Couvre mes yeux
De génération en génération, l'erreur se répète. Le rituel est accompli. Mêmes conditions, mêmes conséquences. Pour certains, ce monde alterné se révèle la chance de réaliser tous leurs désirs les plus inavouables ; pour les autres, c'est le plus horrible des cauchemars. Combien périront ? Combien s'en sortiront ? Et surtout, à quel prix ?
Pairings : Yuuya Kizami x Kai Shimada ; Yoshiki Kishinuma x Ayumi Shinozaki ; Seiko Shinohara x Naomi Nakashima
Prologue :
Il soupira. Encore une journée normale... Comme toutes les précédentes et toutes celles qui suivraient... Yuuya s'appuya contre le rebord de la fenêtre, à travers laquelle il observait la cour de l'école. Il dégagea cette mèche brune qui ne cessait de retomber entre ses yeux. Il ne traînait pas en solitaire d'habitude. Il avait des amis, enfin... de supposés amis. Des gens qui le voyaient, à tort ou non, comme un bon camarade. Au fond, il s'était toujours senti différent d'eux, mais, comme tout ce qu'il pouvait ressentir et qui se réduisait en résumé à bien peu, il l'enterrait. Un ricanement à peine inaudible, assez amer, lui échappa, à la vue de Kai Shimada en pleine démonstration de son pouvoir de séduction. Sa victime n'était autre que Tohko Kirisaki entourée de ses meilleures amies, Emi Urabe et Mitsuki Yamamoto.
Même s'il n'avait pas été en quasi-permanence accompagné d'un petit comité de fans, Kai ne serait pas passé inaperçu, avec ses yeux céruléens, sa chevelure incendiaire. A ce physique remarquable, s'ajoutait une formidable propension à fanfaronner, à se mettre sans cesse en avant par tous les moyens possibles et imaginables. Son caractère de feu lui rendait la tâche aisée il s'emportait facilement, haussait le ton rapidement et s'échauffait tout aussi vite. Il avait ainsi pour fâcheuse habitude de draguer tout ce qui passait et portait une jupe. Mais les filles n'allaient pas s'en plaindre il était peut-être... non, sûrement, le gars le plus sexy de toute l'école.
Dès l'instant où les regards de Kai et Yuuya s'étaient croisés, le second avait su qu'ils seraient voués à se détester. Après Kai, Yuuya passait pour le second plus beau garçon de l'école et lui n'essayait même pas de s'arranger, ne faisait pas le moindre effort. Il avait simplement eu la chance de naître avec une stature et une taille bien plus avantageuses que la moyenne. Il était d'apparence presque négligée. Il ne se distinguait vraiment que par sa carrure et son habitude de porter négligemment sa veste d'uniforme jetée par-dessus son épaule droite. Sans doute les jeunes filles n'étaient-elles pas non plus insensibles à sa chemise entrouverte sur la naissance de ses pectoraux et à ses bras musclés dénudés. Mais ce qui le caractérisait le plus restait cette chaîne argentée, attachée à une boucle de son pantalon ; il ne l'avait jamais quittée. Pas un seul jour. Elle avait, à ses yeux, une valeur immense.
Yuuya et Kai étaient, pour ainsi dire, les deux faces d'une même pièce. Il ne pouvait exister deux caractères plus opposés dans toute l'école, voire dans tout l'univers. Tout les séparait, de la coquetterie et la suffisance volontairement affichée de Kai à la tranquille quiétude et secrète attitude de Yuuya. La plupart du temps, Kai était occupé à courir les filles, mais, parfois, il devait se lasser de multiplier les conquêtes et son passe-temps devenait alors de brimer les autres élèves. Yuuya y compris. Et il le laissait faire.
Pourtant, nul doute ne faisait que, s'il avait décidé de répliquer, surtout par la violence, Yuuya l'aurait emporté. Il pesait dix kilos de plus que le rouquin et le dépassait d'un peu plus de dix centimètres. De plus, il était athlétique. Kai n'était pas en mauvaise forme non plus, loin de là. Modèle pour un magasine de mode masculine, il savait prendre soin de sa personne. Un peu trop sûrement. Avec tous les bijoux à ses poignets et pendant à son cou, sa coupe de cheveux toujours impeccable, son look savamment étudié et apprêté et son étrange souhait de devenir hairstylist, il aurait été facile de le prendre pour un homosexuel. Mais Kai avait tôt fait de démentir les rumeurs naissantes.
