Warning : Certains personnages peuvent être OOC. Toutes les œuvres citées existent, ainsi que les meurtres et victimes évoquées.

TW : Scènes graphiques / cannibalisme / sang / violence / relation malsaine.

/ Un remerciement tout particulier à Flora, qui est une bêta lectrice attentive et prévenante - et - assez gentille pour me laisser spam ses dm même à deux heures du matin.


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Entrée

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Maintenant

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Lundi 13 avril 2016

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La hanche négligemment posée contre le coin de son bureau en bois sombre, Will Graham attendit que la fougue de ses jeunes étudiants se calme quelque peu avant de commencer. Il ne pouvait pas leur en vouloir, il y avait eu tout un tas de rumeurs au cours de la semaine sur le sujet qu'il allait traiter aujourd'hui et lui-même n'avait pas aidé à calmer leur passion en faisant planer tant de mystères à la fin de son précédent cours. Parmi les personnes qui assistaient à son cours magistral aujourd'hui, certaines avaient été présentes lorsque l'agent Crawford du FBI avait interrompu son monologue, il y avait de cela un peu plus d'un an maintenant, pour l'entrainer de nouveau sur une scène de crime. Ses étudiants n'étaient pas sans ignorer que leur professeur était un profiler très doué – vraiment très doué – et qu'il arrivait à de nombreuses reprises que les agents du gouvernement américain fassent appel à lui pour des cas vraiment pointilleux. Qui disait pointilleux pour le FBI, disait absolument passionnant et intéressant pour eux.

Will supposait qu'il ne pouvait pas vraiment leur en vouloir de penser comme cela, au risque d'être hypocrite.

Secouant doucement la tête pour forcer ses dernières pensées parasites à quitter son esprit, il remonta le verre de ses lunettes et s'éclaircit la voix. Parler en public n'était plus aussi éprouvant que les premières fois, et désormais il lui arrivait même de croiser le regard de ses étudiants durant ses explications.

-Bien., Dit-il une fois que le silence lui prouva qu'il détenait l'attention de son audimat., Inutile de vous le cacher plus longtemps, et certains d'entre vous l'auront peut-être déjà deviné, aujourd'hui nous allons traiter du cas de l'Helléniste.

Les rangs du petit auditorium furent emplis de nouveau d'une vague de bourdonnements, mélange de murmures et de voix excitées. Pour peu, Will en aurait souri.

-Le mot « helléniste » est utilisé pour désigner une personne qui est versé dans la connaissance de la langue, de la littérature et de la culture grecques. Et si vous ignorez encore pourquoi les médias ont choisi ce surnom pour nommer notre tueur du jour, vous allez vite découvrir pourquoi.

La première diapositive s'afficha derrière lui, et il ne put s'empêcher de se retourner pour l'observer de nouveau. Il avait toujours gardé une image très vive, très présente de chacune des scènes de crimes qu'il avait étudiées, analysées, mais celle-ci, faisait partie du maigre lot de celles qu'il pouvait visualiser juste en fermant les yeux.

-Clarisse Paolina., Commença-t-il en présentant la première victime., Trente et un ans et, anciennement violoncelliste de l'orchestre symphonique de Washington. Son corps a été retrouvé en fin de journée au fond du cimetière national de Baltimore. Est-ce que quelqu'un peut me dire le rapport entre la culture grecque et la mise en scène que nous avons sous les yeux ?

Il y eut un petit silence et Will tenta de réprimer l'agacement qui montait en lui. Il oubliait parfois – souvent – que tout ce qui était évident pour lui, ne l'était pas pour les autres.

-Je vais vous donner la réponse pour celui-là, en espérant que cela vous aiguille pour le reste., Dit-il d'un ton mi-résigné mi-dépité., Pour ceux qui ont lu leur Homère, vous avez sous les yeux une représentation du rapt de Perséphone par Hadès, largement inspiré du tableau de Simone Pignoni, L'enlèvement de Proserpine, dont je vous recommande chaudement d'avoir le visuel en tête.

Presque immédiatement après sa dernière phrase, il y eut un cliquetis frénétique de doigts contre des touches de clavier d'ordinateurs portables. Will laissa passer encore quelques secondes avant de poursuivre :

-Il faut que vous analysiez cette scène comme un historien de l'art le ferait avec un tableau., Commença-t-il en se remémorant ce qu'il avait dû faire lui-même devant ce corps, la première fois qu'il y avait fait face, mais aussi, comment et pourquoi tout ceci avait commencé.

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Avant

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Vendredi 5 avril 2015

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La couleur pourpre des murs mit presque immédiatement mal à l'aise Will. Bien que le hall d'entrée soit convenablement haut et large, il sentit son souffle se coincer dans sa gorge et son rythme cardiaque s'accélérer. Le fait que l'endroit ne soit pas vide, n'arrangeait pas les choses non plus. Il savait que pour la plupart des personnes le rouge était une couleur chaude ; c'était la couleur de l'amour, de la passion, du courage et de l'ardeur. Mais dans son contraste, elle était aussi symbole de colère, d'interdiction, de danger... Il savait aussi que la quasi-totalité des personnes qui entrait ici, était émerveillée par l'ambiance chaude et riche qu'apportait cette nuance, associée aux dorures et à la lumière tamisée du théâtre Warner, mais également qu'aucune de ces personnes habillées en tenues de soirée ne s'était retrouvée dans une pièce où les murs avaient été rougis par les traces de sang d'un triple-homicide.

Will s'obligea à détourner le regard afin de se concentrer uniquement sur les mouvements mécaniques de sa collègue – et amie – Alana Bloom.

Un sourire à l'homme de l'entrée. Tendre deux cartons d'invitation. Ouvrir son sac à main. Passer au contrôle de métaux. Avancer. Récupérer ses effets. Sourire de nouveau.

Il était toujours focalisé sur elle quand il passa à son tour par ces étapes, sans se soucier de sourire, cependant.

-Passez une agréable soirée., Dit en conclusion l'homme en uniforme avant de leur tendre un programme dans un papier en filagramme fin mais plus solide qu'une simple feuille d'impression.

