Le soleil commençait à décliner sur Damas. Altaïr observait attentivement les alentours, son regard perçant analysait avec une facilité déconcertante les horizons de la ville. En cette fin de journée, tout semblait calme, mais les templiers ne faisaient que dormir pensait-il. Le lendemain, il faudrait reprendre ces missions. Le soir était pour lui son seul répit, le plus souvent, le maître assassin exerçait ces fonctions de jour comme de nuit mais cette nuit s'annonçait moins chargées que les autres. Il enjamba agilement le petit muret pour atterrir avec souplesse sur le toit voisin et continua ainsi jusqu'à l'obtention d'un point de vu parfaitement opposé au premier, afin de couvrir toute la zone.
Inaya se faufilait à travers les derniers passants dans les rues de Damas, tout ce qu'elle possédait à présent se trouvait dans son petit sac de toile, un canif, quelques fioles, des fagots de plantes en tout genre et quelques graines. Elle réajusta avec précaution son léger voile de couleur, après avoir vérifié que personne ne la regardait avec trop d'attention. Cependant Inaya était d'humeur anxieuse. La jeune femme continuait son chemin la tête basse, se demandant où elle allait bien pouvoir dormir ce soir. Ces pieds étaient douloureux, la semelle des sandales qu'elle avait achetées au petit marchand de pacotille n'était pas bien épaisse. Elle eut soudain la pensée ridicule que s'il lui fallu fuir, les pauvres chaussures ne résisteraient pas longtemps à une course folle. Il lui plaisait de s'attarder sur des sujets futiles qui occupaient son esprit et retardaient les réflexions sur sa situation actuelle. Une modeste jeune femme, fuyant le foyer de ces parents après avoir offert son aide à quelques blessés syriens, victimes des Templiers. Ces derniers, qui l'avaient surprise, décrétèrent qu'elle usait de sorcellerie pour pouvoir la traquer librement et anéantir sa vie. Ce malencontreux épisode eut lieu à Masyaf il y a deux mois de cela. Mais les souvenirs n'en étaient pas moins douloureux. Inaya essuyait péniblement quelques larmes clandestines du revers de sa tunique et serrait les poings.
Elle franchit une des portes de la ville qui menait à une auberge situé un peu en retrait. En deux mois de fuite, la jeune femme avait apprit certaines règles utiles à la discrétion. Elle savait entre autre qu'entre vingt-et-une heure une et vingt-et-une heure quatre aucun garde ne surveillait les portes, puisqu'il s'agissait de la relève. Elle poussa la petite porte en bois de l'auberge, un vieil homme l'accueillit chaleureusement. Pour la moitié du prix d'une chambre, Inaya obtenu le droit de passer la nuit sur une banquette au fond de la pièce de réception. L'endroit était certes poussiéreux et les coussins inconfortables mais cela valait toujours mieux que d'avoir à passer la nuit dehors, pensait elle.
Le lendemain matin Altaïr se vit attribuer une mission, sa cible était un jeune templier nommé Guillelmus. Son statut allait sceller son sort à jamais, foulé le sol de Damas leurs étaient de plus en plus fatal. Etaient-ils idiots de venir ainsi se jeter dans la gueule du loup ?, se demandait fréquemment l'assassin. Non, ils devaient se raccrocher au peu d'espoir que leur offrait leur supérieurs, et penser que les membre de la confrérie ennemie étaient des incapables. Mais ce terme était étranger aux oreilles du maître assassin qui avait bien plus de sang sur les mains que n'importe quel bourreau.
Altaïr se rapprochait petit à petit de son but, qui avait apparemment l'habitude de séjourner dans une petite auberge près de la porte sud. Altaïr fit irruption dans la salle principale de la taverne, grâce à une fenêtre, laissée ouverte pour profiter de la fraîcheur nocturne. Une femme était assoupie sur une banquette au fond de la pièce. Son sommeil semblait agité. Le maître assassin prit toutes les précautions du monde pour passer inaperçu et se hissa à l'étage du dessus par la rambarde des escaliers, de peur que ceux-ci ne grinces. Ses sources étaient exactes, le fameux templier demeurait devant lui, dans une chambre au fond du couloir, il était encore endormi. L'assassin s'introduisit dans la pièce. Guillelmus poussa un long soupir, se tournant face à Altaïr, qui, telle une légère brise se déplaça de sorte à ne pas être vu. Il s'en était fallut de peu car l'homme commençait à battre des paupières. Mais à peine eut il le temps d'ouvrir les yeux qu'il sombrait déjà dans un sommeil profond ne promettant aucun autre réveil.
