Auteur :      Zorca

Titre :          Le tango de…

Base :          GW

Genre :        Yaoï, UA, OOC, song-fic, sap v.v, le tube de grand-mère… (rhaa dans mon jeune temps MDR !)

Rating :       PG-15 pour une scène assez heu… passionnée ? (du moins j'ai essayé ^^ ) dans la partie 2

Disclaimer : 'sont pas à moi… 'sont à eux… et je leur rends dès que j'ai fini de faire mumuse avec.

                     'Le tango de Manon' est interprété par Georgette Plana et appartient à ses auteurs.

Chapitre :   C'était un one-shot mais il est trop long… donc 1/3.

Coupling :   Je vous laisse le découvrir ^__^…

Pitit mot :    Je prends énormément de libertés avec le passé du perso principal… autant dire qu'il n'a pas grand-chose en commun avec son passé dans GW…

Dédicace spéciale : A ma Mithynette que j'aime bé… Je t'aime ^__-

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Le tango de…

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Partie 1 : Le champagne pétille…

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La pièce était immense. Au Nord, à ses extrémités Est et Ouest, se dressaient quatre esquisses d'alcôves délimitées par de lourds paravents de chêne, ajourés à la mode orientale. Elles contenaient chacune un mobilier similaire composé de larges fauteuils en cuir épais, de poufs assortis et de coussins multicolores. La différence tenait dans la couleur, spécifique à chaque niche : blanche pour l'une, jaune pour l'autre, violette pour la suivante et rouge pour la dernière. Communes à toutes les alcôves, des dessertes en fer forgé et verre avaient été dressées d'alcool et de mises en bouche.

Elles donnaient toutes par une très large ouverture sur la salle au cœur de laquelle brillait un beau parquet dégagé de tout meuble.

Au Sud de la pièce, derrière cet espace vide, trônait un strapontin. Un chevalet et des chaises, sur lesquelles reposaient des instruments de musique hétéroclites, y avaient été disposés.

De somptueux lustres de cristal illuminaient sommairement la salle pour y projeter une atmosphère tamisée. La lumière se reflétait sur les murs, tous recouverts de miroirs aux contours ouvragés. D'épaisses tentures de velours rouge brodées d'or y dessinaient des formes soyeuses en descendant du plafond pour finir sur le sol en ébauches d'immenses roses de tissus.

Une des tentures bougea et un homme sortit de derrière elle. Il portait une perruque blanche de serviteur attachée par un catogan doré assorti à sa veste, à ses culottes et chaussures. Sa tenue se complétait par une belle chemise blanche à jabot fermée par une broche dorée du plus bel effet et par des bas blancs, réglementaires. D'une main il tenait un chandelier en bronze d'une quarantaine de centimètres de haut et de l'autre il retenait grossièrement la lourde étoffe. Il permit ainsi à neuf hommes habillés à l'identique de sortir dans un silence étonnant que rythmait seulement le bruit des petits talons de leurs chausses.

Ils allèrent par groupe de deux se placer aux entrées des alcôves et de chaque côté de l'immense porte qui faisait face au strapontin. Puis ils se figèrent comme des statues.

D'autres hommes, habillés dans le même style mais en bleu, se rendirent cérémonieusement sur le strapontin et y prirent place dans un mutisme des plus complets. Parmi eux se tenait un homme en rouge, portant un costume similaire, qui tenait à la main une baguette de chef d'orchestre. Enfin une jeune femme vêtued'une robe verte à col bateau assortie à ses chaussures, d'une chemise légère ouverte généreusement sur le haut de sa poitrine, d'un tablier et de bas blancs, partit vérifier en courant que tout soit bien prêt dans les alcôves. Ceci fait elle alluma les sept bougies de neuf des chandeliers et repartit aussi vite qu'elle était venue.

Le premier homme qui avait jusque là tenu la tenture la laissa retomber lourdement. Il alla allumer ses bougies sur celles d'un de ses collègues avant de rejoindre sa place et de s'y figer dans une pose digne… et humble à la fois.

