Je venais de faire escale sur une île printanière de Grand Line, proche du cap des jumeaux, Florida. Mon estomac sans fond gargouilla, cela faisait plusieurs jours qu'il était vide. La nourriture en mer n'était pas très diversifiée, ce qui causait souvent des troubles de l'alimentation. Un bruissement de feuilles dans les fourrées attira mon attention cependant je restais immobile. La faim avait beau me tenailler, je tenais tout de même à me nourrir correctement et non pas à me jeter sur le premier petit animal imprudent qui m'approchait. Aucun gibier ne m'intéressait sur cette île pauvre en diversité.

Je pris alors le chemin vers Roseld, la plus grande ville portuaire de Florida, me fiant à mon odorat sensible pour capter l'odeur de poisson et autres produits de pêche. Je pénétrais dans la cité avec une démarche confiante, mon assurance naturelle était un atout la plupart du temps. L'attitude gênante des passants qui se retournaient pour me dévisager ne me troubla même pas. C'était une question d'habitude, d'attirer l'attention par ma seule apparence. Même si parfois je souhaitais passer inaperçue et me fondre dans la masse.

Après tout avec mon physique mi-louve mi-humaine, je ne devais pas m'attendre à autre chose que des yeux ronds ou des regards de mépris. Ma longue queue touffue se balançait de droite à gauche au rythme de mes pas et mes oreilles, dressées sur ma tête, se mouvaient pour intercepter le moindre son. J'aurais très bien pu camoufler ma différence, sans ces deux détails j'étais en tout point semblable à une humaine, mais je m'y refusais. La fierté d'appartenir à mon espèce était plus forte que tout et m'aidait à faire face aux réactions des gens.

Je m'arrêtais devant une façade délabrée où devait se réunir tous les malfrats de la ville. C'était justement dans ce genre de bar malfamé que je me sentais le plus à l'aise. Ici, c'était la loi du plus fort, pas besoin de respecter les règles de la société ou, dans mon cas, être conforme à la vision que le monde se faisait d'une adolescente de mon âge. Seule la force et les aptitudes au combat comptaient. D'ailleurs j'excellais dans ces deux domaines.

Toutes les têtes, sauf celle embrumées par l'alcool, se tournèrent pour m'apercevoir. Ils me jaugèrent d'un simple coup d'œil alors que j'évaluais précisément tous les hommes présents. Estimant qu'aucun d'eux ne me poserait problème, je m'installais au comptoir. Le menton posé dans la paume de ma main, mes lèvres formèrent un petit rond et émirent un sifflement pour faire comprendre au serveur que je voulais qu'il se ramène. Lorsque que mon plat, entièrement composé de viandes de différentes sortes, et ma bière me furent apportés, je me contentais de croiser les jambes et de goûter mon repas. Il s'avéra bien meilleur que ce que j'avais imaginé. Tout en m'enfilant une cuisse de poulet dégoulinante de sauce, j'écoutais les murmures dans la salle. La surprise de mon arrivée digérée, les clients s'étaient remis à parler comme si je n'étais pas là. Bien que la plupart discutaient de moi, tant qu'aucune insulte n'était proférée, je m'en fichais.

Une fois mon festin terminé, ma langue râpeuse passa sur mes doigts dégustant les dernières gouttes de sauce restantes. Ce fut le moment que choisi un groupe d'hommes pour fracasser la porte avec le tact d'un roi des mers. L'effluve salée e la mer parvint à mes narines, j'en déduisis, d'après leur dégaine que je vis du coin de l'œil, qu'ils étaient des pirates. Et pas des plus soignés…

À peine installés qu'ils hurlaient déjà, démolissant le mobilier, riant comme des bœufs et buvant tels des ivrognes. Commander une choppe de bière devenait un concert de rire gras et de blagues salaces. Ils devaient déjà être bien beurrés avant de venir ici… constatais-je les oreilles pointées dans leur direction C'était le genre de groupe qui me causait des problèmes. Leur capitaine, reconnaissable grâce à l'éternel tricorne, porté pas l'hilarité générale, qui se limitait à sa table, se vantait d'un massacre de marins récemment commis.