Will y jeta un regard distrait en réajustant le nœud papillon qui enserrait son cou de façon désagréable. Honnêtement, il n'avait toujours pas la moindre idée de ce qu'il faisait là, mais il n'osa pas poser de nouveau la question à son amie. Elle avait longuement insisté pour qu'il l'accompagne à ce concert de charité annuel qu'organisait son ancienne faculté de psychologie de Washington ; et il ne voulait pas la faire culpabiliser avec un trait de sarcasme mal placé – bien qu'il fût évident qu'il ne passait pas la plus agréable soirée de sa vie. Néanmoins, la brune parut le remarquer – après tout, elle n'avait pas fait de la psychologie son métier pour rien – et elle tendit le bras pour saisir le sien.

Will n'était pas du genre à apprécier les contacts physiques, et Alana était loin de l'ignorer, mais, il y avait des moments comme celui-là où elle l'oubliait. Elle ne le faisait pas exprès, et Will devait à chaque fois prendre une inspiration pour ne pas avoir un mouvement de recule qui pourrait la froisser.

-Je sais que je donne l'impression de ne pas t'avoir laissé le choix, et j'en suis désolée, mais je suis certaine que tu vas apprécier la soirée. On reconnaît à la musique classique certaines vertus thérapeutiques, et les musiciens qui jouent tous les ans sont incroyablement talentueux. Je pense sincèrement que cela va t'être profitable.

Will ne savait pas en quoi, mais il ne prit pas la peine de la contredire. Alana faisait partie des personnes qui pensaient qu'il était une petite chose fragile, dont il fallait prendre soin. Que cela soit à cause de son syndrome d'Asperger ou de son don si particulier. Elle au moins, ne songeait pas à se servir de lui comme un outil. C'était en cela qu'il pouvait jusqu'à un certain point la considérer comme une amie. Après tout, ne voulait-elle pas que son bien ? Même si elle s'y prenait de la pire des façons, pour une psychologue enseignante. Il ne pouvait cependant pas lui en vouloir, la psychologie n'avait jamais fonctionné sur lui : c'était le risque quand on était comme lui et qu'en plus, on savait comment tout ceci marchait.

-De plus, il y a une personne que j'aimerais vraiment te présenter., Ajouta-t-elle avec un sourire., Un personnage tout à fait fascinant, tu verras.

Il y avait peu de personnes que Will trouvait fascinantes, pour ne pas dire aucune. Il pouvait pour cela accuser son syndrome, ou sa faculté à s'immerger totalement dans l'esprit de quelqu'un. Cela allait du simple facteur qui déposait son courrier chez lui, au plus obscur tueur en série. C'était cela, son don. C'était pour cette simple raison que le FBI était autant obsédé par lui. Uniquement parce que, pour une raison que personne n'arrivait à expliquer, son empathie était telle qu'il avait cette possibilité sur une scène de crime de reproduire jusqu'aux frémissements de doigts près, la moindre action, la moindre inspiration, le moindre coup de feu tiré, le moindre couteau enfoncé dans un torse. Dans ces moments-là, il n'était plus lui-même. Le temps se ralentissait, les sons se faisaient plus étouffés, il n'était même plus maître de son propre corps. Le sang volait devant ses yeux, atterrissant sur les murs, les tissus, ses mains, son esprit même. Car évidemment, il y avait un revers de la médaille à tout cela. Un revers que tout le monde – hormis peut-être Alana – voulait ignorer, lui le premier. Ce n'était pas tant le fait d'être exposé à des corps mutilés qui lui faisait perdre le sommeil ou le rendait si anxieux. Non, cela était de ne plus savoir quelles pensées étaient les siennes. La sensation oppressante d'avoir l'impression de faire corps psychiquement avec les tueurs qu'il traquait. Comprendre leur raisonnement, savoir ce qu'ils avaient éprouvé à l'instant où une vie s'éteignait... Parfois, ces sensations étaient tellement fortes qu'elles surpassaient les siennes, et il ne savait plus si c'était lui ou non, qui prenait ce plaisir malsain à voir un regard s'éteindre et à se sentir maître du destin de quelqu'un.

Mais il supposait que si le sacrifice de sa personne pouvait permettre à d'autres de la garder, tout le monde y gagnait au change. Ou du moins, c'est ce qu'on lui avait toujours répété. Un mal pour un bien, finalement. Mais parfois...

Parfois...

Il avait aussi peur d'admettre que la bête grondante, tapie dans une part recullée de son esprit, avait toujours été là, bien avant que tout ceci ne commence. Qu'elle n'avait strictement rien à voir avec son empathie, ni avec son métier.

Alana – évidemment – n'était au courant que d'une partie de ses pensées sur ce sujet. Il savait déjà que certains des enquêteurs du FBI le regardaient avec une certaine appréhension, attendant le moment où il passerait de l'autre côté d'une scène de crime, analysant un corps qu'il aurait lui-même laissé là.

Il n'était donc pas question de leur donner des arguments en plus. Même si parfois lui aussi, se regardait dans le miroir en se demandant combien de temps il lui restait avant de perdre complètement pied et de devenir une de ces personnes qu'il avait toujours traquées.

-Il me tarde de rencontrer cette fameuse personne, alors., Dit-il avec toute la politesse qu'il était capable de faire en ce moment précis.

L'orchestre symphonique de Washington interpréta ce soir-là, durant une heure, l'œuvre complète du Requiem de Mozart en ré mineur, accompagné d'un concerto de basse et de soprano qui, il devait bien l'avouer, avait fini par soulager son corps et son âme de l'anxiété qu'il ressentait. Les murs pourpres ne le perturbaient plus autant qu'à son arrivée, ses pensées n'étaient plus morbides, et bien que la bête qui ne quittait jamais un coin de son esprit soit toujours là, elle avait néanmoins arrêté de gronder.

Peut-être qu'Alana avait finalement raison, de dire que la musique avait des vertus thérapeutiques. Peut-être devrait-il faire l'acquisition de l'intégralité des œuvres de Vavaldi à Beethoven en passant par Bach. Quand il en informa son amie alors qu'ils se frayaient un chemin pour se rendre à la grande salle de réception, elle eut un sourire satisfait qui parlait pour elle : Je te l'avais bien dit !

Puis, elle s'excusa de l'abandonner quelques instants en allant saluer d'anciens collègues d'études et instituteurs à elle.

Will s'adossa donc contre un mur dans le but de l'attendre en se faisant le moins remarquer possible. La dernière chose qu'il voulait, c'était bien qu'un ou qu'une inconnue ne vienne lui faire la conversation pour une quelconque obscure raison. Il se contenta alors d'observer vaguement les personnes, ne s'arrêtant jamais vraiment sur quelqu'un en particulier. Et si Will n'avait pas été qui il était, il n'aurait sûrement pas capté la légère différence qui venait de s'instaurer.

