CHAPITRE I
Feindre
*
Ma vie se résumait à peu de chose depuis que j'avais quitté Phoenix la décadente pour Forks la provinciale. Elle consistait en la répétition de gestes quotidiens, une routine bien rodée d'une lycéenne anesthésiée par un ennui mortel.
J'avais dix-huit ans, je n'étais personne, je n'avais rien fait de ma vie dont la quasi entièreté se simplifiait en la longue attente d'un élément déclencheur qui me projetterait enfin dans une existence qui en valait la peine.
J'attendais sans fin la passion qui me révélerait à moi-même, aux autres, au monde.
Mais la petite bourgade de Forks où j'avais décidé de rejoindre mon père un an plus tôt suite au remariage de ma mère, ne semblait vouloir m'offrir que les choses vaines et froides d'un quotidien banal et bien rangé.
L'ennui est une douleur, la plus minutieuse. Elle se glisse au fond de l'âme, elle se niche entre les dents. On mange sans goût, on vit sans voir... Expliquez-moi qui je suis. Donnez-moi de mes nouvelles.*
Je ne me souvenais pas quel auteur français avait écrit cette phrase, mais elle synthétisait plutôt bien mon état d'esprit en ce début déprimant d'un mois de mars glacial.
Je rangeai mon manuel de littérature dans mon sac avec des gestes mécaniques. Je ne me dépêchai pas pour sortir de la classe, il y avait un attroupement devant le bureau du professeur qui rendait les copies de notre dernière dissertation. Il gardait toujours la mienne pour la fin. De cette manière, il pouvait me faire des commentaires extatiques sur mon style « incisif et caustique » sans avoir l'air de faire du favoritisme.
Je jetai mon sac sur mon épaule avant de me présenter devant son bureau, il me remit ma copie avec précaution comme s'il s'agissait d'une relique tout juste exhumée de Jésus de Nazareth. C'était con, je m'en balançait pas mal du Christ. J'attrapai le bout de papier sans ménagement et l'œil gauche de mon prof tiqua comme à chaque fois que quelque chose l'agaçait. Et mon manque de respect pour mon propre talent l'agaçait plus que tout.
- Isabella, vos considérations sur Roméo sont tout simplement culottées! Oh, je vous admire d'avoir un esprit si rebelle et si vif! Oser prôner qu'il est un inconstant et défendre cette idée avec votre style! Vous venez de démystifier un classique !
- Euh... Si vous le dites, répondis-je déjà ennuyée par son enthousiasme.
- Compter vous vous inscrire en littérature à la faculté ?
- Hum... La fac... C'est-à-dire...
Si mon compte en banque avait été assez rempli pour pouvoir payer mon second semestre, peut-être que je me serais lancée dans une introspection de ma propre personne pour déterminer quelle option me conviendrait. Néanmoins, ce n'était toujours pas le cas, et ce n'était pas faute d'avoir demandé à Santa Claus, pas la peine de se faire de faux espoirs.
- Disons que rien ne m'excite pour l'instant... Je me laisse l'été pour choisir, mentis-je.
C'était un mensonge par omission, cette phrase avait sa validité dans le cas où mes maigres finances me permettraient de faire deux trimestres dans une faculté bon marché.
Il me tendit une enveloppe blanche.
- Une lettre de recommandation... Pour compléter vos dossiers d'admission... Cela reste entre nous, évidemment, ajouta-t-il sur un ton complice avant de m'envoyer un clin d'œil.
- Euh... Merci beaucoup...
- Allez, filez! Vous avez probablement des tonnes de choses à faire!
- Oui, monsieur.
Je ne me le fis pas dire deux fois et fonçai hors du local pour rejoindre mon casier devant lequel Angela, une des seules filles dont j'appréciai la présence dans ce lycée, m'attendait.
- Bella ! Grant t'as encore retenue ?
- Il voulait me remettre une lettre de recommandation pour la fac dans laquelle je n'irai pas...
- Je vais commencer à croire que Jessica a raison, il en pince pour toi...
- Pour ma prose du moins...
J'ouvris mon casier pour y déposer les bouquins dont je n'avais pas besoin pour travailler à la maison.
- Un professeur, une élève... Ça fait très « amours interdites », soupira Angela.
- Euh, ouais. Quand le prof ressemble au fantôme du moine gras dans Harry Potter, c'est tout de suite moins sexy.
Angela éclata de rire et nous nous mîmes à marcher vers le parking. La journée de cours était finie, nous avions prévu de nous retrouver chez Angela pour travailler sur notre exposé de biologie.
- Le pire dans tout ça, ajoutai-je, c'est que c'est actuellement la chose la plus palpitante de ma vie.
- En parlant de ça, répondit Angela alors que nous montions dans ma voiture, tu as vu le nouveau prof de musique?
- Je ne suis pas inscrite en musique... J'ai tablé sur des options moins inutiles, répondis-je en manipulant le volant de mon antique Chevrolet pour l'insérer dans la circulation.
- Moi non plus, mais je t'assure qu'il y a de quoi le regretter! Ça change de cette vieille chouette de Bennett !
- A ce point ?
- Oh que oui... Jessica a foncé au bureau de la direction pour faire changer sa grille horaire après l'avoir croisé dans le couloir.
- Jessica est une mythomane doublée d'une nymphomane...
- Ce type affolerait les tendances nymphomanes pas mal de filles selon moi...
- Angela Weber ! Si ton pasteur de père t'entendait...
- Il en mourrait... C'est pour ça qu'on va se dépêcher de terminer cette discussion avant d'arriver chez moi...
- Alors, c'est quel genre, demandai-je même si je n'étais pas vraiment intéressée.
