton frère ? »

« Thor Odinson, héritier d'Asgard. C'est mon frère adoptif mais... »

Je compris, il n'en dit pas plus.

« Tout le monde te croit mort chez toi ? »

« Tout le monde est mort, chez moi. »

« Un royaume dévasté ? Je parlais d'Asgard, là où ton frère se trouve. »

« … Oui. Ils me croient mort. »

« Je t'aiderai à y retourner, à réparer tes erreurs. »

« Tu es un drôle de garçon, Jack Frost. »

« Tu es un drôle d'enfant Loki. »

Les méchants sont ceux dont on ne raconte pas l'histoire, sinon, ils cessent d'en être.

Et si Jack Frost avait pris le temps d'écouter l'histoire de Loki ? Et si quelqu'un avait tendu la main à ce monstre des glaces, aurait-il pu devenir un gentil ?

D'un homme de bien, il est aisé de faire un méchant mais qui pourra d'un méchant, faire un homme vertueux ?

Théognis de Mégare