Celui-ci se leva en titubant pour brailler que lui et son équipage avaient soif. En cherchant le barman du regard, il me repéra. Tout le long du chemin qui se résumait à deux tables, quelques chaises et cinq mètres sans obstacles notables, il gueula. Enchaînant les « Eh ma jolie ! » ou encore « Oye la chienne ! » qui ne laissait qu'un silence lourd dans la pièce. Tous suivaient la pénible avancée du corsaire. L'homme ne supporta pas mon manque total de réaction qui signifiait clairement « dégages ! », alors qu'en vérité je bouillonnais intérieurement.

Le pirate, arrivé à bon port, passa son bras autour de mon colla le canon de son arme sur ma tempe. Méthode d'intimidation typique des vauriens sûr d'eux, je me contentais de lâcher un soupire d'ennui. Je voulais juste passer une journée tranquille, sans faire de vagues, eh bien c'était raté ! Il m'invita à sa table pour faire plus ample connaissance, pensant que le revolver suffirait à me convaincre. Je détournais légèrement la tête, dégoûtée par l'haleine pestilentielle de l'alcoolique.

« Je ne traîne pas avec les abrutis, qui sait, que la bêtise soit contagieuse… donc ce sera non. Conclus-je en pivotant sur ma chaise pour le fixer de mes yeux émeraude, le pistolet avait glissé jusqu'à se retrouver au milieu de mon front.

- Tu sais pas qui on est hein ?! Demanda le pirate, encaissant plutôt bien l'insulte qui je lui avais balancé. Orik le rouge. Avec une prime de dix millions de berrys.

- Ouah impressionnant ! M'exclamais-je faussement impressionnée. Mais là j'aimerais juste que tu te casses, t'empestes. »

Fou de rage d'être traité comme un misérable sans importance, il décida de mettre fin à mes jours. Alors que son doigt allait appuyer sur la détente, je lui décochais un coup de coude dans l'abdomen qui lui coupa la respiration. Le choc l'envoya valser deux mètres plus loin alors que je me levais amusée par son petit numéro. Le corsaire se releva après maints efforts, essuyant un filet de sang à la commissure de ses lèvres. Désarmé et surpris, il dégaina son sabre se tenant le ventre de sa main libre. Coriace, commentais-je intérieurement. Mais je n'en attendais pas moins d'un homme à la prime de dix millions de berrys. Sinon le combat n'aurait pas été aussi drôle et puis je me serais demandée qui décidait des mises à prix que je lui en décolle une.

Il fonça droit sur moi le bras levé, prêt à abattre sa lame sur mon crâne. Il était idiot ? N'importe qui pouvait parer son assaut de forcené… D'un bond à raz du sol, je lui envoyais un uppercut dans la mâchoire, si vite que personne ne me vit frapper. Le corps massif traversa la salle, démolit une partie du mur et atterrit dans la rue accompagné de quelques gravas. Je pestais, encore une fois, j'avais mal mesuré ma force.
Plus personne ne bougeait, même les mouches semblaient s'être arrêtées de voler, fixant le trou béant par lequel était « sorti » le pirate. J'adressais un sourire angélique au barman qui me regarda, hébété. Voyant son manque total de réaction, je sortis à mon tour avec un peu plus de classe que mon prédécesseur. Je n'avais pas réglé ma note mais de toute façon je n'avais pas un rond sur moi. Mon plan d'origine était de m'éclipser discrètement mais c'était avant que l'autre abruti ne se jette sur moi.

Quelle fut ma surprise lorsqu'en quittant l'établissement je vis Orik debout. Le coup que je lui avais porté n'avait apparemment pas été suffisant. Il cracha une de ses molaires qui s'était délogée avec l'impact avec un regard plein de haine. Il voulait continuer le combat malgré notre différence flagrante de force ? Son équipage nous encercla et me prouva que oui.

