Voilà. Une nouvelle histoire qui commence. De nouveaux personnages, de nouveaux thèmes, mais toujours l'envie de retrouver notre cher James Hook, qui s'est manifesté sans prévenir. Ajoutez à ça une relecture récente de la saga complète de comics The Sandman par l'inimitable Neil Gaiman, et nous voici avec une histoire mêlant rêves et piraterie imaginaire - le tout saupoudré d'un soupçon de romance car, soyons honnête, c'est tout ce que j'aime trouver dans des fanfictions.

Si vous n'avez jamais lu Sandman, j'espère que cette histoire vous donnera envie de vous y intéresser. Il y aura quelques spoilers (l'histoire-ci se déroulant de nos jours, bien après les événements finaux de la série de comics), quelques éléments énigmatiques, mais une lecture rapide du synopsis de Sandman devrait vous permettre de vous repérer.

Je pense catégoriser cette fiction en M for Mature, car l'un des éléments principaux de l'histoire tourne après tout autour de sujets plus adultes - mais je resterais vague et élusive là-dessus, car je n'ai pas d'intérêt à rentrer dans la description graphique.

Voilà, vous êtes tous prévenus maintenant: plus d'excuses pour rentrer dans cette nouvelle histoire. Elle sera plus courte que Pour Croire Aux Fées (je n'ai pas assez de temps pour me lancer dans l'élaboration d'une nouvelle saga), d'un style différent, plus onirique, plus adulte... Du moins, je l'espère.

Et j'espère, surtout, qu'elle vous plaira.

Bonne lecture!


I.

La comptable

Etta s'ennuyait à mourir.

Sa pile de comptes était terminée depuis une demi-heure déjà : elle contemplait sa ville par la fenêtre, n'ayant pas envie de s'attaquer à un nouveau dossier avant les courtes minutes qui la séparaient de sa pause déjeuner.

Du haut de sa fenêtre située au premier étage, elle regardait les voitures passer. Pas beaucoup de piétons ou alors, le peu qui osait s'aventurer sous cette pluie de début d'été étaient tapis sous de larges parapluies. Si elle se penchait suffisamment et plissait les yeux, elle pouvait voir les gouttes glisser sur leurs toiles cirées.

La ville était particulièrement grise ce jour-là. Non pas qu'elle fut laide : on pouvait, les beaux jours, découvrir un joli coin datant d'avant les années soixante-dix, qui jouissait alors d'un charme ancien et rafraîchissant sous les rayons timides du soleil. Mais la plupart du temps, la ville entière semblait somnoler sous un ciel gris et pesant, rendant toute beauté urbaine plus difficile à percevoir que dans d'autres coins du pays – ceux bénis par plus de verdure ou de lumière.

Ce petit je-ne-sais-quoi de terne avait fini par s'immiscer de façon insidieuse dans la vie d'Etta – et le pire, c'est qu'elle s'en était rendue compte. Elle avait tenté, dans un premier temps, de se débattre elle ne voulait pas s'endormir, bercée par l'ambiance doucereuse de la petite ville provinciale. Malgré cette détermination, elle fut incapable d'éveiller en elle le moindre intérêt revigorant pour son environnement.

Les rues n'étaient jamais trop bondées : le dimanche, elles étaient tout bonnement vides. Elle avait bien tenté de s'occuper le dimanche en faisait le tour de quelques marchés aux puces, mais la plupart vendaient des jouets des années 2000 et de la vaisselle pas suffisamment vieille pour être considérée comme vintage.

Elle en était arrivée à chercher sur internet l'existence éventuelle de groupes, clubs et associations à rejoindre. Mais rien ne s'approchait suffisamment de ses propres intérêts pour la motiver à rejoindre un club composé d'une tranche d'âge dépassant largement la sienne, dans des locaux d'apparence douteuse et à l'odeur légèrement renfermée malgré une aération continue.

