Semaine Mystwalker :
SEPT JOURS POUR L'ENVOÛTER
Jour 1 : Haine
Jour 2 : Faux-semblants
Jour 3 : Bal
Jour 4 : Envie
Jour 5 : Couronne
Jour 6 : Remords
Jour 7 : Tendresse
Bonus : Interdits
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EDOLAS. Jour 1 : Haine.
On ne refaisait pas le monde en un jour. Et Erza Knightwalker, quel que soit le nouvel éclairage que l'on donnait à sa vie, ne ferait pas une croix sur son passé sous prétexte que le régime avait changé la veille.
Seulement, l'Histoire avait ce vice de ne retenir que le nom des vainqueurs. Les autres, comme elle, c'était l'oubli. Mépris. Haine. Crachats, image noircie et politique de l'occultation.
C'était ce devant quoi elle se trouvait alors que Gérard l'Usurpateur, assis négligemment sur le trône de son père, la contemplait avec pitié sous les yeux d'une Cour qui n'attendait que son signal pour se ruer sur elle et lui arracher les yeux. Il y avait notamment toute la troupe de Fairy Tail, les fées hors-la-loi, qui lui lançaient des regards haineux et que seule la mystérieuse force de l'Apparence retenait de verser dans l'assassinat.
Il y avait aussi ceux qui avaient tenu à Faust et qui ne disaient rien, menottés par la défaite. Honteux. Et pourtant pas prêts à lever le petit doigt pour sortir du rang.
La situation d'Erza était spéciale. Elle avait accepté la reddition, elle avait reconnu son impuissance. Elle avait presque entériné l'arrivée du nouveau souverain avant même que celui-ci n'ait vaincu - avec rien de moins que des remords -. On ne pouvait pas condamner de la même façon quelqu'un qui acceptait le bien-fondé de la Cause, fût-ce un abominable assassin.
Et Erza détestait ce traitement de faveur comme elle détestait les regards que Lucy Ashley et ses compagnons lui jetaient. Elle avait cru en ce qu'elle faisait, et si Gérard le lui demandait, elle l'affirmerait haut et fort. Elle avait désiré la magie, fallut-il tuer pour la conserver.
Elle en voulait un peu au nouveau roi, d'avoir renversé Faust et ses espoirs avec lui. Mais il fallait faire avec son temps. Un régime ou un autre, ça ne changerait rien, se répétait-elle. Car ce qu'il ne savait pas, le roi ne pouvait le changer.
Et c'était bien là que résidait son échappatoire.
Le verdict tomba : Erza était libre. Mais Erza avait été coupable. Aussi sa punition serait-elle à l'égal de ses vices passés : elle devrait relever le royaume qu'elle avait aidé à faire dépérir, participer à la reconstruction des bâtiments détruits par leur guerre, et en faire toujours plus, pour changer Edolas en une terre prospère et florissante.
Erza Knightwalker se retrouva pieds et poings liés au Royaume. Désormais, sa vie lui appartenait, mais cela lui plaisait : ainsi, elle resterait un acteur politique de la vie de son pays. Elle aurait son rôle à tenir lorsque se produiraient les grands changements. Elle n'abandonnerait pas son idéal.
Elle remercia silencieusement celui qui était son nouveau souverain et qui ne la haïssait pas.
Le scruta.
Il ne la haïssait pas, n'est-ce pas ?
Peut-être. Le prince Gérard était un comédien sur sa scène grandeur nature. Certes, il se composait un faciès sérieux à mourir, certes il donnait à chacun de ses gestes la noblesse d'un dirigeant légitime, d'un juge droit, vertueux et sans préjugé, mais qu'en était-il ? Tout ce qu'elle en voyait, c'était qu'il prenait ses décisions avec la compliance maladroite d'un futur grand. Et ce n'était pas si mal.
En se reculant, elle observa la transparence de ses traits et la lourdeur du fardeau qu'il avait conscience de devoir endosser. Cela, il le laissait filtrer comme on laisserait une faiblesse attendrir l'adversaire. Impossible de savoir si l'ouverture était feinte.