Mais maintenant, je n'étais plus d'humeur à jouer. Avant même qu'il n'ait eu le temps d'attaquer je changeais totalement de tactique. Une moue enfantine arborait mon visage et mon index pointait vers le haut, la main au niveau de mon épaule. Après une brève hésitation, il leva les yeux vers le ciel. Erreur fatale ! Je le gratifiais d'un coup de pied dans son entrejambe. Un coup en traître je devais l'avouer, mais il ne méritait pas mieux de ma part. Il s'écroula instantanément en tenant désespérément ses bijoux de famille entre ses mains. Elles n'allaient pas tomber… il y eut une réaction similaire chez tous les spectateurs de sexe masculin, tous avaient leurs mains sur leurs bourses avec une expression de douleur partagée inscrite sur leur face. Effrayés à l'idée de subir le même sort que leur malheureux capitaine, les pirates se poussèrent lorsque je voulus partir.

La marine débarqua peu de temps après, prévenue par le barman qui s'était remis de ses émotions entre-temps Ils ramenèrent à leur base une belle brochette de pirate mais ne dénichèrent pas la fille-loup qui avait mangé gratis, décrite par le gérant du bar. Accroupie sur le rebord d'un toit non loin de là, je les observais en me disant que finalement je leur avais rendu service. Il n'aurait pas survécu bien longtemps sur la dangereuse mer de Grand Line. D'ailleurs comment avaient-ils pu ne serait-ce qu'envisager s'aventurer sur la cinquième mer avec un niveau aussi bas ?

Les arbres m'entouraient maintenant, l'air forestier emplit mes poumons, me conférant un agréable sentiment de bien-être. Rien de mieux qu'une bonne sieste après un bon repas ! Et puis le temps radieux se prêtait merveilleusement bien à cette idée. Je fis halte près d'un étang à l'eau claire et limpide. Je m'assis sur l'herbe verdoyante et trempais mes pieds nus dans l'eau fraîche, après avoir préalablement retiré mes sandales. Les ondulations qui se formaient sur la surface de l'étang à chacun de mes mouvements m'hypnotisaient. Je me penchais, les mains appuyées contre le sol herbeux entre mes jambes. Immobile, la surface lisse de l'eau, tel un miroir, projetait mon double aux contours un peu troubles.

« C'est vrai que je suis étrange… soupirais-je en faisant remuer mes oreilles dans un sens puis dans l'autre. »

Avec mes oreilles entièrement plaquées en arrière, je ressemblais vraiment à un être humain banal. Je changeais tour à tour d'expression, passant de la boudeuse à la vexée et enfin la joyeuse. Mais rien n'y fit, sans mes membres de loup, je me sentais incomplète. Me penchant un peu plus en avant, mes traits s'affinèrent et devinrent plus visibles. J'étais sans nul doute très jolie voir mignonne. Mes oreilles et ma queue me donnaient un air sauvage et indomptable irrésistible. Le pelage châtain-roux de ces deux parties de moi, partageaient ses nuances avec mes cheveux courts désordonnés. Leurs pointes me chatouillaient la base du cou.

Satisfaite de mon analyse, je me laissais choir sur le dos, les bras écartés, sans toute fois retirer mes pieds de l'eau. J'humais l'air, décelant de multiples effluves naturelles. M'imprégnant des odeurs, des images colorées se formèrent derrière mes yeux clos. Des fleurs multicolores, des arbres fleuris, de petits animaux craintifs… et une montagne de métal ? L'odeur devint de plus en plus insistante accompagnée des senteurs typique des médicaments. Un mélange déplaisant mais qui attisa ma curiosité. D'où cela pouvait-il bien venir ?