Il avait bien sûr son travail. Elle s'accordait à admettre que ses collègues étaient charmants : personne ne se donnait de coups dans le dos, ou bien si ç'avait été le cas, elle n'avait pas été mise au courant. C'était bien là le problème : tout le monde était trop doux, trop gentil, et personne n'était suffisamment entreprenant pour organiser de soirées ou sorties entre collègues : la plupart avaient des familles auprès desquelles ils devaient rentrer infailliblement chaque soir. Leurs relations étaient donc limitées à des petites discussions autour d'un café de temps en temps, et des bonjour, au revoir, d'une politesse à toute épreuve. Or, les platitudes l'ennuyaient.

On aurait pu dire que son métier était, de toute manière, fondamentalement ennuyeux : le terme « comptable » provoque rarement des exclamations d'envie et d'admiration – du moins, pas qu'elle ne le sache. Mais Etta avait l'impression de ne pas savoir grand-chose, après tout. Tout ce qu'elle savait, c'était manipuler les chiffres : aussi, chaque jour, elle s'attelait à un nouveau dossier, en complétait deux ou trois dans les bons jours, et attendait de rentrer chez elle sans pour autant être particulièrement désireuse de rejoindre son appartement où personne ne l'attendait.

Non, somme toute, sa vie s'était éteinte sous ses yeux : parfois, elle se mettait à rêver d'un ailleurs, mais elle avait encore des dettes à payer après avoir tenté d'investir dans des appartements à louer à des étudiants sous les conseils d'un ami. (Le projet avait échoué quand l'université du centre-ville avait fermé ses portes et conduit les étudiants restants à l'extrémité de la ville où se trouvait un petit IUT sans prétention). Pour l'instant, elle n'avait plus qu'à travailler trois ans de plus dans cette firme pour finir de rembourser sa banque, à condition qu'elle s'en tienne à son train de vie sans prétention. Et à ce moment-là, elle partirait.

Parfois, aussi, elle se prenait à rêver d'amour. Pas en pleine journée, sans prévenir : non, uniquement le soir, où elle aurait bien voulu sentir un corps à ses côtés, pour changer.

Non pas qu'elle n'ait jamais connu de petites romances depuis son arrivée : elle avait bien fini par passer le reste d'une soirée chez Noël, employé de passage. Le soir de la fête de Noël de l'entreprise, par-dessus le marché. C'était ce qui l'avait motivée à boire avec lui : « ça fera une anecdote invraisemblable à raconter à des amies. » Il n'était pas particulièrement son genre, mais ils avaient tous deux suffisamment bu pour se persuader qu'ils se plaisaient mutuellement. Il était parti de son CDD un mois après et Etta n'avait encore pas trouvé d'amies à qui raconter cette histoire.

Bref, Etta s'ennuyait à mourir alors qu'elle dévorait son sandwich, assise sur le banc situé dans le hall d'entrée. Et sa lassitude n'en démordit pas lorsqu'elle eut fini sa journée et rentra chez elle. Elle pourrait regarder un film, lire un livre, quoi que ce soit : mais encore une fois, la lassitude fut plus forte ! Elle passa donc le reste de la soirée à descendre le fil de différents réseaux sociaux, se rappelant à chaque nouvelle photo joyeuse et exotique d'anciens amis qu'eux aussi faisaient semblant. Après avoir regardé dans le vide pendant une douche trop longue, elle finit enfin par rejoindre son lit à minuit passé, se demandant vaguement comment elle avait occupé les trois heures précédentes.

Etta ne rêvait pas. Ou, en tout cas, elle n'avait aucun souvenir de ses rêves – au sens figuré comme au littéral.

Aussi lui fallût-elle un certain temps le lendemain matin pour comprendre que les images qui flottaient encore dans sa tête étaient fraîchement issues du rêve qu'elle venait de faire cette nuit.


Le ressac l'atteignait vaguement, plus car elle avait conscience qu'il devait être là que parce qu'elle l'entendait vraiment. Elle avait senti le sable sous ses pieds – quand elle baissait les yeux, elle devinait de façon floue qu'elle n'était pas chaussée.

