Titre : Little People
Auteure : Tach-Pistache
Rating : M. M parce que... parce que tout en fait. TOUT se passe dans cette fic. C'est comme Glee mais en mieux. (quoique, à la réflexion, il n'y a pas de mariage. Bon, ça va, il me reste un peu d'espoir).
Disclaimer : Si on me donnait le choix entre posséder Homestuck et posséder un chien, je choisirai le chien, parce qu'au moins le chien n'est pas AFFREUSEMENT COMPLIQUE ET LONG (non pas de blagues sur la taille mon frère a quatorze ans j'en entends suffisamment tous les jours)
Un petit mot avant de commencer ? : Et bien d'abord bonjour à tous et à toutes, c'est parti pour ma fic de l'année qui comme l'année dernière est sur Homestuck et pas comme l'année dernière tourne autour de Karkat Vantas et Sollux Captor. Eh oui, je change. J'innove. Vous devriez en faire autant d'ailleurs, c'est cool l'innovation. Garnier l'a très bien compris et il en a fait des shampooings vachement chouettes.
Je voulais initialement poster ça sous forme d'OS, manque de bol il apparaît qu'en fait le truc fait déjà cinquante-cinq pages et que si je poste ça d'un coup, je vais perdre 50 pour-cent de mes quatre lecteurs, c'est à dire deux lecteurs, comme vous l'avez déjà deviné parce que vous êtes trop forts en maths.
Dans cette fiction, vous trouverez des vacillations de type noires/rouges, des crétins, des gens qui crachent du sang en quantité astronomique, pleinpleinplein de trolls, des commentaires ridicules et des insultes. Beaucoup. D'insultes. Et puis la REBELLION WOOO MOI JE KIFFE LES REBELLES !
Ah et aussi.
Fight Club AU. Sans rien en commun avec Fight Club que le club en lui-même et la REVOLUCION. POR QUE A MI ME GUSTA LA REVOLUCION. (et puis j'allais pas spoiler la fin quand même)
Enjoy !
Il est là. Apparu comme les autres apparaissent sous la lumière crue et la sueur d'animal. Quatre murs d'acier, un escalier, une chaleur humaine qui flotte et alourdit l'air qu'il respire. Petit, tout petit sous les cris des autres, plus grands, des putains de géants si quelqu'un voulait son avis (sauf que personne ne le veut parce que personne ne l'entend penser), avec des muscles d'éléphants et des peaux tannées par les ampoules de tous les garages moisis qu'ils ont traversés. Poussé avec rudesse dans l'arène.
Ce sera lui ce soir. Karkat se tient droit. Très droit.
Avant de se jeter sur lui, il l'épie. Tourne autour. Il sait à quoi il ressemble : à un lion qui fouille des yeux le troupeau pour trouver la proie malade qui ne le satisfera pas.
Une peau très pâle. Sans cicatrices. Sans traces de coup. Pas de bleu, pas de jaune, pas de rouge, du blanc et du luisant. Ses côtes triplent de volume lorsqu'il respire. Aucun combat pour mordre dedans, ouvrir de vieilles plaies, s'assurer une victoire honteuse à force d'observer. C'est un petit nouveau. C'est attendrissant, presque. Pas habitué au jaune des lampes qui vibrent et à la vieille couleur rouille du sol, parce que le sang mon petit c'est fait de fer, tu sais ?
Oh oui il sait.
Quand Karkat a fini d'observer son torse vierge d'histoires, il ferme les yeux et se concentre sur sa respiration. Entrée, sortie, entrée, sortie. Il imagine son cœur comme ces dessins dans les livres pour enfants. Le fil rouge, le fil bleu. Le sang qui fuse en grandes giclées jusqu'à l'infime bout de ses doigts pour les faire pulser et pulser, ça jusqu'à ce qu'il crève.
Il ne sait pas qui est ce mec. Il ne le connaît pas. Et il ne veut pas le connaître. Il n'a qu'un nom, qu'une définition, comme un personnage de jeu vidéo. Un ridicule personnage de jeu vidéo qui existe dans toutes les copies de tous les jeux vidéo.
Ce sale enfoiré sera son adversaire de ce soir.
Et sous les barrissements des colosses de pierre autour d'eux, Karkat s'avance et – se prend un putain de poing dans la gueule.
« Il a frappé avec les phalanges, ce fils de chien s'en sera pété au moins une ! » se dirait-il s'il n'était pas en train de se dire « bordel, il était là depuis combien de temps ? ».
Ses dents se referment sur sa langue, avec un CLAC et un bruit mouillé et chaud qui lui coule dans la gorge. Ca fait mal, ça le fait crier en silence, le bruit étouffé par les rires, mangé par les puissantes acclamations de leur public – ça les fait marrer, pas vrai, le gosse qui veut jouer avec les grands, le petit du coin, du sang plein la figure, assez pour noyer tout le son qu'il pourrait produire s'il avait décidé d'en produire un au lieu de balancer un genou dans le ventre de l'enfoiré d'en face.
Ses doigts sont blancs et couverts de sueur lorsqu'il les serre autour des cheveux de l'autre, noisette et sales, et sa jambe heurte – avec un bruit mat qu'il entend, oh, à peine, mais qu'il sent dans ses os comme une douleur bienfaisante – les entrailles de l'adversaire, qui se plie en deux. Son dos se déplie sur sa cuisse. Ses omoplates battent sous le coude de Karkat comme des ailes d'oiseau malade et il donne un coup de coude qui vient faire exploser ce point au milieu des vertèbres, celui qui lui arrache un cri sec et le fait se plier dans le sens inverse.
Karkat sent sa salive sécher sur son menton et sa langue palpiter comme un second cœur entre ses molaires encrassées par les glucides, les protéines, l'oxygène, les globules rouges, les lipides, les hormones, les nutriments, ces choses qui le font vivre et qui bouillonnent dans sept litres d'elles-mêmes.
L'autre s'écarte, genoux au sol, sa main droite s'étire et se referme sur les taches ocres du béton par terre et inconsciemment – et même pas si inconsciemment que ça – Karkat respire au rythme de cette main. Entrée, sortie, entrée, sortie. Il sent le fauve, il sent la rage. Il sent l'aveuglement total que provoque la douleur. Karkat connaît tout ça.
Il le laisse savourer le néant pendant deux secondes. Après, il avance, et attrape à nouveau ses cheveux, tord son cou à l'extrême, lui ouvre la bouche, dévoile ses dents. Il voit sur sa gorge les deux grandes artères qui filent jusqu'à plonger vers ses poumons, elles gonflent la peau, suintantes de sueur, encadrent la pomme d'Adam qui monte et tombe et Karkat voit avec un détachement surprenant cette main droite sur le sol former un poing qui file vers lui.
Quand son nez se brise – avec un bruit indéfinissable, comme une paume qui ripe contre du crépi et qui explose dans les moindres coins de sa tête – il entend l'enfant de sept ans qu'il a été un jour se mettre à sangloter.
Aussitôt l'air fait des bulles rouges dans ses narines. Sa face n'est plus qu'une bouillie de vaisseaux sanguins qui agonisent. Il les voit presque palpiter à l'air libre, comme des ailes de papillons mourants.
« Putain, est-ce que c'est vraiment le moment pour les métaphores poétiques ? »
Crevez, murmurent les poings osseux de l'adversaire aux débris de son visage. Crevez tous. En bons soldats, ils les achèvent. Pas de pitié. Des os contre des os, des os contre de la peau. Karkat ne sait pas s'il reste quelque chose à détruire sur son visage. Il n'entend plus que des chocs humides quelque part, entre ses tempes.
Et l'ampoule jaune qui bave sur tous ces géants, tous ces Goliath de pierre qui hurlent.
Son cœur bat à toute vitesse. Le sang gargouille dans son ventre. Il le contracte par saccades avec de la bile amère et envoie toutes ces phéromones de rage et d'extase (endorphine, lui signale son cerveau à peine conscient, le mot que tu cherches, c'est endorphine) pour lui faire croire que la douleur n'existe pas. Mais elle existe, et Karkat la sent aussi lorsque son talon écrase l'aine de l'adversaire, lorsque son tibia lui rentre dans les côtes et le jette à terre et lorsqu'il manque se briser les doigts sur le sol quand il les fait claquer en un poing saignant contre sa mâchoire.
L'adversaire est vivant sous ses coups, terriblement vivant même, et si vivant que son sang fuse sur sa joue et que Karkat voudrait mordre dedans, cesser d'être humain, cesser d'avoir ces bras et ces jambes et ces morceaux de chair durcie par les plaies pour ne plus être qu'une bête qui mord. L'autre le veut aussi. L'autre veut tuer. Il veut tuer. Ils veulent voir ce qui bat dans leur ventre mou de mammifère éparpillé par terre. Tout va bien dans le monde et il
regarde le visage de l'adversaire.
Perte de connexion.
L'adversaire a des cheveux noisette. Jaunes et verts et bruns et salis par le temps. Coupés court et pointu autour de ses tempes. La sueur les rend poisseux. Leur éclat est un éclat malade.
L'adversaire a un regard de pierre sous ses larmes. L'adversaire a deux yeux et deux prunelles que l'ampoule jaune réussit à saloper, une turquoise souillée de sang séché et un gouffre sans fond dans l'ombre de son nez ruisselant. Sa vie s'échappe par ses narines. Sa gorge s'ouvre et se ferme. Karkat sait qu'il manque d'air.
Lui aussi manque d'air.
Les poings crispés de l'autre lui paraissent soudain trop petits, son dos trop doux, trop mince, trop jeune, et il a l'envie, l'envie de se lever et de taper du pied, hurler que c'est injuste, et qu'il ne mérite pas ce genre d'humiliations, qu'il a foutu par terre des adultes trois fois plus grands que lui et que ça, ça ne se fait pas.
Les géants rient toujours autour de l'arène, colonnes de bronze à l'odeur de meurtre. Ils jettent deux gosses dans la fosse pour voir leurs dents toutes neuves voler en éclats et c'est drôle, et ça prouve, et ça forge, oui ça forge tout le fer qui flotte dans leur sang en flaques homogènes sur le béton du garage en lames de rasoir, en bouts d'acier.
L'adversaire a quinze ans tout comme lui et là Karkat se demande ce qui l'a poussé à venir au Fight Club.
L'alcool, la drogue, la violence dans ses entrailles, l'envie de faire ce geste qu'il a vu à la télé et qu'il sent dans ses bras, la frustration, la vengeance, l'envie de gloire, l'envie d'horreur, la tristesse, la fille du mois, la solitude qui fait comme un trou là où devrait battre un cœur métaphorique fait pour ressentir une paix et une joie profonde dans les choses infimes de la vie.
« Pourquoi vient-il ? »
Non vraiment ça ne se fait pas.
Un peu plus de sang qu'il crache, avec un gargouillement infâme, et s'il ne s'écarte pas tout de suite il va faire un truc dégueulasse impliquant son petit-déjeuner et tout ce qui peut encrasser sa gorge en ce moment-même. « Il faut en finir d'abord », se dit-il, parce que s'il n'en finit pas d'abord, l'autre va s'en occuper, le faire à sa place.
Il lève le bras. Sa peau est faite de bois et de saleté. Les épaules de l'autre garçon – l'adversaire, le pauvre abruti au crâne trop dur ou trop rempli de merde pour que la moindre pensée rationnelle ne le traverse et qu'il ne crie l'arrêt du combat – sont rouges, oranges et pâles, en toutes petites taches comme une galaxie, fragiles aussi, et il est prêt à les émietter l'une après l'autre pour la foule d'éléphants hurleurs s'il le faut.
Il voit venir le coup du garçon – l'adversaire – avant que ce dernier n'y pense.
Il voit le futur dans six secondes. Il voit qu'ainsi tordu son flanc est exposé et que tout bon chasseur sait que quand le flanc est exposé, il faut foncer, et le garçon – l'adversaire – est encore assez ivre de ses propres coups pour posséder les instincts dudit chasseur. Il voit ces épaules blanchâtres onduler, tirer la peau et son coude lui éclater deux côtes flottantes, avec une vision écœurante d'os qui percent la peau parce que pas de chance, la côte se brise dans le mauvais sens.