À la lisière de la forêt s'étendait une petite baie où était amarré un sous-marin jaune criard de mauvais goût. Une main appuyée sur le tronc, je m'étais accroupie sur une branche en hauteur d'un arbre dont le feuillage me dissimulait sans pour autant me cacher la vue. Cette curieuse embarcation m'intriguait au plus haut point. Comment pouvait être l'équipage de cet étrange vaisseau ? Étaient-ce des pirates ? Sûrement vu l'emblème peint en noir sur les flancs du submersible. À combien s'élevait la prime de leur capitaine ? Était-il fort ? Malgré mon intérêt visible pour les mises à prix, je n'étais pas chasseuse de primes, bien qu'il me soit déjà arrivé de capturer un ou deux corsaires pour me faire un peu d'argent. Mais à mes yeux, c'était une bonne façon d'évaluer les gens, de sorte à ne jamais les sous-estimer. Comment le faisait la plupart des gens avec moi.

Par exemple, en jetant un coup d'œil aux affiches de recherche récentes, j'avais mis la main sur celle d'un jeune pirate avec un chapeau de paille, le nom ne me revenait pas, avec une prime de trente millions sur sa tête. Pour une première fois c'était impressionnant ! En combinant ce fait avec sa photo, je pouvais en déduire qu'il était fort, gentil et limite naïf vu le sourire de trois kilomètres de long qu'il adressait au photographe.

Plusieurs hommes du navire me sortant de mes songes. Ils portaient tous des combinaisons blanches sauf l'un d'entre eux qui en portait une orange. Bah entre le jaune canari et le orange pétaradant, on avait de quoi douter de la santé mentale des occupants du sous-marin… Le plus étrange, plus que moi en tout cas, ce n'était pas la couleur de la tenue mais bien celui qui la portait. Un ours polaire, un vrai ! Il se tenait debout sur ses deux pattes arrière et parlait l'humain sans difficulté, bien qu'il s'en serve pour s'excuser à tout bout de champ… Il était drôle !
Ma vie était ennuyeuse à mourir, seule la quête de mes origines me donnait une raison de me lever le matin. Pas de famille, pas d'ami, pas de chez moi… aucun port d'attache, juste moi. Je n'étais donc pas contre une petite distraction de temps à autre…

Je me faufilais entre les branches, d'arbres en arbres, sans faire tomber la moindre feuille. Je voulais en apprendre plus sur cet animal. Il était avec deux autres hommes avec lesquels il s'entendait plutôt bien. À l'orée du bois, tout près de la ville, l'un d'eux ordonna à l'ours de les attendre ici. Il attirerait trop l'attention parmi les habitants. Surtout après le désastre que j'avais provoqué un peu plus tôt… Il s'excusa inutilement. Quand les humains furent hors de vue, je descendis du chêne sur lequel je nichais pour le rejoindre à pas de loup.

« Salut ! M'écriais-je gaiement. »

Son premier réflexe fut de m'attaquer avec du… karaté ? Mais en me voyant, il s'arrêta net. Bien que je doive quand même faire un bond en arrière pour esquiver un coup de pied dévastateur. Et aussi invraisemblable qui cela puisse être, il rougit malgré son épais pelage blanc.

« Bonjour. Bégaya-t-il avant de s'incliner honteux de son comportement. Désolé.

- Pas la peine de t'excuser ! M'empressais-je de le rassurer en agitant les mains devant moi. Je t'ai vu là tout seul et j'ai eu envie de te parler… tentais-je gênée. Tu t'appelles comment ?

- Bepo. Et toi ? Demanda-t-il ayant repris confiance en lui.

- Moi c'est Mika, ravie de te rencontrer Bepo-kun. Lui lançais-je alors qu'il sursautait devant tant de familiarité. Tu es vraiment bizarre tu sais ? C'est la première fois que je rencontre un ours qui parle.

