Bonjour à tous !
Pour ceux qui ne nous connaissent pas encore, nous sommes DEUX auteurs et nous répartissons l'histoire.
Il y a donc deux héroïnes et chaque chapitre est écrit d'un point de vue différent, les impairs d'Emi par Tite-Yume (ou Lou) et les pairs de Léna par Cloclo (ou Clo) :D
Pour vous faire une plus ample idée,
- Bonne lecture !
Chapitre 1 : Départ
Les gouttes de pluie s'écrasent contre la fenêtre, sonnant comme un tambour africain dans la savane sauvage. Ma respiration fait des ronds de buée contre la vitre, je me détourne un instant de la lande aride et déserte. Elle s'étend par de-là la barrière délimitant notre jardin, dont l'état montre bien que personne ne prend soin de cette parcelle de terre que nous avons acquis il y de cela sept ans.
Nous sommes arrivés en Angleterre un moi d'août, le 1er août 1984 pour être précise. Nous avions fui la Russie, devenue URSS, pour nous réfugier ici, dans le Yorkshire, cette contrée déserte et perdue au cœur même du Royaume-Uni. Mon père était un journaliste à l'esprit trop ouvert et la plume trop acérée pour être en sécurité sous le régime dur de Staline. Lorsqu'il a reçu l'ordre d'arrestation et la proclamation de son envoi dans un Goulag en Sibérie orientale, il a commandé notre départ imminent. Nous avons quitté notre maison de St Petersburg et fraudé pour sortir de Russie. Le voyage s'est effacé dans ma mémoire, mais le paysage de mon pays est toujours aussi vif dans mon esprit. Les plaines infinies, la neige scintillant sous le soleil froid, l'odeur de sapins et de la terre noire, la musique du vent dans les forêts immenses. Cette musique faible qui résonne encore à mes oreilles me ramène dans le théâtre de mon enfance. J'avais onze ans lorsque je suis partie. Je n'y suis jamais retournée.
Nous avons tous quitté, n'emportant que quelques maigres bagages et aucun des meubles de notre grande maison victorienne, juste des souvenirs de cette autre vie et les pleurs de ma mère. Nous sommes arrivés ici sans argent, nous avons dormis deux nuits dans la gare de Londres, le temps pour mon père de retrouver l'un de ses amis de l'université, Horace Flanagan. Les traits de cette homme jovial se sont effacés, je me souviens juste de sa voix haut perchée et de son rire confiant. Il m'inspira de la crainte, comme tous les étrangers. Il n'y avait pourtant aucune raison d'avoir peur de cet homme, il nous trouva une maison ici, à quelques kilomètres de Haworth dans une bourgade d'une centaine d'habitats. Une maison austère, à moitié mangé par les herbes folles, mais qui nous a permis de reconstruire un foyer. Pourtant, la chaleur qui s'y dégage ne sera jamais la même que celle de l'âtre du salon bleu de Saint Petersburg.
Maman a beaucoup pleuré, elle a pleuré jusqu'à en perdre le goût de la vie. Papa a obtenu par le biais de monsieur Flanagan un poste au commissariat de police de Haworth. Il n'a plus jamais écrit le moindre début d'article et a remboursé à Horace, au prix de restrictions sévères, malgré les protestations de celui-ci. On a peut être arraché mon père à ses chères racines mais pas à ses principes. Nikolaï, mon frère qui a deux ans de plus que moi, a choisi l'autre voie. Au lieu de s'intégrer il est sorti de la masse. Il s'est rebellé contre les regards que nous lançaient les gens dans la rue. Nous étions des étrangers, des communistes, des ennemis. Nous le sommes d'ailleurs toujours. Nikolaï est devenu une sorte de rebelle, si tant est qu'il y en est dans ce coin perdu du monde. Il fume beaucoup trop mais ne touche pas à l'alcool. Maman le fait bien assez pour nous tous. Quant au petit dernier, Piotr, il est né ici, il a de cela trois ans. Il n'a jamais vu la terre noire de Russie, ni entendu le vent dans les sapins courbés par le poids de la neige.