Des semaines à l'hôpital. Une défaite écrasante. Une douleur suffisante pour l'envoyer dans le noir pour des jours. Des monstres indiens cent fois plus gros que lui qui le voient agoniser sous une foutue ampoule jaune. Merde, il pourrait même crever dans cette foutue arène. Une dernière image de Karkat Vantas pissant le sang par le poumon dans un garage moisi, s'étranglant dans sa propre sueur, bile et salive, écrabouillé par un mec de quinze ans. Quelle classe. Belle épithète sur la tombe. Ici gît Karkat Vantas, un pauvre abruti qui allait taper la gueule d'autres abrutis dans des parkings. Amen.
Et dans ce futur de six secondes Karkat ne fait rien parce que quelque part il se demande toujours – bordel, pourquoi est-ce qu'il vient ?
Il retrouve les yeux de l'adversaire malgré lui. Il pourrait en finir tout de suite. Il lui écraserait l'arcade sourcilière. Ca fait mal, une arcade défoncée. Il lui restera tout juste assez d'énergie pour l'envoyer au tapis et ils mourront tous les deux de douleur. Le garçon – l'adversaire ! – comprend en même temps que lui. Ils se regardent et ils se regardent encore et rien ne se passe. Cette impasse de merde.
« On n'a plus qu'une solution », semblent dire les yeux de l'autre. Les siens répondent « non, vraiment ? ». Et ceux de l'adversaire roulent dans leurs orbites avec un soupir irrité et une voix étrangement impersonnelle « commence pas à me gonfler, c'est pas le moment ».
Joie des dialogues visuels.
Alors, déformés, bavant, brisés et vivants, ils se crachotent « stop » dessus. A peine assez fort pour que l'un des phacochères de bronze les entende et mugisse un ordre à l'infirmier de la soirée. Une myriade de gouttelettes amères s'écrase sur la poitrine livide du garçon – ce putain d'adversaire. Il va lui vomir dessus. Karkat se lève en chancelant. L'air brûle ses narines comme un bain d'acide. Il ne sait pas vraiment s'il est debout, assis, ou en train de voler dans un putain de nuage en sucre façon Mary Poppins.
- Vous étiez géniaux, les gars. Il faudra que vous vous battiez plus souvent ! crie quelqu'un dans la foule et si Karkat avait de l'énergie à gaspiller, il aurait levé les yeux au ciel.
L'ampoule jaune devient plus jaune et le noir devient plus noir. « C'est pas bien rassurant », se dit-il vaguement. L'un des géants le porte comme s'il ne pesait rien. Son cœur a déménagé sur sa face. Il y bat très fort et à chaque battement envoie des décharges de douleur qu'il finit par ne même plus recevoir tant il y en a.
On lui plaque un t-shirt trempé dans l'eau froide sur le nez. Il hurle. On appuie davantage et il se dit avec effroi que s'il ferme les yeux il ne va jamais les rouvrir. Donc, il les laisse ouverts. Le t-shirt a une odeur infecte. Le peu qu'il en voit est rouge. Ou gris. Il ne sait pas trop. Il finit par l'arracher de son visage et il ne sait pas ce qui fait le plus mal, l'eau ou l'oxygène dans son nez à vif.
Il bat des paupières. Il voit rouge dessous. Rouge et jaune. L'éternelle ampoule. Deux adultes se battent là où ils se sont battus. L'un est flou, l'autre est par terre. Sa tête brûle. Sa chaise tremble. Le plafond fond. Le garçon, l'adversaire, peu importe maintenant parce que c'est fini, pas vrai ? Karkat le regarde. Ses yeux sont clos. Il est peut-être mort. Ben voyons. Bien fait pour sa gueule.
L'autre se réveille, pour l'énerver, probablement. Il ne voit que l'ampoule dans ses iris. Pas de froideur, pas d'émotions, pas de vie, juste cette putain d'ampoule jaune qui taille les ombres avec les muscles des hommes. Pendant quelques secondes, ils se regardent, et Karkat remarque que des traces bleues de la taille d'une assiette s'étalent sur sa peau livide. Premier combat. Même pas une défaite. Même pas une victoire.
Il va falloir traverser la moitié de la ville à pied pour rentrer chez lui maintenant. Il n'en aura jamais la force.
Cette pensée en finit avec lui. Karkat monte les escaliers du garage en courant, pousse la porte d'un coup d'épaule, et se plie en deux sur le trottoir. La certitude que le garçon de quinze ans le regarde toujours – une turquoise dégueulasse, une tache de rouille, l'ampoule du Fight Club dans les deux – sert de coup de grâce. Il vomit tout le sang qu'il a avalé et les restes une tartine de confiture qu'il a ingérée dix heures auparavant.
Le sang ne se digère pas, se souvient-il. Tant mieux alors.
Karkat lève les yeux de son test de biologie avant tout le monde. Il a un A, comme d'habitude, parce que la biologie, ça l'intéresse. Il n'est pas idiot. Il est même ce que les autres appelleraient un intello s'il ne leur avait pas foutu son poing dans les reins avant. Et les professeurs alignent les bonnes notes sur son carnet et contemplent avec incompréhension son nez douloureux, ses yeux noirs, ses lèvres enflées, les insultes qu'il déchiquète avant de recracher.
Il hume l'air. Ses narines se dilatent et ses vaisseaux sanguins fraîchement reformés manquent exploser sur son test. Ce serait bête. Ou non en fait il s'en fout.
Il y a quelque chose dans l'air. Un courant frais. On a ouvert la porte du couloir. Il y a deux classes dans ce couloir et la deuxième n'est pas utilisée. On va entrer ici.
Et là un poids tombe dans le ventre de Karkat parce que, quelque part, il sait. La vie c'est un peu comme dans les films. La porte s'ouvre, la lumière entre, la caméra se concentre sur l'ombre qui se détache alors du cadre, il regarde l'intrus, gros plan au ralenti sur leurs deux visages ébahis et normalement un ukulélé devrait jouer à ce moment, sauf que ce n'est pas le cas. Au lycée, pas de musique. C'est interdit.
Alors parce que le monde s'amuse à l'énerver, la porte s'ouvre dans le silence le plus pâteux, le plus épais, le plus silencieux, le plus absolu. Parfait pour que les autres observent dans les moindres détails ses réactions face à l'inconnu.
Karkat ne connaît pas le garçon qui entre. Il ne l'a jamais vu. Ils ne se sont jamais, jamais croisés de leur vie. C'est la première fois qu'il voit ces cheveux noisette et cette paire de lunettes ridicule qui cache ses yeux une turquoise dégueulasse une tache de rouille et cette pommette violacée, suintante, rouge et jaune comme une pensée. Une foutue pensée.
Les gens la fixent, cette pommette, puis se tournent vers lui puis reviennent sur la pommette et reviennent sur lui en ayant l'impression d'avoir compris le sens de l'univers. «Bravo, sacs à merde, je vous applaudirais bien fort si j'avais le peu d'estime que cela requiert envers vos pauvres carcasses que vos mères ont vomies un soir pour lever mes mains d'une autre manière qu'avec le majeur dressé vers le Ciel que vous n'atteindrez jamais, mais je ne l'ai pas. Quel brillant raisonnement uniquement basé sur le visuel et vos préjugés. Les scientifiques du monde entier en pisseraient sur vos tombes de rire. Seigneur Dieu, protégez-nous de toute cette violence, j'ai des coups, il a des coups, ce doit être le destin, ils se connaissent sûrement ! Incroyable ! », leur dit-il, mais dans sa tête.
Surtout qu'il ne connaît pas ce garçon. Non. Jamais vu.
Mais ses lunettes traînent quelques secondes de trop sur son bureau, des secondes que même les sacs à merde cités précédemment peuvent intercepter, et Karkat essaie discrètement de froncer les sourcils et de lui dire que non, ils ne se sont jamais vus, et qu'il ne sait pas de quelle couleur sont ses yeux, et qu'il n'a rien – rien, vous entendez ? – rien à voir avec cette pommette écrasée et son dos douloureux.
Il ne sait pas qui est ce garçon et il le découvre pour la première fois. En plus c'est vrai, dans un sens. Il découvre ce garçon presque peigné, les deux boucles d'oreilles qui lui percent le tragus et le lobe droit, ce manteau noir, jaune, bleu et rouge d'idiot, de nerd qui couvre une infinité de bleus et de taches de rousseur – merde, non, en fait il n'en sait rien. Ce gars a des taches de rousseur ? Aucune idée. Il n'a jamais vu son dos. Jamais connu. Première rencontre. Tourne la tête, idiot.
Le directeur le suit. Tout le monde se lève. Il est habillé en noir, comme tous les directeurs, se dit-il distraitement. Le garçon baisse la tête mais – et il le sait, il le sent sur sa peau qui lui envoie des émotions-fantômes, des sensations dans les mains comme s'il frappait quelqu'un avec ses nerfs – il le regarde toujours, un peu en coin, un peu incertain.
Bordel il y a des règles dans ce genre de clubs !
Karkat se fige lorsqu'il se rend compte qu'il va apprendre son nom. Il va apprendre la courbe de son visage et il va apprendre ses tics, ses manies, ses sons. Il va peut-être même apprendre son adresse. Et ça, ça ne va pas. Ca ne va pas pour la simple et bonne raison qu'il va revenir au Fight Club et que le but même de ce Fight Club c'est de se battre, et que Karkat – Karkat nourri à l'émotion télévisuelle depuis ses trois ans – ne va pas se battre avec quelqu'un qu'il connaît. Il va perdre sa rage, il va perdre l'envie de combattre, et il n'aura plus rien à quoi s'accrocher, plus d'espoir, rien du tout. Il ne viendra plus. Parce qu'il connaît. Ce gars. Connard.
Putain. Putain de bordel de merde, même, ouais, carrément.
- Bonjour à tous, fait le directeur (un vague bonjour collectif lui répond). Asseyez-vous, asseyez-vous (raclement de chaises et bruissements de soulagement). Aujourd'hui nous accueillons un nouvel élève… Mademoiselle, s'il vous plaît, le portable en cours, interdit (la fille proteste, il secoue la tête, elle lui donne son portable en grognant). Donc, je disais ? Un nouvel élève dans l'école. Il arrive un peu tard dans l'année et je tenais à m'assurer que vous lui ferez bon accueil. Voilà, vous pouvez vous présenter à la classe, Monsieur…
Karkat ferme les yeux et se bouche les oreilles aussi discrètement que possible. Il ne veut pas savoir.
- Sollux. Sollux Captor.
Ca ne marche pas.
La classe étouffe un rire moqueur pendant que Karkat se maudit d'être allé en cours. Sa voix, celle du garçon, enfoiré de Sollux Captor, est blasée. Habitué à chuinter son nom plus qu'autre chose. Naître avec un nom sifflant lorsqu'on ne peut pas le prononcer doit être le fait du destin qui s'ennuyait un soir et s'est dit « tiens, je vais faire chier un gamin pour le restant de ses jours », et quelque part, ça le fait rire. Mais pas à voix haute.
- Il partagera vos classes pour le reste de l'année. Je compte sur vous pour qu'il se sente à l'aise.
Le directeur le gratifie d'une tape paternelle sur l'épaule et s'en va comme il est venu, en noir et à pied.
- Tu peux dire Mississipi ? demande un garçon au premier rang et la classe éclate de rire. La professeur rougit de honte, baisse les yeux. La pauvre femme ne sait pas quoi répondre. Elle enseigne bien, mais n'a aucune compétence lorsqu'il s'agit de diriger une classe.
- Mississipi.
Il le prononce à la perfection. C'est plus fort qu'un majeur levé à toute la salle. Karkat se met soudain à regretter ce Fight Club et cette soirée passée à éponger le sang en petits filets sur les trois-quarts de son visage. Ca aurait pu être drôle de se connaître. Pas de chance ils ne se croiseront jamais, ils ne se parleront jamais, et on ne fera jamais de lien public entre eux autre que leur camaraderie forcée. C'est comme ça.
Il s'assoit deux places plus loin. Sur sa nuque rampe, bourgeonne et éclot un bleu violet gonflé de la taille d'un poing. Karkat le regarde. Continue à le regarder. Il a un jardin de bleus sur le dos, il le sait, enfin il le saurait sûrement s'il le connaissait.
