La nuit était claire, au point que la chasse aurait été possible sans vision thermique. Le calme, rythmé de quelques sifflements discrets d'oiseaux nocturnes, le faisait bouillir d'une joie irrépressible. Le combat qu'il avait attendu si longtemps serait pour ce soir.
Le premier
hurlement issu de la demeure qu'il surveillait, mit fin à
l'attente qui le rongeait. Il ne put retenir un de ses grognements
aigus, proche de ce qu'un humain aurait appelé roucoulement,
qui témoignait de l'état de joie et d'excitation
dans lequel il était.
Dans une explosion de bois, la
créature jaillit de la porte, trop fine pour lui résister.
Le sang de ses récentes victimes coulait encore de sa mâchoire
dégoulinante de bave. Le sombre liquide rouge qui commençait
à sécher, avait collé sur son corps de fines
échardes de bois.
Semblant humer l'air, le monstre à
l'appétit insatiable tourna imperceptiblement sa tête
vers le yautja, perché dans l'arbre. Bien qu'invisible à
de simples yeux, celui-ci se savait repéré, et son
excitation guerrière n'en fut que redoublée.
Le
hurlement rauque qu'il poussa alors signifia qu'il défiait
la créature en combat singulier. Celle-ci n'en avait que
faire, son esprit bestial n'appelait qu'au sang. Toute notion
abstraite était superflue et vide de sens pour elle.
D'un
bond, elle fut sur lui. À l'abri dans son arbre, il s'était
cru hors de portée. Heureusement les réflexes dont
était douée sa race, lui évitèrent le
ridicule d'un combat trop écourté. Cependant, trop
surpris pour assurer ses appuis, son esquive fut imprécise et
le chasseur yautja glissa sur l'écorce rugueuse, le faisant
chuter de plusieurs mètres. Le tapis végétal lui
assura un atterrissage plus que confortable. Il fut aussitôt
sur ses pieds, ses griffes métalliques prêtes à
trancher.
La bête avait disparu. La branche qu'elle venait
de briser sur son passage, couvrait le bruit de ses déplacements,
par le vacarme de sa descente jusqu'au sol. Celle-ci entraînant
dans son sillage toutes sortes de branchages, vint précisément
se briser contre ses propres racines quand la créature surgit
d'un buisson, animée de cette même folie
sanglante.
Kor'latc n'en était pas à sa première
chasse. Loin de là. Et il n'était pas décidé
à baisser les bras si facilement. Bandant ses muscles
brusquement, il se lança contre son adversaire, encaissant les
griffes et les dents se plantant dans sa chair. La violence due choc
lui coupa le souffle un instant, mais ne l'empêcha pas de se
ruer à grandes enjambées contre un large tronc. Cette
fois la douleur gagna également la créature qui
répandit quelques goûtes de sang au sol. Ce temps de
relâchement fut suffisamment long pour que le yautja plante ses
longues lames dans le flanc du monstre. Emporté d'une rage
démente, celui-ci projeta Kor'latc à plusieurs mètres
d'un geste ample du bras.
S'écrasant lourdement à
terre, il glissa et avala de la poussière le temps d'un
battement de cœur, trop longtemps à son goût. D'un
pied vacillant, il déplia sa lance qu'il fit danser entre
ses bras, avant de charger à nouveau. Le sang verdâtre
coulait de son épaule déchirée. Plusieurs de ses
côtes était brisées. Mais il lui restait sa
volonté.
Immobiles, les deux êtres se lancèrent
de déchirants hurlements. Tant de rage guerrière et
sanguinaire libérée dans l'air, semblèrent
faire sursauter les pierres au sol.
Ils se jaugèrent un
instant dans le silence, avant de se ruer l'un vers l'autre dans
une course folle. Le choc de crocs et de griffes aurait été
insoutenable si le Yautja n'avait esquivé d'un saut agile
l'assaut monstrueux. Vif, il rebondit par-dessus sa proie et lui
lacéra le dos d'une large entaille. Kor'latc n'avait
encore posé les pieds au sol, que la créature nullement
gênée par son élan, fit volte-face, et saisit
l'arme du chasseur à pleine main.
