Baker Street, me voilà enfin ! J'ai monté les marches du métro quatre à quatre et couru dans la rue. 14h 15. Un quart d'heure de retard pour une visite d'appartement. Bravo Junon ! J'ai freiné devant le 221B et frappé à la porte. Une dame un peu âgée m'a ouvert. Tout de suite, elle m'a paru sympathique. Petite et mince, son visage était jovial et joli. Elle avait un sourire très agréable.

- Bonjour ! Mrs Hudson ?

- Oui ?

- Je suis Junon Saunier, nous nous sommes eues au téléphone. Je viens pour visiter la chambre. Veuillez excuser mon retard, j'ai eu quelques problèmes de métro.

- Oh ne vous en faites pas, j'avais quelques petits trucs à régler. Vous tombez à pic. Entrez !

Elle semblait aussi enthousiaste alors que j'étais si intimidée. Elle m'a enjoint de monter les escaliers avec elle. Nous nous sommes arrêtées au deuxième étage. Là se trouvait deux portes.

Voici votre chambre, a-t-elle dit en enfonçant la clef dans la serrure. En face c'est celle du docteur Watson, il partage l'appartement du premier avec monsieur Holmes.

La chambre était peu spacieuse. Elle venait d'être refaite quelques mois plus tôt de fond en comble, mais le décor était ancien. Un lit de métal, une armoire en bois riche en moulures, un fauteuil club, une table de nuit, un coin cuisine, un papier peint avec … des lys noirs sur un fond ocre brun ..? je n'aurais jamais meublé un espace de cette manière, sinon l'âme de Charlotte Perriand serait venu me pendre ! Et pourtant cet appartement… me plaisait. Il avait un petit côté archétype du cottage de campagne anglaise, confortable et paisible.

Mon impression un peu négative peut vous étonner, et je comprends. Mais je suis une enfant du design contemporain, j'aime les matériaux récents, les nouvelles techniques de création, les surfaces épurées et les couleurs pures. Pour moi la base, c'est un mobilier Ikea dans un espace aux murs blancs, et ensuite on personnalise. Cet intérieur était mon antithèse. Et pourtant il venait de m'être démontré qu'un appartement avec un mobilier de style XIXe siècle pouvait me séduire.

Mrs Hudson me montra la salle de bain, la cuisine… tout le nécessaire était présent, il y avait même une machine à laver. J'avais beau relire la liste que ma mère m'avait donné, qui imposait à un appartement des conditions très précises, il était impeccable. Pas de moquette ni d'aération douteuse, l'installation électrique était sécurisée et moderne, je n'avais pas envie de partir en courant comme dans les onze appartements précédents que j'avais visitées. Mis à part mon petit choc au départ, l'appartement, sa situation dans Londres et tout le reste me plaisait. Il était un peu plus cher que les autres, mais j'avais un peu plus les moyens qu'un étudiant lambda.

Je me suis retournée vers Mrs Hudson, sourire aux lèvres :

- Elle le prend.

Mrs Hudson a poussé un cri de surprise. L'homme qui avait parlé se tenait dans l'embrasure de la porte. Il était très grand et très mince, habillé d'un costume décontracté, il avait des cheveux noirs bouclés, un long visage, une bouche très dessinée et des pommettes proéminentes. Mais ce qui était vraiment frappant dans sa physionomie était son regard très pénétrant, bleu pâle au point que d'où j'étais je ne voyais que les pupilles noires qui me transperçaient. Ce n'était pas très agréable d'être fixé ainsi.

- Sherlock ! s'est exclamé Mrs Hudson, comme vous m'avez fait peur ! Voulez-vous que j'ai une attaque ?

- Loin de moi cette idée Mrs Hudson ! Bonjour, je suis Sherlock Holmes, votre nouveau voisin, j'habite dans l'appartement du premier. Bienvenue à Baker Street, a-t-il fait en me serrant la main.

Il a jeté un œil autour de lui.

- Très bel endroit, n'est-ce pas ! j'ai veillé personnellement à sa rénovation ! Vous le prenez.

Je l'ai dévisagé comme si je cherchais à savoir s'il était dérangé. Il avait débité son discours à une vitesse folle, son ton polie et enthousiaste sonnait étrangement. Sa dernière phrase était une affirmation, pas une question. Il me fixait à présent avec un sourire trop étiré pour être naturel.

- C'est à moi de décider si je le prends ou pas, monsieur, ai-je répondu calmement.

- Oh, a-t-il répondu en sentant que son attitude m'avait étonné, bien sûr… désolé.

- Merci.

Il s'est retiré. Devant mon regard surpris, Mrs Hudson m'a dit :

- Ne vous inquiétez pas, Mr Holmes est un peu étrange dans ses habitudes, mais il va très bien, je vous assure.

- Si vous le dîtes.

Et puis un voisin un peu étrange ne me gênait pas tant que cela. L'état de l'appartement (je sais, je l'ai déjà dit) effaçait ce petit détail. J'ai donc accepté d'emménager. J'allais sortir de la chambre quand soudain j'ai remarqué un détail.