En réalité, de nouvelles étaient nées, le décrivant comme un jeune délinquant. Une fois, des policiers avaient même fait irruption dans la salle de classe. Yuuya, qui se trouvait dans la même classe, avait assisté à l'arrestation. Pas une seconde Kai n'avait semblé perdre contenance. Dès le lendemain, il était de retour et sa popularité avait grimpé en flèche. Qui contredirait désormais que les filles craquaient pour les mauvais garçons ? En l'espace de quelques heures, il était passé de potentiel homosexuel refoulé au véritable Casanova de l'école, faisant chavirer les cœurs de toutes les filles.
Aussitôt que la sonnerie de fin de reprise des cours sonna, Yuuya se dirigea vers sa classe. Dans son dos, il entendit un concert de rires et de gloussements. Il n'eut même pas besoin de se retourner pour deviner qui arriver. Le prince Kai et sa cour d'adoratrices, qui incluait même quelques membres masculins. Ce gars attirait et il en jouait. Il en restait naturellement d'autres qui se méfiaient de lui comme de la peste il passait pour être une très mauvaise fréquentation. Soit on l'adorait, soit on le détestait. Chose sure, il ne laissait pas indifférent. Il percuta, volontairement sans l'ombre d'un doute, Yuuya lorsqu'il passa à sa portée, puis lui jeta par-dessus son épaule un regard moqueur. Le brun fronça à peine les sourcils. Il avait l'habitude de ce genre de comportements stupides de la part de Kai, qui le cherchait sans arrêt. Il entra dans sa classe, la 2-4, et s'installa à sa place habituelle. Il déballait ses affaires quand une secousse lui fit relever la tête. Kai venait de s'asseoir directement sur sa table.
- Alors l'impuissant, ça gaze ? Ricana-t-il, d'une voix venimeuse.
Il l'appelait souvent ainsi, tout ça parce qu'ils avaient tous deux 17 ans et que Yuuya n'avait jamais eu de petite amie, contrairement à lui qui les collectionnait à la pelle. Yuuya le regarda en silence, à peine une seconde, bien décidé à ne rentrer dans son jeu, à lui refuser ce plaisir. Il ne comptait pas lui donner ce qu'il attendait, être celui qui amuserait son public déjà amassé autour d'eux. Décevant tous les regards braqués sur eux, il se contenta de le prier calmement de descendre de son bureau. Kai écarquilla les yeux un instant, avant de se pencher davantage sur lui, pour capter son regard. Yuuya l'affronta directement, lui démontrant clairement qu'il ne le craignait pas du tout. D'ailleurs, il ne craignait personne. Il le fixa au point de le déstabiliser. Si tu savais ce que je te fais dans ma tête... Ce que je crève d'envie de te faire subir...
En cet instant, Kai voulut reculer, faire marche arrière, mais il ne pouvait le faire sans perdre du crédit aux yeux de ses fans. Alors il ne bougea pas d'un pouce et continua de se confronter au regard de plus en plus pénétrant de Yuuya. Aussi incisif qu'un poignard. Peut-être n'aurait-il pas dû pousser le jeu si loin ? Il se posa trop tard la question.
- Dégage... souffla tout bas le brun.
Kai émit un rire aussi bref qu'amusé. A l'intérieur, cependant, il n'en menait pas large. Quelque chose clochait chez Kizami, sans qu'il puisse pointer le doigt dessus.
- Sinon quoi, Kizami ?
Le regard de son rival gagna en intensité. Si tu savais... Si tu savais, Shimada... Il n'avait pas la moindre idée de ce dont il se présumait capable. De ce qu'il désirait en secret. Mais il se bridait, constamment. Il avait réussi à se convaincre de cette prétendue normalité, banalité, qu'il affichait.