Le réflexe
habituel, dû à la fierté de la race Yautja,
aurait voulu que ce dernier tienne fermement sa lance malgré
la situation, mais heureusement il la lâcha. Sans quoi, projeté
au sol par cette force bestiale, ses os d'une rare solidité,
auraient été broyés.
Alors que le bruit du
métal frappant la roche retentit sèchement, il se
retrouva à nouveau roulant au sol, mordant la poussière,
au sens imagé aussi bien que réel.
S'en était
trop pour lui, deux fois de suite humilié de la sorte. La
chasse faisait parti de sa vie depuis trop longtemps pour qu'il
imagine abandonner. Au début d'un combat, il savait que seul
la mort résulterait de l'affrontement. Mais plus que tout,
il se savait vouloir vivre.
La créature avait franchi en
une fraction de seconde la distance qui les séparait, et la
gueule ouverte, s'apprêtait à replonger ses dents dans
la chair dégoulinante de sang.
Surprenant de rapidité,
le Yautja plongea son bras dans l'effrayante mâchoire, qui se
referma dans un claquement métallique sur son poignet armé.
Les dents du monstre goûtaient à peine le sang de sa
victime, que le tintement des lames sortant de leur fourreau
retentit, pendant que s'écoulait la matière cérébrale
à l'arrière du crâne de la créature,
calmée.
Soulevant avec peine le cadavre qui commençait
à l'écraser désagréablement, Kor'latc
s'accorda quelques secondes de repos au sol.
Il se réveilla
en sursaut d'un rêve agité. Honteux, il dut admettre
qu'il s'était laissé gagner par le sommeil. Le
corps de son adversaire gisait toujours à côté de
lui, mais la puanteur qui s'en dégageait et sa décomposition
avancée l'alertèrent. Pouvait-il avoir dormi une
journée entière. Ce combat avait était
éprouvant, mais pas au point d'abandonner toute prudence en
gisant au milieu de nulle part.
Il leva les yeux au ciel, la
pleine Lune inondait ce soir aussi la forêt de sa clarté
bienveillante.
Une douloureuse convulsion lui glaça le
sang. Elle lui avait fait revenir son rêve à l'esprit,
ou plutôt son cauchemar. Alors qu'il avait été
changé en bête monstrueuse, la légende que lui
avait conté sa mère tant de fois dans sa jeunesse
l'avait harcelé dans une boucle incessante :
Jadis,
quand la chasse en était à ses prémices,
Que
nos jeunes étoiles venaient à lécher
D'ardents
rayons les terres depuis peu figées
Se dissimulait encor,
sourds et sombres vices.
Déjà tant de sang versé
si souvent vicié
Qu'advint l'aberrante et singulière
souillure.
Il fut asservi par la sifflante morsure
À
cette lancinante soif de supplicié,
Bestiale et sauvage, le
versant dans le sang,
Fut métamorphosé en être
répugnant
Kaindill, mélange acide du Yautja et du
cancrelat.
Pourtant il n'avait combattu aucun Kainde Amehda,
seulement cet hybride Ooman. Pourquoi ces souvenirs surgissaient-ils
alors ?
Un nouveau sursaut le fit se tordre de douleur au sol. Une
soudaine envie obsédante de sang le prit. Il poussa un
hurlement qui se déforma en rugissement, tentant de conserver
le contrôle de ses pensées irrationnelles. Ses dents
s'allongèrent ainsi que sa mâchoire. Tout ce qu'il
parvenait à garder à l'esprit était un dégoût
de lui-même. Un dégoût de ce en quoi il allait se
transformer. S'il en avait eu la force, il se serait tué à
l'instant. Mais cloué au sol par ce phénomène
étrange, il en était incapable.
Des poils sombres
avaient recouvert son corps, cachant la masse musculaire qui avait
doublé. Ses griffes ressemblaient maintenant à de
redoutables poignards, prêts à glisser dans les
chairs.
La bête enfin éveillée se tenait
debout. Sa métamorphose l'avait mise en appétit. Dans
un broiement sinistre d'os, la large mâchoire claqua sur le
corps Ooman mangé par les vers, le sectionnant de moitié.
Puis
après avoir reniflé brièvement vers la sombre
végétation, la créature partit se repaître.
