Bonjour amis lecteurs !

Pour ceux qui ont aimé mon "From Vegas with love", cette fic risque d'être une bonne nouvelle car il s'agit d'une petite suite qui s'étend environ sur 48h. Pendant que je publiais Vegas, certains personnages insidieux et très sûrs de leur statut régalien auprès de moi, sont revenus me hanter avec insistance, arguant qu'ils n'avaient pas tout dit, réclamant une augmentation de chapitres... Des scènes faisaient le siège de mon esprit et je les ai écrites parce qu'elles m'empêchaient d'embrayer sur le projet suivant...
Pour les lier entre elles, j'ai tout de même essayé d'insérer un scénario minimaliste qui aille dans le sens de ma saison, notamment avec l'épisode qui précède tout juste ("Duane"). Mais c'est fondamentalement une side-story dans l'univers de Velquesh qui est ma propre création. Sinon, Doctor Who (et tout le toutim) appartient à la BBC et à ses auteurs.

Soyez avertis que, sur le fond, cette fic développe des thèmes un peu plus sombres que d'habitude.

.°.

Si vous avez manqué le début du spin-off :

Au 51e siècle, sur la planète rétrofuturiste Velquesh, située dans le système de Portabaal, Jack Harkness et River Song (revenue difficilement d'entre les morts avec l'aide du Docteur) se sont rencontrés et s'apprécient suffisamment pour s'être associés à Guernö, dans une petite agence de détectives baptisée "H&S Investigations".
Jusqu'au grave accident qui a désassemblé le Clone de Chair de River, ils comptaient y vivre quelques années au calme, et partageaient une colocation avec la jeune chanteuse Amy-Leigh Watts, enceinte de six mois, que River avait pris sous son aile.
Jack a également retrouvé une vieille connaissance, à savoir John Hart, avec lequel il a réentamé assez vite une relation sincère mais prudente. Ayant beaucoup changé et souffert l'un comme l'autre, ils hésitent à déclarer leurs sentiments profonds qui de bien des façons, cassent l'ancienne image qu'ils avaient d'eux-mêmes.

De son côté, bien qu'il l'aime toujours sans le dire, le Docteur a décidé de rendre sa liberté à River et elle se voit courtisée par de nombreux hommes, le plus beau parti étant Quentin Cormack, un jeune industriel dont l'entreprise est spécialisée dans l'ingénierie robotique et les prothèses médicales. Le jeune frère de Quentin, Matthew est également le petit-ami d'Amy-Leigh.
Entré dans le collimateur de nouveaux ennemis qui ont pour bu déclaré de "jouer" avec lui au sein de la grande partie d'échecs cosmique qu'ils désignent mystérieusement sous le nom de "Jeu de Duane", le Docteur essaie d'obtenir de l'aide de ses deux plus aimants anciens compagnons, mais ceux-ci n'ont pas l'intention de lui faciliter la tâche, bien décidés à lui faire comprendre qu'il ne peut pas opportunément se servir d'eux à sa guise, sans se soucier de leurs sentiments.

.°.


CE QUI RESTE DE MOI

Fanfic Doctor Who – Saison 8 alternative Ep. 8.06

Par OldGirl Nora Arlani | FanFiction . net

.°.

I have no armour left. You've stripped it from me.
Whatever is left of me - whatever is left of me - whatever I am - I'm yours.

James Bond – Casino Royale 2006


CHAPITRE I

Les stores de bois baissés filtraient la lumière. Trop souvent sans doute pour que la plante aux feuilles ternies posée sur un classeur métallique derrière Jack reçoive assez de soleil… Ou bien était-ce seulement qu'elle était à l'unisson de l'humeur de son propriétaire ? Son bureau était couvert de papiers, des notes principalement, qu'il regardait encore et encore jusqu'à ce que ses yeux demandent grâce. Aussi quand il vit la silhouette noire du Docteur debout dans le vestibule, crut-il d'abord à une légère hallucination pour avoir un peu trop forcé.