- Désolé. Et moi c'est la première fois que je vois une fille-ours… avoua-t-il après s'être remis de sa déprime passagère, que j'avais provoqué en évoquant son « originalité »…

- Non moi je suis à moitié louve. Le corrigeais-je moitié gênée moitié énervée. Il y a pourtant une grande différence…

- Désolé. »

Après avoir réglé ce petit malentendu qui engendra une sinistre aura de déprime autour du mammifère. Il avait visiblement du mal à accepter son état d'ours. Nous continuâmes à parler, gagnant peu à peu la confiance de l'autre. Mais je pris rapidement le dessus et changeais la gentille discussion en un interrogatoire corsé où l'interrogé ne cessait de s'excuser pour un rien. Quelques sourires par là, quelques plaisanteries par ci et l'ours pirate était dans ma poche. La réciproque était peut-être vrai aussi…

Bepo faisait parti de l'équipage des Heart Pirates dont le capitaine se nommait Trafalgar Law, un chirurgien de génie un peu sadique sur les bords. Un fruit du démon lui conférait le pouvoir de tout contrôler dans un espace limité. Il était vraiment difficile de s'imaginer ce genre de capacité. Ce nom m'évoquait quelque chose mais aucun visage ne m'apparaissait clairement. Ma mémoire visuelle n'était pas mon point fort. L'apparence physique s'altérait avec le temps, pas l'odeur, à quelques senteurs près. Donc ma mémoire olfactive était de loin la meilleure, infaillible.

Nous fîmes un bout de chemin ensemble, nous entendant à merveille. Il était gentil et très bavard pour un pirate mais c'était un ours avant tout. Je me trouvais de nombreux points communs avec lui, notamment la solitude d'être le dernier de son espèce.

Je n'avais jamais eu d'ami jusqu'à maintenant. C'était en grande partie ma faute. Il y avait deux règles auxquelles je ne dérogeais jamais : faire ce qu'il me plait, quand il me plait, où il me plait et surtout n'obéir à personne ! On essayait souvent de m'imposer le système du dominant/dominé que l'on pouvait traduire par maître/chien. Ça m'avait rendu méfiante envers les humains voir agressive et violente. Une asociale pure et dure…

Mais avoir la chance de rencontrer quelqu'un comme Bepo me mit du baume au cœur. Il y avait donc des êtres comme lui, avec lesquels je pouvais baisser ma garde et être moi-même. Je m'étais plus attachée à lui en quelques heures qu'à n'importe lequel humain durant ma vie entière.

Mais l'inévitable moment de la séparation arriva. L'ours m'informa qu'il devait retourner auprès de son équipage avant que celui-ci ne s'inquiète. La pensée fugace de rejoindre son équipage m'effleura. Je la repoussais violement. Faire parti d'un équipage, quel qu'il soit, revenait à se soumettre à un capitaine ce que je refusais catégoriquement !

Mais cette idée vint s'immiscer dans mes rêves et mes pensées sans permission. J'avais beau l'éloigner, elle revenait avec plus de force. Ça voulait dire quoi à la fin ?! Oui la solitude c'était pesant ! Je voulais rencontrer des gens avec lesquels je me sentirais en sécurité et en qui je pourrais avoir une totale confiance. C'était pour cette raison que je voyageais en quelques sortes. J'espérais retrouver la trace de mon peuple, ma famille, des gens comme moi. Car contrairement à ce que certains pensaient, mon apparence unique n'était pas du à un fruit du démon, j'étais née ainsi. Mais des fois, comme maintenant, l'idée de me poser quelque part une bonne fois pour toute m'effleurait… mais pas au prix de ma liberté !

La nuit fut mouvementée, incapable de m'être de l'ordre dans mes pensées, le sommeil n'était pas venu me cueillir. Il était temps de changer d'île. Mais il fallait d'abord trouver un navire qui m'accepte à son bord et c'était pas gagné. Je ne pouvais pas, même si j'en avais très envie, m'aventurer toute seule en mer. Mes pas me menèrent donc au port où je jugeais qu'il s'était écoulé suffisamment de temps depuis ma dernière visite.

Le port était bondé, je dus slalomer entre les filets et les caisses pour avancer. J'essuyais quelques railleries bien senties par les capitaines des bateaux que je visitais. Mais au bout du douzième homme K.O, je me lassais.
Un équipage pirate finit par m'accepter à leur bord jusqu'à la prochaine île que j'espérais hivernale. Toute cette chaleur devenait insupportable. Ces deux derniers mois, je n'avais fait escale que sur des îles où la température ne descendait pas en dessous de trente-cinq degrés. En plus c'était mauvais pour ma fourrure.