Et moi, Emily Bolkanski, je me suis enfermée dans un monde où il n'existe aucune couleur, aucune odeur. Il n'y a que les notes du piano, les gémissements de mon violon et les mélodies aux milles sensations. J'ai continué la musique, continué mon rêve de devenir une grande violoniste et pianiste, comme l'avait été un jour Natacha Bolkanski, ma mère. Que les méandres de l'alcool ont entraînée dans un univers tortueux coupé de la moindre note de musique. Papa, Illa Bolkanski, a bien essayé de l'en tirer mais sans succès. Elle s'est laissée dériver pour atteindre l'état qui aujourd'hui effraie mon petit frère. J'entends son rire enfermé derrière la porte de la chambre de mes parents et frisonne.
« Mily ! babille Piotr en secouant mon bras, Je veux voir maman !
- Pas tout de suite Coco, je réponds en russe en l'étreignant, maman dort.
- C'est pas vrai ! s'écrie-t-il, tu l'entends toi aussi ! Pourquoi j'ai pas le droit de voir maman ?
- Parce que ce n'est pas maman. »
Je n'ai jamais été aussi proche de la vérité. Ce n'est plus que l'ombre du corps de ma mère qui s'abrutit avec de la vodka de l'autre côté du couloir. Son esprit est loin, par de-là les océans. Il est à Vienne où elle a joué dans les plus prestigieux opéras. Et son cœur nous a quittés pour les souvenirs de sa Russie. Sa Russie qui lui a été arraché. Les yeux gris de Piotr me fixe, incrédule, les yeux gris de papa. Je lui souris et caresse sa petite joue blanche.
« Et si on allait faire un tour plutôt, je propose, il ne pleut plus.
- D'accord ! fait-il, ravi de quitter l'austère demeure, et tu m'achèteras des chocolats, hein ?
- Évidemment ! »
Sa petite voix babille en anglais, refusant de parler le russe dont il ne connaît rien aux sonorités. Il n'a aucun accent quand il parle, au contraire de Nikolaï, maman, papa et moi. Il semble être une sorte d'étranger, le symbole de cette vie que nous avons construite tant bien que mal sur la terre aride du Yorkshire. Je descends au premier étage et habille Piotr qui court de joie dans la cuisine. Tout comme moi, il adore la lande. Mais pas de la même manière. Il l'a aimé au premier regard, pas moi. J'ai appris à aimer peu à peu cette terre sèche et rude, ces murs de pierres rêches qui zigzaguent dans la lande. J'ai appris à apprécier les animaux qui se tapissent dans l'herbe folle, les fleurs fragiles et le vent qui hurle. Notre histoire d'amour commence par un refus de la regarder, elle, la lande, cette étrangère. Mais les années passant, elle est devenue mon refuge, ma cachette, pour fuir ce monde et les cris de mère. J'enfile un manteau, indispensable contre ce vent froid. Puis, nous sortons nous perdre dans cette terre hostile.
« Mily ! Regarde-moi Mily ! cri mon petit frère en courant aussi vite que ses petites jambes le lui permettent.
- Mais je te regarde ! je réplique en marchant à sa suite. »
Il écarte les bras, comme pour s'envoler, et son rire danse avec le vent. Je regarde sa tignasse de cheveux châtains, il est le portrait craché de papa. Soudain, il se rapproche de moi et glisse sa petite main dans la mienne, les yeux sérieux : le hameau se dessine à l'horizon. Sa crainte est justifiée. A Derry, nous sommes perçus comme des ennemis, des sales communistes, des russes. Les regards sont mauvais, même à l'encontre d'un enfant de trois ans. J'ignore les passants, qui s'ils le pouvaient nous cracheraient dessus, et entre dans la petite épicerie. Madame Arlen nous jette un coup d'œil mauvais par-dessus son comptoir et balance quelques caramels en échange de ma monnaie. Je reste impassible et entraîne mon frère à l'extérieur. Nous nous asseyons sur un banc et dévorons ensemble les sucreries. Piotr me regarde, débordant d'amour, et se colle contre moi, avide de caresses. J'étreins sa petite silhouette et niche mon nez dans ses cheveux.
« Je veux pas que tu partes Mily, geint-il en reniflant.
- Ce n'est pas pour toujours, je l'embrasse, et j'apprendrai plein de tours de magies que je te montrerai à Noël.
- Tu feras pleuvoir des bonbons, écarquille-t-il les yeux.
- Et pousser des arbres à sucettes !
- Emily ? s'écrit alors une voix, Emily Bolkanski ? »
Un visage apparaît l'instant d'après, une chevelure rousse et luxuriante, des yeux d'un vert perçant et des joues constellés de taches de rousseurs. Je reconnais ce visage, celui de ma voisine que je n'ai pas aperçue depuis longtemps. Elle est accompagnée de deux garçons bien bâtis.