- C'est normal, madame, que le mur soit si épais par rapport à l'encadrement de la porte.

- Oui ! J'ai insonorisé la totalité des murs de la pièce, y compris le sol. L'immeuble est d'origine ancienne, les murs sont comme du papier, j'ai donc pensé qu'un peu plus d'intimité serait la bienvenue.

- Vous avez vraiment pensé à tout ! C'est fantastique.

Mrs Hudson a servi le thé pendant que nous parlions de la paperasse et je lui ai fait part de mon intention d'emménager rapidement, étant donné que j'étais pour l'instant à l'hôtel. Une fois que tout fut réglé, nous avons un peu discuté, je lui ai expliqué pourquoi j'avais quitté Paris pour m'installer à Londres. Elle m'a répondu qu'elle aimait beaucoup la France, qu'elle s'était souvent rendu en Normandie et sur la Côte d'Azur avec sa sœur. Au bout d'un quart d'heure, je suis partie. Au moment où j'ai ouvert la porte, un homme tournait ses clefs dans la serrure. Nous avons été surpris l'un et l'autre. Il était de taille moyenne, blond, il avait un visage rond assez sympathique et expressif et se tenait de manière un peu raide. Je me suis reprise.

- Bonjour ! Vous devez être le docteur Watson, ai-je dit en tendant la main, je m'appelle Junon Saunier, et je vais être votre nouvelle voisine.

- Vous prenez l'appartement ?

- Oui !

- Ah… et il n'y a pas eu de problème ?

- Bah non, je l'ai trouvé parfait, et j'ai rencontré votre colocataire et…

- Donc vous l'avez rencontré et vous le prenez ? Bah c'est très bien. Ravi de faire votre connaissance.

« D'accord… » Ai-je pensé. Je l'ai salué et je suis partie. Mais à mi-chemin, je me suis rendue compte que j'avais oublié ma bague sur le bord du lavabo quand je me suis lavée les mains après être passée au toilettes. Je suis donc retournée au 221B. Mrs Hudson m'avait déjà donné les clefs, alors je suis entrée sans frapper. Je me suis malgré tout dirigée vers la cuisine de Mrs Hudson pour lui signaler mon retour.

- Donc Sherlock a accepté ? Cette fille est selon lui tout à fait normale et digne de confiance ? D'ailleurs que fait-il en ce moment ?

C'était la voix du Dr Watson. Je suis arrêtée net et j'ai tendu l'oreille.

- Oh il s'occupe avec sa verrerie, à propos de cette histoire de "LOVE" détruits. Oui, il est venu la saluer, et vous savez comment il est quand il essaie d'être sociable… il a failli l'effrayer. Après tant de tentatives, enfin une personne qu'il ne soupçonne pas être un danger !

- Et vous pensez vraiment qu'elle était sincère quand elle n'a pas fait mine de le connaître.

- Manifestement. Puis Sherlock est venu se présenter, il a dû penser qu'elle ignorait tout. Cette jeune fille est étrangère, et malgré le succès de Sherlock, il commence à peine à être connu en Europe.

- Pourtant, l'affaire de sa fausse mort a fait parler de lui en dehors des frontières de la Grande-Bretagne.

- Je ne sais pas, John. Cependant, elle a remarqué l'insonorisation de sa chambre.

- Haha ! C'était une idée brillante ça, Mrs Hudson. En ce moment, Sherlock est pris par une affaire et j'ai caché mon arme à un nouvel endroit, mais nous ne savons pas ce qui peut se passer dans sa tête et s'il décide de se remettre à tirer dans le mur ou à fabriquer des explosifs, autant que le bruit soit atténué !

Ils ont ri alors que mon sang se retirait de mon cerveau. Pensant en avoir assez entendu, je suis entrée.

- Une arme ? Des explosifs, c'est quoi cette histoire ?

Tous deux se sont arrêtés de rire et sont restés interdits.

- Miss Saunier, vous…

Et puis vous voulez dire quoi par « normal et digne de confiance » ? Par « fausse mort » et « danger » ? Vous êtes complètement fous ! Enfin il a l'air complètement fou ! Mrs Hudson, voici les clefs, je ne souhaite plus prendre cet appartement.

J'ai fait volte-face et me suis apprêtée à partir en courant. Mais quelqu'un m'a arrêté. C'était Holmes. Pensant avoir affaire à un fou, j'ai reculé précipitamment. Il a tendu son bras et au bout brillait ma bague.

- J'ai compris que vous l'aviez oublié ici quand je vous ai entendu entrer en bas.

Muette, j'ai repris ma bague.

- Veuillez nous pardonner de ces agissements étranges, mais s'il vous plaît, ne partez pas. Je sais que nous vous devons des explications. Après, vous pourrez juger si vous voulez rester ou non.

De toute manière, je ne pouvais pas m'enfuir.