- Tu ne peux même pas imaginer, Shimada, répondit enfin Yuuya.
Et, pendant une seconde, Kai apprécia presque leur conversation. Il rencontrait trop peu de résistance d'ordinaire. Heureusement, comme nul n'entendait leurs messes-basses, Yuuya semblait avoir repris un peu le contrôle de la situation et il révélait une facette de sa personnalité passée plutôt inaperçue jusque-là. Kai adorait ça. Chercher la merde, la remuer. Il le regretterait sûrement, un jour. Il s'apprêtait à répliquer, quand le professeur fit irruption dans la salle, mettant un terme à leur si inhabituelle discussion.
- S'il vous plaît ! Demanda-t-il, frappant dans ses mains avant de s'installer. Regagnez tous vos places ! Le cours va commencer !
Kai fit la moue et libéra enfin le bureau de Yuuya. Juste avant de regagner sa place, il lui glissa à l'oreille :
- On s'revoit sur le terrain ?
Comme Yuuya ne lui offrit rien en retour, pas même l'ombre d'un regard, Kai lâcha un soupir agacé.
- Merde t'es tellement chiant ! S'exclama-t-il et il alla s'asseoir, de sa démarche désinvolte.
Yuuya ne releva les yeux que lorsque le cliquetis de ses bijoux se fut tu. Ces stupides bijoux. Les argentés comptaient parmi ses préférés. Sur le coup, Yuuya s'était mordu la langue pour ne pas lui exploser le crâne et effacer par la même occasion son petit air supérieur. Kai déclenchait chez lui un conflit ; une partie de Yuuya souhaitait le détruire, purement et simplement, tandis que l'autre s'employait à l'y faire renoncer. A tout prix.
Yuuya détestait les cours de sport. Non, pas vraiment. Le problème n'était pas vraiment le cours en lui-même ou même la matière. Il était bon ; il excellait même en sport. Le souci venait après. Dans les vestiaires ; plus précisément, dans les douches. Pas à cause d'un quelconque problème de taille. De ce côté-là, il était bien doté aussi. Mais plutôt parce qu'il appréhendait des représailles de Kai à ce moment-là, ce qui le placerait dans une situation des plus indélicates.
Le cours se déroula comme usuellement. L'enseignant était aussi ennuyeux que d'ordinaire, pédant à souhait pour ne rien arranger. Kai se fit reprendre plusieurs fois pour bavardage et parce qu'il « distrayait ses petits camarades ». Rien de bien étonnant là-dedans. Yuuya suivit le cours sans trop s'y plonger ; il avait la tête ailleurs. Il notait sans prendre garde à ce qu'il écrivait. Plusieurs fois, Kensuke tâcha d'attirer son attention, en vain. Enfin, lorsque la sonnerie retentit, tous les élèves évacuèrent la pièce, à l'exception de Yuuya.
- Hé ! Kizami ! Ici la Terre !
Une main s'agita devant les yeux de Yuuya et, la seconde suivante, Kensuke Kurosaki, son meilleur ami attrapait une chaise pour s'asseoir face à lui.
- T'as un problème ?
En dépit de son mutisme, il devina sans peine.
- Oh laisse tomber ce con de Shimada. C'est juste un minable histrion qui a besoin de son petit public pour se sentir exister ! Il joue les durs, mais, si tu veux mon avis, il fait tellement gay !
Même Yuuya esquissa un sourire. Kensuke était bien le seul à pouvoir encore le faire sourire et il n'avait pas tort pour une fois. Il se tut ; il n'espérait pas vraiment de meilleure réponse de la part de Yuuya. Le brun avait toujours été très secret, voire mystérieux.
- Dépêche ! S'écria subitement le cadet, après un moment de silencieuse complicité. On va être en retard !