Parce qu'il avait espéré en vain sa venue, Jack était presque surpris de le voir à présent. Il comprenait que le Docteur ne se soit pas déplacé pour quelque chose qui l'aurait concerné lui, Jack personnellement. Mais pour la disparition tragique de River, c'était déjà plus difficile à encaisser. Il l'avait souvent taquinée quand elle se laissait parfois aller à évoquer avec une note d'amertume le « divorce » – elle employait toujours le mot avec des guillemets perceptibles – de leur couple de monstres sacrés façon Taylor-Burton. Mais force était de constater que le Docteur n'avait fait montre d'aucune précipitation. Zorro était arrivé sans se presser.

Comme il n'était pas encore très familiarisé avec cette nouvelle incarnation, il l'avait reçu comme un client. Il s'était levé, lui avait serré la main, avait fait un peu de place sur le bureau devant lui, en reformant des piles de papiers qu'il poussa de côté, tout en l'invitant à s'asseoir d'un signe. Il s'était croisé les mains et avait demandé alors de son ton le plus aimable et le plus glacial à la fois, ce qu'il pouvait faire pour lui.

Le Docteur considéra son ancien compagnon et sa froideur polie, en se disant qu'il avait sans doute bien mérité ça.

— Jack, je venais pour complètement autre chose quand j'ai appris par le robot de Cormack que River avait eu un accident…

— C'est exact, répondit laconiquement le Capitaine. Pas moyen de vous prévenir, évidemment. Je suppose que vous accepterez mes condoléances pour la perte de votre femme…

Ils restèrent silencieux tous les deux pendant un long moment qui permit au Docteur de mesurer combien Jack avait l'air de lui en vouloir de n'être pas accouru aussitôt. C'était d'autant plus déstabilisant qu'il était plus ou moins venu lui réclamer des comptes.
Durant le temps de leur face à face muet, il réalisait aussi que derrière le masque de l'homme vénal et passablement lubrique qu'il portait tout le temps, Jack lui restait somme toute assez mystérieux. Quand il n'avait pas à lui demander de se taire pour leur épargner ses blagues salaces, qu'avait-il à lui dire ?

Il essaya avec ce qui pouvait sans doute être considéré comme assez une bonne nouvelle :

— River n'est pas morte.

.°.

JACK HARKNESS

Alors celle-là, il ne l'avait pas vue venir. Cet animal avait le culot de se pointer pratiquement un mois après le drame et il venait de comprendre pourquoi ! Tout bonnement parce qu'il avait dû estimer que la situation n'était ni grave ni urgente… Puisqu'elle n'était « pas morte », il pouvait certainement continuer à vaquer à ce qu'il avait à faire ! Cela avait le don de l'énerver.
Pour s'apaiser, il chercha automatiquement quelque chose qui ne se trouvait pas là près du Docteur : sa petite compagne du moment, qui elle se serait montrée certainement plus gentille…

— Où est Clara ? demanda abruptement le Capitaine d'un ton soupçonneux. Je veux dire, pourquoi n'est-elle pas avec vous ?

— Chez elle. Elle avait besoin de se reposer. Nous venions de rentrer d'une mission assez éprouvante quand j'ai appris ce qui était arrivé ici.

— Quel genre de mission pouvait vous paraître plus importante que de venir sauver votre femme ? C'est une vraie question, je suis curieux d'entendre la réponse qui ne manquera pas d'être édifiante…

Le Docteur se leva et posa ses deux poings sur la table, fourbissant ses deux sourcils de combat et il dit nettement :

— Je n'aime pas le jugement que j'entends dans votre ton, Jack. Et je n'aime pas non plus ce genre de discussions qui me font perdre patience.

Jack écarquilla les yeux et se demanda ce qu'il avait jamais pu trouver à ce type franchement désagréable. Il sourit pour masquer un peu sa déception et se retrancha derrière un professionnalisme bien rôdé.

— C'est vous qui avez franchi cette porte… Que vouliez-vous ? Certainement pas mon aide, si j'en crois votre attitude !

Le Docteur se redressa et mit la main dans la poche interne de son veston soutaché de rouge.

— J'avais une lettre à vous faire lire. Je voulais votre avis dessus.