Elle nota qu'il la regardait à peine en rendant sa décision. Elle l'en haït.
Elle nota également que le poste lui allait comme un gant.
Cela, elle ne pouvait le détester.
Après tout, il était né pour hériter.
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EDOLAS. Jour 2 : Faux-semblants.
La reconstruction avait commencé le jour même, mais le prince Gérard ne s'y était joint que tardivement. Du moins était-ce l'impression d'Erza, qui ne l'avait croisé qu'en soirée, assez tard, et de loin, pour disparaitre aussitôt de son champ de vision derrière les ruines branlantes d'un silo à grains incendié.
Erza appréciait son nouveau travail. Utiliser la force physique lui déliait l'esprit, lui faisait oublier ses préoccupations de lendemain. Elle adorait arrêter de penser. Ses muscles jouaient, souples, et l'effort lui procurait des bouffées de bien-être hormonales différant bien peu des sensations de combat - elles étaient juste dénuées de stress -.
Le danger lui manquait un peu, parce qu'il n'était pas visible. Mais la perte était palliée de façon raisonnable. Car plus personne ne lui donnait d'ordres.
Elle aimait se dire qu'elle était libre de ses actes, ainsi, avec pour tout entourage un travailleur silencieux et une volée de moineaux. Si elle l'avait voulu, aucun de ceux qui la côtoyaient ne lui aurait résisté au combat à mains nues, et elle cavalerait déjà sur la route pour demander l'asile d'un pays voisin. Mais il y avait dans le fait de rester une sensation extraordinaire de choix et d'entraide.
Erza ne connaissait pas l'entraide, hormis celle de compagnons d'armes qui vengent leur ami tombé. Elle ne faisait que la découvrir. Et la sensation de puissance qui en découlait – elle, même sans armes, même sans magie, était plus forte que la plupart des hommes et se montrait, de ce fait, indispensable – était aussi agréable que la sensation de meurtre. Avec le gros avantage d'être légale.
Erza avait donc décidé qu'elle ferait d'elle-même un pivot nécessaire aux autres. Son emprise ne cesserait pas, d'autant qu'on n'avait pas fini de la craindre.
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Le roi vint naturellement vers elle en début d'après-midi, alors que le soleil tapait au plus fort. Elle savait ses épaules maculées de sueur et de la poussière des gravats, ses cheveux échappant au pire grâce à leur récente coupe.
Elle avait sans doute l'air d'une miséreuse que vient visiter un grand Prince, et c'était drôle, parce que jamais vérité ne se serait montrée plus ambivalente.
Elle le vit incliner la tête sur le côté tandis qu'elle chargeait une lourde poutre sur son épaule. Il n'avait pas l'air plus intéressé que nécessaire, tout juste curieux de l'implication que la demoiselle avait dans les travaux auxquels on l'avait forcée à prendre part. Elle jouait, et joua encore, à l'ignorer comme s'il n'était qu'un fantôme de passage.
Il plissa les yeux, voyant la quasi-indifférence que suscitait son arrivée.
Elle joua encore un instant. C'était drôle – qu'importe que son sens de l'humour ait souffert d'une grave altération avec l'avènement du jeune Faust –.
Ce fut l'autre homme, au bout de la poutrelle, qui déposa son fardeau pour saluer respectueusement le libérateur du peuple. Erza ne suivit le rythme que parce qu'elle s'en trouva contrainte par la nature de l'effort - porter seule une poutrelle à bout de bras n'était pas la chose la plus intelligente qu'elle puisse trouver à faire -.
L'autre homme s'inclina respectueusement, et elle réprima un sourire en forme de rictus. Erza ne connaissait pas très bien son binôme à ce qu'elle en savait, c'était un homme d'une quarantaine d'années, encore en forme, et qui avait le mérite d'être travailleur. Sans doute était-il maçon de métier, si l'on en jugeait par les cals sur ses mains. Elle n'avait rien à lui reprocher : il faisait bien son boulot, ne lui jetait pas de regards haineux en biais, et c'était tout ce qu'elle lui demandait.