Ils attrapèrent leurs affaires et coururent jusqu'au bâtiment aménagé pour le sport. De loin, ils purent déjà apercevoir certains élèves s'échauffant. Kai s'étirait, tout content de montrer son nouveau survêtement à la dernière mode. Yuuya se précipita dans les vestiaires et s'empressa de se changer. Au coup de sifflet, ils se lancèrent tous sur la piste. Yuuya n'avait pas à se tenir sur ses gardes ici. Jamais Kai ne lui aurait fait de croche-pied à lui ; quelque part, il devait avoir conscience de la supériorité physique du brun. Les tours de piste s'enchaînèrent, monotones, tous identiques. Yuuya s'ennuyait au point qu'il crut s'endormir debout. Il venait de passer ses écouteurs de MP3 quand ils lui furent arracher. Un rire aigu lui égratigna les tympans. Puis Kai reprit sa voix normale, plus grave, mais toujours pas autant que celle du brun.
- Alors, Kizami, on s'traîne ?
Il le dépassa et fit volte-face, courant à reculons sur plusieurs pas, juste le temps de le défier. Puis il reprit sa course en accélérant. Yuuya ne mit pas longtemps à se décider ; il allongea ses foulées et ne tarda pas à le rattraper. Honnêtement, il aurait pu l'humilier et lui mettre cinq bons mètres dans la vue, mais il n'en fit rien. Il se contenta de se caler à sa hauteur. Soit le narcissisme de Kai l'aveuglait et il ne s'en rendit point compte, soit il le remarqua mais s'abstint du moindre commentaire. Dès que le professeur les autorisa à regagner les vestiaires, il se sépara de Yuuya et retrouva ses camarades. La mort dans l'âme, mais sans rien en laisser paraître, le brun descendit à son tour. Il se débarrassa de ses affaires trempées de sueur et hésita un moment à gagner tout de suite les douches. Les autres garçons de sa classe se lavaient déjà. Kai y compris. Mais il ne pouvait pas non plus se permettre de demeurer là, planté au milieu du couloir, devant son placard, en tenue d'Adam. Ç'aurait été bien trop bizarre.
Finalement, il noua une serviette autour de sa taille et entra dans la pièce d'eau. Dans la fumée de l'eau chaude, il peinait à distinguer quoi que ce fut, ce qui le soulagea grandement. Il ne comprenait pas pourquoi il réagissait de la sorte en présence de Kai, dans de pareilles circonstances. Il n'appréciait même pas particulièrement les hommes, ni les femmes d'ailleurs ; en fait, il n'avait jamais véritablement eu envie de coucher avec quelqu'un en particulier. Bien sûr, comme tout un chacun, il avait des pulsions, mais les satisfaire en solitaire lui convenait et lui épargnait bien des complications. Il ferma les yeux, se concentrant juste sur cette eau chaude, presque brûlante, claquant contre son visage. Ses pensées stoppèrent, sa tension retomba. Il retourna à ce calme qui était sien habituellement. Il se savonnait, quand des bribes de la conversation entre Kai et ses potes lui parvinrent.
- Hé ! Shimada ! Toi et Kirisaki ! C'est le grand soir ?
Les épaules un peu osseuses du roux s'agitèrent tandis qu'il riait. Yuuya se hasarda à glisser un discret coup d'œil. Kensuke avait vu juste ; Kai se plaisait sûrement à s'imaginer grand et fort, mais il était peu musclé en définitive et un brin trop mince pour sa taille. La faute à son régime strict de mannequin sans doute. Il détacha ses yeux de lui quand ils glissèrent trop bas. Si quelqu'un le voyait, c'en était fini de ce qui lui servait lieu de réputation. La voix de Kai résonna dans la pièce surchauffée.
- Ouais ! Ce que je vais lui mettre ! Je te jure qu'elle jouera plus jamais les saintes-nitouches après ça !
Un tremblement furieux remonta l'échine de Yuuya. Ses poings se comprimèrent, se serrant jusqu'à ce que ses phalanges blanchissent. Il ne soupçonnait pas la raison de son énervement ; il était incapable de dire s'il était provoqué par la faible considération de Kai pour Tohko ou par l'idée que Kai puisse ajouter un nom à sa liste de conquêtes. Il ne sut pas lui-même où il trouva le courage de le faire, mais il les interrompit soudainement.
- Kai.