Cinq minutes s'écoulèrent dans un mutisme dérangeant. Personne ne disait mot, les respirations mêmes semblaient vouloir se faire silencieuses. Puis l'homme en rouge qui était resté debout face aux autres sur le strapontin leva sa baguette et tapota deux fois sur  le chevalet. Les musiciens se préparèrent et dès que les mains du maestro fendirent l'air, la musique emplit la pièce pour combler de trilles gais son vide premier oppressant.

Bientôt les grandes portes du fond de la salle s'ouvrirent pour laisser entrer une rivière colorée d'une cinquantaine de femmes joyeuses et d'hommes élégants.

Les tenues étaient de style grand siècle, des costumes cintrés, des chausses étroites ornées d'un large nœud de tissu, des bas blancs et des perruques blanches, aux coiffures compliquées pour la plupart des femmes. Ces dernières portaient des robes à corset qui semblaient contemporaines de la France sous le règnede Louis XIV.

Les hommes étaient en costume, bas et culottes… Les tissus étaient recherchés, des satins luisant finement brodés et parfaitement taillés. Les femmes avaient des mouches disposées selon leur humeur, près des lèvres, sous un œil ou sur leur poitrine mise en valeur par un balconnet pour les plus audacieuses.

Ici tout portait à croire que l'on était dans une demeure bourgeoise du dix-septième siècle et que les personnes présentes étaient des nobles venus assister à une représentation musicale privée offerte par le maître de cérémonie…

Mais rien n'était moins vrai.

Les lustres diffusant une lumière intimiste fonctionnaient à l'électricité.

Les bouteilles d'alcool sur les dessertes portaient des étiquettes qui affichaient leur marque.

Les musiques que jouaient avec application les musiciens s'appelaient java, valse ou tango…

Nous étions en France en mille neuf cent quarante-six et dans cette salle immense venait s'amuser en toute insouciance une jeunesse dorée et désabusée.

Ce soir-là comme un soir par semaine il y avait un bal masqué dans la demeure de Monsieur… du Prince des fleurs. Ce soir-là comme un soir par semaine, les jeunes gens s'imaginaient qu'ils étaient 'la comtesse de', 'le duc de', pour pouvoir lors de quelques heures d'excès tout aristocratiques oublier les images de la seconde guerre mondiale qui hantaient encore leurs nuits.

Peut-être était-ce futile en ces temps d'incertitude de dépenser sans compter, de désespérément vouloir effacer… mais ce qui avait rendu les pauvres plus pauvres encore n'avait pas affecté tous les riches et certaines grosses fortunes avaient continué à fructifier…

Ainsi les insouciants mais soucieux invités s'installèrent en un brouhaha qui semblait chaotique dans les différentes alcôves…

Alors le champagne coula à flot dans des coupes de cristal.

Alors les filles rirent aux éclats tandis que les hommes les charmaient.

Alors la chanteuse habillée comme Marie-Antoinette entra et sous les acclamations enthousiastes de la salle commença son tour de chant.

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C'est Montmartre le soir, le champagne pétille

Au milieu des chansons et des rires des filles.

Un tango langoureux s'exhale des violons,

Mais soudain tout se tait lorsque paraît Manon.

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Dispatchés dans les alcôves au sein desquelles ils s'étaient assis, ces 'jeunes' gens étaient les personnalités du tout Paris. Leur répartition pouvait sembler à première vue hasardeuse et pourtant il n'en était rien. Elle était organisée selon les âges pour les alcôves, les centres d'intérêt et le tempérament des invités dans ces dernières. Cette foule colorée était composée d'une cinquantaine de personnes dont les âges variaient de dix-huit ans à une petite cinquantaine d'années… du moins aux dires des concernés. Les plus jeunes étaient souvent dans l'alcôve rouge, appelée Rose alors que les plus anciens se trouvaient dans la blanche, nommée Edelweiss. La jaune, bouton d'or, et la violette, lavande, accueillaient des personnes entre vingt-deux et quarante ans… Mais quelque part, qu'importait leur âge. Ils étaient tous des jeunes gens. Ils étaient tous mus par le même besoin de vivre, de s'amuser, de ressentir… Tous mus par la même volonté d'oublier… C'était ainsi que vers le milieu de la soirée ces alcôves restrictives accueillaient en un même sein des peaux lisses, des peaux marquées, sans aucun discernement, ni d'âge, ni d'appartenance…

Dans cette grande salle se tenaient les plus grosses fortunes, les héritiers les plus en vue, des enfants de gens pouvoir, ou ces gens d'influence en personne. Il y avait des ministres, des grands propriétaires foncier et immobilier, des militaires haut gradés, des patrons de très grands magasins, des filles de chanteuses, des fils d'acteurs, des enfants de familles régnantes venus en France pour leurs études, des artistes de tout genre, des romanciers… Ce que Paris comptait de personnalités publiques se retrouvait ici.