Le capitaine m'invita à partager sa chambre sous l'œil surpris de ses subordonnés. Un peu de confort n'était pas de refus. Il fallait dire que j'avais mis le paquet pour ça. Un petit haut à bretelle moulant qui laissait voir mes courbes généreuses et un short en jean rêche contrastant avec mes jambes lisses. Plutôt sexy du haut de mes dix-sept ans ! Donc je savais pertinemment que sa fausse courtoisie avait un rapport direct avec son regard déviant sur mon décolleté. Mais je n'étais pas le moins du monde effrayée. Il était certes plus nombreux mais ma force et mon instinct animal, comme un sixième sens qui m'avertissait toujours des dangers imminents, me sortaient toujours des mauvais pas.
Nous prîmes la mer peu de temps après mon arrivée. Les matelots m'épiaient lorsque que je me baladais d'un bout à l'autre du pont pour me dégourdir les jambes. Ils n'avaient rien tenté, ce que leur capitaine avait subi les en avaient dissuadé, bien qu'ils ne sachent ce que je lui avais exactement fait. Il était juste sorti de sa chambre livide, puis s'était évanoui. Depuis il était pris d'affreux cauchemars. Je me gardais bien de leur révéler ce qu'il s'était passé, laissant leur imagination créer des images bien plus horribles que la réalité.

Je m'accoudais au bastingage l'œil rivé sur l'océan. Trois interminables jours que je poireautais sur ce bateau sans occupation, moi qui aimais les grands espaces. Il y avait bien le capitaine mais il avait supplié ses amis de le laissait dormir avec eux. Quand pourrais-je me dégourdir les jambes ? Voir le paysage défilé pendant ma course effrénée ? Je m'ennuyais…

Un mouvement attira mon regard sur l'horizon, trois imposantes silhouettes apparurent. Une armada de la marine. Je me doutais bien qu'ils n'étaient pas là pour l'équipage plus que minable qui m'accueillait mais ils prendront bien quelques minutes pour nettoyer l'océan de quelques forbans. La vigie ne les avait pas encore remarqués. Quel incompétent ! Je prévins les autres du danger. Personnellement, je me réjouissais de cet imprévu qui allait pimenter ma traversée. Et puis si ces lopettes étaient vraiment trop faibles je pourrais toujours m'embarquer clandestinement dans un des vaisseaux de la marine.

La seule chose que je n'avais pas prévue était que les marines bombardent le navire à distance. Quand je disais nettoyer ce n'était pas dans le sens exterminer ! À cette allure, le navire allait couler sans qu'ils, ou moi, aient eu l'opportunité de se défendre. Je grondais les dents serrées, les oreilles plaquées en arrière. L'un des boulets de canon atteignit le mat principal. Celui-ci s'écroula provoquant la panique à bord, enfin plus qu'avant. Je tentais de me mettre à l'abri mais sans succès, où que j'aille je percevais le sifflement d'un tir. Un projectile explosa juste en face de moi. Je me mordis la langue en sentant des éclats de bois perforer ma peau et s'incruster dans la chaire de mes bras, qui étaient devant mon visage dans une vaine tentative de défense.

Que faire ?! Sauter à l'eau ? Jusqu'où pourrais-je nager avant de me noyer à bout de force ? Rejoindre un de ces navires comme prévu initialement ?

L'odeur de la poudre et du sang me montaient à la tête, la fumée épaisse me brûlait les yeux et la chaleur d'un incendie naissant m'étouffait.
Complètement aveuglée, mes oreilles bourdonnantes ne captaient que les hurlements des hommes mourants. Le bateau commençait à sombrer, le pont pencha vers la droite. Je marchais à reculons tentant de retrouver mon équilibre, me frottant les yeux embués de larme à cause de la poussière. Plusieurs marins, qui se jetaient à l'eau espérant échapper à une mort certaine, me percutèrent.