Le rire du rouge mourut quasi-instantanément et il promena sur le brun un regard quelque peu désorienté. Non seulement Yuuya venait, en l'appelant de cette manière, de lui manquer de respect, mais il l'avait fait en public. Pire, il le fixait d'un air grave, comme s'il cherchait à lui extorquer des excuses. Kai se devait de réagir et vite. Il s'écria, sur un ton d'emblée agressif :
- Quoi ?! Putain !
- Tu aurais un moment à m'accorder après les cours ?
Comme il faisait à nouveau preuve d'une certaine révérence à son égard, Kai s'apaisa. Il ferma l'eau, serra sa serviette autour de ses hanches et fit signe à ses amis de les laisser.
- J'vous rejoindrai, les gars.
Puis il rejeta les mèches écarlates collées à son front et ses joues et en revint à Yuuya.
- Tu veux quoi ? Lança-t-il. Un combat ? Ça fait un bout d'temps que j'attends ça !
Kizami se racla la gorge et soutint sans mal son regard.
- Non. Rien qui ne ressemble à ça.
Aussitôt qu'il n'était plus entouré et acclamé, Kai semblait se départir en partie de son assurance. Il se détourna en premier, soupira. Yuuya devina qu'il accepterait ; il était piqué de curiosité. Le comportement du brun ces derniers temps, et ce jour-là en particulier, n'avait cessé de le surprendre. Kai déclara d'une voix condescendante, comme s'il lui accordait un privilège incroyable :
- Okay... A la sortie des cours, à la grille.
Il se dirigea vers la sortie et ajouta avant de quitter :
- Et tu auras 5 minutes. Pas plus.
Il se tenait adossé à la grille. Il rouvrit son portable, consulta nerveusement l'heure, pour la énième fois. Une autre minute venait de s'écouler. Son cœur battait plus vite. Il ne se rappelait pas avoir ressenti auparavant un sentiment semblable. Ce n'était pas de la crainte pure et simple, ni de l'anticipation, de l'excitation, mais un curieux mélange de multiples émotions. Il devait se reprendre, et de toute urgence, sans quoi Kai ferait de lui la risée de l'école. Mais là n'était pas ce qui l'inquiétait le plus. Il n'avait cure de l'avis des autres, de leurs normes, de leurs attentes ; il ne cherchait à se fondre dans aucun moule. Il avait toujours suivi sa propre ligne. Seul. La compagnie de Kensuke, au fil des ans, s'était mué en un vulgaire paravent, une forme de tromperie pour éviter que les autres ne réalisent... ne réalisent quoi ? Il ne savait pas lui-même ce qu'il pouvait avoir à cacher.
Il déplia encore son portable. Si, au moins, il avait eu le numéro de Kai, il aurait pu l'appeler et savoir de quoi il retournait. Mais, évidemment, ce n'était pas le cas. Kai ne permettait pas à n'importe qui de figurer parmi ses contacts, d'être vu en sa compagnie. D'où, probablement, ce rendez-vous caché à tous et voué à être écourté. A chaque minute, puis seconde défilant, Yuuya vit ses espoirs s'amincir jusqu'à presque s'évanouir. Mais il resta à son poste, se disant qu'il l'aurait forcément vu passer s'il était déjà sorti.
Naturellement, Kai n'arriva pas à l'heure ; il se montra avec plus d'une dizaine de minutes de retard. Pire, il passa le portail sans un regard en arrière. Yuuya dut l'interpeller. Le rouquin s'arrêta et le dévisagea d'un drôle d'air. Leur rendez-vous lui était complètement sorti de la tête. Lorsqu'il lui revint enfin en mémoire, il rit.
- Et tu es resté là à attendre tout ce temps ? S'étonna-t-il, mais le brun sentit bien qu'il se payait sa tête.
Yuuya ne put qu'acquiescer. En une seconde, sa bouche, sa gorge, s'étaient asséchées. Il tâcha de lutter contre cette désagréable sensation qui rampait lentement en lui et l'immobilisait, comme si elle l'ancrait dans le sol. Il remonta son regard sur Kai, qui avait trouvé le moyen de complexifier sa coiffure. Sa veste et son pantalon d'uniforme avaient été balancés dans son sac à dos et il portait désormais un jean troué et une veste en cuir cintrée. Tout ça sûrement pour son rendez-vous avec Tohko. Une pique perça le coeur de Yuuya à cette pensée et le mystère embrumant son cerveau se dissipa peu à peu. Etait-ce ça ce qu'ils appelaient la jalousie ?