- Le genre statue grecque vivante, grand, beau, bien bâtit... Vingt-quatre ou vingt-cinq ans à tout casser... Une bouche craquante, des cheveux indisciplinés, deux yeux verts... Il es à tomber...
- Tout un programme. Faudra que tu me montres ça demain, histoire de savoir si je vais pas lâcher la bio pour musique, répondis-je en garant ma voiture devant chez elle.
- Tu ne me ferais pas ça, si ?
- Huuum... Si mes tendances nymphomane sont suffisamment affolées, pourquoi pas ?
Nous rîmes toutes les deux avant de rentrer chez elle pour nous mettre au travail.
Deux heures plus tard, j'étais de retour à la maison. Elle était étrangement vide, d'habitude quand je rentrai à cette heure mon père était installé sur le canapé du salon entrain de regard un match de baseball.
Il n'y avait pas de note sur la table de la cuisine, ni sur la porte du frigo, points stratégiques de communication entre mon père et moi.
Je jetais un œil par la fenêtre de la cuisine pour remarquer que sa voiture de service était garée sur le côté de la maison.
- Papa ? Papa ?
Aucun son ne me répondit, je m'apprêtai à monter à l'étage pour vérifier qu'il n'était pas là quand la porte d'entrée s'ouvrit sur lui.
- Salut, ma chérie...
- Papa ! Je me demandai où tu avais disparu !
- J'étais chez notre nouveau voisin, annonça-t-il avec un sourire.
La maison juste en face de la notre qui avait été vide pendant si longtemps venait juste de trouver un locataire qui avait emménagé pas plus tard qu'hier.
Nous passâmes à la cuisine et je sortis deux steaks du frigo.
- Il est sympa ? C'est quel genre, demandai-je en feignant l'intérêt.
- Le genre jeune et pas doué de ses mains... Il y a quelques petits travaux de plomberie à faire dans la maison... Elle est vide depuis tellement de temps... Enfin, c'est minime, mais le pauvre, il n'est vraiment pas bricoleur... Je lui ai offert de l'aider...
- C'est gentil...
- C'est une manière de faire connaissance, répondit Charlie avant de plonger un doigt gourmand dans la marinade que je préparai pour les steaks. Il est prof dans ton lycée, je crois...
- Prof de musique, non ? J'en ai entendu parler... Il fait des ravages auprès de la gente féminine. Selon Angela, il est beau comme un dieu...
- Je vois que ses qualités de pédagogue vous ont sauté aux yeux, marmonna mon père.
- Je ne suis même pas dans sa classe, dis-je en haussant les épaules.
- Soit... J'imagine qu'on peut dire ça... Et tu n'as rien vu de la demoiselle qui l'accompagne... Une vraie beauté, j'ai rarement vu un brin de fille aussi jolie...
Deux superbes jeunes voisins, certainement le stéréotypes du jeune couple américain, amoureux, en plein essor professionnel et à un cheveux de se passer la bague au doigt. Rien de nouveau sous mon cocotier en somme.
- Carlie... Un très joli prénom, Carlie... Et tu verrais les yeux que Edward lui fait, on voit réellement que c'est la femme de sa vie...
- T'es tombé amoureux, papa ?
- Soit pas stupide, rit-il.
- Edward et Carlie... Hé bien, ça promet, soupirai-je en jetant la viande dans une poêle chaude.
- On les inviterait bien à souper un de ces soirs ? Histoire de faire un peu mieux connaissance...
- Pourquoi pas, répondis-je en essayant d'avoir l'air enthousiaste.
Mon père s'installa à table et déplia son journal, signe qu'il s'était montré assez bavard pour aujourd'hui.
Nous dinions en silence quand mon père reprit la parole.
- Tu aimerais toujours te remettre à jouer du piano, n'est-ce pas ?
C'était un souhait que j'avais émis à une époque pour tenter de tromper mon ennui, mais il n'y avait aucun professeur de piano dans la petite bourgade de Forks, hormis Mrs Bennett qui, comme Angela l'avait souligné, était une véritable harpie.
Néanmoins, j'avais compris depuis cette époque que mon sens particulier de la coordination ne me permettrait jamais de pratiquer de manière potable un instrument et cette envie m'était passée.
- Euh... Oui, pourquoi pas, mentis-je devant la mine souriante de mon père.
- C'est parfait! Edward peut t'en donner...
- Mais papa...
- Chuut! Je sais que ça te ferais plaisir et il a proposé de t'aider à t'y remettre après les cours en échange des services de plomberie que je lui rends. C'est super, non ?
- Euh, ouais. C'est très gentil, dis-je un peu déconfite.
J'allais devoir passer plus près du couple de charmants voisins que je n'y comptais...
- Tu peux commencer demain après les cours.
- OK...
Je fis la vaisselle avant de souhaiter bonne nuit à mon père et de filer dans ma chambre où je m'enfermai. Je sortis aussi vite de sa cachette mon carnet d'écriture et taillais finement la pointe d'un crayon noir après quoi je m'installai face à mon bureau.
Mon unique bouffée d'oxygène dans cette journée triste et morne était là. La fiction. Mon crayon commença à gratter avec frénésie sur le papier bon marché m'attirant peu à peu dans un univers monté de toutes pièces où les héroïnes étaient maîtresses de leurs vies et vivaient au gré de leurs passions dévastatrices.
Fin du chapitre I
* Christian Bobin.
Hum, voilà. J'en avais très envie donc je me suis laissée tenter. Je me lance une fois de plus dans une nouvelle fiction.
Je sais que ce chapitre ne fait que tracer les contours, et que Edward n'y apparaît pas, mais il entre en jeu dès le prochain chapitre.
J'suis un peu angoissée, là, hein. J'avoue que j'attends vos commentaires avec impatience.
Bon, on se retrouve dans quelques minutes dans une petite review, j'espère...
A bientôt...
SHEZ