C'était comme si l'air autour de lui avait l'espace d'un instant vibré pour accueillir en son espace une personne vraiment trop imposante pour la normale. Et le brun n'eut pas le temps de relever la tête pour en chercher l'origine, qu'Alana revint vers lui, sa main gauche posée sur l'avant-bras d'un homme.

-Will, je te présente le Docteur Hannibal Lecter, il était mon mentor à la faculté. C'est un excellent psychologue, le meilleur de cet état, si ce n'est de ce pays., Commença la voix claire et enthousiaste de son amie.

Le brun n'avait jamais apprécié regarder les gens dans les yeux. C'étaient des fenêtres grandes ouvertes à leurs pensées, leurs désirs, leurs espoirs mais aussi, leurs secrets. Non, Will n'aimait pas ce genre de contacts si direct. Lui qui était constamment pris dans les remous et les vagues des émotions humaines, il avait appris à s'en préserver un minimum – et aussi conserver un certain degré d'intimité avec les gens qui lui parlaient. Il n'en était pas au stade de lire dans leur esprit au sens le plus commun du terme, mais presque. C'est pour cela que lorsque l'homme lui tendit une main courtoise pour le saluer et qu'il s'en saisit – avec une réticence certaine – il laissa son regard remonter le long de son bras, suivant le cheminement du tissus de très bonne facture de son costume de soirée, jusqu'à son épaule, puis il laissa dériver son regard sur la gauche, juste assez pour qu'il puisse découvrir une peau marquée de légères rides mais soignée, une bouche fine, et les traits d'un homme d'au moins une dizaine d'années de plus que lui. Il poussa son inspection jusqu'à la courbe de son nez, frôla les pommettes aristocrates, puis s'aventura dans les mèches soignées de ses cheveux d'un gris sombre. Mais jamais, à aucun moment, il ne croisa ne serait-ce que l'ombre de son regard.

-Je suis enchanté de faire votre connaissance, William., Dit le Docteur Lecter en serrant sa main d'une façon étonnamment ferme – ce qui aurait dû lui donner envie de se soustraire à son contact – mais douce. Il la garda quelques secondes supplémentaires avant de finalement la relâcher, et le brun ne put rien faire d'autre que laisser pendre son bras mollement le long de son corps., Alana m'a expliqué que vous êtes un profiler très doué, et que si nous pouvons dormir sur nos deux oreilles le soir, c'est entièrement grâce à vous.

-Je me contente de faire ce que l'on attend de moi., Il répondit par automatisme.

-Will est trop modeste., Rit Alana en posant sa main sur son bras pour la deuxième fois de la soirée, le faisant se tendre imperceptiblement., Il est réellement doué., Renchérit-elle au Docteur Lecter, laissant une impression douce-amère sur le fond de sa langue qu'elle tentait inconsciemment ou consciemment d'impressionner son ancien mentor en l'exhibant ainsi., Je dois continuellement faire rempart entre lui et le FBI pour ne pas qu'ils mettent complètement la main sur lui., Ajouta-t-elle, son corps se penchant vers le psychologue comme pour lui faire une confidence.

C'est alors que Will réalisa deux choses. La première était qu'Alana pensait – espérait – qu'elle puisse entretenir un jour une liaison avec Hannibal Lecter. La deuxième était qu'elle l'utilisait comme un outil, mais à des fins différentes que le FBI. Les agents du gouvernement américain avaient au moins la décence de l'utiliser pour sauver des vies, et non entraîner un homme dans son lit. Il sentit une émotion acide parcourir ses veines et se rependre dans son organisme alors qu'il sentait la bête gronder doucement. Il fit un pas sur le côté, s'éloignant d'Alana, sans chercher à être discret et il prit son air le plus ennuyé et irrité dont il puisse être capable.

-Ah, vraiment ?

Will ne pouvait pas le voir, mais il pouvait sentir le regard de Hannibal Lecter glisser sur lui. Sa question, posée avec un mélange de flegme et d'amusement, augmenta un peu plus son agacement.

-Vraiment., Dit-il en se nourrissant de cette énergie nouvelle : de l'audace., Vous n'aimeriez pas être un criminel dont la traque m'ait été confié.

Son regard était assez haut pour voir un sourire fin s'étirer sur les lèvres de l'homme, et l'atmosphère changea autour de lui. De profondément neutre, Hannibal Lecter semblait à présent...Attentif.

-Vous êtes empathe., Dit-il, et ce n'était pas une question.

-Oui, Will est un empathe., Répondit à sa place Alana, dans une manœuvre peu subtile de ramener l'attention sur elle., Ça va même au-delà de ça. Il rejoue parfaitement les meurtres dans sa tête, comme s'il avait assisté la scène.

Il y eut un silence, durant lequel Will se retint de grogner face à son ancienne amie pour avoir osé en révéler autant sur lui à un parfait inconnu.

-Oh, Alana, regardez derrière vous, Arisson donne l'impression qu'il veut venir vous saluer, vous devriez y aller., Dit le Docteur Lecter d'une voix plus sèche que ce que Will avait entendu jusqu'à présent.

-Mais je –.

-Maintenant, Alana., Ajouta-t-il d'une voix qui ne supportait de refus.

Will observa le dos de sa néanmoins collègue s'éloigner d'eux, et il n'avait pas besoin d'être empathe pour savoir qu'elle était profondément contrariée en ce moment précis. À contrario, c'était son propre agacement qu'il sentait raffluer depuis qu'elle avait quitté son espace vital, ne laissant dans son organisme qu'un sentiment d'anticipation vacillante qui mettait ses sens à vif.

-Bien., Commença le Docteur Lecter et pendant une toute petite fraction, Will se prépara à lui répondre que non, cela ne le dérangeait en rien que l'homme prenne congé de lui, mais le psychologue n'en fit rien, à sa grande surprise., Accepteriez-vous de venir prendre l'air avec moi ?