Sale enfoiré de Sollux Captor.
Quand Karkat se demande depuis quand il traîne avec Gamzee Makara, il se rend compte qu'il ne sait pas. Il a toujours été un peu là. Il lui semble revoir un visage de gosse couvert de boucles noires et ses joues couvertes de feutres, et un garçon maigrelet aux yeux trop brillants, à courir après son frère et jouer avec ses poupées dans un coin. Mais ses camarades lui disent qu'il n'est là que depuis trois ans et temporellement ça coince.
Karkat ne se demande donc pas trop depuis quand il traîne avec Gamzee Makara.
Ce mec n'est pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un ami. Ils ont du mal à avoir une discussion normale. Gamzee perd le fil très vite. Karkat n'a pas envie de répéter. Ce n'est pas excellent niveau communication.
Néanmoins, lorsqu'ils n'ont pas cours, ils vont ensemble acheter quelque chose au supermarché et le manger sur le muret à côté du pommier, à trois-cent-vingt-six mètres du lycée. La nourriture et les cigarettes aidant, Karkat sait pas mal de choses sur Gamzee. En fait non. Il en sait trois. Il n'y a que Gamzee pour essayer de faire croire à tout le monde que c'est toute sa vie qui peut être condensée dans ces trois trucs. Karkat et lui ne doivent pas être assez proches pour qu'il lui balance tout ce qu'il vit, et, très franchement, ça ne le dérange pas.
La première chose qu'il sait c'est que Gamzee a une sale vie. Mais ça, pas besoin de parler au gars pour le savoir, c'est quasiment tatoué sur son front, sa maison pourrie, sa famille inexistante, ses notes fluctuantes, son terrible environnement humain, ses mauvaises habitudes alimentaires, son sommeil erratique, et plus encore. Gamzee Makara vit dans le plus gros bordel social de la planète et Karkat trouve ça assez impressionnant.
Il rit de tout ça. Mais Karkat se demande des fois s'il ne se sent pas un peu seul, la tête dans la merde. C'est pour ça qu'il rit. Enfin, il pense.
Stupides émissions télés où le héros se doit d'être gentil avec les gens seuls ! Des fois Karkat reste avec Gamzee parce que quand il réussit à faire un beau tableau à double-entrée (comme en sciences, car il aime la science) où sont regroupées toutes les merdes qui lui tombent dessus depuis qu'il a sorti sa sale tête de drogué du ventre de sa mère, oui, il le prend en pitié. Voilà. Une pitié qu'il n'arrive pas à expliquer. Une pitié pâle qui des fois lui donne envie de serrer cet abruti fini contre lui et de se dire qu'il sera toujours là pour lui et que l'inverse sera toujours vrai aussi.
Mais il ne le fait pas, parce qu'il ne peut pas comprendre, il n'est qu'un sale huma – quelle connerie bien sûr qu'il est humain.
De quoi il parlait déjà ? Ah oui, de sa tanche de meilleur ami.
Il sait aussi que Gamzee est loin, oh, très loin d'être con. Loin d'être faible aussi. Certes ce qu'il fume au petit-déjeuner a dû lui griller quelques neurones depuis le temps, et il n'a pas l'air d'avoir une once de muscles dans son corps d'épouvantail, mais Karkat a passé suffisamment de temps avec lui pour capter par bribes une réflexion profonde, un regard acéré, une rage froide qu'il ne comprend pas. Gamzee fait peur. Gamzee est putain de terrifiant.
Des gens dans la cour disent que sa famille est tarée depuis trois générations. Bains de sang dans la cave, poupées vaudous sur les murs, des mecs au crâne explosé dans les rues de la vieille ville et des battes pleines de sang retrouvées dans leurs tiroirs. Des malades.
Et depuis la première fois qu'il l'a vu foutre sa tête dans le nez d'un autre gars, et continuer, pas comme au club, mais continuer avec l'envie d'en finir et d'en finir salement, sans rien y chercher pour lui, juste pour voir souffrir – Karkat a décidé d'y croire et de sagement ne jamais essayer de se mesurer à lui.
Mais ça va, lui, il n'a pas trop de problèmes avec ça. La plupart du temps, c'est à peine si ce crétin d'idiot stupide se tient droit et ne trébuche pas dans ses lacets. Parce que Gamzee, quel con, vraiment, il ne sait pas faire ses lacets. Parfois, Karkat les lui fait en marmonnant comme s'il était sa mère et Gamzee sourit, tout heureux, cet enculé, et Karkat soupire. Quel terrible meilleur ami.
La troisième chose qu'il sait à propos de Gamzee c'est, bordel, qu'est-ce qu'il est chiant quand il parle de Tavros !
Tavros c'est, il ne sait pas, un genre d'Ange du Seigneur il suppose, une fée, celui qui sait tout de Gamzee, avec lequel il peut avoir une discussion qui tient la route, qui peut entrer chez lui tranquillement sans se faire égorger par ses malades de parents, ce genre de choses. Comme s'il avait un genre de pouvoir magique qui lui permettait d'éviter la crasse que toute la famille Makara laisse dans son sillage. Littéralement.
Karkat a vu Tavros une fois. C'est un idiot balbutiant dans une chaise roulante parce que son ex-petite amie, une connasse à lunettes, lui a écrasé les jambes en voiture à neuf ans. Son père crée des monstres génétiquement modifiés. Tavros en a plein en photos dans son sac de cours. Il les trouve mignons.
Sérieusement Gamzee. Sérieusement.
Et il est là à en parler avec des étincelles dans les yeux, et la voix toute chantante, et les mains qui battent dans l'air – dans les romcoms il y aurait déjà le violoncelle en fond et ils chanteraient des duos passionnés chacun à l'autre bout du monde mais en même temps malgré le décalage horaire évident. On ne la fait pas à Karkat Vantas.
Les problèmes d'être une brute de quinze ans dans un Fight Club illégal et d'avoir avalé des années de films romantiques les quatorze premières années. Karkat Cyrus, fleur fragile le jour, connard la nuit. Fabuleux.
En parlant de Fight Club.
« Oh non merde pas encore. »
- Tav m'a dit, enfin sa meilleure amie, Aradia, c'est ça ? Il m'a dit que son fils de pute de petit ami – à Aradia, hein, pas à Tav, parce qu'il n'est pas gay, pas que ça m'intéresse, hein –, il pose plein de questions sur toi.
Sollux Captor. L'adversaire. Cet enfoiré de Sollux Captor adversaire ! La cheville qu'il lui a broyée le week-end passée est rouge et pulse, fait ramper la douleur le long de sa jambe. Il a l'impression d'avoir ses cheveux dans sa main s'il la ferme assez fort. C'est un contact qui crispe tous ses muscles et retourne son estomac, comme du dégoût quand il trouve son sang sur son palais.
Ca fait rire les autres. Un gosse de quinze ans qui veut se battre contre les grands, c'est drôle, mais deux dans le même club, c'est Noël avant l'heure ! Karkat n'affronte plus que cet enfoiré. C'est toujours, toujours lui, les bleus qu'il lui cause, la chaleur de son ventre, son poids sur ses poumons, ses os qu'il brise, son odeur dans sa gorge, âcre, salée, celle de l'acier que l'on lèche.
Au lycée, au Fight Club, entre ses amis, dans sa bouche, dans sa tête. Sollux Captor est partout.
Ca commence à lui taper sur les nerfs.
- Rien à foutre. J'en ai jamais eu quelque chose à foutre. Mon niveau de foutitude reste inchangé, zéro polaire, calme parfait, les maîtres Zen du monde entier se prosternent à mes pieds. Ce petit phrénologue de mes deux me laisse de marbre, ça se voit. Tu vois ? Une putain de statue grecque.
- Un problème avec le fils de pute ?
- Je ne peux pas me le blairer.
- Vous vous voyez jamais, pourtant.
- En classe, il me gonfle, c'est tout, marmonne-t-il. Tu l'as pas vu ?
Oui, il ne l'a pas vu, en cours, cet enfoiré de Sollux Captor ? Cette manière de répondre aux professeurs et aux autres qui le font chier parce qu'il chuinte la moitié de ses mots ? Les piques qu'il lance, les regards qu'il fait traîner par inadvertance sur sa table ? Les notes impeccables qu'il obtient en travaux pratiques de physique-chimie ? Cette façon d'être toujours seul, distant et comme coupé du monde alors que Karkat ne comprend pas cette apathie, parce qu'il le voit le soir, qui se bat pour ne pas crever comme un chien dans un parking, et qui vit tellement que ça en devient beau.
- Ah bon.
S'ensuit un moment de silence où Karkat prend le temps de se demander si Gamzee a compris quoique ce soit. Ce ne serait pas étonnant. Ca s'entend dans le ton qu'il prend. Ah le connard, trop intelligent pour son propre bien. Heureusement, il lui manque cette donnée essentielle qu'est le Fight Club et les coups qui s'étalent sur leurs côtes. Il ne pourra jamais rien faire sans ça. Karkat est un peu soulagé. Il n'a pas trop envie que Gamzee sache.
- Tu me le dis, si ce fils de pute décide de trop ramener sa gueule ou de faire un truc de travers envers mon super meilleur ami, hein ?
- Bah, tu crois que je vais me laisser faire ? Non, je ne vais pas me laisser faire. Je suis pas du genre à me laisser faire. S'il s'approche de moi, je lui fous un retourné acrobatique dans sa gueule et je me casse à l'autre bout du pays partager la vision écœurante d'autres abrutis congénitaux mais avec la satisfaction de ne plus partager la sienne.
- Pas la peine de te mettre dans des états comme ça. T'es mon meilleur ami, fils de pute. Je trouve ça vachement bien que tu t'amuses avec d'autres mecs comme ça. Quasiment miraculeux. C'est beau, la vie, tu trouves pas ?
Karkat regarde Gamzee qui étouffe un sourire dans sa cigarette.
- T'as rien compris en fait, pas vrai ?
- Ouais, ouais, sûrement, bro.
Les conversations avec Gamzee ne vont jamais bien loin de toute manière.
Mais elle lui trotte dans la tête et elle finit par s'y coller comme un vieux coup de crayon qu'on arrive jamais vraiment à effacer. Partout où Karkat pose le regard, s'il croise les foutues lunettes de Sollux Captor, ces quelques phrases résonnent à ses oreilles et il a envie de s'approcher, de le prendre par le col et de lui faire passer l'envie de poser des questions à son sujet.
Dieu qu'il le déteste ! Il n'a jamais détesté quelqu'un comme ça. Il a détesté des gens c'est sûr. Comme tout le monde. Non en fait un peu plus que tout le monde, mais là n'est pas le sujet, pas vrai ? Le sujet c'est ce foutu Sollux Captor, cet enfoiré, mon Dieu qu'il le déteste. Il l'a détesté la première fois qu'il l'a vu. Tout ça, ça s'est joué dans ses entrailles. Quand il a vu ses yeux une turquoise rouillée une tache de sang, entrée, sortie, entrée, sortie. Quand il a cessé d'être un adversaire pour devenir quelqu'un.
Maintenant quand ils se battent – Karkat a mal, bordel, Karkat souffre sur le sol en acier du garage, et un géant en sueur s'amuse à lui foutre des coups de pieds pour qu'il se relève plus vite et qu'il se jette sur cet enfoiré de Sollux Captor d'adversaire – maintenant quand ils se battent – Karkat le plaque au sol et lui tord le bras, et ses ongles dérapent sur dix centimètres en traces rouges et luisantes comme des tiges, comme du lierre, et Karkat veut juste lui faire cracher ses dents, qu'il crie, qu'il fasse cesser le combat – maintenant quand ils se battent – Sollux se tord sous lui, il brûle, ses coudes essaient de frapper sa tête puisqu'il a réduit sa main en une compote rouge et battante qui pend inutile à son poignet – Karkat voit un être humain.
Et il le déteste si fort.
« Pourquoi il vient ? » Karkat ne sait pas pourquoi il se pose encore la question.
