Cette fic se situe dans la même veine que Rêveries d'un enfant solitaire donc je vous recommande de la lire si ce n'est pas déjà fait : elle vous permettra de poser les bases, de plus elle n'est pas longue, donc ça ne vous prendra pas beaucoup de temps. :)

Sur ce, bonne lecture ! :D


Le ciel était noir, zébré par de violents éclairs bleus et violets qui embrasaient la nuit orageuse en flashs aveuglants, transperçant comme une lance la nue ténébreuse. La mer infinie était déchaînée : les vagues immenses, poussées par un vent hurlant de fureur, secouaient le pavillon noir comme un fétu de paille dans un courant d'air, inondant le pont d'écume moussante qui luisait sous la lumière de la foudre. Le grand mât ployait sous la force des éléments, menaçant à tout moment de se rompre et de sombrer dans les profondeurs. Des coups de tonnerre retentissants faisaient vibrer et craquer sinistrement la coque du navire. Les vibrations se répercutaient dans les corps des deux navigateurs réfugiés dans la cabine du capitaine.

Un garçon blond, la tête tournée vers le petit hublot, regardait d'un air maussade le déluge qui malmenait le bateau puis, il soupira et se tourna vers son ami et capitaine qui, allongé sur sa couchette, les mains jointes sous le menton s'était retranché dans un silence boudeur et colérique. Quelques lanternes se balançaient au rythme de la tempête, dessinant des ombres mouvantes sur les parois de bois frémissantes de la cabine...

- Sherlock ? appela le garçon blond.

Il attendit pendant une ou deux minutes, puis, voyant qu'il n'obtenait aucune réponse, réitéra son appel :

- Capitaine ?

Sherlock tourna la tête vers son interlocuteur :

- Quoi, John ?

- Pourquoi te mettre dans un tel état, ce n'est pas la fin du monde...

La pluie redoubla de violence et le vent hurla avec plus de force. Sherlock ricana puis murmura hargneusement :

- On voit bien que ce n'est pas toi qui va devoir y aller, qui va devoir supporter les messes basses, les répliques stupides, tous ces QI d'huître et cet Ennui affligeant !

John garda le silence puis dit doucement :

- Ne pourrais-tu pas au moins faire cesser cette tempête ?

Sherlock lui jeta un regard dédaigneux avant de siffler :

- MON monde mental, MES règles ! Déjà que je dois me contenir dans la « vraie vie » alors si en plus je dois faire attention dans ma propre tête...

- Pourquoi « monde mental » c'est un peu prétentieux, tu ne crois pas ? questionna John dans une tentative pour changer de sujet.

- Et quel nom voudrais-tu donner ? rétorqua Sherlock, moqueur.

John pencha la tête sur le côté, les ombres et les lumières des lampes dansant sur son visage à la peau bronzée. Il réfléchit pendant quelques instants sous le regard amusé du capitaine puis dit :

- Pourquoi pas : « Palais Mental » ?

- Ridicule, asséna le jeune génie en fermant les yeux.

John paru vexé :

- Ridicule ? Je ne vois pas en quoi !

- Tu ferrais tenir un monde entier, îles et océans compris dans un palais, toi ?

- Mais ce n'est pas qu'un simple univers mental, Sherlock, c'est aussi un lieu de stockage de souvenirs et de savoir et...

Le garçon blond s'interrompit brusquement.

- Et ? l'encouragea Sherlock en rouvrant brusquement les yeux, vrillant son regard perçant sur la mince silhouette de son ami.

- Et tout est possible dans un monde imaginaire ; plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur, acheva doucement le petit blond.

Les deux enfants se sourirent, complices tandis que le vent gémissant et la mer démontée faisaient tanguer dangereusement leur navire. John manqua de perdre l'équilibre et se raccrocha tant bien que mal à la couchette de son ami :

- Sherlock, tu as prévu de nous faire chavirer et de nous noyer ?

- Absurde, John. Je contrôle ce monde : il ne peux rien nous arriver et... je serais perdu sans mon ami...