Le Capitaine le dévisagea d'un air totalement perdu.
Pour n'importe qui d'autre, il aurait été évident rien qu'à voir sa mine défaite, qu'il se fichait totalement de tout, excepté de son chagrin d'avoir perdu River. Et que la seule chose qu'il voulait entendre sortir des lèvres du Doc, c'était « Je vais vous aider à la faire revenir », ou quelque chose d'approchant. Mais le Docteur, lui, n'était pas comme ça ! Oh non. Il se pointait les mains dans les poches, avec à peine un bonjour et puis : « Oh tiens ! River n'est pas morte, maintenant lis-moi ça ».

— C'est quoi cette lettre ? Je ne sais pas si j'ai vraiment le temps pour ça…

Le Docteur sortit les feuillets d'une enveloppe à peine moins fatiguée que lui et puis les lui tendit avec une inexplicable lueur dans le regard.

— C'est une lettre « d'amour ». Je pense que vous reconnaîtrez l'écriture…

— Allons bon ! Je ne suis pas graphologue ! laissa tomber Jack avec une touche d'agacement. Mais si quelqu'un arrive à vous aimer en ce moment, je serais quand même bien curieux de lire ça…

En entendant ces mots, Amy-Leigh qui venait d'entrer dans le vestibule parce qu'elle venait aider Jack à tenir son standard téléphonique, laissa tomber le sac qu'elle portait avec un bruit fracassant.

.°.


LE DOCTEUR

Harkness lâcha la lettre dont les feuilles glissèrent doucement sur son bureau et fut instantanément auprès de sa jeune colocataire blonde. Ses traits étaient tirés sous le coup d'une douleur poignante et elle se tenait le ventre.

— Amy chérie, est-ce que ça va ? demandait-il avec douceur.

— Oui, oui, je suis désolée, dit-elle en inspirant plusieurs fois rapidement. J'ai eu un spasme en entrant, ça va mieux maintenant…

Jack voulut la porter pour l'installer sur le canapé gris vert du bureau de River mais la jeune mère protesta qu'elle n'avait pas de jambe cassée et qu'elle était trop lourde pour être portée ; le Capitaine rétorqua qu'il n'écoutait pas ces sornettes. Apparemment oublieux de la présence du Docteur, il installait la blonde enfant délicatement sur le sofa.

S'asseyant familièrement tout près d'elle, il posa une main précautionneuse sur son ventre arrondi en demandant si le bébé allait bien. De l'autre, il tira un plaid replié sur un accoudoir pour le déployer sur elle, avant d'embrasser tendrement sa bouche d'un bref baiser… sous le regard abasourdi de leur unique spectateur mécontent et impatienté.

Quelque chose en lui se révoltait à le voir si heureux auprès de la jeune femme blonde, fier comme un coq, et se comportant presque comme si l'enfant était de lui. C'était ridicule et tellement hors de propos qu'il ait l'air si concerné… Le Docteur serra les mâchoires, perturbé de constater qu'il éprouvait autant de ressentiment. Il aurait compris s'il s'était agi de Hart qu'il détestait cordialement, mais Jack ?
Jack l'énervait, l'impatientait, le contrariait presque toujours, le décevait souvent… Mais ce qu'il ressentait là… c'était comme si quelque chose de beaucoup plus personnel avait eu lieu entre eux deux.

La curiosité naturelle du Seigneur du Temps regimbait. Bien sûr, il y avait eu ce vilain petit tour du Zygon qu'il avait rencontré récemment. « L'ironie de tout cela, c'est que c'est moi qui vous aime le plus, Docteur, avait dit le jeune Kelpie en prenant les traits de Jack. Et je suis si mal payé de retour ».

— Repose-toi un instant. J'étais en rendez-vous avec le grand hibou qui me foudroie du regard, chuchotait Jack d'une voix insupportablement caressante et paternaliste à la fois. Tu te souviens de lui ?

— Un peu. C'est censé être lui, l'ancien mari de River ?

— Tout juste.

— C'est pour le faire enrager que tu viens de m'embrasser ? s'enquit-elle sur le même ton.

— Oui, j'offre de faire la vaisselle toute la semaine pour faire pénitence… si tu n'en parles pas à Matthew.

— Tu feras la vaisselle et j'en parlerai à Matthew. C'est quoi cette histoire de lettre d'amour ?