Il est tellement vivant. Quelque part c'est rassurant. C'est nouveau. Ca le terrifie presque. Il se dit qu'il n'a jamais appris le nom des autres combattants. Il a toujours un peu pensé que le nom rendait vivantes les choses. On pouvait les définir, les appeler. Il peut appeler Sollux Captor quand il veut. C'était plus simple après pas vrai ? L'histoire s'enchaînait d'elle-même. Il nomme l'adversaire, il le connaît, il bouffe sa peau presque tous les soirs, il en vient à le haïr et le haïr tellement, il ne comprend pas.
Et lui, il le connaît aussi, pas vrai ?
Le soir où Karkat se rend compte de ça, il ramasse une de ses prémolaires par terre avec le bête sentiment de faire un cauchemar. Elle est toute tachée de sang. Elle ne repoussera plus jamais, se dit-il avec effroi, et sa langue passe sur le trou qu'elle a fait. Il trouve ça horrible alors que c'est con. Des fois il fait des rêves qu'il perd ses dents et qu'elles ne reviennent pas parce qu'il est adulte. Paraît qu'il rêve de mort dans ces cas-là.
C'est drôle. Sous l'ampoule jaunâtre qui dégouline, alors que deux autres gars s'avancent pour se battre, il serre sa dent perdue pour toujours dans sa paume dégueulasse comme un petit enfant. Sollux Captor le connaît. Sollux Captor ne connaît que lui ici. Sollux Captor peut le nommer. Sollux Captor doit le trouver vivant.
Et cet enfoiré lui a pété une dent.
Ils se rejoignent pour récupérer leurs t-shirts et leurs possessions. Sollux Captor remet ses piercings en place avec une grimace de douleur. S'il les gardait pour se battre, il lui aurait arraché la moitié de l'oreille. C'aurait été dégueulasse. Instinctivement, Karkat repasse la langue sur le petit trou saignant dans sa gencive. Il n'a plus de dent. Ca ne s'imprime pas très bien on dirait.
Ils se regardent un instant. Karkat a toujours sa prémolaire dans la main et Sollux Captor met un t-shirt noir un peu crade à manches longues pour cacher l'état de ses bras. Il ne peut rien faire pour son visage par contre. A part une cagoule peut-être. Un truc bien discret.
Karkat sent cette vibration animale et vivante pulser dans son ventre. Il connaît Sollux Captor. Sollux Captor est un être humain. Il l'a vu saigner, souffrir et crier. Il l'a vu dans l'état le plus vivant de la vie entière. Il l'a vu survivre. Il l'a vu se débattre pour continuer à voir le jour. C'est la plus belle preuve d'amour de la vie du monde.
Karkat est triste soudain. Haineux et triste.
« Pourquoi est-ce qu'il vient ? » Il se le demande quand même parce qu'il aimerait bien comprendre.
- Tu veux qu'on sorte t'acheter des pansements ou tu préfères rester planté là pour la soirée ?
Karkat a une dent dans la main, Sollux Captor dans les yeux, une proposition de sortie de la part d'un mec qu'il tabasse avec joie tous les soirs lorsqu'ils devraient faire leurs devoirs comme de gentils petits garçons de quinze ans.
Ca fait beaucoup d'un coup.
- Ok, répond t-il, parce qu'il ne sait pas quoi répondre de subtil, d'intelligent et de moqueur tout à la fois, peut-être avec quelques insultes et métaphores bien placées.
La femme qui s'occupe de la pharmacie voit d'un mauvais œil les deux garçons boiteux qui entrent dans sa boutique en laissant des traces rouges sur leurs vêtements. Sollux Captor achète du désinfectant et des pansements, et une boîte d'antidouleurs pour les migraines, qu'il avale sans eau. Karkat Vantas prend seulement une boîte d'Ibuprofen parce qu'il n'a plus assez d'argent. Ils partagent leurs achats sur un mur à côté du vendeur de bières. Karkat vomit à un moment. Sollux lui tapote vaguement les cheveux dans un grand geste d'amitié qui les lie pour toujours. Ils ne se battent pas parce qu'ils sont déjà K.O.
Tout va presque bien, se dit Karkat, et il garde la dent dans sa poche.
Il ne connaît toujours pas Sollux Captor. Enfin.
Gamzee sait qu'il connaît Sollux Captor. Ce sale drogué et ses idées de miracles. Il fait croire à tout le monde qu'il ne voit rien et que tout va bien dans sa vie, et quand Karkat y croit, paf ! Il dit quelque chose de terriblement intelligent et en bref, Gamzee a deviné. Ah, le salaud.
Aradia sait qu'il connaît Sollux Captor. Ils sortent plus ou moins ensemble, elle a dû remarquer. Et elle a ces yeux. Ces yeux bizarres qui ont l'air d'avoir vu des choses qu'il n'a jamais vues et qu'il ne veut d'ailleurs jamais voir. Ces yeux vivants – très vivants, et même trop vivants.
Il est entouré de cinglés. De cinglés, je vous dis.
Tavros doit être au courant aussi, car il fait très attention aux gens, mais a la politesse de faire semblant lorsque la discussion tombe sur ce sujet. Karkat se fout un peu de Tavros et se fout un peu de son avis. Mais il apprécie le geste et du coup, il apprécie le garçon. De toute manière, même s'il avait dit quoique ce soit, Karkat n'aurait rien pu lui faire en retour. Il a beau être violent, il n'est pas ce qu'on appellerait un gros connard et il n'irait pas taper sur un handicapé.
Et puis Gamzee le tuerait et, après mûre réflexion, il se dit qu'il vaut mieux éviter ça.
Et après ? Personne d'autre ne sait qu'il connaît Sollux Captor. Du coup, comme trois personnes, ça fait peu sur sept milliards, il peut affirmer sans trop se tromper (et qui viendrait le contredire de toute façon) que personne ne sait qu'il connaît Sollux Captor, et que c'est presque comme s'il ne le connaissait pas. D'ailleurs il ne le connaît pas.
Ils se croisent à peine en classe. Juste assez pour qu'ils ne se détestent pas en public, ils se disent bonjour, comment ça va, bien et toi, ouais pareil, on a quoi comme cours, français, putain j'ai pas envie, et les autres ont petit à petit placé la relation entre les deux dans une brume réconfortante où rien ne se passe jamais. C'est une grande victoire pour les deux.
Le jour est une chose, la nuit en est une autre.
Il le hait. Il hait Sollux Captor, il hait ses mains, il hait son visage, il hait sa voix, il hait ses dents, il hait son cou, il le hait. De cette même haine féroce qu'il a du mal à comprendre, parce qu'elle est vraiment très forte, et que Karkat n'a ressenti que peu de choses fortes dans sa vie, et franchement, il n'est pas fait pour les choses fortes, les choses qui le remuent de bout en bout.
Et il sait que ce n'est pas le pire, non. Combattre Sollux tous les soirs n'est pas non plus le pire, malgré ce qu'il croyait.
Le pire, c'est qu'il n'a plus besoin de combattre pour haïr Sollux Captor, et là, là ça ne va pas, non.
Non, il n'a plus besoin de se battre contre Sollux Captor pour haïr Sollux Captor. Se battre n'est qu'un moyen comme un autre d'interagir. Ils parlent, aussi, ils se disent des conneries absurdes, ils parlent de ce qu'ils aiment, ils s'envoient des piques blessantes à la figure. C'est plaisant, c'est agréable. Il apprécie le garçon. Il peut le considérer comme un ami, presque. Et il le hait, oh, il le hait, c'est une haine très simple, très franche, aussi facile à ressentir que respirer.
Respirer. Entrée, sortie, entrée, sortie. Les fils bleus et rouges, tu te rappelles, Karkat ? Les fils bleus et rouges, les verres des lunettes de Sollux. Respirer a ses couleurs maintenant. On pourrait dire qu'il l'a dans le sang.
(C'est très romantique.)
(Oui enfin c'est surtout très con.)
Il sait ce qui ne va pas. Il sait que cette haine si forte et si élémentaire, presque enfantine parce qu'elle n'emprunte ni détours ni raccourcis, elle dort quelque part en lui. Elle dort là où il se disait qu'il n'y avait rien, dans le ravin de sa poitrine, avec les chauves-souris et quelques souvenirs fugaces qui ne lui disent que très peu de choses.
Ce ravin, il a essayé de le combler. C'est pour ça qu'il est venu au Fight Club, Karkat, c'est pour ça que la première nuit, il est arrivé, torse nu, tremblant et pourtant prêt, bloquant son souffle, pour se jeter dans un parking plein de brutes gigantesques. Parce qu'il voulait savoir s'il pouvait y avoir quelque chose de bon dans ce ravin aux souvenirs perdus. Il est violent, l'a toujours été. Il se disait que la violence creusait le gouffre entre ses côtes. Apparemment, non.
Et maintenant la haine y dort et Karkat sait que quelque chose d'autre devrait y dormir et c'est pour ça que ça le perturbe.
Combattre, lui a dit Sollux un soir, adossé à un banc où il fait bouger sa jambe (une jambe toute pâle et très longue, maigre, de garçon mal nourri qui se bat tous les soirs maintenant, comme un homme, ahah, Disney, quand tu nous tiens) pour s'assurer qu'elle n'est pas cassée, c'est comme baiser. Karkat a dit, ah bon ? Et Sollux a répondu, ben ouais, carrément. Parce que la première fois, tu es jeune, inexpérimenté, tu ne sais pas où mettre les mains, et après tu prends de l'assurance et tu as envie de recommencer, et tu expérimentes, et tu finis par être content de le faire.
Et Karkat réplique, ça fait de moi ton premier coup métaphorique, pas vrai, qui eut cru que Mr Captor était un adorateur de bites, et Sollux rit et dit, mec, t'es carrément mon premier coup métaphorique, marrions-nous un jour, et Karkat ne répond rien. Karkat n'est pas gay. Karkat n'est pas hétéro non plus. Il ne s'est jamais même posé la question. Pour lui, tout ça, ça n'a ni odeur ni goût, ni couleur, c'est une chose vague et vachement lointaine qu'il pensait même ne jamais croiser et ça ne lui déplaisait pas tant que ça comme idée.
Ce soir-là est donc connu comme le soir où Karkat Vantas a mis les pieds en plein dedans, dans cette brume de merde. Merci Sollux Captor d'avoir provoqué cette épiphanie sexuelle. Wow. Quel connard insensible.
Et là, c'était le début du cauchemar. Parce que Karkat sait que sa haine est réelle, mais il sait aussi qu'il n'a jamais détesté ainsi, aussi entièrement, et il a beau avoir regardé la liste complète des Cent-Onze Plus Beaux Films d'Amour du monde en un mois, et savoir que l'amour, ce n'est pas ça, il ne peut pas s'empêcher d'y penser.
Ca le rend assez mal à l'aise, tout ça. Déjà, il ne connaît Sollux que depuis deux mois, et ça fait trois semaines qu'il lui parle. C'est peu. Et il a vu ces comédies romantiques où les gens trouvaient leur âme-sœur et se mariaient en trois jours, hein. Il les a aimées. Et même pour lui, deux semaines, c'est peu.
Ensuite, il n'a jamais pensé à aimer Sollux. Il suppose qu'il n'est pas laid, qu'il n'est pas défiguré et que même ses dents trop longues ne le rendent pas trop moche. Et il y a certains moments où Karkat le trouve vraiment beau, lorsqu'il lui crache au visage pour survivre, oui, Sollux est beau dans ces moments-là. Sinon, il a juste l'air d'un sale nerd passionné d'ordinateurs. Ce qui est le cas. En fait.
Il n'a jamais eu de rêves bizarres à son sujet. Il aurait pu. Il passe plus de temps collé à lui à respirer son odeur et à toucher sa peau que n'importe qui, ça aurait pu donner du matériel pour bricoler quelque chose de potable, mais là encore, Karkat n'est jamais tombé dans ces marais étranges du désir endormi et il n'avait pas tant envie que ça de s'y enfoncer.
Et puis Sollux n'a jamais non plus pensé à l'aimer, n'a pas fait le moindre geste déplacé. Encore une fois, ils se parlent depuis deux semaines. Ce serait étrange. Ce serait indécent. Ce serait impensable, et peut-être même un peu répugnant.
Mais Karkat n'est qu'une pauvre merde humide et il le déteste quand même.
D'ailleurs il ne sait même pas si Sollux le déteste aussi.