« Tu te souviens de moi ? continue-t-elle en sautillant comme une folle, on a joué ensemble pendant un été ! »
C'était l'été de mon arrivée, juste avant que je ne reçoive ma lettre de Pouldard. L'été suivant on s'est un peu vu mais neuf mois d'éloignement avaient eu raison de notre amitié naissante.
« Sandra Walgon ! se présente-t-elle.
- Oui bien sûr, je fais sans un sourire.
- Quelle surprise, n'est-ce pas ? continue-t-elle avec entrain, ça fait bien un an !
- Deux.
- Deux ? s'exclame-t-elle, nullement refroidie par ma réserve. Ecoute je n'ai pas le temps de parler mais viens chez moi ce soir, j'organise une fête !
- Je ne sais pas, je fais avec réticence alors qu'un des mecs me regarde d'un œil appréciateur.
- Tu viendras hein ? Allez… Promis ? rétorque-t-elle les yeux plein de plaisir, son insistance m'étouffant.
- Promis, je réponds dans un souffle en sachant que je tiendrai parole mais n'y resterai pas longtemps.
- A ce soir alors ! s'excite-t-elle en rejoignant ses amis, neuf heures sans faute ! »
OoOo
J'ai renoncé à me coiffer. Mes cheveux blonds comme le miel et courts sont sans cesse dans un doux désordre qui est devenu mon style. Je me suis légèrement maquillée, soulignant le bleu de mes yeux, intense comme les mers du nord. J'ai chaussé des ballerines sombres, un sleam noir qui souligne la finesse de mon corps et un chemisier violet foncé.
« Tu sors ce soir ? s'étonne mon père qui entre dans ma chambre.
- C'est si surprenant ? je réponds en attrapant Piotr en pyjama qui se jette sur moi.
- Non… Non… pas du tout, ment-il.
- Où est Nikolaï ? je demande tandis que Piotr joue avec mes boucles d'oreilles.
- Il est en ville, avec sa bande d'amis je suppose, grommèle papa.
- Et maman ?
- Elle dort, son regard gris se voile légèrement.
- Je voulais lui faire un bisou ! pleurniche mon frère.
- Demain tu pourras, le rassure papa en l'embrassant.
- Tu piques ! se plaint Piotr alors qu'il le met dans son petit lit, ta barbe me pique papa !
- Bonne nuit Coco, je dépose un baiser sur sa joue.
- Je t'aime Mily ! répond-t-il des étoiles plein les yeux.
- Je t'adore ! je lui souffle avec tendresse. »
Puis, je sors de la chambre que je partage avec Piotr. Notre maison n'est pas assez grande pour nous cinq. Nikolaï ne veut pas de Piotr et je tiens à conserver un peu d'intimité. Entre un jeune adulte qui se shoote tout les soirs et cette adorable bouille d'ange, mon choix a vite été fait. Je dévale les escaliers et jette une veste sur mes épaules pour sortir dans la nuit qui tombe. Ma baguette est, comme toujours, glissée à l'intérieur. Au dehors, seule ma silhouette solitaire se découpe dans le crépuscule. Je me guide au son, comme très souvent, mon ouï est parfaitement aiguisée après des années de musique. Une chanson étouffée me guide jusque devant la maison de Sandra. Les lumières sont allumés et des jeunes chantent dehors. L'odeur désagréable du vomi me bouche les narines, je grimace avant d'entrer dans la demeure à peine plus lumineuse que le jardin.
Les visages sont à moitié mangés par l'obscurité, les corps s'enlacent, les lèvres se cherchent et les regards sont de braise. Les invités sont tous des inconnus, et leurs yeux glissent sur moi sans m'accorder plus d'attention qu'au mobilier. Je reconnais cette sensation qui m'étreint. Je ne la connais que trop bien. C'est ma compagne, ma meilleure amie, celle qui marche dans mes pas. La solitude.