Le souverain lui adressa un regard inquiet, à elle et pas à l'autre travailleur, qui ne s'aperçut pas qu'il était un centre de « désintérêt » : et Erza comprit quel était justement le sujet des préoccupations du prince. Son traitement par les autres.
Elle se demanda pourquoi, parce qu'il lui paraissait évident que l'autre ne lui accorderait que peu d'attention. La Tueuse de Fées avait été nuisible aux mages, pas au peuple, qui avait autre chose à faire de ses affects que de haïr une soldate de la Cour. Et si la crainte accompagnait partout l'ex-commandant Knightwalker, c'était qu'elle tenait à sa réputation. Chacun savait que pour avoir la vie sauve, il s'agissait juste de ne pas la contredire.
Et puis, les petites gens respectaient le pouvoir – et donc elle – mais n'en avaient pas moins une relative indifférence pour le nom exact du gouvernant. Les querelles intestines au Royaume des Aveugles influaient beaucoup moins sur leur quotidien que ne le supposaient orgueilleusement ceux qui régnaient - qu'il s'agisse de Faust ou de Guignol Ier, pour eux, c'était du pareil au même : il y aurait toujours des lois, des impôts, et une justice dont la justesse laisserait plus ou moins à désirer -.
Elle haussa les épaules en réponse.
Le prince Gérard lui offrit un sourire rassurant. Cela lui rappela un temps qu'elle avait pensé oublié : celui où, toute gamine, elle avait croisé de ses grands yeux émerveillés la silhouette minuscule d'un prince aux cheveux azur ébouriffés, à l'air craintif et dont les épaules étaient recouverts par une cape brune que maintenait un Panther Lily bon guide et déjà trop âgé pour faire un compagnon de jeu normal. Il lui avait souri de la même manière, derrière ses dehors fragiles, comme s'il tenait à rassurer les autres pour les choses dont il n'était pas certain lui-même.
C'était une autre époque. Le prince y semblait fragile, dénué de volonté propre - et encore moins de celle de se battre -. Il était juste un petit garçon qui réclamait une affection que personne ne pourrait jamais lui donner. Sa mère était morte en couches, et son père, anéanti par le chagrin, avait d'autres préoccupations que de veiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur un garnement sans caractère.
En avait-il déjà, du caractère, à l'époque ? Se doutait-il de ce qu'il réaliserait une dizaine d'années plus tard ?
Elle se souvenait encore de la scène. Lorsque le roi l'avait approché, le prince Gérard avait eu l'air d'un joujou à briser, d'une petite chose malléable et incertaine, d'un enfant à manipuler sans précaution. Le prince Gérard n'était pas un battant, il savait juste se taire. Ne pas élever la voix devant son père. Eviter de trop se montrer en public. Sourire aux nobles de la Cour.
Puis Erza se souvint de sa fuite, de sa déclaration de hors-la-loi lorsque son père avait condamné une petite noble alliée aux Fées et qu'il avait pris sa défense.
Elle se souvint également du jour où, chassant ses nouvelles ennemies, elle avait dû faire face à un inconnu encapuchonné qui lui avait barré le chemin. De celui, quelques temps plus tard, où elle avait revu le gêneur et réussi à le surprendre, avait soulevé sa capuche, et avait à peine eu le temps d'apercevoir une gerbe de cheveux azur que la silhouette du déchu avait déjà disparu dans une explosion de magie.
Du jour où elle l'avait retrouvé, le visage découvert, combattant pour sa cause qu'elle avait crue perdue d'avance.
Et d'aujourd'hui, où le honni était redevenu maître et régnant.
Il était calme. Il avait l'air fragile, encore et toujours. Et pourtant c'était un meneur, d'un genre bien étrange mais un meneur tout de même.