De temps en temps les larges portes d'entrée s'ouvraient pour laisser passer une retardataire qui allait en toute discrétion rejoindre l'alcôve où l'attendait son assise.

La première chanson fut écoutée avec le plus silencieux intérêt. Les coupes se remplissaient et se vidaient sans cesse et seul le tintement du cristal rajoutait des notes célestes à la musique rythmée. Quand la chanteuse se tut, quand la musique cessa, les mains applaudirent avec enthousiasme et la grande dame salua son publique d'exception avant de reprendre… mais cette fois-ci dans le bruit ambiant. Les rires résonnaient, les exclamations des hommes claquaient, certains couples de danseurs venaient prendre place au cœur de la salle pour tournoyer aux rythmes de la valse qui faisait à coup sûr tourner les têtes et quelquefois les cœurs l'espace d'une soirée.

Des jeux parfois innocents s'organisaient. Dans l'alcôve des Roses les jeunes gens avaient décidé de jouer à colin-maillard et une jeune fille qui se faisait appeler comtesse de la paix, les yeux bandés, riait en s'effondrant sur les coussins dans des envolés de jupons.

Des jeux plus coquins émoustillaient les Boutons d'or. Une jeune femme, surnommée la Duchesse Infirmière, avait caché sur elle un noyau d'olive et l'homme qui allait savoir dire avec exactitude où il était, allait obtenir le droit de lui enlever une de ses jarretières avec les dents. Ce fut le comte du Tigre qui eut cette chance et qui s'acquitta de sa tâche avec le plus grand bonheur.

Ainsi, selon où se posaient les yeux, on pouvait avoir l'impression de voir se jouer sur la même scène et en même temps des pièces de théâtre différentes. Ici on discutait en savourant un cigare, là on s'adonnait en toute franchise à la séduction, un peu à droite on riait aux éclats en faisant de l'humour, un peu plus loin encore on s'amusait avec l'innocence et la fraîcheur de l'enfance. Le mélange était hétéroclite, l'atmosphère était bruyante et enfumée, mais dans ce lieu, nul n'était jugé, quoi qu'il se passe entre ces murs. Tout était accepté du moment que la fête restait l'invitée d'honneur et sous leurs noms d'emprunt, le tout Paris affichait souvent un sourire lubrique en s'amusant d'actes qui ne l'étaient pas moins.

Les chansons se succédaient, les têtes tournaient. Après la java vint une valse et après cette dernière débuta un tango nonchalant, le champagne avait fait son office. Certains couples étaient réunis au milieu de la piste pour dépenser la fougue de leur tempérament dans cette danse combative aux accents si dangereusement érotiques. Les jupons volaient, les talons claquaient. Les muscles étaient tendus et les yeux se défiaient alors que les sourires tentaient d'envoûter. Le tout laissait une impression de corrida mythologique dans laquelle Io, la génisse, essayait désespérément d'échapper au Paon paré de tous ses atours après avoir failli contre son matador… La différence entre séduction et provocation était légère quand les cœurs et les esprits l'étaient aussi.

Les portes s'ouvrirent à nouveau et une dernière personne entra alors que beaucoup d'invités se figeaient. Elle avait été attendue par tous d'une certaine façon. Le silence se fit tandis que la musique s'arrêtait suivant l'impulsion première donnée par les danseurs. Les lèvres s'étirèrent et les visages des noctambules devinrent avenants pour répondre au dernier retardataire, le comte de Beaumont, qui leur offrait un sourire envoûtant.