Will cilla et ouvrit la bouche dans le but de répondre mais aucun son n'en sortit, alors il se contenta d'hocher positivement la tête. Il ne savait pas ce qui le déconcertait le plus, qu'une personne qui – apparemment avait une certaine réputation parmi toutes les personnes présentes – éloigne volontairement Alana – qui était, il fallait l'admettre, une femme plutôt charmante –, qu'il semble réellement vouloir passer un court instant avec lui ou encore qu'il ne sentit pas son corps se crisper quand il sentit la main du psychologue se poser de façon aérienne dans le creux de ses reins pour le guider jusqu'à l'élégant balcon du théâtre.

Il resta cependant un peu en arrière, alors qu'il observait le Docteur Lecter s'appuyer d'une façon à la fois totalement nonchalante et très élégante contre le rebord en pierre sculptée. Comme il était éloigné de lui, il lui était plus facile de l'observer dans son ensemble sans devoir se risquer de faire attention à ne pas croiser son regard. Il nota alors tous les petits détails qui lui avait échappé. Il n'y avait pas que sa veste de costume qui était de bonne facture. D'un bleu roi très sombre, l'intégralité de son habit semblait avoir été cousue sur-mesure et agrandissait sa carrure, comme si sa présence seule ne suffisait pas à capter le regard. Son visage était à la fois marqué par des épreuves que Will ne voulait pas deviner, ne voulait pas percevoir, et pourtant, il semblait intemporel. Le Docteur Hannibal Lecter était un savant mélange de puissance et de calme à l'état brut. Cependant, quelque chose lui disait qu'il ne serait pas surpris de le voir un jour avoir une pulsion de violence, peu importe son origine.

-Avez-vous aimé la représentation, William ?, Le questionna Lecter, sans s'offusquer d'avoir été consciencieusement analysé une seconde fois.

-Vous avez deviné que j'étais un empathe capable de miracles, et vous me demandez mon avis sur un opéra ?

-C'est une messe, en fait, non un opéra., Le corrigea sans condescendance l'homme., Et, préféreriez-vous que je vous interroge sur ce que vous ressentez quand vous êtes à la place d'un meurtrier, et que vous êtes à l'instant crucial où vous prenez une vie à travers ses gestes ? C'est ce que vous voulez, William ?

Will sentit son souffle se coincer dans sa gorge à mesure que l'aura de l'homme en face de lui grandissait. Il lui semblait qu'elle avait remplacé l'air qu'il respirait et il pouvait presque en sentir la saveur sur son palais alors qu'elle se rependait dans ses poumons. Pourtant, Hannibal Lecter n'avait pas bougé d'un iota. Il restait toujours calme et parfaitement maître de lui-même.

C'était à la fois déconcertant et totalement excitant de se retrouver face à un interlocuteur qui ne pensait ni qu'il était une petite chose fragile, ni qu'il allait se briser si on lui posait les questions franchement.

-C'était la première fois que j'assistais à ce genre de chose, et je suppose que j'ai apprécié., Répondit-il après s'être éclairci la voix., Je dois bien admettre que la musique a eu le don de me transporter assez loin de la réalité pour que j'en oublie mon anxiété.

-Oui, il est vrai que la musique classique a certaines vertus reconnues par la médecine moderne.

Hannibal Lecter inclina son corps dans sa direction, comme si Will se faisait analyser à son tour.

-Vous êtes sujet à l'anxiété ?

-La plupart du temps, oui., Il répondit sans comprendre pourquoi il se révélait autant à quelqu'un qu'il ne connaissait même pas depuis une heure.

-Anxiété sociale ou est-ce quelque chose lié à votre empathie et à votre travail ?

-Une grosse part des deux, je suppose., Dit Will dans un souffle qui ressemblait à un rire sarcastique.

-Est-ce que vous vous sentez anxieux, en ce moment-même ?, Demanda subitement le docteur en se rapprochant de lui, pénétrant volontairement dans son espace vital.

Will se prépara au moment où il sentirait son corps se crisper pour protester de cette invasion, mais rien n'arriva. Hannibal Lecter se trouva à présent à quelques centimètres de lui – bien plus près que la morale ne l'autorisait – et Will Graham ne ressentait pas l'envie de faire cinq pas en arrière.

Il prit le temps de réfléchir concrètement à la question et la vérité lui sauta aux yeux d'une façon si limpide qu'il ne put en cacher sa surprise.

-Au vu de votre expression, je suppose que vous n'avez pas besoin de formuler de réponse., Déclara tranquillement le Docteur.

-C'est étrange, parce que vous avez une aura vraiment imposante et...

-Menaçante ?,Proposa Hannibal Lecter d'un ton léger mais attentif.

-J'allais dire attirante., Protesta vivement Will avant de se rendre compte de ce qu'il disait. Mais quitte à avoir perdu sa dignité, il fit en sorte de donner l'illusion qu'il assumait son propos.

Le rire léger et doux du psychologue parvint à ses oreilles dans une mélodie agréable.

-Je vous trouve intéressant, William., Dit-il finalement et le brun, malgré le fait qu'il ne se sente pas en danger en présence du psychologue, ne sut pas s'il devait s'inquiéter de ce fait ou pas., Si jamais il y a des choses dont vous ne souhaitez pas parler avec Alana, ou avec une personne autre que votre entourage, sachez que vous pouvez vous confier à moi.

-Vous voulez être mon psy ?, Demanda le brun d'un ton à moitié sur la défensive, à moitié incrédule.

-Nous n'avons pas besoin d'appeler cela comme ça. Je vous offre juste une échappatoire, un lieu où vous ne serez jamais jugé peu importe ce que vous pourriez être amené à me dire.

-Uniquement parce que vous me trouvez intéressant ? Je ne suis pas un divertissement, Docteur Lecter.

-Évidemment que vous ne l'êtes pas. Tout comme vous n'êtes pas un outil que le FBI peut utiliser à sa guise.

-C'est... Différent., Articula Will., J'aide à sauver des vies, cela vaut bien mon sacrifice, non ?

C'était ce qu'il s'était toujours répété, inlassablement, jusqu'à ce que cela devienne un mantra plus qu'un réflexe. Mais en cet instant précis, il ne sut pas qui il cherchait le plus à convaincre. Hannibal Lecter, ou lui.

-À moins que vous ne fassiez ça pour enfouir qui vous êtes en réalité ?