Il se passa une main sur la nuque. Gêné. Si seulement il y avait été habitué, mais ce n'était absolument pas le cas. Normalement, il n'avait que peu, voire pas d'intérêt pour les interactions sociales. Il n'avait jamais eu l'occasion de croiser Kai en dehors de la faculté, à croire qu'ils ne fréquentaient pas du tout les mêmes quartiers. De toute façon, lorsqu'il n'était pas en cours, il traînait seul dans les rues de la basse-ville ou aux abords de la zone industrielle. Il n'appréciait pas les endroits branchés et peuplés. Se montrer ne lui faisait pas peur ; il n'en concevait juste pas l'intérêt.
Ce détail l'interpella. Même quand il se trouvait au sein de sa famille, il instaurait entre lui et eux, et plus spécialement ses frères et soeurs, une distance, une sorte de muraille glaciale d'indifférence. Il n'allait jamais vers les autres. Il n'aurait pas pour autant rejeté une personne qui se serait intéressée à lui et aurait souhaité le connaître, mais celle-ci aurait eu à faire le premier pas et même bien plus. Alors que fichait-il là ? Avec Kai Shimada de surcroît !
Il ne l'avait pas réalisé, mais de longues secondes s'étaient écoulées et le rouquin commençait vraiment à s'impatienter. Alors, comme pour le retenir, il lâcha la première chose qui lui passa par la tête.
- ça te va bien.
Kai rit.
- Je sais ! répliqua-t-il arrogamment, mais le compliment parut tout de même lui faire plaisir.
Etre encensé, c'était un peu le but de toute sa vie. Si, en plus, le compliment venait du garçon le plus taciturne de toute l'école, il ne pouvait qu'en être ravi. De nouvelles secondes passèrent ; le silence était retombé. Kai recommença à s'ennuyer et Yuuya en avait conscience. Il peinait encore à mettre un mot sur ce qu'il ressentait et il devait déjà se lancer... Mais comment ? Pour obtenir quoi ? Il savait qu'il devait agir, mais n'avait pas la moindre idée de comment. Il se flagella mentalement. Fais quelque chose. Juste. Fais quelque chose. Il lâcha de but en blanc :
- Tu es passionnant.
La tournure était pour le moins équivoque et étrange, mais Kai fronça à peine les sourcils. Il prit ses mots à la légère. Il ne ressentit pas le danger. En réalité, il songeait que Kizami jouait à ce petit jeu d'intimidation qu'il affectionnait tant lui-même, mais à sa manière.
- Tu m'en diras tant... ricana-t-il.
- J'adore t'observer. Toi encore plus que les autres.
Carrément bizarre cette fois. Les sens de Kai se mirent en alerte. Toutefois, par fierté ou pour ne pas énerver Kizami, il fit de son mieux pour conserver son air dégagé, mais ses entrailles se nouèrent légèrement et un frisson lui donna la chair de poule.
- Je te rassure, tu es loin d'être le seul ! s'écria-t-il, mais sa voix sonna comme enrouée et son rire forcé mourut dans sa gorge, bien trop tôt.
Yuuya nota son regard fuyant, ce pas quasi-imperceptible qu'il esquissa en arrière. Pourquoi voudrait-il s'échapper ? Il ne lui avait rien fait. Et les cinq minutes promises ne s'étaient pas encore écoulées.
C'était sans doute une manœuvre un peu étrange et précipitée, mais, pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, Yuuya avait eu l'impression que leur si courte conversation avait été dépourvue d'animosité. Il avait eu le sentiment qu'il avait été question de bien plus qu'un jeu entre eux. Ce soir, il verrait s'il pouvait élever ce jeu à un autre niveau. Quel niveau ? Il en entrevoyait quelques contours diffus désormais. Mais ses attentes profondes et ce qui les motivait restaient assez confus.