L'assassin essuya sa lame fétiche sur les draps immaculés et entama le chemin en sens inverse, glissant agilement sur le garde-corps en bois, se retrouvant nez à nez avec la jeune femme qui dormait quelques minutes auparavant. Sous la surprise la demoiselle tomba à la renverse et atterrit avec fracas sur le sol, essayant tant bien que mal de se raccrocher à tout ce qui se trouvait à porter de main. Malheureusement ce fut un échec cuisant, qui néanmoins eut le privilège de remonter un tant soit peu les commissures du maître assassin en un rictus moqueur.
Encore impressionnée par l'arrivée de l'homme qui lui faisait maintenant face, Inaya se releva sans détourner les yeux de son visage dont elle n'apercevait que les lèvres et le menton. Elle ouvrit la bouche et la referma instantanément pour enfin laisser échapper :
« Vous pourriez faire attention !
- Je vous retourne le reproche, répliqua-t-il d'une voix sombre, lorsque le gérant de l'auberge entra dans la pièce, horrifié.
- Assassin ! », hurla-t-il.
L'homme vêtu de banc se précipita alors à l'extérieur du bâtiment d'une rapidité surhumaine et disparu tel un coup de vent. Des templiers dévalèrent les escaliers de l'auberge avec balourdise pour suivre l'intrus. Quel ingrat pensait alors Inaya qui se hâtait de sortir, elle bénissait son voile d'avoir caché ses iris verts si reconnaissable, aux yeux des templiers, ce n'était pas courant en cette contrée. Elle avait les yeux de son père, un anglais. Ses parents lui manquaient terriblement, elle n'avait pas eu l'occasion de leur écrire depuis son départ précipité pour échapper aux templiers. Inaya espérait qu'il ne leur soit rien arrivé, mais son grand frère Adam les protégeraient, il lui en avait fait la promesse.
Grâce à l'assassin qui avait monopolisé l'attention de tous ses traqueurs, Inaya put passer les portes de la ville sans encombre et aller se fondre dans la masse. Un soupir lui échappa, une fois qu'elle fut sûre d'être en sécurité. C'était un combat perpétuel que de devoir se cacher, une angoisse sans trêve et l'appréhension que ça n'en finisse jamais. La jeune femme aurait fait n'importe quoi pour mettre fin à cette situation. N'importe quoi… Si elle devait fuir toute sa vie, autant servir à quelque chose. Inaya continua son chemin, ses pensées divaguaient dans une zone interdite. Un endroit de son esprit plus sombre que les autres, où jamais elle ne s'était permit de s'aventurer. Mais errer sans but ne pouvait plus durer. Son choix était fait, personne ne pourrait revenir dessus, pour la première fois de sa vie la jeune femme se sentait puissante, libre de choisir ce qui lui adviendrait, de son propre chef.
Elle tourna sur la droite, l'assassin filait à une allure incroyable. Inaya pressa le pas tandis que l'homme vêtu de blanc escaladait un bâtiment pour disparaître dans la cour intérieur de celui-ci. Comment allait-elle faire pour y entrer ? Peut-être pourrait-elle trouver une porte ? Mais la jeune femme fit trois fois le tour du bâtiment sans trouver aucun accès. Soudain elle sentit une main s'abattre sur sa bouche, une lame malicieusement dissimulé dans un protège avant bras de cuir, effleurer la peau de son cou. Inaya se figeât.
« Je décèle un manque affreux de discrétion jeune femme. Pourquoi me suivre ainsi ? Est-ce un templier qui vous envoi ?, questionna gravement l'assassin à son oreille.
Il desserra légèrement la prise sur sa bouche pour la laisser répondre.
-Comme vous l'avez si bien dit la discrétion n'est pas mon fort alors comment pourrais-je être une espionne ? J'ai autant d'intérêt que vous à fuir ces incapables.
-Ne joue pas l'insolente avec moi.
-Pourquoi se passage soudain au tutoiement ? Vous aurais-je intimidé assassin ?, la lame se fit tout de suite plus pressente contre sa gorge.
Inaya jouait, elle en était plus consciente que jamais mais il lui fallait cette monter d'adrénaline pour se prouver à elle même qu'elle était capable de lui parler d'égale à égale.
-Tu as une minute pour t'expliquer avant que je ne tapisse le sol de ton sang !, menaça-t-il.
-Je veux proposer mon aide.
-Le Credo n'a pas besoin d'une femme insolente, sans discrétion qui plus est. Retourne d'où tu viens !
-Pas même besoin d'une guérisseuse ? Je ne demande aucune paie pour les soins que je prodigue, simplement un toit et un jardin pour y planter mes remèdes. Ma proposition est sérieuse.
Altaïr reconsidéra la question. Un médecin ? Après tout, Al Mualim déplorait souvent son manque d'expertise en la matière.
-Suis-moi », déclara l'assassin. Il commença à escalader la façade du bâtiment.