« Je vous prie de pardonner mon retard… s'il vous plait, reprenez. »

La voix était douce, fine comme celle d'un jeune homme mais avec des intonations graves de femme fatale…

La voix était ensorcelante et appelait à l'obéissance, ne serait-ce que pour tirer des yeux de son propriétaire une lueur d'approbation…

La fête reprit alors que le chevalier se rendait dans l'alcôve des Roses…

Homme ? Femme ? Combien des invités se posèrent la question sur le passage du dernier retardataire ?

Tout dépendait des soirs et seuls ses anciens amants et maîtresses le savaient avec exactitude… mais pour avoir le bonheur de serrer le chevalier de Beaumont dans ses bras, il fallait promettre sur l'honneur d'à jamais se taire, car pour ses fêtes d'oubli cette personne là avait décidé d'incarner l'illustre Charles de Beaumont, plus connu sous le nom de chevalier d'Eon.

Ce soir-là il était en homme. Sa stature était frêle, quelques soient ses vêtements… une stature fine, fragile… Dans son costume entièrement blanc orné de fines broderies bleues il aurait pu ressembler à une icône virginale si quelques détails ne trahissaient pas l'impression. Sans y prêter réellement attention on apercevait des bagues de femmes sur quatre de ses doigts. On remarquait de même que sa perruque blanche de la même facture que celles des autres convives avait été sciemment décoiffée pour en laisser échapper de-ci de-là des mèches aériennes et tentatrices. A y regarder de plus près on découvrait des lèvres pleines rehaussées de touches carmines qui demandaient à être dévorées… des yeux d'un bleu limpide entourés d'un fin trait de crayon noir qui coupaient le souffle… A y regarder de plus près l'icône virginale devenait la représentation même de la beauté tentatrice et provocante de Lucifer en personne.

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Manon c'est la beauté, la radieuse jeunesse.

Manon c'est les romans, l'idéale maîtresse.

Manon, c'est une enfant échappée du couvent

Qui entre étourdiment dans la vie, hélas en dansant.

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Ici nul ne savait qui était réellement le chevalier d'Eon… De tout son être s'exhalait un parfum de secret, un parfum d'interdit que cet androgyne cultivait avec malice. Il ne répondait aux questions que par d'autres ou par des phrases mystérieuses, ingénues et provocantes à la fois selon que l'on pensait avoir à faire à un ange ou à un démon.

« Qui es-tu donc ? »

« Une image dans vos rêves… »

Son nom était inconnu, son prénom était inconnu… Il était apparu un jour avec la fraîcheur d'Aphrodite sortant des eaux et s'était dirigé, après un sourire qui charma tous les convives sur place, vers le Roi de la fête, le père du prince des fleurs à qui appartenait cette demeure.

« Alors qui dois-je introduire auprès de mes invités ? », avait demandé feu le Roi dans un sourire.

« Le chevalier d'Eon votre majesté. », avait été sa très remarquée réponse.

Le Roi était mort quelques mois plus tard et avait emmené dans sa tombe les convoitées identité et appartenance sexuelle du chevalier. C'était huit mois auparavant et seuls les cinq ou six partenaires sexuels que l'androgyne avaient eus depuis auraient pu dire avec certitude s'il était un homme… ou une femme… et beaucoup des convives présents auraient donné cher pour être dans le secret des Dieux… à commencer par le Prince des fleurs en personne.

Le comte de Beaumont s'était assis avec félinité sur un des larges fauteuils de cuir rouge après en avoir ôté l'habituelle rose qui l'attendait. Il commença la discussion avec naturel et amabilité, un regard doux et un sourire de fauve aux lèvres. Son visage était toujours ainsi, quelque soit la situation, quelque soit la discussion, quelque soit la personne face à lui… cette même expression à la fois angélique et prédatrice… Tant est si bien que si les soirées n'étaient pas vouées à la légèreté, les convives auraient pu… et auraient dû s'interroger… car nul ne pouvait être toujours à ce point égal… nul… sauf un maître en dissimulation.

Derrière le sourire…

Derrière le regard…

Son vrai visage.

Ainsi armé, juste d'un sourire, juste d'un regard, le chevalier d'Eon jouait à vivre comme tout un chacun, jouait à oublier encore plus que les autres ce que cette guerre lui avait pris.

Derrière le masque était le secret des Dieux.