Ici, je suis une étrangère du camp ennemi en ces temps de guerre froide, à Poudlard je suis la raclure, la mauvaise herbe. Celle qu'on évite, parce qu'en première année je ne parlais pas un mot d'anglais, parce que j'étais terrifiée par ce monde si éloigné de ma vie de Russie. Et parce que j'étais une enfant d'apparence fragile et maladive, ils s'en sont pris à moi et au fil des années les mesquineries d'enfants se sont transformées en actes méchants et blessants. Mais je ne pleure plus à cause de ça. Depuis que maman a eu son opération, depuis qu'elle ne peut plus jouer de piano, depuis qu'elle a choisi le chemin des brumes de l'alcoolisme, je ne pleurs plus. Ça va bientôt faire deux ans que je n'ai pas versé une seule larme. Et ce n'est pas cette futile solitude durant une fête de début septembre qui va me faire craquer.
Une main se glisse sur ma hanche, je frisonne de dégoût à ce contact. Je me dégage mais le garçon aux yeux embués par l'alcool, a la main qui se fait insistante. Je lui lance un regard froid qui le fait éclater de rire.
« C'est quoi ton nom ? me demande-t-il d'une voix pâteuse qui se veut charmeuse.
- Enlève ta main, je réplique.
- Ben quoi ? rit-il en penchant son visage vers moi. Faut se détendre un peu chérie…
- Lâche-moi !
- Allez…, marmonne-t-il avant de tenter de m'embrasser. »
Je me braque et lui balance mon faible poing dans la joue. Il recule, les reflexes ralentis par l'alcool et j'en profite pour m'enfoncer dans la foule. Les gens m'étouffent, je me sens pourtant terriblement éloignés d'eux alors que nos peaux se frôlent. J'aperçois Sandra en train de se faire peloter par deux mecs et ma bouche se tord en un rictus. Qu'est ce que je suis venue faire là par Merlin ? Je tourne les talons. L'air saturé par la transpiration et les relents d'alcool, que je ne connais que trop bien, me serre la poitrine. Ce n'est que lorsque je déboule au dehors que je peux enfin prendre une profonde inspiration. Je fais le reste du chemin en courant, ne m'autorisant à marcher normalement que lorsque ma maison est en vue. Je m'assoie sur le porche, reprenant peu à peu mon souffle puis rentre sans bruit. Papa est assoupi devant la télé. Un programme défile sous ses yeux alourdis de sommeil.
« Déjà de retour ?
- Oui, je fais sans autre explication avant de poser mes lèvres sur sa barbe naissante, tu n'es pas fatigué ? Va te coucher.
- Je devrais, murmure-t-il me laissant comprendre qu'il n'a pas le courage d'affronter ma mère et son monde bancal.
- Bonne nuit papa.
- Fais de beaux rêves mon ange, me répond-t-il. »
L'escalier grince sous mon pas pourtant léger mais nul autre bruit ne survient. Je me démaquille lentement, et sourit à mon reflet, dévoilant mes dents du bonheur qui n'ont pas la chance d'être montrer trop souvent. Je me glisse ensuite dans ma chambre, les rayons de lune filtrent à travers les rideaux, se déposant sur le visage endormi de Piotr. Sa respiration paisible berce l'air et je me penche par-dessus son berceau pour lui caresser ses boucles. Je plonge sous mes draps et enfonce mon nez dans l'oreiller pour oublier cette soirée rapide et nulle. Le sommeil m'assomme en un instant.
OoOo
« Encore Mily ! Encore, applaudit Piotr.
- La même ? je demande alors qu'il secoue énergiquement sa petite tête. »
Je repose mes doigts sur les touches blanches et m'immerge dans mon univers. Mes mains dansent sur le clavier et la musique, légère et douce, s'échappe de l'instrument comme par magie, pour tourbillonner dans la pièce. Pour le plus grand plaisir de mon petit frère. Je ferme les yeux pour savourer l'instant, cet instant où la corde reliant mon cœur et mon âme vibre. Libérant son chant d'harmonie. Je ne suis jamais aussi bien que lorsque je joue. Lorsque la mélodie s'échappe du piano ou que le violon gémit. Mes émotions se déversent dans la musique et je souris. Puis, quelques minutes plus tard, le silence reprend ses droits et j'ouvre à nouveau les yeux.
« Mily, souffle Piotr avec sérieux, tu joues très bien !
- Merci Coco, je ri devant sa mine d'adulte si semblable à celle de papa.
- Emily ? Piotr ?
- Nikolaï ! s'écrit mon petit frère en voyant débarquer notre aîné.
- Salut l'asticot ! répond l'interpellé en faisant attrapant au vol Piotr. Tu es prêtes Emi ?
- Je peux venir ! demande l'enfant.
