Grand-Mère venait de quitter la chambre, très émue et évidemment en larmes. Oscar quant à elle, se regardait dans le miroir finalement incertaine. Elle en avait eu envie pourtant. Elle avait même eu des exigences très précises qu'on avait réalisées pour elle sans la moindre question avec toute la bonne volonté du monde.

Elle se sentait soudain bien capricieuse. Son reflet était pourtant très flatteur, alors pourquoi cette hésitation ? Elle remua légèrement, comme pour se tester. Non, toutes ses demandes avaient bien été respectées, elle était finalement assez libre de ses mouvements, voire même beaucoup. Et pourtant … elle avait la main sur son uniforme d'apparat qui avait malgré tout été préparé et qui avait été étalé sur un fauteuil de sa chambre. Après tout, tout le monde s'attendait à la voir arriver avec et Grand-Mère lui avait préparé pour donner le change.

Elle avait l'impression de suffoquer tout d'un coup. Alors que, comble de l'inconvenance, elle ne portait même pas de corset ! Grand-Mère avait réalisé l'exploit de lui créer une robe sublime, qui non seulement ne l'étouffait pas, mais qui faisait néanmoins son office au niveau de sa poitrine. Cela faisait un an désormais qu'elle avait brûlé les bandes qui l'avaient aidée à nier sa féminité durant toute sa vie. Et bizarrement il lui semblait que sa poitrine s'était développée, comme libérée. Et elle avait eu un mal de chien à s'y habituer. Même si clairement cela n'avait pas déplu à tout le monde …

Elle se décida d'un coup à saisir un ruban de soie et à tirer dessus pour lancer sa délivrance, puis elle hésita à nouveau, suspendant son geste.

Lorsqu'elle avait demandé la création de cette robe à Grand-Mère elle avait imposé l'absence de corset, elle avait un bien trop mauvais souvenir de sa première expérience avec l'objet de torture.
Foutredieu cette robe était juste PARFAITE alors pourquoi, POURQUOI n'osait-elle pas sortir de sa chambre ? Tout le monde devait l'attendre et elle savait que le carrosse devant la conduire l'attendait, les premiers carrosses étaient déjà partis, clairement on n'attendait plus qu'elle.

Elle tourna la tête à nouveau vers son uniforme. Oh que c'était tentant. Après tout personne d'autre que Grand-Mère ne savait pour la robe, en deux temps trois mouvements, elle pourrait retrouver sa liberté et se glisser avec délice dans le réconfort total. Dernière chance avant qu'on ne finisse par lui envoyer quelqu'un.

Elle s'adossa au fauteuil, la tête renversée vers arrière, plongée dans ses pensées, le regard fixé vers le plafond. Elle n'entendit même pas qu'on toquait à sa porte. Elle soupira, perdue.

« Je peux entrer ? » demanda une voix masculine.

« Colonel ? » insista la voix, « Je peux entrer ? »

Cette fois-ci elle avait entendu, mais sa gorge était sèche, impossible de sortir un mot, qu'il soit positif ou négatif. Elle semblait paralysée.

« Colonel, je me permets d'entrer ! »

La porte s'ouvrit sur le Capitaine Alain de Soissons. Il resta figé sur place la découvrant ainsi vêtue. « Alors ça pour de la surprise, c'est de la surprise ! »

« C'est bon Soissons n'en rajoutez pas ! » Ah. La voix était revenue.

« C'est sincère Colonel, nous nous attendions tous à vous voir avec votre uniforme. Et là, franchement, j'en connais un qui va en perdre tous ses moyens ! Et d'ailleurs ce quelqu'un va finir par s'inquiéter de ne pas vous voir arriver. »

Et hop, la voix s'était à nouveau faite porter pâle. Oscar se retourna vers le miroir pour se regarder. Elle détailla sa tenue. Elle devait admettre qu'elle était incroyablement confortable comparé à la dernière fois. Elle était conforme à toutes ses demandes. Simple, sans froufrou, mais pourtant incroyablement belle et majestueuse. Le corsage était recouvert d'une élégante dentelle de Calais et recouvrait également comme il se doit ses épaules et décolletait légèrement son dos pour se terminer en un laçage dont les rubans se croisaient harmonieusement. La jupe était faite d'une soie ivoire et par d'ingénieux jeux de couturière et d'innombrables jupons tendus d'amidon, elle avait un certain volume sans pour autant être obligée de porter des paniers ou autre structure du même acabit. Elle avait même imposé l'absence de traine.