Tetras était le dernier né d'une famille de quatre enfants. Madame de Sable, sa mère, et Monsieur de Sable, son père, avaient convolé en première noce dix ans avant sa naissance. Ils s'étaient rencontrés à l'Opéra et le jeune homme de bonne famille, professeur de lettres à la Sorbonne, était tombé sous le charme lyrique de la magnifique cantatrice.

Leur vie avait toujours été belle, mais dès ce jour ils apprirent le bonheur et ce fut tout naturellement qu'ils se marièrent et décidèrent de fonder une famille.

Le premier fruit de leur amour vit le jour sous les traits d'un enfant qu'ils nommèrent Consentin… Deux années plus tard naquit sa petite sœur, Deinde, suivit trois ans après par la petite dernière, Trinité. Ils décidèrent de s'arrêter là, pourtant, quand trois ans furent écoulés et qu'un autre enfant décida de voir le jour, ils trouvèrent les hasards du destin délicieux et accueillirent dans leur maison du bonheur le jeune Tetras.

Quand le dernier né fut un jeune enfant, sa mère lui expliqua la signification de son prénom, comme elle l'avait fait pour son frère et ses sœurs. Ses parents aimaient la musique, les poèmes, le théâtre et le latin. Tetrasticha était le mot latin pour définir une petite pièce de poésie en quatre vers, un quatrain… et il était le quatrième enfant. Il se rappelait toujours du sourire de sa mère quand elle lui avait raconté cette histoire, de ses doux yeux turquoises, de la même couleur que les siens, qui le caressaient du regard, de ses cheveux blonds vénitiens qui lui encadraient délicatement le visage, autant de feu que ceux de son père pouvaient être de pétrole, autant de feu que les siens étaient de soleil. Il se rappelait encore de la main de sa mère qui lui frôlait la joue sous le sourire bienveillant de monsieur de Sable…

« Tu es celui de nos enfants qui ressemble le plus à ta mère… Vous avez la même douceur, la même stature… », lui avait dit son père…

Sa plus grande sœur, Deinde,  l'appelait avec affection Quatre. Elle disait qu'ils étaient tous des numéros romancés, l'union de leurs parents pour Consentin, le Un, le second bonheur pour elle-même, la Deux, le lien qui unissait les enfants pour Trinité, la Trois et la poésie de la vie pour lui, le Quatre[Dlb1] …

Tetras en riait encore.

« Quatre ! Viens me voir s'il te plait ! »

« Consentin, ne fais pas comme ta sœur, n'appelle pas  tes frères et sœurs par des numéros je te prie. », répondait invariablement leur mère.

« Mais maman… Est-ce de ma faute si je préfère les mathématiques à la poésie ? »

Il avait vécu heureux dans la chaleur douce de l'affection des siens, même quand il était parti en pensionnat aux Etats-Unis. Tetras avait un rêve, il voulait être un acteur… mais pas n'importe lequel. Il voulait être un acteur Américain, un de ceux qui tournaient de grands films et étaient adulés par les foules. Son père était un homme de lettres, sa mère une chanteuse d'opéra alors son ambition fut perçue avec fierté et il partit donc à onze ans pour ce pays lointain afin d'apprendre dès le plus jeune âge à devenir le meilleur…

La guerre attendit son départ pour éclater. Il voulut revenir près des siens mais ses parents refusèrent. Il voulut qu'ils le rejoignent mais son père et son frère furent mobilisés et il devint très vite impossible pour sa famille de fuir la France.

« Pas sans papa et Consentin Tetras… Tu verras, tout se passera bien. »

Elle avait un sourire dans la voix alors il l'avait cru… Il l'avait sincèrement cru…

Son père fut démobilisé pour blessure en avril 1943… En Septembre ils réussirent à trouver le moyen de rallier les Etats-Unis pour rejoindre leur dernier né… Mais ils n'y arrivèrent jamais. Tetras avait quinze ans.

Il resta au pensionnat pendant deux ans. La guerre était finie et il avait obtenu son émancipation. Il revint donc en France où il put enfin faire enterrer symboliquement cinq cercueils vides sans prévenir qui que ce soit.