La barre du bastingage dans mon dos me stoppa. Je toussais, mes poumons me brûlaient eux aussi maintenant. J'entendis le sifflement d'un énième tir. La déflagration m'arracha un cri tant elle était proche. Le souffle me fit basculer en arrière, me projetant dans l'eau.

Le choc thermique me coupa le souffle, l'eau était glacée. Je remontais tant bien que mal à la surface où je m'accrochais à un morceau de bois flottant. Je recrachais l'eau que j'avais avalée et regardais autour de moi. Mes yeux m'irritaient encore mais moins qu'avant. Les vaisseaux de la marine s'étaient dangereusement approchés. Je devais monter à bord mais mes bras saignaient abondamment. Je n'étais pas sûr d'avoir la force nécessaire de me hisser à bord. J'entendis à craquement. Un morceau du bateau pirate se détachait et s'apprêtait à s'effondrer. J'étais juste en dessous remarquais-je tétanisée. Je me repris rapidement et plongeais le plus profondément possible. Les débris tombèrent à la mer. Je les esquivais de peu mais je vis trop tard la coque du navire de la marine. Moins rapide dans l'eau que sur la terre ferme, je ne pus l'éviter. L'arrière de mon crâne percuta le bois dans un bruit mat. L'impact me fit, sous le coup de la douleur, recracher tout mon précieux oxygène. L'eau autour de moi se teinta de nuances vermeilles. Je fis quelques mouvements pour rejoindre la surface mais je sombrais inévitablement dans l'inconscience. Je ne voulais pas mourir… une tâche jaune s'incrusta dans mon champ de vision avant que mes yeux ne se ferment complètement.

Je me réveillais en sursaut. Mauvaise idée. Une terrible douleur me vrilla le crâne. J'attendis que la douleur s'amenuise avant d'étudier l'endroit où j'étais. Ce n'était pas l'enfer, une bonne chose déjà… ni le paradis mais je ne comptais pas y aller de toute façon… on m'avait installé dans un lit d'hôpital et on m'avait soigné. Je fixais sans comprendre les bandages qui allaient de mes mains jusqu'aux coudes, sans oublier ceux qui entouraient ma tête. C'était l'œuvre d'un médecin, sans aucun doute. Alors pourquoi ne me sentais-je pas rassurée pour autant ?
L'odeur de métal et d'antiseptiques m'agressaient à un tel point que je fourrais mon visage dans l'oreiller pour y échapper. Mais je dus m'y résigner et constatais, après de longues minutes, que ça devenait tolérable. Mais un autre problème survint. L'impression d'asphyxier m'assaillit, ma poitrine m'oppressait. Je me sentais mal et en danger. Prise de panique je me précipitais vers un hublot. Mes craintes s'avérèrent justifiées, je ne vis que de l'eau et quelques poissons.

« Je suis dans un sous-marin… murmurais-je atterrée. »

Consternée, j'activais mes méninges. Je ne connaissais pas trente-six milles sous-marin et qui empestait de cette façon. Mais la vérité était trop dure à avaler. J'entrepris de vérifier ce que mes fichus neurones tentaient de me faire comprendre.

Je me dirigeais vers la porte de l'infirmerie et collais mon oreille contre la porte à l'affut du moindre bruit suspect. Mais rien. Je frissonnais. Le contact de la plante de mes pieds avec le sol glacé me faisait trembler malgré moi. J'ouvris prudemment la porte et jetais un coup d'œil timide à l'extérieur. Ce n'était qu'un long couloir métallique, étroit et sombre. Mon malaise s'amplifia.

Je me trouvais à des centaines de mètres en dessous du niveau de la mer, dans un sous-marin, avec un hypothétique équipage pirate, blessée, affaiblie et nus pieds qui plus est… tout allait bien dans le meilleur des mondes !

