Notes : Ma modeste participation au 49e défi du Poney Fringant, sur le thème de "la porte de la Moria". Ce défi a été écrit un peu à la va-vite, je m'en excuse !
Bonne lecture.
Le Souvenir
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Blîn, la lèvre tremblante, se pencha vers son oncle mourant.
« Nous avons reçu des nouvelles d'Eregion. Ost-in-Edhil est perdue. Votre vieil ami, Celebrimbor, a disparu lors de la bataille. Il est dit que... »
Sa voix se brisa, alors qu'il hésitait à poursuivre.
« ... Il est dit que Sauron l'Abominable l'a capturé. »
Le souffle rauque de Narvi s'interrompit, le temps de quelques battements de coeur, tandis que l'horreur de cette annonce cheminait dans son esprit comme un poison âpre. Son regard presque aveugle se perdit dans la pénombre qui le dominait sous le haut plafond.
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Un soleil aveuglant régnait en ce jour d'été où le sculpteur était venu frapper à la porte des Maîtres Forgerons du Gwaith-i-Mírdain. Son compagnon l'avait accueilli avec un sourire chaleureux.
« Mon ami, avait-il dit, les yeux brillants, je viens te proposer une offre que tu ne pourras pas refuser. »
Ils s'étaient mis à l'ouvrage le soir même.
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Les jours passaient avec une lenteur insupportable. Les nuits leur succédaient sans plus d'ardeur. La lassitude empoisonnait son corps usé, trop vieux, lui laissant pour unique compagne une amère solitude.
Et ses nombreux souvenirs.
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Ils prenaient tous deux plaisir et fascination à observer l'autre à l'oeuvre. Ils étaient connus, parmi leurs peuples, comme les plus doués des artisans, et leur talent provoquait le ravissement de tous.
Aussi, admirer leurs gestes fluides et précis, alors qu'émergeaient du néant leurs fabuleuses créations, était une source infinie d'émerveillement.
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Blîn passait des heures à son chevet, tâchant tant bien que mal de soulager sa lente agonie. Mais ses sens défaillants le coupaient chaque jour davantage du reste du monde, et le jeune Nain était fort dépourvu face à la souffrance de son parent.
Narvi n'attendait plus qu'une seule chose : que la mort charitable vienne enfin l'emporter.
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Cette nuit-là, lorsqu'ils eurent achevé les Portes de Durïn, Celebrimbor sortit de son cellier une bouteille du meilleur vin d'Eregion. Fourbus mais heureux, ils avaient trinqué de nombreuses fois : à leur réussite, à leur amitié et à celle qui liait leurs peuples.
Puis à leur longue vie.
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Un beau matin - ou peut-être était-ce à la nuit tombée ; cela n'importait guère plus - son neveu vint le trouver. Les traits ravagés par l'affliction, il lui prit la main, restant silencieux pendant de longues minutes.
Lorsqu'il trouva enfin le courage de parler, les mots se déversèrent en un flot haché.
« Celebrimbor n'est plus, mon oncle. »
Puis il lui conta le supplice qu'avait subi l'orfèvre aux mains d'argent - n'omettant que l'ultime outrage infligé par le Noir Seigneur.
A mesure que s'égrenait le récit, le froid gagna Narvi. Il s'insinua insidieusement dans sa chair et son coeur, le laissant transi. Pourtant, cette mort qui en avait ravi tant d'autres refusa encore de le cueillir.
Une larme glacée roula sur sa tempe.
PS : Pour ceux qui l'ignoreraient - ou l'auraient oublié - je fais référence, en évoquant "l'ultime outrage" infligé à Celebrimbor par Sauron, au fait que celui-ci se servit de son cadavre comme bannière lors des batailles qui suivirent (scène qui, parmi tant d'autres, hanta certains de mes cauchemars lors de ma première lecture du Silm').