Mais cette haine, cette haine est tellement vraie et parfois tellement tangible qu'il en a mal, tout au fond, une douleur qui lui pèse dans la poitrine, il sent cette haine comme il sent son cœur battre et lorsqu'il pense qu'elle pourrait être de l'amour mal appelé, quelque chose en lui se révolte. Quelque chose lui dit que non, appelons un chat un chat, l'amour c'est l'amour (c'est quelque chose de très rouge, l'amour, il le sait) et la haine, pas la petite haine habituelle, sa haine, ce n'est pas de l'amour. C'est différent. C'est vraiment différent. C'est noir.
Et c'est bien. Et Karkat n'a pas envie que cette haine aille habiter un autre ravin que le sien. Parce qu'il aime l'avoir au creux des poumons. Elle le rend vivant. C'est agréable.
Mais il aurait dû y avoir autre chose de la haine dans sa poitrine pour Sollux Captor. Ca aussi, il le sait.
Le bruit sec d'un bras qui se casse arrache une grimace instinctive à Karkat qui se recroqueville dans son pull. Avant, il pensait que c'était pour de faux, les os qui se cassaient et qui faisaient un bruit, seulement un truc dans les films pour faire peur au spectateur. Et finalement, non. C'est un vrai bruit qui existe. Et il est aussi répugnant en vrai que dans les films.
Le bras de l'homme dans l'arène a changé de sens. Pourtant, il ne crie qu'à peine, ne pleure pas, ne se tord pas de douleur par terre. Il gémit à l'infirmier « je crois que mon bras est pété », mais pas besoin d'avoir passé trois diplômes d'anatomie pour s'en rendre compte, et il se fait évacuer puis remplacer. C'est comme ça, au Fight Club. Tu passes, tu pars. Le but n'est pas de rester le plus longtemps. Le but est de venir.
- Et ils vont en faire quoi, au fait, de ce pauvre mec ? demande Sollux en le regardant disparaître au fond de la cave.
- Lui couper le bras, probablement. Comme on dit, aux grands mots les grands remèdes. Adieu, progéniture d'enfoiré cosmiquement con numéro soixante-deux, toi et ta main droite nous manqueront pour toujours.
Sollux écrase une fausse larme de pitié sur sa joue. Que d'émotions. Karkat en est tout chamboulé.
- Merci de m'avoir évité un tel destin.
- Oh t'en fais pas pour ça, va, t'as plus de risques de te péter une côte en prenant le mistral de face que de te faire casser la main par une peau de couille de mon genre, maigre comme t'es.
- Ohoh, monsieur vire un peu rouge, pas vrai ?
- Qu'est-ce que tu racontes, tête de bouse ? s'échauffe immédiatement Karkat et d'ailleurs il ne sait pas pourquoi il dit ça, ni pourquoi ce qu'il vient de dire – et qu'est-ce qu'il a dit déjà, ce petit merdeux ? – lui rappelle quelque chose, et pourquoi il a envie de lui dire « bon sang mais oui, BIEN SÛR que je veux virer rouge, connard » alors qu'en fait, il ne sait pas ce que ça signifie.
- Rien, rien, marmonne Sollux, la tête baissée.
- Si, t'as dit quelque chose.
- Je sais pas, ok ? Ca m'est juste passé par la tête comme ça. Putain, Karkat, faut que t'arrêtes de péter les plombs à chaque fois qu'un abruti comme moi débloque un peu !
Sollux et lui sont un peu en retrait dans la foule, manifestant ainsi leur envie de ne pas se battre ce soir. Ils sont allés loin hier soir et Sollux galère à marcher. Il a peur d'avoir la cheville foulée. Karkat s'en voudrait si c'était le cas.
En plus, ils sont encore habillés, et c'est plus ou moins le signe universel pour « je regarde simplement ». Mais ils sont là, bien sûr qu'ils sont là. Il faut être là. Il faut que les autres les voient.
Et puis de toute manière, se dit Karkat, où pourraient-ils aller ? Ca le fait sourire, un peu, de penser qu'à part les parkings et les sous-sols du Fight Club, ils ne connaissent pas la ville. Ils pourraient aller dans des bars, dans des boutiques, dans des stades, il ne sait pas, dans des lieux avec des gens, de la musique et sans odeurs d'essence. Ils pourraient simplement aller chez l'un ou chez l'autre et faire des trucs sociaux et amicaux comme les vrais amis sont censés faire.
« Salut papa, voilà, c'est Sollux Captor, ne lui demande pas son nom il est pas capable de le dire correctement de toute manière, on monte jouer à des jeux et réviser un test d'histoire parce qu'on est des brêles en histoire, oui il a des bleus partout mais on n'était pas du tout en train de se battre comme des cheese-cakes finis à la pisse, et au fait, je le déteste, mais ça va on est potes quand même parce que je le déteste tellement que c'est indécent et que bon, je suis quelqu'un de super décent, moi, donc je lui ai pas dit. Ca va toi ta journée ? »
Il n'est qu'un pauvre raté.
- Attendez avant de vous battre.
Sollux lève les sourcils, surpris. Karkat lui serre le bras pour lui faire signe de se taire et de ne pas bouger et de ne pas se faire remarquer. Surtout de ne pas se faire remarquer. Sollux se tourne vers lui, inquiet, perplexe, et Karkat réprime la haine qui pointe le bout de son nez dans sa poitrine pour lui murmurer :
- Ferme ta grande gueule le temps qu'il parle, ce mec est plus important que le bébé-éprouvette de Romney et Obama après leur mariage officiel devant les télés du monde entier.
- Tu causes plus que lui, sale roux, Sollux réussit à chuinter avant que Karkat ne serre plus fort son bras pour le faire taire.
Et puis ça va, oui, les attaques sur le physique ?
L'homme qui a parlé, personne ne le connaît. Karkat l'a déjà vu, Sollux non, mais ce n'est pas important. Contrairement aux autres, lui, on s'en fout de ne pas le voir. Au contraire même, c'est mieux de ne pas le voir. Il parle. Il ne fait que parler. Et c'est bien suffisant de seulement parler.
Il ne s'était même pas rendu compte qu'il était là.
- Pas de temps à perdre. Je reviens tout juste de Chicago. Ses clubs ont été rasés.
Il n'y a pas de frisson dans la voix de l'homme, mais Karkat entend très bien la peine qu'il éprouve, ou peut-être la sent-il juste, il arrive à comprendre ce genre de choses là, paraît-il qu'il est très empathique.
- Vous en avez entendu parler, probablement, aux informations. L'incendie sous-terrain ?
- Ils ont dit que c'était accidentel, marmonne l'un des géants de la foule, et l'homme se tourne vers lui, grave et grand.
- Et tu y as cru ? Des flammes sur des kilomètres, des étages et des étages, des centaines de voitures brûlées, et malheureusement on compte des victimes, mais pas beaucoup, des jeunes idiots, des voyous qui se battaient dans les profondeurs, des anonymes que personne ne pleurera ? Et tu y as cru, à ces histoires de fuite de gaz, de mégot mal éteint ? Vous y avez cru ?
Silence de plomb. Karkat admire cet homme et avec quelle facilité il tient ces hommes mal taillés au creux de la main. Il n'a jamais été un bon chef. Il en avait la voix, il en avait l'ambition, mais il devait être maudit, parce que dès qu'il essayait de diriger un groupe de plus de trois personnes, l'opération foirait. Toujours. Alors Karkat respecte toujours un peu les chefs. Et celui-là n'est pas une exception.
- Vous comprenez ce qu'il se passe, au moins ? Vous comprenez qu'ils sont sur nos traces, qu'ils nous flairent avant de nous faire cramer dans nos lits comme ils ont cramé le Sans-Signe ?
Karkat se fige. L'histoire du Sans-Signe lui reste très mystérieuse, réservée aux adultes qui viennent ici depuis longtemps. Karkat n'a que quinze ans, Karkat est idiot, ignorant. Il sait ce que le public sait. Il sait que le Sans-Signe était une espèce de Che Guevara pacifiste. Il sait que le Sans-Signe était un ennemi public terrifiant le pays entier car accusé de multiples assassinats et de terrorisme d'Etat. Et il sait que le Sans-Signe est mort. Et c'est bien suffisant.
- Alors voilà les prochains ordres. Plus de nouveaux membres. Changez systématiquement de place. Ne revenez plus sur vos pas, ne cherchez pas les coins que vous avez déjà vus. Changez, évoluez. Mutez. C'est ce que disait le Sans-Signe. Nous sommes la pourriture de ce monde. Nous sommes au bas du bas de l'échelle. Et comme la vermine, comme toutes ces choses que les grands méprisent et oublient, nous allons nous infiltrer entre les murs et ronger les piliers de cet Empire.
- Quel Empire ? murmure Sollux, les sourcils plissés.
- L'Empire des Crockers, répond Karkat sur le même ton.
Les yeux de Sollux s'écarquillent (une tache de rouille Karkat ne devrait plus se sentir aussi bouleversé depuis le temps une turquoise dégueulasse).
Oh, le pauvre petit. Il ne savait pas qu'il était tombé dans un club de rebelles. Mais pour être parfaitement sincère, ce qu'il essaie d'être le plus souvent possible, Karkat n'était pas au courant la première fois non plus. Belle paire d'idiots.
- Ils veulent faire tomber la Condesce ? s'étouffe-t-il.
- Surprise ! fait Karkat.
Souvent, le soir, Sollux et lui, après s'être battus, sont suffisamment fatigués pour passer la soirée ensemble. Ils commencent par faire un état des lieux, où Sollux, qui semble posséder une collection infinie de pansements ridicules, joue au médecin comme dans les jeux pourris auxquels il joue pour rire du genre Surgeon Simulator et plaque des sparadraps sur leurs plaies un peu au hasard.
Pour être très franc, Karkat pourrait se soigner tout seul – il n'a pas attendu ce connard pour apprendre à acheter des compresses stériles – mais ça fait partie du Rituel d'Après Combat et Karkat ne dérogerait pas de lui-même à une telle tradition, oh non.
Après tout ça, s'ils en ont la force, ils se lèvent et font un peu le tour de la ville en gardant un œil sur les panneaux (ce serait con de se perdre quand même) et parlent et ne disent rien, laissés tranquilles par la faune locale parce qu'un membre du Fight Club, ça se connait et ça se repère. Puis, quand il est trois heures du matin, ils rentrent chez eux. Ils ne se raccompagnent jamais. Et ils se revoient le lendemain matin au lycée où ils font toujours semblant de ne pas se connaître.
Ce Rituel d'Après Combat, Karkat y tient. Il y tient étonnamment fort mais il croit savoir pourquoi. Des rituels, il y en a plein, chez tout le monde, tout le temps. Son père qui joue du piano trop fort lorsqu'il est énervé, c'est un rituel. Son frère qui s'enferme dans sa chambre lorsqu'il juge sa famille trop crue, trop violente, c'est un rituel. Des rituels sans Dieux ni encens mais des rituels quand même. Des choses qu'on n'ose pas changer. Des choses qu'on ne veut pas toujours voir changer.
Sauf que le rituel de Karkat, il ne blesse personne, n'énerve personne. Son rituel tient à un paquet de pansements et aux problèmes d'énonciation de Sollux Captor et à lui et il trouve ça. Bien. Pour une fois. D'avoir quelque chose à lui qui ne soit qu'à lui, il veut dire.
A propos de Sollux Captor, cela fait quatre semaines et trois jours qu'ils se sont adressé la parole. Oui, Karkat compte les jours, et vous savez quoi, Karkat vous emmerde.
Karkat pensait qu'il cesserait de le détester avec le temps. Un peu comme il avait cessé de détester Terezi, la fille sur laquelle il avait eu le plus gros faible du monde et qui mangeait ses cours de maths en cinquième (il n'a vraiment jamais rien fait d'autre que de fréquenter des psychopathes putain !)
Mais Sollux n'est pas Terezi.
Maintenant il le hait si fort, si totalement fort qu'il a du mal, parfois, à se retenir de se lever en cours quand il dit quelque chose (n'importe quoi, un truc vrai, une remarque sarcastique, juste des mots avec sa voix) et de saisir sa chaise et de l'assommer pour le prendre avec lui et lui parler avec des mots qu'il ne comprend pas, des mots qui veulent dire enculé de mes deux et bâtard béni et rageamant et mien, mien mien mien mien oh mien.