- Évidemment ! »
Quelques minutes plus tard, mes valises sont descendues. Je jette un coup d'œil critique à Nikolaï, ses cheveux blonds sont un peu trop longs et sa carcasse décharnée manque sérieusement de musculation mais son regard gris est net et franc. Il est clean. Papa klaxonne et l'instant d'après, nous sommes entassés dans la petite voiture rouge. La lande défile sous mes yeux, le ciel bleu illumine cette journée que je ne pourrais pas passer à gratter mon violon ou courir avec Piotr entre la rocaille et les arbres. Mon petite frère babille tranquillement dans son coin et je m'immerge dans l'ambiance familiale où le membre manquant croupi dans une chambre, en compagnie de sa deuxième bouteille de la journée.
OoOo
« Pourquoi tu dois partir Mily ! pleur Piotr, son nez plein de morve contre mon cou. Je veux pas moi !
- Je rentre bientôt, je fais en embrassant chaque parcelle de son visage humide de larmes. Ce n'est pas si loin Noël…
- Allez mon chéri, laisse partir ta sœur, souffle mon père, le train va partir sans elle sinon.
- Mily! hurle-t-il tandis que Nikolaï le détache de moi. Milyyyy !
- Je t'aime mon ange, je lui réponds avant d'étreindre papa et mon grand frère.
- Montre leurs à ces anglais de quel bois ce chauffe une Bolkanski, me sourit mon père dans un hélant d'amour.
- Fais-nous honneur Emi ! me lance Nikolaï en m'étreignant avec force. Ne t'en fais pas je vieille sur Piotr, me souffle-t-il à l'oreille pour me rassurer. Maman ne lèvera pas la main sur lui. Et toi sois forte, d'accord ?
- Promis ! »
Et je tiens toujours mes promesses. Tout comme lui et papa. Les cris de Piotr me serrent le cœur tandis que je monte dans le premier compartiment. Ses yeux gris sont noyés dans ses larmes et ses bras se tendent dans ma direction. Je leurs envoie des baisers et dévoile mes dents du bonheur. Elles ne réapparaîtront pas avant longtemps. L'instant d'après le Poudlard express démarre et ma main s'agite avec tristesse sans pour autant déclencher des pleurs. Je rentre la tête dans le train et les regards hostiles se braquent vers moi.
Un visage m'apparaît parmi les autres qui ricanent. Je reconnais sans mal ce regard vert et ces cheveux bruns. Cindy Spencer, miss popularité pour plus de détails. Sa voix aigue me crispe et son sourire mesquin me brûle la pupille. « Bon retour Bolkanski ! » me susurre-t-elle avec suffisance. La porte du compartiment se referme brutalement sur mon visage posé et je détourne les yeux de leurs rires pour ouvrir la porte donnant sur le wagon à bagages.
« Emi ! s'écrit une voix alors que je referme la porte.
- Salut Harold ! je réponds en me jetant dans ses bras. On ne perd pas les vieilles habitudes à ce que je vois !
- J'ai prévu de la lumière et des provisions cette fois-ci, continue mon meilleur ami avec un clin d'œil.
- Et j'ai apporté un jeu d'échec, je fais en ouvrant mon sac en bandoulière pour en sortir l'objet. Prêt à mordre la poussière ? »
Ses yeux bruns répondent d'eux-mêmes, pétillant de malice derrière ses lunettes. Il éventre un paquet de bonbons tandis que je m'installe sur la couverture posée à même le sol. C'est un jeu d'échec version moldu, sans rien de cette magie qu'il déteste. Harold n'a jamais voulu être un sorcier, il me le répète bien assez souvent. Une fois Pouldlard fini, il deviendra physicien et travaillera pour la Nasa. Et je sais qu'il le sera un jour, ses capacités sont immenses, bien que personne ne semble s'en rendre compte. Il a le potentiel et ne travaille que pour ça au lieu d'apprendre des sortilèges. Harold Brontey est mon meilleur ami, ou devrai-je dire mon seul ami. Nous nous connaissons depuis sept ans, depuis ce jour où j'ai chaussé le Choixpeau et entendu le nom de ma maison qui est aussi la sienne. Serdaigle.