Ses cheveux avaient été relevés en un chignon très simple laissant échapper quelques mèches rebelles. Elle portait le collier de perles de sa mère, tradition familiale oblige. Bon sang de bois, sa tenue était parfaite, au-delà de ses espérances alors qu'est ce qui bloquait ?

« Il va adorer vous savez. » dit soudain Alain. Elle était tellement concentrée à se regarder qu'elle l'avait oublié.

« Je suis ridicule » dit-elle, à nouveau tentée de tirer sur le ruban.

« Ah non Colonel, je suis désolée mais si vous êtes quelque chose en ce moment c'est tout sauf ridicule. »

« Tout le monde va me regarder et cette fois-ci on saura vraiment qui je suis. » fit-elle avec une moue boudeuse.

C'était donc ça … Il faillit lui dire qu'au bout d'une année, tout le monde le savait maintenant … mais il opta pour quelque chose de plus mordant, certain de la faire sortir de sa torpeur.

« Le Colonel de Jarjayes a peur ? Eh bien, si on m'avait dit que je verrai le jour … » oula, il avait intérêt à modérer ses moqueries, elle avait réagi au quart de tour comme il l'avait prévu relevant la tête d'un coup, les yeux brillant de colère, fronçant les sourcils.

« Vous savez généralement c'est le futur marié qui a les doutes de dernière minute. Remarquez bien, vous qui avez été élevée comme un homme, c'est peut-être normal de réagir comme ça … » ouep, il avait définitivement grillé sa dernière cartouche, à la prochaine remarque du genre elle allait lui en coller une bien méritée.

« Vous vous moquez de moi Soissons ? » Elle avait les mains sur les hanches, outrée.

« Oula non je n'oserais pas, je vous connais trop pour ça. » Maintenant qu'elle avait réagi, il devait redevenir sérieux. « Vous savez qu'en robe ou en uniforme, André est l'homme le plus heureux du monde aujourd'hui ? Par contre si vous persistez à ne pas vouloir sortir de cette chambre, il risque de se poser des questions. »

« Je sais » dit-elle, se retournant une nouvelle fois vers son uniforme.

« Vous savez que jamais il ne vous imposera quoique ce soit n'est-ce pas ? » Il l'observait et vit son regard se faire plus tendre.
« Non bien sûr, il est bien trop respectueux de mon bien-être pour ça » répondit-elle en souriant tendrement. « Je voulais le surprendre, et Grand-Mère a créé cette merveille sans que personne ne le sache, respectant la moindre de mes demandes au millimètre près. »

« Et c'est une grande réussite, vous êtes splendide. Mais encore une fois, je crois que vous pourriez arriver habillée d'un sac de toile de jute qu'il serait complètement sous votre charme. »

Elle sourit, commençant à se détendre. Sa main quitta enfin son uniforme et elle se retourna une dernière fois vers le miroir comme pour se jauger. Elle prit une grande inspiration et fit enfin un pas vers Alain.

« Une Jarjayes ne recule jamais. Allez hop, on y va ! » dit-elle, déterminée.

Alain secoua la tête amusé, décidemment elle ne changerait jamais. Tout le monde à l'exception de son père était parti vers la petite chapelle du domaine de Jarjayes. La tradition voulait que personne ne voie la mariée avant son entrée dans l'église. Alain était le témoin d'André, mais également le cocher désigné de la mariée. Il hâta donc l'attelage vers la destination finale et descendit rapidement afin de prendre place à l'autel avec le futur marié.

André le questionna du regard, visiblement interrogatif. Alain s'en amusa.
« Pffff si jamais j'ai pu avoir le moindre doute qu'il s'agissait bien une femme, il s'est envolé … toutes les mêmes en fait, incapables d'être à l'heure », dit-il pour le détendre. Il se disait qu'Oscar ne devait pas en mener large maintenant mais il savait qu'elle marcherait vers l'autel la tête haute.