La dernière partie de la phrase fut prononcée tristement.

Sherlock ? Sherlock, c'est l'heure d'y aller sinon tu vas être en retard encore une fois !

Sherlock rouvrit brusquement les yeux, un peu perdu car c'était désorientant de se retrouver dans le calme et le silence de sa petite chambre aux volets fermés après le fracas de son mon-... Palais Mental. Oui... décidément, c'était un très beau nom, très classe, très distingué. Il le gardera. Définitivement.

Il se leva avec regret de son lit, fit craquer les articulations de ses membres ankylosés après plusieurs heures d'immobilité totale, saisit son sac et son manteau qui traînaient par terre et murmura pour lui-même :

- L'heure du combat a sonné.

Il ouvrit la porte de son antre et fut momentanément éblouit par la lumière qui filtrait par les fenêtres. Ce n'était pas la flamboyance d'un grand jour d'été mais une lumière blanchâtre réfractée par un ciel gris argent qui piquait les yeux et présageait une nuit pluvieuse. Néanmoins cette clarté formait un vif contraste avec les ténèbres lugubres de l'orage qui tempêtait dans son crâne...

- Sherlock, qu'est ce que tu fais ? Dépêches-toi donc un peu !

Le petit garçon tourna la tête vers la voix féminine qui venait de s'exclamer et plongea son regard dans celui de sa mère. Il n'était pas difficile de deviner de qui Sherlock tenait la couleur de ses iris : deux regards vif-argent se harponnèrent, distancés par les quelques mètres qui séparaient le fond du couloir de la porte d'entrée.

Puis Sherlock détourna le regard en premier, passa devant sa mère sans un mot, ouvrit la porte, alla jusqu'à la voiture et s'installa sur le siège passager de devant avec l'air d'un condamné à qui on passe la corde autour du cou.

La mathématicienne soupira et suivit son fils tristement : elle aurait tellement aimé que son plus jeune fils soit plus... quoi ? Normal ? Plus adapté ? Qu'il n'est pas cette redoutable intelligence qui l'éloignait des gens de son âge et du monde réel ?

Oui.

Aussi horrible que soit cette pensée pour une mère, elle aurait souhaité que son enfant soit autre chose que ce qu'il était ; qu'il soit normal, qu'au moins UN de ses enfants le soit. Pourtant... elle avait encore le vague espoir que son Sherlock trouve sa voie. Après tout, si Mycroft y était parvenu alors pourquoi pas lui ? Et puis il n'avait que huit ans tout juste. Il avait encore du temps devant lui...

Elle soupira une seconde fois et rejoignit son petit garçon brun à la peau trop pâle, s'abstenant de lui faire remarquer qu'il était un peu trop jeune pour être autorisé à s'asseoir devant. Elle savait pertinemment que ce genre de remarque tomberait dans l'oreille d'un sourd.

C'est donc dans un silence lourd qu'elle mit le contact, fit démarrer sa voiture pour emmener son plus jeune fils à l'école en espérant que la journée ne se passerait pas trop mal pour lui. Elle était consciente des répliques et des comportements horribles que les enfants réservaient à son fils. Elle savait aussi que sous son masque impassible et ses remarques incisives, il souffrait mais elle ne pouvait rien faire.

En effet, si Sherlock subissait une agression physique ou verbale, là elle pourrait intervenir mais que pouvait-elle faire face à de simples remarques mesquines lancées au détour d'un couloir ? Elle ne pouvait tout bonnement pas faire bâillonner tous les élèves de l'établissement ! Et pourtant, si elle le pouvait...

Au bout d'une demie-heure de trajet, ils étaient arrivés devant le portail grand ouvert de l'école qui grouillait d'enfants. Sans un mot, elle regarda Sherlock s'extirper de l'habitacle de la voiture toujours aussi silencieux. Elle entendit le souffle légèrement tremblant de son fils, elle en eut la gorge serrée. C'est avec un poids dans l'estomac qu'elle le regarda se mêler à la foule et qu'elle s'éloigna avec l'impression de laisser son petit garçon dans la fosse aux lions...