Mien. Mien, à moi. Sollux.
Sollux. Il hait tellement Sollux. Et il voudrait tellement ne pas le haïr mais il ne sait pas comment faire. Et ce n'est pas parce qu'exécrer quelqu'un au point de vouloir le garder auprès de soi et faire des choses ridiculement sentimentales qu'il n'a vues que dans les pires séries pour gamines n'est pas très bien, très humain, très possible. Non, Karkat sait qu'il n'est pas dans l'erreur. Plus vaguement encore, il sait que s'il le disait à Sollux, il comprendrait aussi. Il y a des gens, comme ça, Karkat les regarde et il sait qu'ils comprendraient, et Sollux le ferait.
Non, ce n'est pas parce qu'il en a peur qu'il ne veut pas détester Sollux, c'est parce qu'il a le sentiment que Sollux ne devrait pas susciter sa haine, et il le sait très bien mais il va plus ou moins avec parce que hey, c'est plutôt cool de pouvoir au moins ressentir quelque chose, et s'il n'a rien d'autre, ok, nickel, parfait, qu'il ait au moins ça.
Mais si quelqu'un pouvait l'aider mon Dieu il pourrait devenir prêtre pour cette personne, avec la soutane, les Mon Père et tout le bordel. Il le pourrait carrément.
Il y a donc des soirs où ils sont trop fatigués pour que Karkat puisse haïr assez fort et se retrouver à bafouiller, rouge de honte devant le pauvre gosse sans pouvoir lui dire que non, ça va pas trop dans sa tête.
Et puis il y a des soirs, si. Et ce soir-là, Karkat le sait, c'est l'un de ces soirs.
- Je sais pas si je vais au Fight Club, demain soir, lui dit Sollux, en collant avec application un pansement ridicule en forme d'abeille souriante sur son genou déjà bien écorché.
Karkat le regarde faire et bâille avant de se gratter le cuir chevelu. Il a besoin de prendre une douche. Il sent terriblement mauvais. Il a un peu de sang séché derrière les oreilles qui le gratte affreusement et il a beau frotter, sans eau, ça ne part pas totalement.
- Pourquoi ?
- Aradia m'a invité. Il faut savoir faire plaisir aux dames, des fois. Un homme aussi viril et charitable que moi ne saurait la décevoir.
- Arrête tes conneries, raclure de fond de pissoir, tu ne t'es jamais considéré ni comme viril ni comme charitable et on le sait tous les deux. Qu'est-ce que tu vas faire chez elle ?
- Tu essaies de t'insinuer dans notre vie de couple, KK ? Pas sympa. Pas sympa du tout.
S'insinuer dans sa vie de couple. Karkat se mord la langue quand il y pense, pas trop fort, il n'a pas envie de se rincer les dents une troisième fois au soda éventé parce que tiens, t'as encore du sang sur le menton - mais qu'est-ce qu'il raconte, ce n'était pas du tout le sujet.
- Non mais sérieusement, je croyais que vous n'étiez pas vraiment ensembles, insiste-t-il en se frottant les phalanges, rouges d'avoir, par accident, heurté une borne incendie. Les désavantages de se battre dehors.
Mais ils ne peuvent pas faire autrement, de toute manière. Certes, il y a des nuits où il regrette, mais il y en a d'autres
(Karkat est acclimaté à la violence, bien sûr, mais il ne connaît que la violence voulue, la violence cherchée pour soi, maîtrisée, utilisée, pas la violence brutale et meurtrière des policiers qui ont envahi leur garage un soir (la violence de Gamzee, se dit-il, puis il écarte très vite cette pensée), chiens de chasse, le nez en l'air, et d'un coup il entend des balles fuser et la peur se dilue dans ses veines alors que Sollux le tire par la main et qu'ils s'enfuient en courant et oh mon Dieu ils ont vraiment des lance-flammes)
où, finalement, il se dit que c'est pas si mal, dehors.
Pas si mal. Les membres du Fight Club, cette nuit-là, se sont fait jeter de leurs profondeurs obscures comme on chasse des rats d'égouts. Les bas-fonds ont été nettoyés de fond en comble, au feu, à l'eau et à l'acide, à l'odeur des Crockers. Plus d'ampoule luisante, plus de sol de béton, plus de murs et de secrets, de choses que Karkat avait bon gré mal gré fini par considérer comme normales et familières.
Et ils n'ont rien pu faire parce qu'ils avaient – ces malades – ils avaient des lance-flammes et que, faut pas être con dans la vie, toute la rage de Karkat ne peut rien faire contre ce genre d'armes.
Cela n'a empêché personne de revenir se battre, pourtant. C'est juste qu'ils le font dehors maintenant que les caves et les parkings sont aseptisés. Ils se battent derrière des immeubles, dans des cours vides, derrière des murs grillagés. Ils se débrouillent. Et Karkat, au final, il s'en fout, hein, du terrain. Mais il se fout beaucoup moins de ce que ça veut dire. Parce qu'il sait que ça veut dire quelque chose, un truc très grand qu'il comprend beaucoup trop bien.
L'homme inconnu, Celui qui Invoque comme certains disent, est revenu deux jours après la nuit où ils ont manqué de tous finir sur des tables de médecins légistes. Il leur a à tous envoyé une adresse et ils ont tous répondu à l'appel.
Karkat a reçu son invitation par mail, l'expéditeur a utilisé une de ces adresses e-mail qui ne durent que dix minutes. Il sait que Sollux (qui est malgré ses protestations terriblement bon en ce qui concerne l'informatique, le petit fumier) pourrait sûrement retracer le message jusqu'à l'ordinateur qui l'a envoyé, mais au fond, il n'a pas envie de savoir qui l'a fait.
Et ils se sont retrouvés. Le club des virus, la bande des rats. Et Celui qui Invoque aussi, mais il n'a pas dit grand-chose, sauf qu'il fallait continuer, il fallait se battre encore, et attendre. Attendre quoi ? Karkat ne sait pas. Celui qui Invoque n'a rien dit de plus. Puis il est parti.
Maintenant, se battre a un autre goût, une autre puissance. Il faut se battre tous les soirs, avec une régularité d'horloge qui lui fait bizarre dans les entrailles. Il n'y a plus de place pour les simples spectateurs. La violence a des relents d'urgence. Quelque chose va se passer. Et ce n'est pas que Karkat ne veut pas participer, non, mais il a l'étrange impression que tout cela le dépasse de beaucoup, et il n'est pas venu au Fight Club pour régler des problèmes comme ça. Il venait pour y chercher quelque chose, pour remplir sa poitrine, faire pulser son sang.
Pas pour s'enrôler dans une révolution ultra-violente. Faut pas déconner non plus.
Et maintenant qu'il a trouvé ce qu'il cherchait (ou presque ce qu'il cherchait) dans toute cette merde, il se rend compte qu'il va falloir payer un prix pour avoir enfoncé les mains dedans.
Des histoires personnelles, des doutes sentimentaux, des conflits probablement nationaux, et un gosse de quinze ans qui risque un jour de se faire écraser par une brute chaussant du soixante-trois. Karkat connaît des scénaristes qui s'arracheraient les tripes et sauteraient à la corde avec pour ce genre de récits.
Sollux le sort de ses pensées (« est-ce que si j'écris tout ça sur papier et que je l'envoie aux Regency Enterprises, je me fais du fric ») avec un petit « tss » qui ressemble plutôt à un « tfth » lorsqu'il fait tomber l'un de ses pansements par terre. Karkat bat des paupières. Sollux ramasse le pansement puis recommence à parler.
- Je ne sais pas. Ce que je vais faire là-bas, et ce qu'elle me trouve. Cette fille est glauque comme une fête foraine en novembre mais je l'aime bien. Comment est-ce qu'elle fait pour me supporter, c'est ça le grand mystère. File-moi ta main, ordonne-t-il en brandissant un autre set de sparadraps abeilles sorti tout droit de ses poches et Karkat se demande fugacement comment est-ce qu'il se les procure.
Il obéit, et Sollux plisse les yeux au-dessus de ses doigts, qu'il fait bouger un à un pour voir s'ils ne sont pas cassés et il est tellement précis et presque tendre dans ce qu'il fait – Sollux manipule des ordinateurs, des bouts de plastique et des fils, rien d'humain, rien de social et pourtant il est délicat avec sa main. Délicat.
Il espère qu'il n'est pas en train de rougir parce que ce serait embarrassant.
- AA est passée par de sales trucs, tu sais. Ah non, tu ne sais pas, parce que tu ne lui parles pas, et que je ne vais pas te dévoiler sa vie. Pas de chance, hein ? Maintenant tu meurs de savoir ce qu'elle a vécu. Mais elle ne t'a pas choisi toi, non, elle a pris un pauvre loser atteint de migraines chroniques en se disant « il a l'air marrant, on va essayer », merde.
Il aime ça, quand ils partent dans des discours de six pieds de long avec des mots compliqués. Sollux met moins d'insultes, moins de métaphores aussi. Mais il joue le jeu et Karkat aime quand les gens jouent le jeu.
- Oh, ne commence pas un concours de je-me-hais-plus-que-toi, tu veux ? Ces trucs sont bons pour les soirs où tu veux te bourrer la gueule parce que mon Dieu, comme tu es inutile et con comme un âne borgne et comme ta vie n'est qu'une suite de monstrueux excréments sans noms que tu dois chier et bouffer chaque nuit pour souffrir parce que la souffrance est tout ce que tu mérites, blah, blah, blah.
- Je vois que ta mémoire n'a pas d'égale, KK, chuinte Sollux en posant des pansements sur ses doigts avec une certaine fureur, mais ce n'est pas une vraie colère, c'est plus amusé que vicieux, dangereux, meurtrier.
Karkat sent un frisson brûlant dans le creux de son bras, le genre de frisson qui lui fait plier les orteils et froncer les sourcils. La haine qui bat pour Sollux Captor se réveille au contact de ses doigts osseux et fait picoter sa chair là où ils la rencontrent. Son cœur se met à battre plus fort dans sa poitrine – les traditionnels symptômes de ce qu'il ne connaît pas et il aimerait tellement, tellement que Sollux fasse comme dans ces romans pourris et…
L'autre cesse un bref instant de bouger. Un bref signal d'alarme retentit dans la tête de Karkat – oh ça y est il sait il sait tout – mais si c'est le cas, alors Sollux le prend vachement bien car il retourne immédiatement à son ouvrage.
- Je sais pas pour AA, continue-t-il plus doucement, et il retourne sa main pour inspecter sa paume, où une vilaine coupure a pris une teinte étrange. C'est moche, ça, fait-il d'un ton acide.
- La gueule de ta mère à ta naissance c'est moche, sale dort-en-chiant.
- Va te faire mettre par un lépreux, Vantas.
- Sympa.
- N'est-ce pas ?
- Bref, tu disais ?
- Ah, oui, AA. On n'est pas amoureux mais on n'est pas rien. Je vois pas si tu comprends. C'est plus…
- Pâle ? propose Karkat en regardant sa main qui ressemble à une momie rayée jaune et noir, et striée de quatre bandes blanches, les doigts de Sollux dans sa paume.
- Ouais, c'est ça. Pâle. Donc pour répondre à ta question, non, nous ne sommes pas ensemble.
- Oh quelle déception, mon cœur ne peut pas supporter cette séparation. Vous étiez les Pitt et Jolie de ma vie, mon couple de stars, mon idéal de romance. Vous étiez tout ce que je cherchais dans une relation.
- Je sais que je suis ton idéal masculin, mais ça ne marcherait pas entre nous, KK, navré de te décevoir.
- Qu'est-ce que t'en sais, hein, Captor ? Les standards de monsieur je-suis-un-tel-enfoiré-que-même-ma-copine-me-vomirait-à-la-figure sont trop élevés pour les basses gens de la populace ?
- La compétition se joue contre AA, tu n'as aucune chance.
- Tout ça parce que cette revenante a de vrais seins et pas moi ?
