Par une belle matinée de Mai, Primula Sacquet était adossée à un arbre, absorbée dans la lecture d'un lai Gondorien, cadeau de son amie la princesse Eladiel. Profitant de l'effervescence due à la présentation de la nouvelle collection de sa mère, la jeune fille était parvenue à échapper un instant aux sollicitations de ses nombreux cousins et frères et sœurs pour s'offrir un moment à elle. Car, si Primula était d'un naturel enjoué et liant, elle n'en appréciait pas moins la solitude et le fait de pouvoir ses retrouver en tête à tête avec ses rêveries, comme jadis Frodon au même âge. Comme elle arrivait au passage dans lequel le guerrier, couvert de maintes gloires, allait enfin pouvoir épouser sa belle, l'attention de Primula fut attirée par le bruit d'une charrette sur la route d'Hobbitebourg. Levant les yeux de son livre, la jeune hobbite vit alors la pointe d'un chapeau bleu apparaitre, puis de long cheveux gris, et en dessous, le visage d'un vieil homme, à la fois sérieux et riant. Les jolis traits de Primula s'égayèrent alors d'un sourire ravi, et la jeune fille courût à toutes jambes à la rencontre du visiteur. Arrivée au bord du chemin, la jeune fille stoppa net sa course et se tint droite, les bras croisés ; puis, elle dit d'une voix qui se voulait sérieuse :
« Vous êtes en retard ! »
« Un magicien n'est jamais en retard, Primula Sacquet ! dit Gandalf sur le même ton. Ni en avance, d'ailleurs. Il arrive précisément à l'heure prévue ! »
Puis soudain, la jeune fille et le magicien éclatèrent de rire de concert.
« Je suis si contente de vous voir, Gandalf, s'écria Primula en sautant dans la charrette. »
« Moi aussi, chère enfant ! Vous avez bien grandi depuis notre dernière rencontre ! Vous voilà une vraie jeune fille ! Votre papa doit être très fier ! Quel âge cela vous fait-il, chère enfant ? »
« Je viens d'avoir vingt et un an, répondit Primula. Vous avez la mémoire courte Gandalf ! »
« Allons, allons, jeune fille, un peu de bonté pour un vieillard ! Et dites-moi, comment vont vos parents ? »
« Oh, papa va bien, pour autant que je sache, bien que son épaule le fasse encore souffrir, inlassablement, tous les ans à la même époque. Il passe beaucoup de temps à écrire et à aider l'oncle Sam dans ses tâches administratives. Il s'occupe aussi de la comptabilité de Maman. »
« Les affaires vont bien ? »
« Oh, oui, Maman n'a pour ainsi dire pas de concurrence. Mais…mais c'est pénible, parfois, Gandalf, fit Primula avec une petite moue. »
« Ah, bon ? »
« Oui, Maman insiste toujours pour que je lui serve de mannequin, mais je n'aime pas trop ça ! »
« Tien donc ! Pourtant les jeunes filles aiment les robes, d'ordinaires. »
« Eh bien, pas moi ! Je trouve cela vraiment ….enfin, je trouve très beau ce que fait maman, mais…ce n'est pas mon truc, si vous voyez ce que je veux dire. »
« Oui, je pense que oui ; ma foi, vous n'êtes pas ordinaire. Vous me rappelez beaucoup votre père au même âge ! »
« Oh, c'est vrai ? fit Primula, une lueur dans les yeux. »
« Oui, tout à fait, vous êtes son prolongement. Mais je ne dois pas être le seul à vous le dire. »
Puis, sur un ton plus grave, le magicien poursuivit :
« Et vos pouvoirs, Primula, vous arrivez à mieux les contrôler ? »
La jeune fille ne répondit pas tout de suite, mais un voile mélancolique passa sur ses grands yeux bleus. Puis elle répondit dans un petit sourire triste :
« Oh, oui…et non. »
Conscient d'avoir abordé de but en blanc un sujet sensible, le magicien regretta aussitôt la soudaineté de sa question. Mais il fallait poursuivre et comprendre ce qui rendait la jeune hobbite si mélancolique :
« Comment cela ? demanda Gandalf avec douceur. »
« Et bien, maintenant, je maîtrise bien mon don de guérison, et j'arrive à savoir à l'avance quand il va être nécessaire de l'utiliser. Mais son usage me demande beaucoup de force et produit une lumière argentée assez peu discrète. Et vous connaissez les hobbits ! »
« Ma foi, oui ! répliqua Gandalf, devinant par avance les propos qui allait suivre. »
« Certains me considèrent comme une sorte d'elfe miniature, bienveillante et vénérable, ce qui amuse Papa et ennuie Maman, mais d'autres…d'autres me prennent pour une sorcière. Alors…j'évite d'utiliser ce pouvoir en dehors de ma famille. »
« Je vois, acquiesça gravement Gandalf. Et…pour le reste. »
« Eh, bien, parfois, c'est amusant de voir ma grand-mère, elle m'informe de choses amusantes ou utiles sur ce qui va se passer. Oui, par exemple j'ai su avant tout le monde que Maman attendait Orchidée ! Mais parfois… »
A nouveau, le regard d'azur de la jeune hobbite se ternit, et elle éclata en sanglot dans les bras du magicien :
« C'est si dur, Gandalf ! Pauvre Papa ! Pauvre Papa ! Je voudrais tellement que tout ceci ne soit jamais arrivé ! »
« Allons, chère petite, dit Gandalf en lui caressant paternellement les cheveux, si tout ceci n'était pas arrivé, vous ne seriez pas là aujourd'hui. Et c'eût été, ma foi ! bien dommage ! Ne pleurez plus Primula, je suis venu pour vous aider à maîtriser tout cela, et aussi… »
« Oui ? »
Primula avait cessé de pleurer devant l'ait mystérieux qu'arborait soudain le magicien. Ménageant ses effets, Gandalf toisa quelques instants la jeune fille et fini par dire, vaincu par les beaux yeux bleus pétillants de curiosité :
« Le roi souhaite revoir votre famille en Gondor : il vous convie, ainsi que vos parents, votre oncle Sam, votre tante et votre cousine Elanore. Vous allez pouvoir retrouver la princesse Eladiel. Etes-vous contente ? »
« Oh, oui, Gandalf ! s'écria Primula en gratifiant le magicien d'un baiser sonore sur sa joue barbue.