Inaya, qui s'était arrêté devant le mur, arriva à la conclusion qu'il ne devait pas exister d'autre accès du tout. Elle entreprit de s'agripper comme elle le put mais lorsqu'il lui fallut lâcher la prise, pour aller en chercher une plus haute, son pieds dérapa. Elle faillit tomber mais se rattrapa in extremis. Inaya maudit intérieurement l'assassin qui avait déjà disparu de son champ de vision. Le maître assassin ne se rappelait pas que cette ascension fut un jour une réelle épreuve pour lui. Au plus loin qu'il pu se souvenir, escalader ces sept mètres ne lui avait jamais posé de problème. Il commençait à s'impatienter, quand il vit une main dépasser du mur pour se hisser de l'autre côté.
N'en pouvant plus, Inaya décida de sauter les quelques mètres restant, elle essayait de se convaincre qu'elle y arriverait et s'élança pour atterrir sans trop de difficulté. « Je suis meilleur pour tomber que pour escalader » se dit-elle ironiquement.
« Si le grand maître ne veut pas de ton aide, je te tuerais », annonça l'assassin avec indifférence.
Inaya ravala bruyamment sa salive, elle aurait dû mesurer l'ampleur de cette invitation. Mais il était trop tard pour revenir en arrière, le mal était fait, elle avait pénétrer leur base et maintenant elle se devait d'être accepté, ou elle mourrait. Toujours sur les pas de l'assassin, la jeune femme franchit un rideau de tapis persans pour entrer dans une petite pièce. Il y avait un vieil homme assis derrière son bureau où était éparpillés quelques livres et d'immenses cartes. L'assassin inclina légèrement la tête en marque de respect et déclara :
« Cette femme propose son aide à la confrérie en retour du logis. C'est une sorcière.
-Je ne suis pas une sorcière ! Ce sont les templiers qui en ont décidé ainsi pour me traquer !, s'écria alors Inaya, offusquée.
-Quel est votre nom ?, s'enquit le vieil homme.
-Je m'appelle Inaya Stormera.
- Bien, appellez-moi Al Mualim, je suis le gardien de ces lieux. Comprenez bien que le terme de sorcière n'est insulte que dans la bouche des templiers. Ici, il désigne quelqu'un capable de soigner par ces connaissances des plantes. Racontez-moi votre histoire, j'aviserai ensuite de votre utilité. Quels sont vos motivations à guérir les gens ?
Inaya prit une grande inspiration et se lança dans son récit :
-Pardonnez-moi de m'être emportée. J'ai soignée l'un des votre à Masyaf il y a deux mois de cela, il portait le nom de Nasir et les templiers l'avaient blessé à la jambe lors d'une mission. Mais ceux-ci m'ont surprise à la tâche et ont choisit de me traquer. Depuis, je fuis de ville en ville, espérant échapper à leur présence mais c'est en vain. J'ai décidé d'être utile, tant qu'à être pourchassé toute ma vie, autant servir une cause qui me paraît juste.
-Pourquoi vouloir sauver les meurtriers plutôt que les victimes ?, demanda alors l'assassin d'un ton presque agressif.
Al Mualim le toisa sévèrement du regard. Il désapprouvait sa question mais se tournait tout de même vers Inaya, curieux de sa réponse.
-Un assassin est robuste, il meurt moins facilement que ses victimes. Il y a toujours quelque chose à sauver. Il me semble que vos cibles sont bien trop mortes pour que je puisse y remédier.
Le vieil homme sourit tandis qu'Altaïr se renfrogna.
-Altaïr, peux-tu la mener à l'espace de repos ?, celui-ci hocha la tête et tourna les talons, Inaya sur ses pas.
Elle esquissa un petit sourire vainqueur. Le nom de l'assassin résonnait en elle comme une évidence, cela lui correspondait à merveille.
-Tu as de la chance », déclara-t-il, d'un ton qui sous-entendait pleinement qu'il n'était pas du même avis que son maître.
Inaya décida de ne pas répondre à cet affront. Elle le suivit dans les longs couloirs de la bâtisse. Par les ouvertures en alcôves situées sur son côté droit, Inaya pouvait apercevoir de jeunes assassins s'entraîner à l'épée dans la petite cours intérieure. Altaïr descendit les escaliers en terre battue qui menaient à l'étage inférieur. Il ouvrit une porte et entra dans une pièce où se trouvaient deux jeunes hommes. Ils étaient allongés sur des paillasses. On avait sommairement pansé leurs blessures la veille mais ils étaient encore affaiblit. Les apprentis assassins se blessaient facilement.
La brise s'insinuait par des ouvertures, soulevant les grands rideaux de tissus colorés. Inaya eut à peine le temps de jeter un bref coup d'œil aux blessés que l'assassin avait déjà disparut. Le message semblait clair. Elle s'agenouilla près d'eux et évalua l'ampleur de leur blessure. Heureusement il ne s'agissait que de plaies superficielles, rien de bien sérieux.