Erza l'avait pris pour un faible, elle l'admettait. Et elle n'aurait pas reconsidéré cette opinion si elle ne l'avait pas vu, digne héritier qu'il était, avec le regard de celui qui a trop connu Faust pour ne pas y discerner de ressemblance. Certes, le gant n'était pas d'un velours très soyeux, et le fer de la main faisait très fragilement forgé, mais en-dessous, l'armature osseuse imposait une direction indéniable à laquelle pas une volonté ne pourrait s'opposer. Gérard Faust avait des yeux de Faust, des yeux de conquérant, et ce même si la douceur et la fausse fragilité de sa voix dupaient les moins avertis. Gérard Faust avait le charisme vacillant d'un séducteur.
Alors Erza laissa errer son regard sur la nuque blanche et sur les mèches folles, coupées au couteau lors de ses errances à l'insu du créateur d'Animas, et sur les clavicules trop bien dessinées que son éternelle cape avait pour trop longtemps coupé du soleil. Et elle sourit de la marque rouge qui prenait sur son nez et ses épaules.
Le roi les avait haussées, percevant son regard, et elle avait senti la gêne l'envahir.
Coup de soleil.
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EDOLAS. Jour 3 : Bal.
Le couronnement avait été décidé pour le surlendemain. On organisait, au soir, un bal auquel étaient conviés tous les intervenants de la guerre et du royaume, plus quelques sélectionnés qui avaient eu le désir de s'impliquer dans la reconstruction. Erza rentrait précisément dans les trois catégories, aussi savait-elle que malgré son désintérêt pour la chose et le peu de considération qu'on lui porterait, sa présence serait plus que nécessaire à l'enterrement de vie princière du roi. Elle avait passé la journée à réparer un moulin à eau en périphérie de la capitale, et, même si loin de tout, les rumeurs sur le bal l'avaient poursuivie toute la sainte journée.
Erza n'était pas naïve : les places qui se jouaient ce soir étaient énormes. C'était presque le loto des charges du palais, puisque la moitié du personnel avait été virée et que l'autre restait en sursis. Il s'agissait de se montrer sous son plus beau jour devant le presque-roi, de grappiller les chances de s'élever socialement ou plus simplement d'éviter une chute vertigineuse dans les tréfonds de la pauvreté. Et puis, qui savait ? Il y avait un cœur à prendre…
Pour sa part, il s'agirait de maintenir ses chances de ne pas être effacée du bottin mondain. Car Erza ne se faisait pas d'illusions. Son choix du mauvais camp lui resterait éternellement en travers des bottes. Mais il s'agissait de sauver un ou deux meubles : sinon, comment agir par la suite ?
Cependant, elle ne se faisait pas d'inquiétude quant à son revers de la soirée. Ce n'était pas parce qu'elle était une guerrière qu'Erza était dénuée de féminité et de finesse diplomatique. Elle savait s'habiller très correctement, même si son goût pour la provocation avait une nette tendance à ressortir aux moments les plus impromptus. Elle savait que ce soir, elle se changerait en arme de séduction massive pour nobles fortunés.
Rentrant de son labeur, elle savoura une longue douche qui la défit de toute sa sueur et de sa poussière.
Il lui fallut peu de temps pour être prête, et moins encore pour constater à quel point ses efforts stylistiques avaient payé. Alors même qu'elle apercevait le tapis pourpre déroulé pour Sa Majesté, des exclamations de stupeur, d'admiration ou de haine sortirent des bouches des invités en approche. Elle se demanda un instant si elle n'avait pas fait trop, car s'attirer la hargne des dames n'était pas dans son intérêt de réconciliation. Mais lorsque le valet d'ouverture lui offrit un sourire respectueux, elle sut qu'elle était parfaite.
Elle entra dans la salle d'un pas nerveux et dynamique, juchée sur des talons qui la faisaient paraître plus grande que la majeure partie des hommes, et se dénicha une place près du buffet, à l'écart, une coupe de champagne à la main pour servir de change en attendant l'arrivée princière.