La question du Docteur fusa dans l'air et lui fit l'effet d'un coup qu'on lui aurait porté au ventre. L'air se vida de ses poumons et il fut si décontenancé qu'il redressa la tête brutalement, croisant par mégarde les yeux de l'homme en face de lui. Des orbes de la teinte du Whisky que l'on versait dans un verre en cristal avant de l'exposer à la lumière pour en apprécier les nuances de couleurs. L'action ne dura qu'une fraction de seconde, mais dans ce court laps de temps, il put voir l'ombre à la forme de cerf qui se cachait derrière ses yeux d'une couleur si surprenante. Il cilla et fit par réflexe un pas en arrière. Tout avait été trop fugace pour qu'il puisse réellement entrer dans l'esprit de son interlocuteur. Il n'avait fait qu'en effleurer la couche supérieure, mais ce qu'il y avait vu avait attisé sa curiosité comme aucune autre personne n'avait réussi à capter son attention. Il n'avait qu'une seule envie à présent, saisir ce visage sculpté par la vie entre ses mains, et plonger son regard dans le sien jusqu'à s'y noyer.

Il entendit le Docteur prendre une inspiration avant de reprendre la parole, avant d'être coupé dans son élan par Alana qui non moins fière de polluer l'air de sa jalousie, venait aussi de briser un moment. Will retint le grondement d'agacement qui voulait franchir la barrière de ses cordes vocales et se força à faire appel à toute la patience dont il était capable pour encaisser ce qui allait suivre.

-Ah ! Vous êtes là ! Cela fait une éternité que je vous cherche., Dit-elle avec ce sourire élégant dont le brun savait qu'il ne supporterait plus jamais la vue., Je constate que vous avez pu faire connaissance durant mon absence, c'est bien., Ajouta-t-elle d'un ton léger qui ne le trompa ni lui ni le psychothérapeute – du moins, c'est ce qu'il espérait.

-Justement, j'étais en train d'expliquer à William ô combien j'aimerais poursuivre notre relation en dehors de cette soirée., Répondit le plus simplement du monde Hannibal Lecter.

Il y avait au moins un milliard de façon de présenter leur situation sans paraître ambiguë, et pourtant, le Docteur Lecter avait choisi de la rendre volontairement tendancieuse, pour qu'Alana fronce les sourcils en tentant de comprendre le sous-entendu qui se cachait sous sa réponse – si sous-entendu il y avait.

-Il se trouve que William est une personne vraiment très captivante, je te remercie de me l'avoir présenté, Alana.

-Oui vraiment, merci Alana., Renchérit le brun sans pouvoir s'en empêcher, puis il ajouta à l'attention de l'homme à ses côtés., Appelez-moi Will.

Il ne sut jamais vraiment ce qui étira un sourire lent et appréciateur sur les lèvres de son interlocuteur ce soir-là, l'aplomb avec lequel il avait humilié Alana Bloom, ou la saveur de son prénom lorsqu'il le fit glisser de ses lèvres pour la toute première fois.

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Mercredi 17 avril 2015

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Presque deux semaines s'étaient écoulées depuis sa première rencontre avec Hannibal Lecter, et bien qu'ils ne se soient pas recroisés depuis, sa personne tout entière continuait d'influencer Will, comme si des résidus de sa présence s'étaient accrochés à son organisme jusqu'à fusionner avec. Quand il fermait les yeux, ce n'étaient presque plus des corps sans vie qu'il voyait, mais le souvenir d'un cerf sombre l'observant avec intérêt, et celui des lèvres du psychiatre se déposant sur le dos de sa main pour le saluer, dans un geste qu'il n'avait pas osé trouver démodé tant il était empreint d'une symbolique dont il n'arrivait pas encore tout à fait à saisir le sens. Ce qui était certain, c'est que Hanibal Lecter faisait naître en lui toute une gamme de sentiments qui n'arrivaient pas à s'accorder. Il avait à la fois envie de se tenir loin de ce cerf – aussi majestueux soit-il – mais aussi de plonger en lui juste pour savoir si cela serait aussi exaltant qu'il se l'imaginait. Il avait envie de se raccrocher à son code moral et à sa volonté de rester du bon côté de la justice, et la seconde d'après le désir de se lover dans les ténèbres les plus obscurs de son esprit, curieux de savoir s'il y retrouverait le Docteur Lecter ou pas.

Se forçant à rassembler ses pensées, il poussa la porte de son amphithéâtre, prêt à faire face à ses étudiants.

-David Faraday et Betty Lou Jensen, respectivement dix-sept et seize ans., Commença-t-il alors que la première image montrait deux étudiants souriants sur leur photo de promotion.

Appuyé contre un bureau de bois sombre qui lui était à présent familier, Will gardait les yeux rivés sur un point fixe quelque part sur le mur du fond de la salle.

-Tous deux tués au pistolet le 20 décembre 1968 à 23 heures 30 précises, à proximité du lac Hermann., Reprit-il après une pause.

Le diaporama changea, et montra cette fois-ci plusieurs photos prises par les enquêteurs quand ils étaient arrivés sur les lieux du crime. Cette fois-ci, Will se retourna pour observer l'image qu'ils avaient tous sous les yeux, même s'il la connaissait déjà. Une voiture d'un modèle brun ancien – portière ouverte – et à l'intérieur, deux adolescents exécutés à l'aide d'une arme à feu. Ce n'était pas ce qu'il avait vu de pire dans sa carrière, ce n'était pas ce qu'il avait vu de plus propre non plus. Après quelques secondes de silence, il se détourna et tourna de nouveau le dos à l'image et fixa de nouveau un point devant lui, avant que la diapositive ne change.

-Michel Renault Magneau, dix-neuf ans et Darlene Elizabeth Ferrin, vingt-deux ans. Attaqués tous les deux à l'aide d'une arme à feu le 4 juillet 1969 sur le parking du golf le Blue Rock Springs à Vallejo. La jeune femme est morte durant son transfert à l'hôpital mais heureusement, le jeune homme a survécu, nous livrant alors son témoignage : Une voiture, feux de route éteints, s'était garée près d'eux avant de repartir à grande vitesse. Environ cinq minutes plus tard, elle était de retour et se stationnait derrière eux, les aveuglant grâce à ses phares. Ensuite, un homme est sorti de la voiture, les éblouissant avec une lampe torche. Michel Magneau pensant qu'il s'agissait d'un policier, se penche pour chercher ses papiers d'identité, quand l'homme leur tire cinq balles dessus, puis repart. Les deux personnes sont encore en vie, et l'homme s'en rend compte. Alors il revient sur ses pas, et tire deux nouvelles balles avant de quitter les lieux définitivement., Il laissa de nouveau passer quelques secondes de silence avant de reprendre la parole., Qu'est-ce que cela vous inspire pour l'instant ?