La future mariée était maintenant au bras de son père, prête à entrer dans l'église. Rosalie était là devant elle, tentant péniblement de gérer les neveux et nièces d'Oscar qui couraient dans tous les sens.

Au moment où elle leur signala qu'il était l'heure d'entrer, ce qui devait faire démarrer l'orgue de la chapelle, le Général s'approcha de sa fille et la regarda d'un œil ému.

« Oscar, je voulais que vous sachiez que vous avez été un fils parfait, vous avez fait ma fierté. Mais en tant que femme, ma fierté s'en trouve décuplée … ma fille, ma chère fille. J'ai hâte de vous voir vous épanouir dans ce nouveau rôle auprès d'André. Personne ne méritait plus que lui de vous épouser. »

Foutredieu, sa voix était à nouveau aux abonnés absents. Elle serra le bras de son père un peu plus fort, incapable de trouver les mots. Ils se tournèrent enfin vers l'autel et s'avancèrent vers André. Alain les voyant s'approcher ne put résister à gentiment se moquer d'André. « Prépare-toi au choc du siècle mon vieux. » Glissa-t-il à son oreille, parfaitement conscient que la tradition lui interdisait de se retourner.

Oscar s'était attendue à un sentiment d'oppression sous les regards de l'assemblée. Et pourtant, elle avait un sourire éclatant, elle ne voyait que lui qui lui tournait pour l'instant le dos. Elle ne voulait plus qu'une chose : qu'il se retourne et découvre sa surprise. Elle se languissait de son regard d'émeraude. Lorsqu'ils atteignirent la marche de l'autel, il se retourna enfin au moment où le prêtre demandait qui donnait cette femme en mariage.

Oh cette étincelle dans son regard, jamais de sa vie elle ne l'oublierait. Elle savait maintenant pourquoi elle portait cette foutue robe. Elle savait pourquoi elle se contrefichait désormais du regard ou de l'avis des autres. Ce regard, elle l'avait très subrepticement vu une fois mais il s'était vite repris. Aujourd'hui toutefois, il ne s'en cachait nullement et elle aurait la journée entière pour en profiter. Peut-être allait-elle demander d'autres robes à Grand-Mère en fait, juste de temps à autre …

Leurs mains tremblaient d'émotion lorsque le prêtre leur posa les questions rituelles. Plus rien d'autre qu'eux n'existait, ils s'engageaient l'un envers l'autre officiellement, devant Dieu et leurs proches pour l'éternité. Son regard ne la quitta jamais, lui disant tout ce qu'elle voulait entendre sans qu'il ait besoin de formuler le moindre mot.

L'assemblée était extrêmement émue, tous savait par quelles épreuves les mariés étaient passés. Tous savaient qu'ils avaient failli les perdre tous les deux au moment de la Prise de la Bastille. Un médecin avait pu être trouvé in extremis afin de sauver André et Oscar avait pu mener l'assaut vers la forteresse parisienne avec plus de force, l'esprit tranquille. Dès que le peuple avait pris le pouvoir, et qu'ils étaient suffisamment remis, André s'était empressé de quitter Paris avec sa belle afin de lui permettre de se reposer et de guérir ses poumons.

Une fois que la maladie avait pris un tournant vers le meilleur, il s'était empressé de la demander en mariage, ce qu'elle avait accepté avec joie. Après tout, il bénéficiait déjà de la bénédiction du Général.

Oui, décidemment ces deux-là en avaient bavé et ils méritaient désormais un bonheur sans nuage, loin de l'agitation parisienne, au vert, tranquilles.

Lorsqu'ils furent déclarés mari et femme, l'assemblée se leva comme un seul homme et applaudit à tout rompre, ce qui n'était pas franchement commun pour cette époque. C'était comme si Oscar et André étaient le symbole du renouveau, le mariage de la noblesse et du peuple. C'était pour tous une merveilleuse promesse sur l'avenir.