Je parcourus lentement le corridor m'attendant à voir surgir une horde de monstres à chaque porte. Je ne devais pas paniquer ! Ne pas paniquer ! Facile à dire ! J'humais l'air à la recherche d'une odeur connue. Encore une mauvaise idée vue l'envie de vomir qui me prit mais je décelais quelque chose d'autre qui surpassa mon dégoût.

Droite comme un piquet devant une des portes, derrière laquelle j'entendais des rires, je mis la main sur la poignée. Comme rien ne se passait je me décidais à la tourner et entrer. J'inspirais profondément et affichais une expression d'assurance, l'exact contraire de mon état d'esprit actuel…

C'était une cuisine où étaient attroupés quelques hommes en combinaison et un ours vêtu d'orange. Je laissais échapper un soupire de soulagement en voyant Bepo dont la présence me rassurait. Ils me dévisagèrent, alors seulement l'ours se retourna et sursauta. J'avais une tête si affreuse que ça au réveil ?

« Tu es réveillée. Constata-t-il sans s'excuser ?

- Ça se voit non ? Plaisantais-je en oubliant que nous n'étions pas seuls. C'est toi qui m'a… repêché ? Me retenant de dire « sauvé » par fierté.

- Eh bien c'est plutôt le capitaine. Répondit Bepo visiblement gêné. »

La tête inclinée sur le coté, j'essayais de me souvenir le nom du capitaine mais ma mémoire me faisait encore défaut.

« Tu veux parler de euh… Ly ? Non Vaw ? Non Lone ? Continuais-je encouragée par les pouffements des membres de l'équipage.

- Law. Trafalgar Law. Me corrigea un jeune homme adossé à une porte à ma droite, un sabre posé nonchalamment sur son épaule. »

Ils s'étaient tous pétrifiés, il devait regretter de s'être moqués maintenant. Car évidement ce type devait être le capitaine des Hearts Pirates. Maigrichon, des poches noirâtre sous les yeux, un style vestimentaire douteux, la peau basanée, un sourire moqueur et l'odeur que trimbalait toujours des chirurgiens, celle des médicaments et de la mort. Je ne l'aimais pas ! En plus son sourire me fichait la frousse. Mes poils s'hérissèrent, mon coté animal avait parlé. Il dégageait une aura flippante. Je voulais me casser, tout de suite ! Mais pas question de lui montrer la crainte qu'il m'inspire !

« Merci de m'avoir aidé. Le remerciais-je, mon mauvais caractère ne m'empêchait pas d'être reconnaissante. Vous pourriez remontez à la surface que je puisse descendre ? Demandais-je en le vouvoyant ?! C'était une première ça !

- Désolé mais non. À partir de maintenant tu m'appartiens.

- Quoi ?! Comment ça ?! M'écriais-je en le voyant disparaître dans un couloir.

- Bienvenue dans l'équipage. Dirent tous les autres, compatissants. Désolé. Rajouta Bepo.

- J'ai toujours voulu avoir un chien. Résonna la voix de Law comme pour démentir les propos de ses subordonnées. »

Remise du choc initiale…

J'allais le tuer ! L'étriper puis lui faire avaler ses boyaux et le jeter en pâture à des monstres marins ! Non mieux j'allais le battre à mort et l'envoyer à la marine avec un mignon ruban rose ! On oublie le ruban ! Du barbelé c'était mieux pour le ficeler !

Je récupérais mon self-control et notais qu'ils s'étaient tous écartés de moi. Les murs métalliques étaient cabossés par endroit. La vive douleur dans mes poings me fit comprendre que c'était moi qui avais frappé le mur comme un bourrin. Tous mes plans tombèrent à l'eau. J'étais prise au piège compris-je avec effroi. Je ne savais pas piloter ce genre d'engin et sans eux je ne remontrais jamais à la surface. Donc tout dépendait du bon vouloir de Law, cette enflure ! Soit j'attendrais qu'on débarque à la prochaine île mais d'ici là j'allais lui faire regretter de m'avoir traité de chien !

Si j'avais su ce qu'il me réservait je n'aurais peut-être pas été aussi sûr de moi…