-Nous avons affaire à un homme assez âgé pour conduire une voiture même dérobée, sachant utiliser une arme à feu, et qui s'attaque à des personnes se trouvant dans des lieux reculés comme le prouve le lac et le parking., Dit une voix incertaine quelques rangs au-dessus de lui.

-Bien, tout le monde même en dehors de cette pièce pourrait en tirer exactement les mêmes conclusions. Vous ne devez pas être comme tout le monde, vous êtes des profilers, entrez dans la tête de ce tueur, réfléchissez mieux que cela.

-Les deux meurtres sont espacés de plusieurs mois., Commença une voix de femme plus proche de lui., On peut donc être amené à penser que celui de décembre était son premier, et qu'il a hésité avant de recommencer. Deux conclusions possibles alors : soit il connaissait les premières victimes, soit il a frappé au hasard dans un lieu qui était propice à la discrétion., L'étudiante marqua une hésitation et Will l'encouragea d'un signe de la tête., Il devait être familier de cette région. C'est un endroit où les jeunes amoureux se donnaient rendez-vous, peut-être qu'il s'est lui-même rendu à cet endroit dans sa jeunesse.

-Mieux, beaucoup mieux. Comment expliquez-vous le deuxième meurtre alors ?

-Il y a pris goût ? Questionna-t-elle plus qu'elle n'affirma., Vous nous avez appris que les tueurs en série ont dans la plupart des cas deux raisons communes de tuer : ils prennent goût à cette sensation de pouvoir et de domination qu'ils ont sur leur victime, et/ou ils font ça pour qu'on parle d'eux, pour laisser une trace.

Will hocha la tête avec un sourire satisfait et passa à la diapositive suivante :

-Le premier jour du mois d'août, des lettres du tueur sont reçues aux magazines le Vallejo Times-Herald, le San Francisco Chronicle et le San Francisco Examiner. Chaque lettre revendique les deux premiers meurtres, ainsi que le tiers d'un cryptogramme de 408 symboles que vous voyez actuellement affiché derrière moi. Je sais que certains d'entre vous à présent ont deviné qui était notre sujet d'étude du jour, et de toute la semaine à venir.

-Le Tueur du Zodiac., Dit une voix forte à l'entrée de la salle.

Will releva immédiatement les yeux et tomba sur la silhouette de Jack Crawford qui s'avançait à grande enjambées vers lui.

Le petit amphithéâtre se remplit d'une vague de murmures entousiastes. Quand l'homme du FBI interrompait leur cours de cette façon, c'était le signe que ses enquêteurs avaient expressément besoin de l'aide de leur professeur. Plus communément, cela voulait dire que quelque chose de vraiment sale et de vraiment pas banal s'était produit et qu'ils allaient avoir de nouvelles choses passionnantes à étudier prochainement.

Le profiler retint un soupire en jetant un coup d'oeil à l'homme qui venait d'arriver à son niveau avant de dire à ses élèves que le cours était terminé pour aujourd'hui mais qu'il voulait pour la semaine prochaine un premier profil psychologique du Tueur du Zodiac. Puis, une fois que la salle fut complètement vidée, il fit face à l'agent Crawford.

-Il faut vraiment que vous voyiez ce que je viens de voir., Commença l'agent comme introduction.

-Il le faut ou vous avez besoin de moi ?, Nuança le profiler en arquant un sourcil derrière ses lunettes.

-Nous avons besoin de votre avis., Abdiqua l'agent avec un soupire agacer teinté d'impatience.

Il savait qu'Alana aurait été contre cela, mais depuis le concert de charité de son ancienne faculté, elle lui avait à peine adressé un regard et Will ne s'en plaignait pas. Il ne pouvait dissimuler l'agacement et l'irritation que la femme lui inspirait depuis. Il ne savait même pas comment il avait pu supporter de se faire traiter comme une petite chose fragile depuis tout ce temps. Il n'était pas une personne qui avait besoin d'être maternée et protégée. Et il ne savait pas si cette soudaine certitude avait toujours fait partie de lui, ou s'il s'agissait d'une manifestation de l'influence qu'Hannibal Lecter avait sur lui. Ce qui lui faisait se demander ce qu'il adviendrait de lui, s'il se mettait à passer plus de temps à son contact. Il supposait qu'il n'y avait qu'une seule façon de le savoir.

-D'accord, emmenez-moi.

Le trajet jusqu'à la scène de crime dura un peu plus d'une heure et les conduisit directement au cimetière national de Baltimore dans le Maryland.

-Je croyais qu'on allait voir une victime fraiche ?, Demanda sans ironie Will en claquant la portière de la voiture.

-C'est le cas., Répondit sans plus de légèreté l'agent en le guidant à travers les allées de pierres tombales.

La scène était quadrillée de ruban adhesif jaune et noir, et les experts de la criminologie étaient comme à leur habitude en train d'en numéroter et photographier la moindre parcelle. Le profiler s'avança un peu plus pour avoir une meilleure vision de ce qu'il avait sur les yeux, et comprit pourquoi ils avaient tous besoin de son aide. Ce qu'il avait sous les yeux était tout simplement...

Magnifique.

L'arrière-plan du tableau se constituait du pan rocheux de la colline qui délimitait la fin de cette partie du cimetière. La pierre était sombre, comme si elle était d'origine volcanique alors que de façon rationnelle Will savait que ce n'était pas possible. Le second plan était composé de deux arbres morts dont l'un prenait une étrange forme humaine, mais le brun savait que ce n'était qu'une illusion que son cerveau créait pour donner du sens à ce qu'il avait sous les yeux. Sur le premier plan, enlacée entre les branches du premier arbre, une jeune femme à la peau d'une blancheur immaculée, dont les membres avaient été placés de telle sorte que l'on croit à une illusion de mouvement. La tête inclinée pour regarder derrière son épaule, l'une des branches de l'autre arbre était posée sur son avant-bras, telle une main sinistre. La victime était vêtue d'une robe en mousseline d'un vert sombre et réhaussé de blanc autour de sa poitrine. Des roses d'un rouge brillant étaient accrochées dans les plis de sa robe et dans ses longs cheveux bruns bouclés.