Sherlock marchait dans les couloirs peints avec des couleurs criardes censées égailler l'atmosphère éclairée par des néons blancs espacés à intervalles réguliers. Sherlock trouvait la teinture des murs absolument immonde et, il se demanda si on avait pas soudoyé le directeur pour l'inciter à choisir ces couleurs ou alors il y avait eu une promotion sur les pots de peinture que les personne censées ne voulaient pas...

Il s'avança au milieu des autres élèves, le dos droit, le regard dur et assuré bien qu'il aurait préféré mille fois plutôt qu'une pouvoir rester chez lui afin de s'enfermer dans son Palais Mental et voguer sur les océans en compagnie de John. Il n'avait pas besoin d'aller à l'école : elle ne lui apprenait rien d'utile, ne lui apportait que de l'ennui et rendait sa solitude encore plus palpable...

Il remarqua bien que ces « camarades » de classe s'éloignaient de lui comme s'ils avaient à faire à un pestiféré ou à un monstre mais, du moment qu'ils ne disaient rien, ça ne le dérangeait pas, ou du moins, il s'y était habitué mais ce n'était que le calme avant la tempête. Bientôt les répliques chuchotantes et suintantes de méchanceté gratuite fusèrent dans son dos :

- C'est le taré !

- Regarde ! C'est le monstre !

- T'approche pas de lui, c'est un sorcier : il peut lire dans les pensées rien qu'en te regardant !

- Attends, non, il a dit que c'était quoi déjà ? Ah oui, des « déductions ». Je suis sûre qu'il a inventé ce mot !

- Tiens, il est toujours là, le psychopathe ? Pas de bol, peut-être qu'avec un peu de chance il se fera écraser sur le chemin du retour ! Ça nous débarrasserait d'un malade mental !

- C'est légal de laisser les gens comme lui se balader dans les couloirs ? Il me fiche la trouille avec ses yeux de tordu !

Ils étaient en forme aujourd'hui, plus que d'habitude. Était-ce les vacances qui leur avaient fait reprendre du poil de la bête ? Quoiqu'il en soit, Sherlock serra les dents et les fusilla du regard. Ses yeux gris acier au regard glacial et son visage blanc et dur en firent pâlir plus d'un mais, au fond de lui, il avait juste envie de fuir le plus loin possible de cet endroit.

John ? appela-t-il d'une voix tremblante.

Je suis là, lui répondit la voix familière de son ami imaginaire.

Aide-moi !

Je n'existe que dans ta tête, Sherlock mais saches que si j'avais un corps matériel, je les aurais déjà réduit en bouillie !

Sherlock ferma brièvement les yeux avant de les rouvrir et de continuer sa route :

John ?

Oui ?

Pourquoi, ils sont comme ça avec moi ?

Il eut un instant de silence dans la tête du petit garçon puis la voix de John résonna doucement dans son crâne :

Parce qu'ils te craignent.

C'est ridicule, se défendit Sherlock.

Ah oui ? rétorqua John, alors imagines ne serait-ce qu'un instant être aussi stupide qu'eux et qu'un beau jour quelqu'un que tu ne connais pas te regarde et déballe l'intégralité de ta vie en quelques phrases, comment réagirais-tu ?

Mais, moi, je ne suis pas stupide. Je ne sais pas ce qu'ils peuvent penser dans leur petite cervelle atrophiée.

Essaies quand même.

Il eut un instant de vide dans l'esprit du petit garçon aux boucles brunes puis :

Je... je suppose que... ça me ferait un peu peur.

Et voilà, nous y sommes.

Pardon ? demanda l'enfant solitaire.

Ce n'est qu'une supposition mais si tu essayais de te tenir à carreau alors peut-être qu'ils te laisseraient en paix ?

Tu me demandes donc de ne pas être moi-même ?