Jack sourit en lui caressant les cheveux.

— Justement il faudrait que j'aille voir…

Amy-Leigh acquiesça en lui disant qu'il pouvait la laisser, mais dès qu'il lui tourna le dos, elle laissa sa tête aller en arrière et ferma les yeux. Elle avait mal au ventre et peur que quelque chose se passe de travers avec sa grossesse. Cela le Docteur le voyait mais pas Jack.

.°.

Le Capitaine daigna enfin revenir à son bureau avec une lenteur calculée. « Il y a des choses plus importantes que vous dans ma vie » disait son attitude. Tellement puéril. Il reprit le courrier. Il alluma sa lampe de bureau et chaussa une paire de lunettes avant d'approcher les feuilles pour mieux les lire.

— Vous avez besoin de lunettes maintenant ? s'étonna le Docteur.

— Oui, ça casse un peu le mythe, c'est sûr… Mais personne ne me regarde en ce moment, n'est-ce pas ?…

— Lisez, plutôt ! Je crois qu'il y a des éléments qui vous intéresseront, répondit le Docteur en faisant de son mieux pour ne pas réagir aux provocations de son ancien compagnon.

« Salut Docteur !
Voilà un bon bail que je ne vous ai plus revu maintenant. Je pense bien que ce n'était pas parti pour s'améliorer bientôt, parce que mon dernier souvenir avant d'avoir été parachuté ici, c'était d'avoir été tué. Je sais que vous n'êtes pas du genre patient, particulièrement quand il est question de moi, alors je vais vous la faire courte... »
[1].

Jack parcourut les quelques pages avec un air incrédule et vaguement amusé. Puis il les replia et les tendit au Docteur avant d'ôter ses verres.

— Merci. C'est une lecture très intéressante et très divertissante. C'est vous qui l'avez écrite ?

Le Seigneur du Temps sursauta et le regardant avec une certaine stupéfaction.

— Moi ? Je pense plutôt bien que c'est vous, d'après la signature.

— Non. C'est un faux ! répondit Jack avec un peu de distance. L'écriture est bien imitée, c'est vrai. Mais le style ! Je n'écris pas comme ça. J'ai rédigé des centaines de rapports et j'ose croire que ma syntaxe et mon vocabulaire sont d'un meilleur niveau... Où l'avez-vous eue, sans indiscrétion ?

— Je l'ai trouvée dans ma poche à côté d'une autre, sans aucun souvenir de l'y avoir mise.

— Sans doute quelqu'un qui aura voulu vous faire une mauvaise blague. Si vous avez besoin de l'entendre, je n'ai jamais écrit un mot de tout ceci !… Et si vous considérez qu'on s'est vus dix minutes il y a des mois, et encore moins que ça, il y a plus de vingt ans… vous comprendrez mon point de vue. En plus, je crois que je me rappellerais si vous m'aviez laissé mettre les mains dans vos poches… Non, une seule conclusion s'impose !

— Vous pensez donc qu'il n'y a rien de vrai là-dedans ? Et vous soutenez que vous n'auriez rien pu dire de ce qui y figure ? insista le Seigneur du Temps en le toisant de ses yeux perçants.

Jack se leva en soupirant.

— Doc, je ne veux pas vous faire perdre votre précieux temps, ni le mien non plus. Cette lettre est pleine d'invraisemblances et il s'y trouve une quantité de choses que je ne vous aurais jamais dites, même en admettant que des circonstances similaires se soient présentées.

— Vous ne pensez donc pas que je sois un « foutu Seigneur du Temps arrogant » ?

Jack sourit à pleines dents en hochant vigoureusement la tête plusieurs fois.

— Ah si ! Là je reconnais que ce n'est pas tombé loin…

— Et quoi d'autre ?

Le Capitaine décida d'être franc.