C'était tout simplement merveilleux à observer. Mais il ne pouvait décidément pas dire le fond de sa pensée à voix haute, surtout en présence de tous les agents du FBI. Il entendit vaguement Crawford demander à tout le monde de quitter les lieux du crime, et il ne fallut que quelques minutes pour que toute trace de vie disparaisse à moins de dix mètres de lui. Bien. Il inspira, expira, et se laissa submerger par son don.

-Il est tôt le matin., Commença-t-il alors que la lumière autour de lui se faisait plus douce.,

Je sais que je ne vais pas me faire prendre parce que le gardien a déjà fait sa ronde matinale et il se trouve loin d'ici à présent. Mettre tout cela en scène ne me prendra pas longtemps, c'est quelque chose que j'ai visualisé longuement dans ma tête, tout est réglé à pétale de fleur de près., Il s'approcha un peu plus de l'arbre et déposa contre son tronc le corps de la femme joliment habillée par ses soins., Je sais qui va venir inspecter cette scène, et je sais aussi qu'il va comprendre le message que j'y ai caché. Mais pour cela, il faut que tout soit parfait., Il prend quelques longues minutes pour que l'illusion du mouvement soit des plus réalistes possibles, puis, il se recula pour admirer son œuvre, un léger sourire aux lèvres., Cette scène représente Perséphone luttant pour ne pas finir dans les Enfers d'Hadès, même si c'est écrit dans son destin qu'elle échouera et qu'elle succombera. Parce que Hadès était obsédé par elle, parce qu'il la voulait. Tout comme je le veux.

Will se sentit reprendre pied avec la réalité dans un brusque sursaut qui fit battre son cœur plus vite. Il avait su que cette scène était spéciale avant même de l'analyser en profondeur. Et maintenant, il avait la confirmation que tout ceci était un message. Un message pour lui. Son regard s'abaissa vers l'herbe, sur une forme ronde et pourpre. Il se pencha suffisamment pour s'en saisir et la retourna pour observer sa face cachée. Il ne fut pas surpris de découvrir qu'il s'agissait là d'une grenade à moitié ouverte dont la pulpe des grains mûrs luisait avec les derniers rayons du soleil. Néanmoins, ce fruit n'avait rien à faire là. Il n'était pas sans ignorer que c'était parce que Perséphone avait mangé un grain qu'elle s'était condamnée à rester dans les enfers, mais c'était quelque chose qui arrivait plus tard dans l'histoire. Il n'y avait donc qu'une seule explication possible à sa présence sur le lieu du crime.

Elle était pour lui. Tout comme toute cette mise en scène.

C'était à la fois un message, et à la fois une invitation. Une invitation à rejoindre l'auteur de cette œuvre dans son royaume de ténèbres.

Et c'est à ce moment-là, qu'il comprit.

-Alors ?, Fit la voix de l'agent Crawford non loin de lui, coupant court à ses pensées.

D'un geste habile il tourna son poignet vers l'intérieur, glissant la grenade dans la poche de sa veste sans que personne ne le remarque.

Le tueur ne l'a pas tué ici, mais dans un endroit où il a pu prendre le temps de l'habiller et de la coiffer. Il n'y a aucune trace de sang nulle part et pourtant elle porte des marques de lésions., Il fit une pause, prenant le temps de réfléchir à ce qu'il voulait révéler ou non à l'agent pour l'instant., C'est une mise en scène d'un passage de la mythologie grecque. L'enlèvement de Perséphone par Hadès. La personne du roi des Enfers étant personnalisé par le trompe-l'œil que forme l'arbre un peu en recul., Dit-il en décrivant un cercle de son index pour entourer ce dont il parlait., Tout est très propre, très élégant., Ajouta-t-il avant de pincer les lèvres., C'est un genre de crime passionnel, mais j'ai besoin d'attendre le rapport de son autopsie.

Basiquement, ce n'était pas vraiment un si gros mensonge que cela. Il n'avait fait qu'omettre certaines choses. C'était bel et bien un crime passionnel, mais pour lui. Cela n'avait aucun rapport avec la victime.

-Vous ne trouvez pas que la mise en scène fait un peu penser à...

-L'éventreur de Chesapeake ?, Le coupa-t-il en levant le regard vers lui., Peut-être., Dit-il en haussant les épaules., Cela dit, l'éventreur n'a jamais fait l'erreur de commettre un crime passionnel. Si c'est bel et bien lui, quelque chose a changé dans son mode opératoire ce qui va le rendre imprévisible pour la suite., Il se balança sur ses talons en haussant les épaules., Je suppose qu'il nous reste à attendre de voir si deux autres victimes nous parviennent.

Quand l'agent Crawford le reconduisit à sa voiture à Washington, Will ne rentra pas immédiatement chez lui. Il n'hésita qu'un instant – une fois le contact allumé – avant de prendre la direction du cabinet d'un certain psychothérapeute. L'homme lui avait remis sa carte de visite peu après avoir quitté les lieux de la réception et Will l'avait si longuement fixée au cours des derniers jours qu'il connaissait l'adresse par cœur. Ce n'est que lorsqu'il arriva devant une porte sombre qu'il se rendit finalement compte de ce qu'il s'apprêtait à faire. Néanmoins, il n'eut pas le loisir de faire demi-tour. La porte s'ouvrit, révélant Hannibal Lecter dans un costume sombre, plus sobre que ce qu'il portait la première fois qu'il l'avait vu, mais toujours à des années lumières de ce que le brun avait l'habitude de porter au quotidien.

-Will, je savais bien que vous finiriez par venir me voir., Commença l'homme en s'écartant un peu de la porte pour le laisser entrer.

Le brun sentait son regard sur lui, ce même regard si attentif qui faisait trembler chaque cellule de son corps. Il savait qu'il était au tournant de quelque chose. Il pouvait faire demi-tour, retourner dans sa voiture en n'espérant ne jamais plus recroiser la route d'Hannibal Lecter ainsi que toute les choses qu'il incarnait. Ou alors, il pouvait entrer dans cette pièce, et accepter les changements que cela impliquerait au plus profond de lui, sans jamais pouvoir revenir en arrière. Il prit une inspiration, sentant le fruit peser dans la poche de sa veste, puis s'avança vers le Docteur.

Moi je ne le savais pas avant aujourd'hui., Dit-il en passant devant lui.

Il ne se rendit compte qu'à ce moment-là que l'homme était beaucoup plus grand que lui.