- J'allais dire qu'au moins elle n'était pas une caricature de Napoléon roux gueulant à tous les vents mais tu marques un double-point vachement intéressant. Et calmos sur les insultes, c'est de AA que tu parles, pas d'un pisseux comme moi.
- La pauvre fille, je la plains, elle doit tellement se forcer à passer des soirées entières pour t'écouter déblatérer des conneries pareilles, parce que je ne vois pas qui s'amuserait en ta compagnie, sérieusement. Primo, ma taille est parfaitement moyenne et pars te faire sucer par le Diable avec tes blagues sur la taille, je te vois venir. Secundo, pardonnez-moi mon cher monsieur, je ne savais pas que mon langage vous déplaisait, voudriez-vous à la place un plat de va te faire foutre bien profond à sec avec avec du gravier, sale hypocrite bouffeur d'étrons chiés par un buffle ?
- Tu es pathétique, KK, tu es tellement pathétique que j'en rirai si je n'étais pas en train de te parler.
Ils se taisent et se regardent un instant. Karkat a la bouche sèche d'avoir trop parlé. Il se lèche les lèvres, les sourcils froncés.
Il est pathétique. Ah bon ? Il croyait que -
Il n'arrive pas à comprendre ce que ressent Sollux. Et de toute manière, qu'est-ce qu'il s'en branle, de ce qu'il pense, tout ce qu'il veut maintenant c'est de se lever et de le foutre par terre et de faire bien attention à ce que ses doigts ne quittent pas sa main bandée parce que là, maintenant, tout de suite, il le déteste et c'est bon.
- Ca marcherait pas entre nous ? répète-t-il, plus bas. Pourquoi ?
- Tu comprendrais pas.
- Tu me prends pour qui ?
- Tu ne comprendrais pas, KK, dit-il une seconde fois, et il bat deux fois des paupières d'un air très mal à l'aise, et Karkat se demande si c'est ce qu'il pense et oh mon Dieu imagine c'est ce qu'il pense, non quand même, mais peut-être, peut-être, et si c'était ça, et si c'était vraiment ça ?
- J'ai compris ce qu'il y avait entre toi et ta copine glauque, trou du cul, tu penses sincèrement que je suis con à ce point ?
Sollux avale sa salive pendant que Karkat se demande si c'était vraiment la bonne chose à faire. Il l'a dit doucement, sans crier, sans rien, il a fait attention, mais il sait mieux que quiconque à quel point un seul mot peut tout changer et il a peur d'avoir dit l'exact putain de contraire de ce qu'il aurait dû dire.
- Je vais y aller, annonce Sollux brusquement.
Ah ben effectivement, il aurait dû dire autre chose.
- Putain, Karkat, merde de merde de merde…
Ce n'est qu'un murmure, mais il résonne en Karkat plus que tout ce qu'il a pu dire auparavant.
Sollux se lève, lâche Karkat comme on lâche des sacs poubelles, enfouit presque à la hâte ses boîtes et ses pansements dans les poches de son manteau sale de sang et de choses que Karkat connaît parce que souvent, il les a mises là. Et puis il se casse en le plantant là, assis et blessé, et confus aussi et peut-être qu'il se sent aussi un peu comme le dernier des connards finis.
Il se retient de le suivre. Il n'est même pas certain d'y arriver. Son cerveau est bloqué sur le mode « qu'est-ce qu'il vient de se passer bordel de cul » et marcher ne lui semble pas une commande acceptée par le moteur.
Karkat respire. Sérieusement. Qu'est-ce qu'il vient de se passer.
Il est pathétique. Il est pathétique et pourtant Dieu qu'il le hait. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que ça n'aurait pas pu être une autre personne mais pas Sollux Captor qui aurait tellement pu tout changer dans sa vie et en bien hein en bien, putain de bordel de MERDE.
Pas maintenant. Pas maintenant, putain. Pourquoi maintenant. Et sérieux, sérieux, Sollux, pourquoi ? Qu'est-ce qu'il se passe dans sa tête ? Qu'est-ce qui ne va pas avec ce qu'il a compris ? Qu'est-ce qui ne va pas avec ce qu'il pense qu'il a compris en tous cas ? Pourquoi est-ce que c'est SOLLUX qui a DÛ réveiller ça et POURQUOI PAS QUELQU'UN D'AUTRE parce que MERDE, ça aurait pu MARCHER ! CA AURAIT PU MARCHER PUTAIN !
Il aimerait quand même pouvoir se lever et s'excuser, lui dire qu'il ne sait pas non plus, que ce n'est pas sa faute, et qu'il voudrait que ça change. La haine. La haine qui le pousse, la haine qui l'emporte, la haine qui le consume. Et il est pathétique – tu es pathétique, KK, ces mots sont bons à réentendre – et il voudrait être encore pathétique au lieu d'être détestable.
VA. TE FAIRE. FOUTRE.
Il va se taper une grosse migraine. Il le sait.
Il n'y a pas trente-six personnes qui peuvent l'aider. A un moment, il a pensé demander à Gamzee, mais vous ne savez pas quoi ? Ce petit enfoiré, dans son dos, s'est mis à romancer l'handicapé de ses rêves, qui s'est récemment fait faire un mohawk étonnamment classe, et se concentre donc sur ses problèmes de cœur.
Et Karkat est heureux pour lui – vraiment, il l'est, d'ailleurs ça l'étonne un peu, parce que d'habitude il trouve juste Gamzee chiant avec ses histoires et ses hésitations et ses mauvaises approches amoureuses, mais il a l'air de vouloir faire les choses « bien », aussi bien qu'un Makara puisse les faire, et oui ça le rend heureux de le voir heureux. Après tout, ils sont meilleurs amis. Le genre d'amitié qui s'écrit dans les étoiles et transcende les galaxies. Mais Gamzee ne lui est, du coup, d'aucune aide.
Parce qu'il est occupé et qu'en plus, il est vraiment trop mauvais à tous ces trucs officiels, ces convenances auxquelles on se plie pour courtiser quelqu'un. Heureusement que Tavros n'est pas bien plus avancé dans ce domaine non plus. Karkat est embarrassé pour eux lorsqu'il les voit. Ils devraient sauter toutes les étapes et passer directement à la déclaration. C'est tout ce dont ils ont besoin.
Mais bon, du coup, lui, il n'est pas avancé.
Alors il a dû prendre une décision qui lui a coûté une bonne partie de son amour propre. Quand même, il est Karkat Vantas, pour l'amour de Dieu, un guerrier, un rebelle, un mec qui se prend plus de coups que nécessaire sans qu'il ne sache trop pourquoi. Mais il n'a plus le choix. Des fois, se dit-il, il faut arrêter d'être fier et con.
Karkat n'a pas osé voir Sollux depuis ce soir où il s'est enfui et il a mal. Physiquement mal, il veut dire. C'est un peu effrayant mais c'est vrai. Et il en a marre, Karkat, d'avoir mal quand il ne l'a pas choisi. Il veut revoir Sollux. Il veut que ça puisse marcher, que ce soit parce qu'ils se détestent ou parce qu'ils s'aiment. Il veut que ce soit réfléchi, il veut que ça change et surtout, surtout il veut que ça fonctionne, parce que ça fait trop longtemps qu'il le hait, trop longtemps qu'il a en tête ses yeux de timbré, ses poings osseux, son sarcasme amer, le dégoût qu'il a pour lui-même, la courbe de son dos et les fleurs qu'il peint sur ses pommettes et que ça ne réveille que de la haine et du respect et de l'envie. Trop. Longtemps. Ok.
Il s'est dit tout ça un soir quand il se brossait les dents pour la nuit. Les plus grands choix se font avec les petites choses. Qui sait où Edison a eu toutes ses idées ?
Alors il a repoussé sa fierté et il est allé trouver la seule personne capable de l'aider. Ou plutôt, La Seule Personne Capable De L'Aider. Avec les majuscules s'il vous plaît. Celle Dont Toutes Les Filles Murmurent Le Nom Avec Déférence Et Admiration Dans Les Couloirs Des Toilettes. Celle Dont On Admire Le Teint, Les Vêtements, Les Cheveux Et La Petite Amie.
(Il va arrêter de penser en majuscules – minuscules, ça lui donne mal à la tête).
En bref, il s'en est allé trouver la légendaire Kanaya Maryam, et il le regrette déjà.
Kanaya Maryam est une fille de goût, et deviendra, plus vite que nécessaire, une femme de goût. Tout en elle respire le soin et la réflexion. Quand à quinze ans, elle aurait pu encore porter des vêtements qui ne plaisent qu'à elle (car on n'est pas grand à quinze ans), elle a déjà des robes et des jupes qui sont à la fois le fruit de son regard et de celui des adultes.
Elle a le dos droit et le regard grave, intelligent, poliment confus ou un peu moqueur. Elle a le regard qu'on attend d'elle. Mais Karkat est habitué à repérer les choses qui ne vont pas, les rouages qui vont moins vite, ou dans une autre direction. Kanaya Maryam a des airs de sainte mais elle n'en a pas le fond des yeux : Karkat y voit la fureur, le danger, une colère baignée de flammes divines. Il y voit aussi le regret et l'émotion trop vive qu'une jeune fille de sa stature ne devrait pas montrer. Et mieux encore, il y voit la compréhension.
C'est pourquoi elle ne fait pas de commentaire lorsqu'un mangeur de merde cogné jusqu'aux os toque à la porte de la chambre qu'elle occupe à l'internat. C'est lui, le mangeur de merde. Au cas-où vous n'auriez pas compris.
- Entre, tu vas prendre froid.
Aussitôt, l'inquiétude. La préoccupation. Kanaya Maryam est concernée par beaucoup de choses et il suppose qu'elle va être concernée par son histoire qui lui semble toute pourrie d'un coup et Karkat se demande s'il ne ferait pas mieux de s'excuser et de laisser en paix cette pauvre femme en devenir.
- N'hésite pas, je ne suis pas occupée.
- Merci, marmonne Karkat, en se demandant combien de filles mortes d'inquiétude pour les mêmes conneries pathétiques se sont trémoussées sur ce palier.
Elle s'écarte pour le laisser passer et, à petits pas, il entre dans sa chambre.
Elle n'est pas très grande – la chambre, mais Kanaya n'est pas très grande non plus. Il a déjà vu quelques chambres à l'étage des garçons et celle-ci leur est en tous points identique, mais malgré tout, il baisse un peu les yeux, parce que c'est une chambre de filles, déjà, ensuite, qu'il est certain d'avoir vu des sous-vêtements pendre du plafond, et que bon, une chambre est un endroit qu'il considère privé et qu'il n'a pas envie de tomber sur quoique ce soit de jugé trop personnel.
Kanaya lève un instant les yeux au plafond (duquel pendent vraiment des sous-vêtements coincés entre les plaques isolantes) et pousse un petit soupir.
- Pardonne le désordre, mais je ne suis pas en mesure d'enlever tout ça moi-même. Et la propriétaire n'est pas encore rentrée pour admirer le résultat.
- C'est une vengeance ?
- Oh, non, j'appellerais ça simplement « une petite blague de colocataires », répond-t-elle, mais elle lui lance un regard et un demi-sourire qu'il comprend très bien et il lui demi-sourit en retour.
La chambre est séparée en deux parties par un couloir et elle le mène du côté le plus éloigné de la porte. De ce côté, il y a deux lits, avec deux étagères et deux bureaux. Le lit de gauche est couvert de peluches de chat et de draps colorés, entouré de posters flamboyants et de livres, de dessins et de photos. C'est un univers coloré, joyeux et morbide. Il le respecte comme tel.
Le lit de droite a des draps rouges bien faits. Les murs sont blancs. Les livres sont invisibles. Une lampe de chevet, et une horloge, c'est tout ce qu'il y a sur l'étagère.
Kanaya s'assoit sur le lit – un geste simple, élégant – et tapote les draps pour qu'il s'assoie à son tour, bien moins gracieusement qu'elle.
Karkat comprend alors que Kanaya a volontairement laissé son coin de pièce vide et impersonnel pour y tenir cette espèce de bureau d'amours malchanceuses et il se demande, soudain, à quel point elle se préoccupe des choses des autres.
La jeune fille le regarde, juste un instant, avec une ombre de sourire peiné, avant de dire :
- Tu veux parler ?