Plusieurs oiseaux s'envolèrent devant elle : elle se protégea le visage instinctivement, plus par réflexe que crainte. Parmi eux, un oiseau noir, faisant tâche au beau milieu de ces mouettes plus blanches les unes que les autres.

En abaissant son bras, elle comprit qu'elle était alors au cœur de la forêt : quelque chose l'attendait là-bas. Elle avait pour mission de rejoindre ce qui l'appelait c'était sa seule fonction, lui semblait-il. Elle avançait avec détermination, mais le bruissement assourdissant des moustiques volant trop près de ses oreilles la réveilla.


Etta resta clouée à son lit pour quelques minutes de plus. Elle avait l'impression d'être encore là-bas : et, plutôt que de rejoindre sa réalité grise, elle choisit de se laisser baigner un peu plus longtemps dans son monde chaud – d'une chaleur indescriptible, celle qui réchauffe de l'intérieur d'un feu qui semble avoir été toujours présent.

Lorsque la somnolence la quitta pour de bon, elle s'interrogea vaguement de ce qui lui avait permis de se souvenir de son rêve, pour une fois. Elle interrogea les conditions de son réveil : comme toujours, elle s'était réveillée dix minutes avant que son réveil ne sonne, réglée comme une horloge. Elle n'avait pas mangé quoi que ce soit de différent la veille elle n'avait même pas dormi dans une position différente.

« Un coup de chance, je suppose », conclut-elle devant son café, un vague sourire aux lèvres.

Elle emporta avec elle le souvenir de ce rêve au travail, ce jour-là elle baigna toute la journée dans le calme réconfortant d'un souvenir vague de sable et de chaleur.

Toutes ces sensations, elle les avait déjà vécu : elle avait accompagné ses parents en Guadeloupe à l'âge de douze ans, lors d'un court voyage au milieu de l'année scolaire. L'échappatoire de la grisaille habituelle et de la monotonie du collège avait été doux : elle s'était alors promis de se souvenir de la moiteur qui s'était emparée d'elle dès la descente de l'avion, et s'en souvenait encore, près de treize ans après. Et pourtant, la chaleur de son rêve avait été plus douce encore, comme si on avait débarrassé l'île de ses rêves de toutes ses aspérités pour n'en conserver rien de moins que l'essence même.

Cette chaleur avait dû se propager sur son visage. Sa collègue Carole ne manqua pas de le faire remarquer autour d'une pause café :

« Tu avais l'air d'avoir besoin de vacances hier, mais vu ta bonne mine aujourd'hui, je me demande si je n'ai pas halluciné !

– Merci, Carole, » répondit-elle avec un sourire sincère. « Mais je crois que j'ai toujours besoin de vacances : la preuve, j'ai rêvé d'une plage de sable cette nuit… Moi qui ne rêve jamais, d'habitude ! » Non seulement elle ne rêvait jamais, mais elle ne se confiait jamais non plus. Un tel bavardage était improbable de sa part, mais la douceur qui l'accompagnait depuis ce matin avait comme besoin d'être partagée.

Carole lui promit de lui laisser quelques prospectus datant de son dernier voyage en Sicile – Etta n'eut pas la force de lui expliquer que tout le monde planifiait ses voyages en ligne désormais, et qu'elle n'avait pas rêvé de chaleur italienne, mais tropicale. Après tout, l'intention était bonne.

Le reste de la journée se déroula dans un paisible enchantement, malgré la pluie qui continuait d'annoncer des orages en fin de soirée.

La seule crainte d'Etta, ce soir-là, fut de ne pas retrouver ce souvenir de chaleur le lendemain matin, car si cette anomalie était la bienvenue, elle risquait à nouveau de retomber dans un sommeil sans rêves. Cette pensée ne l'empêcha pas de s'endormir rapidement, comme à son habitude, un peu après minuit passé.