Pas du tout Sherlock, je te demande juste de te tenir tranquille et à ne pas leur faire peur avec ton intelligence et de n'utiliser tes déductions que pour te défendre si on vient te chercher des crosses. Utilises ton intelligence comme de l'auto-défense, à force ils finiront par en avoir marre et te laisseront en paix ensuite, rien ne t'obligera à rester avec eux plus que nécessaire.

De toute façon, je n'aie pas besoin de leur compagnie.

Ah oui ? Et pourquoi ? demanda John, curieux.

Je t'aie toi. Tu vaux mille fois mieux qu'eux !

Et Sherlock imagina le petit sourire à la fois fier et timide de John qui l'attendait dans la cabine de leur pavillon noir.

Prêt pour une journée pourrie ? demanda John avec un entrain volontairement surjoué.

Non mais je n'aie pas vraiment le choix, murmura Sherlock, les oreilles agressées par la sonnerie stridente qui retentissait dans les couloirs.

Tu restes avec moi ? demanda-t-il d'une voix qui résonna timidement dans son crâne tout en pénétrant dans la salle de classe et en se dirigeant vers le pupitre de la dernière rangée située le plus près de la fenêtre.

Bien sûr puisque je ne suis qu'une création de ton esprit. Je sens que tu vas décortiquer la vie du prof et des autres élèves toute la journée et je ne raterai tes déductions pour rien au monde !

Tu es bien le seul à les apprécier à leur juste valeur.

Évidemment ! répondit John d'un ton suffisant qui fit apparaître un petit sourire sur les lèvres blanches du jeune génie solitaire qui commença à pendre son manteau sur le dossier de sa chaise tout en posant son sac sur sa table avec un son feutré.

Les autres élèves commencèrent, eux aussi à s'installer, bavardant entre eux tout en veillant à laisser une table voire une rangée vide entre Sherlock et eux.

Ah et... Sherlock ?

Quoi ?

Oublies l'étalage virtuose de tes déductions. Je viens de trouver une vieille carte au trésor dans le coffre de ta cabine. On pourrait peut-être essayer de la décoder quand les cours seront finis ? Ça t'occupera.

Hmm, je pense qu'on pourrait s'y coller tout de suite. Je ne me sens pas capable d'écouter les inepties du prof sans faire un scandale et puis ça passera le temps pour la journée, dit Sherlock en s'installant à la fois sur sa chaise d'écolier et devant le gouvernail de son fier pavillon noir.

Dans son Palais Mental en devenir, il avait retrouvé toute sa belle assurance.

La tempête mentale s'était considérablement calmée et d'un mouvement de pensée accompagné d'un claquement de doigt théâtral, il déploya et fit claquer ses voiles noires qui se gonflèrent pour faire voguer son navire sous un ciel gris pâle qui donnaient aux embruns l'aspect de perles irisée, accompagné de son ami imaginaire. La proue commença à fendre énergiquement les vagues, faisant jaillir de grandes gerbes d'écume blanche et de gouttelettes salées qui vinrent humidifier les visages des deux aventuriers qui se regardèrent avec un sourire impatient et complice. Les paroles du professeur et les chuchotements des élèves indisciplinés se mêlèrent au souffle du vent qui faisait ondoyer les cheveux bruns de Sherlock et danser haut dans les airs le drapeau de pirate. La lumière pâlotte et morose de l'Angleterre fit place à une clarté opalescente qui faisait mystérieusement miroiter la surface de l'océan sans fin.

A mi-chemin entre rêve et réalité, les sables du temps du monde onirique s'écoulèrent indistinctement tandis que la grosse pendule accrochée au dessus du tableau scandait les secondes avec une régularité léthargique et une monotonie obsédante.


Voilà pour ce premier chapitre, j'espère qu'il plaira.

Et si vous prenez le temps de laisser une review et que vous avez envie d'en lire plus, n'hésitez pas à me proposer des situations du quotidien dans lesquelles vous aimeriez voir Sherlock enfant en compagnie de son ami imaginaire. Peut-être que je ferrai un chapitre/OS en suivant votre proposition. :)