— Docteur, je sais bien que les sentiments ridicules qui agitent les primates stupides que nous sommes vous ennuient. C'est bien pour ça que jamais je ne vous parlerais de ce que je ressens. Ni pour vous, ni pour quiconque. Ce serait en pure perte... Allons, reconnaissez plutôt que vous vous fichez de mon opinion, vous voulez juste savoir si je sais quelque chose sur cette fable-là... Y aurait-il un univers où vous n'existez pas ? Question purement spéculative et sans intérêt. Il n'y a ici aucun détail utile ou exploitable. Des « mecs » qui n'ont pas de nom. Aucune localisation. Pas d'époque précise… Rien du tout. C'est juste un peu de littérature et… pas très bonne, de surcroît. Jetez ça et n'y pensez plus.

— Est-ce que c'est vrai que vous avez affronté une créature qui a failli vous tuer ?

— Un grand truc moche, cornu et gris, et après ?

— Pourquoi pensiez-vous que vous n'alliez pas vous en sortir ?

Jack se croisa les bras et répondit posément :

— Parce que Gwen a veillé mon cadavre pendant pratiquement deux semaines.

— Et comment vous l'avez eu au final ?

— Gwen ? Je ne l'ai jamais eue… Non c'est bon, je plaisante ! Je n'en sais foutre rien de comment j'ai eu ce bestiau ! Je me souviens d'une lumière et puis j'ai perdu conscience.

— Jack, faites un effort ! J'ai l'impression que c'est très important.

— C'est que ce n'est pas exactement un souvenir récent… vous voyez ?

Le Docteur se mordit un ongle en le regardant de travers, l'air de réfléchir à ses options. Si le Jack d'aujourd'hui lui en voulait trop pour l'aider, peut-être qu'une version plus jeune se montrerait plus conciliante ?

— C'était quand ? Je pourrais peut-être aller leur demander…

— Gare au paradoxe… A l'époque vous aviez un sens du timing à peine meilleur. Vous êtes venu juste après.

— Quoi ?

— Si, avec Martha, faire le plein sur la faille de Cardiff.

Avec Martha ? Quand le Tardis avait fui Jack jusqu'à la fin de l'univers ? Quand ils y avaient retrouvé le Maître sous l'identité du Professeur Yana ? Ah, pourquoi ne l'avait-il pas su ?
Bien sûr la réponse était simple : parce qu'il ne l'avait pas demandé ! Il se souvenait bien de la façon dont il avait accueilli son ancien compagnon. La façon dont il lui avait demandé plus tard s'il avait envie de mourir, alors qu'il mettait son immortelle carcasse en danger pour sauver les derniers vestiges de l'humanité…

— Et vous sortiez de ça quand vous avez agrippé le Tardis ! Pourquoi n'aviez-vous rien dit ?

— J'ai expliqué ça il y a cinq minutes.

Le Docteur le considéra de ses yeux de glace. L'aberration temporelle était si forte autour du Capitaine qu'il devait lutter pour ne pas reculer de plusieurs pas jusqu'à la porte… Il hésitait sur la conduite à tenir. Il croisa les doigts, tapotant nerveusement avec ses deux index.

— Si… je revenais à un moment où je vous dérangeais moins, accepteriez-vous de me parler de cette créature ? Vous auriez le temps de rassembler quelques souvenirs…

— Pourquoi le ferais-je, Docteur ?

— Parce que je suis votre ami.

— Uniquement quand ça vous arrange.

— Ok, alors parce que je vous dirai où est River.

.°.


JACK HARKNESS

Il ne resta pas longtemps à rêvasser seul à son bureau après le départ du Docteur. D'abord parce qu'il avait un rendez-vous avec un client dans la demi-heure, ensuite parce qu'il n'aimait pas laisser Amy-Leigh seule. Depuis que River était morte, ou absente seulement, si ce satané Docteur disait la vérité, il avait l'impression que c'était à lui de veiller sur la jeune fille.

Il retourna la voir. Elle attendait sagement mais un pli soucieux barrait son front. Elle le chassa dès qu'elle le vit. Il s'assit près d'elle en se laissant aller sur le dossier du sofa.

— Ça ne s'est pas très bien passé on dirait ? dit-elle au bout d'un moment.

— Tu nous écoutais ?

— Oui. Mais je ne comprenais pas grand-chose, admit-elle volontiers. Pourquoi ce vieil homme étrange au regard dur voulait-il te montrer une lettre d'amour ?