A présent qu'il s'était tu, le malaise de Kai croissait. Il crevait d'envie de filer, de retrouver son rencard de la soirée. Pourtant, il restait planté là. A perdre son temps avec ce type qui se foutait de lui, à moins qu'il ne soit un fichu autiste, incapable de tenir une conversation, de lui dire pourquoi il lui avait demandé de venir.
Après un moment, Yuuya soupira. Il porta les mains à sa chaînette, pendant depuis toujours à son pantalon, et la décrocha. Dans ce silence toujours obsédant, le plus total, mais aussi le plus lourd de sens, il la tendit à Kai. A ses yeux, c'était la meilleure preuve, la meilleure manifestation de ce message qu'il voulait lui transmettre. Kai avait toujours adoré les bijoux argentés. Yuuya aussi, mais il avait trouvé mieux. Encore plus brillant, plus bruyant, plus clinquant. Et malheureusement surtout plus artificiel.
Pris de court, Kai eut juste la réaction la plus abominable possible. Celle que Yuuya redoutait le plus. Devant ses yeux, il explosa de rire. Comme Yuuya demeurait sérieux, muet comme une tombe, il s'interrompit brutalement de lui-même.
- Oh ! S'écria-t-il, toujours un peu hilare. Alors tu... ne plaisantes pas en plus ?
Puis il se tut et rit, plus bas, d'une voix quasi-inaudible. Ses paupières étaient mi-closes. Il semblait soudain si doux. Yuuya le scrutait. Il prit cette drôle d'attitude pour de la gêne. Et pour un oui. Il esquissa un pas vers Kai et voulut enserrer sa taille, mais celui-ci le repoussa, presque agressivement.
- Mais ça va pas toi ?! Sérieux, c'est quoi qui cloche chez toi ?! Franchement, si tu crois que j'pourrais m'intéresser à un loser dans ton genre, tu rêves !
Yuuya fit ce qu'il savait faire de mieux ; il intériorisa toute sa hargne et s'emmura dans le silence. Il était toujours là, physiquement, mentalement, mais il s'effaçait, attendant que la tempête passe. Mais, sans même reprendre la parole, Kai continuait de le blesser. Il le toisait avec un mépris plus manifeste que jamais auparavant. Soudain, il le poussa en arrière.
- T'y as vraiment cru une seconde ?! Tu m'insultes ! Putain ! Même pas en rêve ! Dans un autre monde ! Et encore !
Il le repoussa encore. Yuuya fronça les sourcils, mais ne répliqua pas. Confronté à son silence, Kai se remet à rire.
- Putain ! Quand les autres entendront parler de ça !
Mais nulle provocation ne paraissait capable d'arracher la moindre réaction à ce mur qu'était Yuuya. Immense, silencieux, droit, inébranlable. Kai finit par se lasser et il se détourna :
- Tch ! Comme si j'allais le répéter à qui que ce soit...
Et Yuuya comprit parfaitement pourquoi il n'en ferait rien ; il avait honte. Honte qu'un type comme Kizami puisse s'intéresser à lui. C'était peut-être le pire pour Yuuya. Mais il garda tout pour lui. Encore une fois. Même si l'envie de le poursuivre, de le plaquer au sol pour le tabasser jusqu'à ce que mort s'ensuive le rongeait tout entier. Au lieu de ça, il le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse au détour d'une ruelle.
Un prologue qui s'ouvre sur un beau "heartbreak" xD (enfin, un heartbreak même pas tout à fait conscient)
Pour les bijoux : J'ai en effet lu dans les fiches des personnages sur le Wikia de Corpse Party que Yuuya et Kai adoraient tous les deux les accessoires argentés, alors je pense que ce détail anodin prendra de l'importance par la suite xD j'aime beaucoup donner de l'importance à des infimes éléments.
Pareil pour les poids et tailles, j'ai préféré vérifier avant de me lancer xD
Merci aux lecteurs !
Beast Out
P.S : WTF Kai Shimada ne figure pas dans la liste de persos pour ce jeu ?! xD