- Ce n'est pas le but de venir ici des fois que ?
- Certaines personnes viennent ici pour ne rien dire. Elles attendent que je devine, ou que je lance la conversation.
- Ce n'est pas un peu compliqué ?
- Je m'améliore avec le temps. Et la plupart du temps, je retrouve les mêmes histoires. Je finis par m'y connaître.
Karkat laisse échapper un petit rire rauque.
- Je vais dire quelque chose digne des dernières midinettes au string trop serré amoureuses de Rob Pattinson, mais mon histoire est différente. Wow, je sonne vraiment comme un gros demeuré ! Regarde le cliché ambulant que je suis !
- Mon hilarité face à ton stéréotype est en effet difficilement contenue.
- Cinq points pour bonne répartie, Maryam. Mais sérieusement, je te préviens, si tu me forces à tout raconter, ça veut dire que tu montes à bord de WhatTheFuck train et tu vas bouffer des rébellions et des insultes bougrement longues et des pauvres pignoufs mal branlés sur le slip de Satan qui pourraient potentiellement faire partie d'un gang sous-terrain et qui ont du mal avec plein de choses à l'intérieur d'eux. Pas littérales.
« Pas encore », se retient-il d'ajouter, parce que c'était déjà assez long comme ça.
Elle le regarde avec un sourcil épilé et levé.
- La clef est dans le potentiellement, bien sûr, la rassure-t-il.
- Si cela peut te rassurer, tout ce que tu diras restera dans cette pièce, et en tant que conseillère privée, je me dois de respecter le concept de secret professionnel.
- Et tu me les files quand tes honoraires ?
Elle le gratifie d'un sourire plein de dents très blanches et un peu plus pointues que la normale qui, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ne le met pas mal à l'aise. Il a vu des choses bizarres avec Gamzee comme meilleur ami et des géants perdus et violents pour adversaires.
- Du moins, tout restera dans cette pièce tant que Nepeta n'est pas rentrée. Auquel cas nous irons dans un endroit plus privé.
- Je vais faire court, promet Karkat.
L'histoire étant longue, il faillit à sa tâche.
Lorsqu'il a fini de parler et d'expliquer (le Fight Club, la violence, le gouffre abyssal dans ses os et soudain les yeux de Sollux, tache de rouille, turquoise dégueulasse, sa peau, son odeur, comme il a commencé à l'exaspérer, puis à l'énerver, à lui donner des envies de meurtre et enfin ces conflits, ces drôles de sentiments, ces envies de l'embrasser et de le tabasser en même temps même si c'est pas possible physiquement il s'en bat les couilles avec un steak, ces penses dites à demi-mot, cryptiques, cachées, et qu'il n'en peut plus, qu'il voudrait changer parce qu'il sait que ça devrait être différent mais il ne sait même pas ce qu'il a à la base, s'il te plaît, aide-moi), il avale sa salive et pousse un long soupir.
- Bref, voilà, quoi, conclut-il.
- Belle façon de finir son histoire, « bref, voilà, quoi ». Très tragique.
- Personne ne t'a demandé de jouer les critiques littéraires, Maryam.
- En effet, la situation est plus complexe à résoudre qu'un simple problème de registre de langue.
- Comment ça ? s'alarme-t-il.
Kanaya relâche un peu les épaules.
- Karkat, dit-elle, très posément. Les gens qui viennent me voir ici viennent pour des histoires de cœur. Etant donné le nombre astronomique de relations flirteuses et romantiques qui se nouent dans une enceinte de lycée, une population comme celle-ci a besoin d'un médiateur afin que les relations déjà établies restent stables, ou, tout du moins, le deviennent.
Karkat ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais elle le coupe aussi sec.
- Tu ne me parles pas d'histoire de cœur, Karkat. Tu me parles d'une histoire de pique. D'une histoire d'amour sur lesquelles les dramaturges grecs ont brodé des tragédies entières. Je n'ai jamais eu affaire à un tel récit.
- Donc tu ne peux pas m'aider ?
- Au contraire. Mais je voulais juste que tu comprennes à quel point ton cas est rare. Peut-être que ce genre de romances n'arrivent qu'à des personnes très particulières nées dans des circonstances très particulières, sous des cieux très particuliers.
- Oui, merci, j'avais bien compris que ce n'était pas exacte – attends, tu viens de dire que tu n'avais jamais eu affaire à un tel récit, pour reprendre tes mots. Mais tu viens aussi de dire que mon cas était rare, pas unique ? Figure de style ou…
Kanaya baisse presque imperceptiblement la tête, et Karkat ne peut pas s'empêcher d'écarquiller les yeux. Eh ben putain. Quelle coïncidence ficelée sur un plateau d'or bordé de nouilles.
- Oh, fait-il, histoire d'avoir l'air intelligent pour une fois.
- Ce n'était vraiment rien, assure-t-elle.
- Et comment…
- Ca c'est fini comme se finissent les histoires d'amour habituelles. Elle était parfaitement d'accord avec cette idée de… De se haïr différemment. Aucune d'entre nous ne s'était vraiment posée de questions, ça semblait naturel. Aussi normal que d'être amoureux au sens conventionnel du terme. C'est aussi pour cela que je pense que ton histoire aura sûrement une débouchée heureuse.
- Vraiment ?
- Tu m'as dit tout à l'heure que tu n'avais pas de problème avec le sentiment en lui-même, plutôt avec le fait que ce soit Sollux Captor qui le provoque, c'est bien ça ?
- C'est ça.
- Et cela semble être de même pour lui ?
- Je ne suis pas allé me poster devant lui la bouche en cœur « au fait, tu voudrais me faire le cul parce que tu me gerbes mentalement dessus mais d'une manière sympathique voire romantique ? », donc jusque là, mes assomptions sur ses pensées sont assez floues.
Kanaya esquisse un sourire chaleureux qui le surprend assez, puis recommence à parler.
- Si l'idée d'être dans une relation haineuse avec Sollux Captor ne te satisfait pas, alors je suis persuadée que cette relation se détruira d'elle-même. Peut-être même que tu trouveras quelqu'un d'autre, un jour, pour susciter de tels sentiments, et que cela te semblera normal avec elle, naturel. A moins, bien sûr, que Sollux Captor ne retourne pas tes sentiments.
Karkat expire lentement et sent sa poitrine se serrer plus que jamais. Il sait que ça pourrait arriver, bien sûr, il sait que les adolescents ne tombent pas amoureux pour de vrai et que ça ne dure jamais et que de toute manière, c'est inutile, et blah, et blah, et blah. Mais être passé par toutes ces épreuves intérieures pour que ça finisse en séparation à la 500 Days of Summer, mine de rien, ça lui ferait mal. Il le supporterait mais ça lui ferait mal.
Probablement, se dit-il, parce qu'il n'est qu'un torchon humide ambulant et que oh, le premier amour, comme c'est romantique et touchant ! Ce serait con que ça foire, pas vrai ?
Oui, ce serait con que ça foire avec Sollux Captor. Mais bon.
- Et au fait, demande-t-il à Kanaya au lieu de lui faire part de ces peurs ridicules qui l'étreignent (y'a des gens qui meurent dehors sous des pluies d'hommes et de bombes, et lui il s'inquiète d'histoires de cœur, quel pot il a quand même), tu as une idée de pourquoi quelqu'un comme moi sentirait quelque chose comme ça ?
Kanaya fronce les sourcils un instant.
- Tu sais, les vacillations ne sont pas si rares. Beaucoup de gens tombent amoureux de leur meilleur ami parce que la limite est floue à leurs yeux. Je suppose que c'est le même genre de choses.
- Je ne parlais pas de mes trépidantes aventures dans les déserts de oh-pourquoi-je-te-regarde-comme-ça, je parlais juste de… De la haine. De l'amour haineux, de, putain, faut vraiment trouver un nom plus approprié.
- J'y travaille, lui assure Kanaya avec l'ombre d'un sourire.
Puis elle se rembrunit.
- Karkat Vantas, murmure-t-elle. J'ai l'impression d'avoir déjà entendu ton nom. Peut-être que c'est ton environnement qui t'a permis de ressentir de telles choses. On cultive la haine sur les cadavres des roses et l'amour sur les mains qui les ont faites pousser, ce genre de choses. Mais…
- Mais tu penses que c'est plus rare que ça, devine-t-il.
- C'est juste que…
Elle agite la main.
- Je suis née dans une famille aimante. Je n'ai jamais eu affaire à autant de problèmes que toi, je ne me suis battue que dans de rares occasions, et seulement lorsqu'il le fallait. Ma sœur a toujours été là pour moi et telle l'a été ma mère. Mais j'ai ressenti ce que tu as ressenti, Karkat, et je n'ai aucune excuse à part celle d'être moi-même.
- On serait un peu comme des… Des gens spéciaux.
- Je n'aime pas parler ainsi, je trouve cela prétentieux et vulgaire. Mais oui. Je pense que ça ne tient qu'à nous. Et peut-être à d'autres personnes que nous ne connaissons pas. Mais rares. Ou alors, tout le monde est capable de tels sentiments, mais ne rencontrent jamais la personne qui les fait se réveiller. Ce ne sont que des théories. Pour être franche, j'étais persuadée d'avoir été le fragile réceptacle pour une relation qui n'aurait jamais dû voir le jour. Je ne savais pas que des gens de l'extérieur pouvaient aussi…
- Tu l'as dit, Mary, fait sombrement Karkat. Bordel, je jure devant Dieu que si mon âme monte par un quelconque miracle au Ciel après ma mort, je l'attrape par Sa barbe toute-puissante et je la lui fais avaler dans un état si pitoyable que même ses vers d'estomac en auront la nausée pendant des années et le raconteront à leurs petits vermisseaux comme le jour où la Vermité se souvint qu'elle vivait dans l'effroi des divines choses bizarres qui lui tombaient dessus. Histoire de lui faire passer l'envie de jouer à la poupée avec les gosses de la Terre.
- Tu aurais préféré ne jamais avoir connu Sollux Captor et ne jamais l'avoir haï ?
Karkat hausse un sourcil et regarde Kanaya, qui sait très bien ce qu'il va dire.
- Bien sûr que non.
- Tu devrais juste lui dire que tu veux cesser ce début de relation noire.
- Il ne sait même pas qu'on est dans une relation noire !
- Tu devrais lui en parler quand même. La communication est la clef à beaucoup de verrous.
Ce n'est pas tant qu'il ne le voudrait pas. Il sait bien que oui, en parler et régler le problème comme des gens matures et responsables est une excellente idée recommandée par un grand nombre de spécialistes. C'est juste que Karkat n'est pas certain d'en être physiquement capable. Il a le discours facile. Oui. Bon. Mais il fait des discours violents, des discours furieux, injurieux, haineux. Il ne fait pas de déclarations.
Mais attendez, il a promis, ahah, oui c'est vrai, il a promis qu'il allait essayer de régler ça, et d'ailleurs il va le faire, oui monsieur, il va parler à Sollux Captor, il va tellement lui parler qu'il le tuera probablement sous le poids de ses mots, mais au moins il aura essayé. Parce que putain de merde, on ne dira à personne qu'il n'a pas essayé.
- Tu es quelqu'un de bien, Karkat, déclare Kanaya, assise sur son lit froid, les jambes croisées comme elle les croise pour tout le monde, et elle le fixe et elle lui sourit avec un sourire à la fois affectueux et inquiet qui lui fait brusquement penser à Gamzee et son cœur se serre – wow, c'est quoi tout ça, l'année des sentiments en folie ? On n'aurait pas pu le prévenir avant ?
Elle se tait un instant, puis ajoute :
- Je suis presque sûre que tu vas t'en sortir.
- Presque ?
- Hélas, ce n'est pas dans mes capacités de lire le futur. Mais qu'est-ce qui pourrait aller de travers ?
« Je me le demande bien », se dit-il.
Ben oui. Qu'est-ce qui pourrait aller mal. Hein. Qu'est-ce qui pourrait aller mal je vous le demande.
N'oubliez pas qu'un commentaire est toujours apprécié et fortement recommandé et je vous souhaite une bonne journée ! A bientôt pour la seconde partie !
Tachika El Mushroom.