— Il pensait que je l'avais écrite.

— Qui l'a fait si ce n'est pas toi ?

— Je ne sais pas, mais c'est… quelqu'un qui me connait un peu trop bien !

— Tu ne vas pas quitter John pour celui-là, n'est-ce pas ?

— Et pourquoi ça t'inquiète ? s'amusa-t-il.

— Tu es déprimé depuis que tu t'es disputé avec lui… Tu restes dormir à la maison même quand il est en ville. Tu ne devrais pas rester tout seul en ce moment. Il faut que tu réconcilies avec lui !

— Johnny Boy peut être assez têtu quand il veut... Nous avons des façons différentes de gérer la disparition de River. Pour l'instant, il est très en colère. Et je dois avouer qu'il ne m'est pas d'un très grand réconfort quand il est comme ça.

— Pourquoi ne viendrais-tu pas ce soir au club où l'on peut chanter avec Matt et moi ? Je chanterai pour toi.

— Tu as envie que je drague ton petit-ami toute la soirée pendant que tu seras occupée sur scène ? demanda-t-il avec un clin d'œil.

— Ne t'en avise pas. Tu serais obligé de faire la lessive pendant un mois !

Il sourit à cette perspective. Sans grande culpabilité, il laissa errer son regard sur ses courbes arrondies par la maternité. Elle était magnifique et il se sentait horriblement seul et triste. A la vérité, il aurait bien volontiers échangé trois mois de corvées, contre une petite heure de chaleur humaine, serré dans les bras tendres d'une amie qui aurait bien voulu se montrer douce et compatissante… Plus jeune, il aurait sans doute essayé de l'amadouer pour qu'elle en vienne à accepter ce marché, mais il avait arrêté d'être complètement égoïste depuis un bon moment maintenant.

— Merci pour l'invitation mais non, déclina-t-il en tâchant de se reprendre. Vous êtes tous les deux jeunes et amoureux. Je ne serais pas un joyeux compagnon pour vous ce soir. Et puis, je vois un nouveau client potentiel dans quelques minutes. Si ça se trouve, j'aurai du travail.

Elle eut une petite moue dubitative avant de reprendre, apparemment pas décidée à essuyer un refus.

— Jack ? Le vieil homme n'a-t-il pas laissé entendre que River était vivante ?

— Si.

— Alors Otto avait raison… Mais dans ce cas où est-elle ?

— Je n'ai pas accès aux projets ultrasecrets du labo de CIS, moi ! Si c'était le cas, j'en saurais sûrement plus à ce sujet ! dit-il en se levant.

Elle l'imita puis se dirigea vers le bureau de River dont elle tira la chaise pour s'y installer avec précaution, une main soutenant son ventre.

— Et plutôt que de « draguer » mon Matthew, ne pourrais-tu pas lui poser plutôt des questions sur ce qu'il sait ? Il est très proche de son frère. D'après ce que j'ai entendu dire, Quentin travaille sur un nouveau projet presque jour et nuit, et ça a commencé pile quand River a disparu… C'est toi l'enquêteur. Ça ne t'a pas frappé ?

Jack, qui allait sortir pour regagner son propre bureau à côté, se retourna lentement. Il prit appui sur une jambe en penchant la tête vers elle, les yeux plissés avec la mine comique d'un intérêt très mal déguisé.

— Là, tu en as trop dit où pas assez… Que sais-tu de ça ?

— Je n'aime pas l'idée que tu me voles mon petit-ami mais j'aimerais mieux que tu viennes quand même ce soir au lieu de rester à boire tout seul à la maison, répondit-elle en baissant les yeux. Matt m'a dit que Quentin nous rejoindrait peut-être un peu plus tard et que ce serait un genre de petite victoire. Car son frère a une mine presque aussi atroce que la tienne et un air fiévreux que je ne lui ai jamais vu. A quoi travaille-t-il d'arrache-pied depuis tout ce temps ? Matt me dit que c'est sur un second prototype de robot, très bien. Mais pourquoi est-ce que ça ne se passe pas au labo du CIS, avec toute l'équipe habituelle ?