Je ne savais dire que quelques mots d'anglais et avec un accent si prononcé qu'il provoquait des rires railleurs. Lui il a adoré ça, il croyait du haut de ces onze ans que je venais d'une autre planète comme les héros de ses séries préférées. Il était, lui aussi, l'objet des moqueries des autres, parce qu'il était fan de Star Treck et avait la coupe de Spok son héro, parce qu'il ne voulait pas être un sorcier, parce qu'il méprisait sa baguette, parce qu'il a tendu la main vers le petit être méprisé que j'étais. Dans toute école, il y a les rebuts, les mal-aimés, les méprisables. Ici, à Pouldard, c'est nous deux. On nous a assigné ce rôle, et toute l'école est finalement soulagée de notre présence. Comparée à nous, même une grosse, boutonneuse et stupide fille se sent mieux. « Ouf ! se dit-elle, je suis meilleure que ces deux là ! ». Ça rassure les gens qu'il y est toujours pire que soi.
Nous sommes les parasites qu'ils s'amusent à tenter d'écraser. Et je m'en accommode fort bien, le tempérament joueur de Spok (le surnom d'Harold depuis qu'il a repris la coupe de son héro durant toute notre première année), nos discussions et son amitié sont les seules choses dont j'ai besoin. A Pouldard, je considère qu'il y a trois sortes d'individus : les adultes -comprenant les profs, Rusard et Dumbledore- Harold et moi, et tous les autres. Nos ennemis.
« J'ai reçu ta carte des Etats-Unis, je lance tandis que je déplace mon pion blanc sur l'échiquier. Tu y as fais des rencontres ?
- Oui ! Un professeur de sciences à la retraite ! s'enflamme Harold, il est passionnant… Il a été consultant à la Nasa et m'a promis de me trouver une place l'année prochaine à l'université d'Harvard !
- C'est génial, je réponds non sans un pincement au cœur. Et qu'en disent tes parents ?
- Mon père tu le connais, depuis que je lui ai dit que je ne serai jamais un sorcier il me parle à peine mais maman a contacté mon oncle qui habite dans le Maine pour savoir s'il pourrait m'accueillir le temps de mes études ! Je suis au septième ciel, s'exclame-t-il tout sourire avant de me demander. Et toi ? Tu as fais quoi ?
- Pas grand-chose, je murmure en le voyant bouger son cavalier, je me suis occupée de Piotr et je suis allée un peu en ville avec Nikolaï. J'ai aussi réussi à jouer le solo pour violon de Vivaldi !
- Et tu as envoyé ta lettre au conservatoire de Londres ? me sonde-t-il.
- Tu sais…, je baisse les yeux, je suis pas sûre que…
- Emi, s'exclame-t-il en me tendant un caramel au beurre salé, tu as un don pour la musique. Tu mérite le meilleur quoi qu'en dises ces abrutis de sorciers !
- Merci Spok, je souris.
- Je t'en pris Princesse, et fais le ! fait-il en reprenant ce surnom qu'il m'avait donné lorsqu'il était fan de Star War. D'ailleurs cette année -puisque c'est notre dernière année- il faut marquer les esprits ! Reverser l'ordre des choses !
- Ah bon ? je fais sans entrain en me resservant un caramel. Pourquoi ?
- Pour montrer qu'on est bien meilleurs qu'eux Emi ! Les écraser de notre supériorité qu'ils ignorent ! »
Je hausse les épaules, j'ai fini par m'habituer à me méfier, à considérer tout le monde comme un ennemi avant tout autre chose, à me faire enfermer depuis la deuxième année hors des compartiments m'obligeant à squatter celui à bagages, à subir toutes les autres saloperies auxquelles je vais encore goûter dans les mois qui viennent.
« Quel intérêt, je soupire.
- Parce ce que c'est à notre tour de devenir les maîtres de Pouldard ! s'enflamme-t-il avant de bouger sa reine noire et lâcher avec triomphe, échec et mat Emi !
- Comment t'as fa… je commence en analysant sans comprendre l'échiquier.
- Cette année Princesse, me coupe-t-il en ébouriffant ma tignasse blonde, nous allons devenir populaires ! »
Malgré mon scepticisme, je ne peux m'empêcher de sourire face à mon meilleur ami, maigrichon, haut d'1m69, qui veut s'élever contre une masse d'élèves déterminée à nous réduire au silence. On dirait David contre Goliath. Une pensée me traverse alors que j'éclate de rire : ça va pas être de la tarte mais… après tout…
Je n'ai rien à perdre.
Alors, que pensez-vous de cette première héroïne et de son entourage ? :D Vos avis sont toujours utiles ou réconfortants !^^