Et lorsque le souverain, qui pour l'occasion l'intéressait fort peu, entra dans la salle et que tous les bras se soulevèrent pour un toast gigantesque, elle avait déjà trouvé ses marques - et ses premiers mécènes -.
Elle parla peu, se montra beaucoup, les bras glissés sous ceux qui lui semblaient les plus prometteurs. Elle accorda quelques danses à discuter sensuellement auprès de bourses protectrices aux lacets lâches, à convaincre, à persuader, à sourire malgré tout le dégoût que lui inspirait le fait de devoir dépendre des autres. Ce n'était pas parce qu'elle se pliait aux exigences du nouveau régime qu'elle les appréciait, mais elle était intelligente et savait faire avec.
Elle venait de quitter les bras d'un charmant jeune homme un peu entreprenant lorsque le prince apparut à ses côtés sans prévenir.
« Vous êtes ravissante » lui accorda-t-il en lui faisant un baisemain.
Erza se sentit rosir malgré elle. Elle ne se démonta pas pour autant, lui offrant son sourire le plus poli et contrit, signe qu'elle se rappelait de ses péchés et qu'il n'avait pas à en faire tout un plat, mais ne se défila pas alors qu'il l'observait de la tête aux pieds, dans sa robe écarlate fendue au décolleté plongeant outrageusement jusqu'à son nombril.
Elle vit les pupilles princières se dilater. Cela ne lui inspira rien qui vaille.
Lorsque la phrase tomba comme un couperet, elle sut qu'elle ne s'était pas trompée, mais alors pas du tout.
« M'accorderez-vous cette danse ? »
Elle grogna de désappointement. Oh, la Magie savait comme elle n'en avait pas envie ! Sûrement, qu'elle batifolerait avec un roitelet, sûrement au risque de perdre les mécènes qu'elle avait si chèrement acquis tout au long de la soirée ! – comprenez par là qu'ils avaient des filles à marier et que se voir piquer le parti par une perdante de la guerre ne les pousserait guère à l'aider par ailleurs –.
Mais Gérard avait l'immense désavantage d'être le Prince, si cela ne coulait pas de source. Et on ne refusait rien à un homme tel que lui, sous peine de ficher en l'air bien plus qu'un plan machiavélique pour se mettre la moitié de la noblesse dans les poches. Même lorsqu'on s'appelait Knightwalker et qu'on avait un caractère à foutre le feu aux fleuves.
Contrite, Erza tendit la main, un sourire crispé sur son visage.
Gérard la saisit. Il l'entraîna sur la piste, au milieu des regards de hyènes, et se fit un devoir de lui mener la valse comme s'il n'y avait rien de plus naturel que de danser avec une ennemie dont le retournement de veste ne datait pas de soixante-douze heures. Elle aurait presque cru à une vengeance pour l'avoir si bien ignoré la veille - si elle n'avait pas remarqué qu'il osait à peine la toucher. Comme s'il craignait qu'on contact trop brutal ne la fasse disparaitre en fumée, ainsi qu'il en avait été des mages d'Earthland.
Et le prince semblait préoccupé.
Si l'idée la fit grassement ricaner au départ, cela finit par l'intriguer.
Mais, à ce qui s'avérerait être à son grand déplaisir, elle ne tarda pas à découvrir le pourquoi du comment.
« Vous ressemblez terriblement à l'autre » lui murmura-t-il entre deux pas de danse, tout contre son oreille, la faisant sursauter si fort qu'elle faillit rompre le rythme.
Elle n'avait pas prévu cela. Pas ce genre de remarques. Elle s'en trouva blessée dans son orgueil – c'était si bon, de se sentir unique. Et crainte. Mais lui la comparait à une femme que l'on admirait mais que l'on ne craignait pas, l'injure ultime pour celle qu'elle était -.
« L'autre Erza ? » demanda-t-elle. « Vous voulez dire celle d'Earthland ?
-Oui. J'en suis tout troublé » avoua-t-il en baissant les yeux.
- Je ne suis pas elle » marmonna-t-elle.