-Qu'est-ce qui a motivé votre décision ?

-Je reviens d'une scène de crime., Dit-il sans mentir, laissant son regard parcourir la pièce autour de lui.

Un espace, grand, pourvu d'une immense collection de livres qu'il prendrait grand plaisir à analyser plus tard. Tout était d'une décoration riche mais épurée. Il avait l'impression d'être dans une production Flandres. Derrière lui, il pouvait sentir le Docteur Lecter se déplacer jusqu'à l'un de ses fauteuils, mais toujours terriblement attentif à ses réactions et gestes.

-Vous aimez l'art, Docteur Lecter ?, Demanda Will une fois sa première inspection terminée.

-Je vous en prie, appelez-moi Hannibal.

-Hannibal., Répéta-t-il en prenant place sur un fauteuil face à lui.

-J'aime l'art comme tout un chacun.

-Une préférence pour la peinture flamande peut-être ?, Dit de façon rhétorique Will en laissant son regard glisser sur l'homme en face de lui, s'arrêtant à l'extrême limite de son regard., Vermeer est l'un de vos artistes favoris., Ajouta-t-il, et ce n'était pas une question.

-Vous utilisez votre empathie sur moi ?, Demanda Hannibal sans colère.

-Non, je n'en ai pas besoin, cette pièce parle pour vous.

Un rire léger lui parvint et il crut sentir une certaine forme de fierté et d'admiration provenant du psychologue.

-Vous n'avez pas répondu à ma précédente question, Will. Pourquoi êtes-vous venu me voir directement après être parti d'une scène de crime ?

-J'ai besoin d'exprimer ce que j'ai vu avec quelqu'un qui ne me jugera pas., Avança-t-il comme forme de réponse. Il avait l'impression de débuter une partie d'échec dont chaque parole représentait un pion. Et il venait d'avancer le sien.

-Vous pouvez-vous exprimer librement ici Will., Répondit Hannibal en renouvelant ce qu'il lui avait déjà dit le soir de leur première rencontre.

Will hocha distraitement la tête en guise de remerciement puis se plongea dans son récit :

-Une jeune fille a été retrouvée au fond d'un cimetière de Baltimore. Son corps a été mis en scène avec soin et j'ai trouvé ça..., Il se pinça les lèvres en une manifestation de ses dernières réticences.

-Oui ?, L'encouragea le médecin.

-J'ai trouvé ça magnifique., Lâcha-t-il finalement en affrontant son regard.

Cette fois-ci, il s'y était préparé, à l'intensité de son regard lorsque ces orbes ambrés étaient posés sur lui. Le cerf était toujours là, attentif, curieux, fasciné – un peu à l'image de l'homme assis à quelques mètres de lui. Will, bien qu'il ne ressentît toujours aucune anxiété quand il se trouvait seul avec Hannibal, sentit ses épaules se détendre. L'homme était si maître de ses émotions, qu'il agissait comme un tranquillisant après des jours et des jours à naviguer entre les sentiments des autres personnes qui l'entouraient. Pour la première fois depuis longtemps, Will avait l'impression d'être à sa place, et que tout allait pour le mieux dans sa vie. C'était une sensation si grisante, qu'il songea l'espace d'un instant, qu'il ferait tout pour pouvoir ressentir cela tous les jours du reste de sa vie.

-Magnifique ?, Demanda avec son flegme habituel le médecin, mais le brun pouvait observer la lueur de satisfaction dans ses yeux.

S'il manquait encore des preuves pour confirmer ses soupçons, il venait de les avoir. Son cœur rata un seul et unique battement, avant de redevenir calme.

-Oui., Confirma Will., C'était une représentation d'une scène mythologique, l'enlèvement de Perséphone par Hadès., Expliqua-t-il., Mais, j'ai aussi eu l'impression que… Non, je sais qu'il y avait un message à tout ça. Quelque chose qui m'était destiné.

-Quel genre de message un assassin voudrait-il vous faire passer ?, Demanda Hannibal en haussant doucement un sourcil.

-Je ne sais pas trop, les explications sont nombreuses mais, j'ai eu l'impression qu'il s'agissait d'un défi...Ou du moins une invitation.

Ils se parlaient tous les deux sur un ton détaché, comme si Hannibal n'était pas l'auteur de ces meurtres, et comme si Will n'en était pas parfaitement conscient.

-Quel genre d'invitation ?

-A lui résister.

-Pourquoi pensez-vous cela ?

-Parce qu'il m'a laissé ceci., Répondit-il en sortant la grenade de la poche de sa veste et en la faisant tourner entre ses doigts.

Il y eut un moment de flottement durant lequel, ils se contentèrent de s'observer, le regard fixé l'un sur l'autre. Will sentit son rythme cardiaque augmenter, mais cela n'avait toujours rien à voir avec de la peur. Non.

-Mais j'ai l'impression que tel Perséphone, il considère mon destin le concernant tout tracé.

-Vous croyez au destin ?, Demanda Hannibal, et sa voix semblait étrangement solennelle.

-Je crois que certaines choses, certaines rencontres, n'arrivent pas sans raison.

Puis, il cueillit entre ses doigts un des grains du fruit qu'il tenait toujours dans sa main, et le porta à ses lèvres, sous le regard approbateur du Docteur Lecter.


Eh bien, écrire sur Hannibal Lecter est un exercice intéressant. Autant du fait qu'il faut se mettre dans la tête d'un tueur en série méthodique, MAIS en plus de ca cannibale. Ce qui implique de passer des heures sur des sites de recette de cuisine à réfléchir comment on peux cuisiner un cœur humain, ou alors, réfléchir pendant beaucoup trop longtemps à des questions du type " est-ce que je peux parler de chair humaine comme un morceau de viande et si oui est-ce que je vais devenir végétarienne avant la fin de cette histoire ".

Sinon, je n'ai pas vraiment d'explication au pourquoi du comment de cette histoire, je suppose que j'étais frustré ( je le suis toujours ) de ne pas voir la série se diriger dans le sens que je voulais, et que je voulais explorer un peu plus le personnage de Will si lui et Hannibal se serait rencontré dans des circonstances différentes, et si, je pouvais supprimer sa conscience accrue de la justice au profit de son égoïsme.

En conclusion : retirez-moi word avant qu'il ne soit trop tard.

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Une review ?

Coeur.