— Ma mine horrible ne sera rien à côté de celle de Cormack senior, si je découvre qu'il m'a caché que River est en vie ! Et je vais même te dire mieux, il ferait bien de planquer ses fesses si jamais John venait à l'apprendre !

Elle soupira avec une moue légèrement dépitée :

— Vous êtes vraiment tous après elle…

— Oh-oh… Amy-Leigh Watts ! Détecterais-je une petite trace de jalousie dans cette remarque ?

— Comment pourrais-je ? A côté d'elle, je me fais l'effet d'être une baleine !

— Hem, si tu veux un point de vue masculin là-dessus, je crois que tu es plus près de la sirène que de la baleine ! Tu n'as rien à envier à River, dit-il d'un ton catégorique.

— Oh allons ! fit-elle en fronçant les sourcils. River a tellement plus que moi ! Tout le monde la trouve géniale et intéressante. Quand elle apparaît tous les hommes la dévorent des yeux. Et elle se comporte comme si elle était une sorte de reine et que vous étiez tous ses sujets, prêts à se jeter à ses pieds et faire la moindre chose qu'elle pourrait vous demander !

— C'est vraiment trop mignon de te voir jalouse, commenta-t-il avec un sourire en tournant la tête car il venait d'entendre l'ascenseur qui devait amener son client descendre au rez-de-chaussée.

— Même absente, elle a du pouvoir sur vous…

— Et tu sais pourquoi ? demanda-t-il avec un air taquin.

— Non !

— Ah, dans ce cas il faudrait vraiment que j'aie une petite conversation privée avec Matthew ce soir…

Elle secoua la tête, soudain butée et le visage aussi fermé qu'une enfant boudeuse et inquiète à la fois.

— Non, je t'ai dit que je ne voulais pas que tu lui parles !

— Ma chère petite, puisqu'il est ton petit-ami officiel, c'est pourtant donc bien à lui qu'il revient de faire de toi une femme épanouie… Le pouvoir de River réside dans la combinaison particulière de la confiance qu'elle a dans sa propre féminité, son expérience, et sa capacité à nous laisser entendre sans détour qu'elle pourrait être à la fois très généreuse et très… accessible.

— Je ne comprends pas.

— Lorsqu'elle s'adresse à nous, je veux dire aux hommes, indépendamment de ce qu'elle dit factuellement, nous entendons qu'elle nous fait un certain nombre de promesses en sous-titres.

— Pourquoi fait-elle ça ?

L'œil de Jack était allumé et brillant et la façon dont il la regardait la rendait nerveuse, agacée et troublée à la fois. Quelque chose lui disait que ce regard était celui qu'un homme adresse à une femme qu'il trouve désirable. Mais comment pouvait-il oser la regarder ainsi alors qu'elle était fiancée ? Elle frissonna, ce qu'il ne manqua pas de noter.

— Sans doute parce qu'elle trouve agréable d'être traitée « en reine » et que nous soyons ses sujets.

— Pourquoi ne la détestez-vous pas de faire cela ?

Il arbora un large sourire d'excuse pour prévenir :

— Mon client est là. Nous continuerons cette discussion plus tard, j'espère...

Et à la façon dont il dit cela, cette façon parfaitement anodine d'énoncer une situation banale de la vie quotidienne, comme l'arrivée d'un client, et d'y mettre tout un arrière-plan invisible qui témoignait du plaisir anticipé d'avoir encore ce genre de conversation avec elle, elle comprit ce qu'il voulait lui dire au sujet de River et de ses « sous-titres ». Il venait juste de lui en donner la démonstration.

Il entendit le faible soupir qu'elle poussa : tremblant, avide et frustré… Et pendant quelques brèves secondes électrisantes, il se sentit vraiment bêtement glorieux de pouvoir encore susciter cela chez une femme aussi jeune et aussi belle.

.°.


[1] L'intégralité de la lettre (qui vaut le détour) figure au chapitre 5 de la nouvelle « Règles et principes de base du grand jeu de Duane », par moi-même et pas comme je l'ai faussement indiqué alors par Luke Harmond, à moins qu'on ne veuille considérer que je suis Luke Harmond, et Melody Malone par dessus le marché, qui était censée avoir écrit Vegas...