Le ton était clairement vexé, mais Faust était assez perdu dans ses pensées pour ne pas remarquer son froncement de sourcils furieux et la manière dont elle tapait du pied au milieu de la valse,... et elle lui en fut fort reconnaissante. Difficile cependant pour elle de feindre ne pas être inquisitrice.
« Vous aviez un lien particulier avec elle ? » demanda la guerrière dans son désir de briser ses illusions - et aussi pour raviver la conversation, se convainquit-elle. Elle n'était pas juste une garce ordinaire -.
Cela eut l'effet inverse. Le prince sembla reprendre vie, dynamisme aussi – leur pas de leur valse avait ralenti, sortant du rythme de l'orchestre – et la regarda dans les yeux, soudain conscient de sa présence à elle, et pas à l'autre, cette fichue Scarlet. Elle frissonna. Le vert de ses yeux était quasi venimeux. Elle avait l'impression d'être transpercée de toutes parts.
« Non, » répondit-il après un long silence scrutateur. « Non, c'était elle qui avait un lien avec moi. Avec… mon double. »
Sa voix se cassa.
« Je crois que nous avons les mêmes blessures » avoua-t-il. « Les mêmes qu'eux. »
Erza ne comprit pas.
Elle était trop fière pour cela.
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EDOLAS. Jour 4 : Envie.
Mystogan, nouvellement Gérard Faust, avait mal dormi.
Il se souvenait, la veille, avoir vu sa rouquine de déesse s'éloigner dans sa robe sanguine et flamboyante, et ne rien avoir dit. Ne pas avoir esquissé un geste pour la retenir, pas même une main tendue vers elle. Et ses longues jambes irréelles, apparaissant et disparaissant au gré des mouvements du tissu, s'étaient éloignées jusqu'à disparaître, happées par la foule.
Elle ressemblait trait pour trait à Erza, même si la cruauté qui peuplait jusqu'au plissement de ses paupières n'avait pas disparu. Scarlet était bienveillante, pas elle. C'était au souvenir de Scarlet qu'il aurait dû attribuer toute l'attention et la pitié qu'il lui portait.
Pourtant, lorsqu'elle s'en était allée, ce n'était pas la mage d'Earthland qu'il avait de gravée dans les yeux.
C'était Knightwalker.
Et c'était Knightwalker encore qui l'avait poursuivi toute la nuit dans les vapes asphyxiantes de son inconscience… et de ses rêves. Dans des situations assez extravagantes pour le convaincre que la jeune femme était une sorcière.
C'était donc cela, la seconde face d'Erza : la succube qui s'immisçait dans vos pensées les plus intimes pour vous faire perdre la tête.
Il s'était éveillé avec des coups de chaud-froid terrifiants, fluctuant selon qu'il se rappelait ses bribes de songe ou qu'il en évaluait les conséquences. Le long de son dos, la sueur glaçait et fumait tour à tour.
Son miroir lui renvoya l'image d'un homme exténué, les yeux alourdis de cernes noirs qui n'étaient pas dus qu'à l'heure tardive de la fête. Et parfois, par éclairs, des fragments de peau claire et de mèches ensanglantées. Des bouts de rêve qui dansaient entre ses doigts.
Il refusait que cela soit de sa faute à lui.
Mais lorsque certains souvenirs refluèrent en lui, avides, la chaleur lui monta aux joues en flots coupables qu'il ne put contenir. Il y avait quelque chose d'absolument surnaturel et dangereux dans ces flashs, et il lui fallut se laver dix-sept fois le visage avant qu'il ne se juge apte à être vu. Il se sentait terriblement coupable.
Il décida qu'il lui fallait la voir. Elle, Knightwalker, la sorcière.
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Il la retrouva sur le même chantier que l'avant-veille, noyée de transpiration et de terre. Elle avait la même tenue que ces fois où il lui avait fait face, cet étrange accoutrement qui ne cachait rien, ou presque, de la perfection de ses formes. Gérard sentit ses joues s'embraser – de honte et de colère contre lui-même –. Elle avait l'air de travailler depuis des heures, ses bras égratignés de trainées brun-rouge, plongée dans une intense concentration qui la faisaient paraître déterminée – et effrayante –. Son visage, fermé et froid, était à l'antithèse de sa féminité diablement tentatrice de la veille.
Et pourtant, quand il la regarda, Erza ne se confondait plus avec Scarlet.
Elle leva les yeux – un regard dur, hautain – et il n'y décela pas une once de complaisance. Elle était juste elle, Knightwalker, le mur de volonté qu'elle avait toujours offert à quiconque. Et elle se moquait de sa venue comme de sa dernière chemise – elle n'en mettait pas, de chemises –.
Butée.
Bornée.
Indifférente.
Ou pas tant que ça. Lorsqu'elle le reconnut, le regard qu'elle avait se modifia presque imperceptiblement. Elle était méfiante. Sur la défensive. Elle le défiait également, cette petite étincelle dans ses yeux noirs – où avait-il vu le chocolat de la veille ? – ne le trompait pas.
Elle était brute de décoffrage, sauvage et carrément inapprochable.
C'était Erza. Il faudrait qu'il s'y habitue, l'autre ayant disparu de sa vie depuis quatre jours.
Le cauchemar s'effaça peu à peu devant la réalité. Knightwalker tirait une moue agacée qui ne pouvait en aucun cas être comparée à celle de ses dérives nocturnes. L'idée qu'elle puisse être une sorcière paraissait désormais absurde.
« Que me voulez-vous ? » déclara la voix coupante de la guerrière.
Il rassembla ses esprits. Le contexte ne lui était pas très favorable. Gênant, même – comme s'il se permettrait d'avouer la vérité –. Mais très vite, une idée lui vint, pour se débarrasser de la situation désagréable dans laquelle il s'était fourré.
« Vous ne m'avez pas répondu, hier. »
Elle lui rendit un regard blanc.
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C'était plus fort que lui, il fallait qu'il vérifie.
Il l'avait touchée. Oh, juste effleurée du bout de l'index, là, sur son épaule où la peau était si nue. La terre ne la recouvrait pas : il en voyait encore le bronzage dû aux multiples heures d'entraînement, du temps où elle avait été soldate.
Elle s'était reculée vivement.
Il avait ressenti comme une décharge électrique. Nul doute qu'il en avait été de même pour elle.
Et puis il y avait eu autre chose un phénomène dont il aurait été incapable de donner le nom tant sa consistance lui était étrange. Il s'était senti brûler de l'intérieur. Il s'était dit immédiatement que c'était ça, la part de démone qu'elle dissimulait et qu'elle n'avait pas réussi à cacher jusqu'au bout. Qu'elle était bien une sorcière.
Et puis il avait fallu qu'il se rende à l'évidence.
C'était du désir.
Il avait vu les sourcils de la rousse se froncer et son visage irradier de colère, et alors il s'était reculé précipitamment en se jurant de ne jamais recommencer. Erza Knightwalker était dangereuse. Pour lui plus que pour tous les autres. Et elle n'y était pour rien. Elle ne faisait même pas exprès. Au contraire, on lui aurait donné son mot à dire qu'il pariait que l'allégeance qu'elle lui prêtait partirait en fumée.
Erza était libre.
Erza était sauvage.
Erza était en colère, et ses yeux étrécis de fureur. Avec des pupilles immenses. Rondes et noires comme une nuit sans lune.
Il composa une excuse crédible, et se replia au plus vite.
La rage s'atténua.
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Note de fin de partie :
Je m'arrête ici parce que je me suis aperçue que même avec toute la bonne volonté du monde, je n'arriverai pas à aller au bout de mon premier thème avant minuit (et donc je me contredis moi-même dès le premier chapitre... mais chut). Enfin ça tombe bien, on est à mi-parcours…
J'espère que le fait que je manipule les règles n'est pas trop gênant.