Il y avait juste lui dans la petite église… lui et un prêtre compatissant qui officiait… lui et ces cinq boîtes vides qui lui disaient que plus jamais il ne reverrait ses parents.

Il n'avait pas pleuré… il ne le pouvait plus. Il avait déjà tellement versé de larmes, tellement hurlé, que son âme était vide… vide de sens… comme cette cérémonie à ses yeux.

Il rencontra peu de temps après Monsieur Krushrenada, un illustre notaire parisien, qui lui donna la succession de ses parents… C'était lui qui lui avait appris que son frère n'était pas mort avec sa famille, mais qu'il était tombé pendant la guerre, un an auparavant… Ses parents n'avaient pas voulu l'affoler en le lui disant…

Ils se virent d'autres fois encore. Le vieil homme s'était pris d'affection pour ce jeune adulte de dix-sept ans… Tetras n'avait rien d'autre à faire mis à part vivre enfermé chez lui, dans ces murs qui lui rappelaient son bonheur… Rien d'autre à faire mis à part vivre enfermé dans sa douleur.

Le vieil homme s'occupait de lui et Tetras le câlinait pour le remercier… Rien de bien immoral… une caresse sur le torse, un baiser sur les commissures des lèvres, s'asseoir sur ses cuisses… L'homme était gêné… et comblé à la fois alors que Tetras apprenait que l'on pouvait difficilement lui résister.

Le notaire finit par lui apprendre qu'il donnait une réception par semaine… une réception particulière avait-il dit.

« Si tu veux venir mon enfant, tu seras le plus attendu de mes invités. La porte t'est ouverte… en grand. »

Il avait attendu ses dix-huit ans. Son anniversaire tombait le jour de la fête et Tetras avait fait la surprise à son Pygmalion de s'y rendre sans l'en informer en premier lieu.

Le chevalier d'Eon s'était imposé à lui avec naturel, il était à ce point androgyne !... Et il vit, dans le regard fiévreux de ces autres, qu'il n'était pas comme Marianne, pas comme les fleurs du Bengale… Il exhalait déjà le parfum, celui du mystère, de l'interdit et il se sentit pousser les épines[Dlb2] …

Et surtout…

Pour la première fois depuis si longtemps…

Tetras se sentit…

Vivre.

Et c'était bon…

Si bon…

Le reste de son existence resta dans son vide habituel, rythmée par les venues hésitantes et pleines de remords d'un vieil homme, de ce Roi de la fête, qui ne l'avait pourtant jamais touché, qui ne lui avait pourtant jamais rien demandé… sauf la dernière fois…

Une visite et le silence, seul enfermé dans ses murs de souvenirs doux comme la plus inconvenante des prisons.

Une visite et le silence, seul, sans vivre, juste en survivant… un bout de pain, un verre d'eau, une pomme, une toilette et un sommeil éreintant, empli de regrets… Il était mince oui… maigre, un peu… maladif, avec certitude… il était tout simplement mort à l'intérieur et la vie quitte ceux qui ne l'honorent pas.

Une visite et les préparatifs pour la fête, mettre le masque de la vie pour ressentir enfin, pour ressentir à nouveau, pour les charmer tous, pour que tous l'apprécient et l'entourent à nouveau de la douce chaleur de l'amour…

Puis…

Et surtout…

La danse…

Le tango…

Amour passionné…

Excessif…

Rage…

Colère…

Folie.

Là, le chevalier d'Eon oubliait, Tetras s'oubliait et s'enlisait désespérément dans cette corrida au sein de laquelle il n'était qu'un misérable taureau essayant de survivre au matador… le destin.

Le Roi de la fête était mort peu de temps après son entrée dans son monde et était venu rejoindre sa douleur, comme les autres. A sa dernière visite il lui avait dit :

« Pardonne-moi Tetras, je n'aurais jamais dû t'entraîner dans cette hérésie… »

Et le jeune homme avait ri.

« Qu'il est doux alors d'être hérétique. »

« Qu'il est doux de vivre, tout simplement. Je ne te l'ai pas montré. »

Le blond lui avait souri en murmurant que si.

« Non… la vie ce n'est pas cela… Promets moi Tetras, promets moi que tu ouvriras ton cœur pour vivre vraiment. »

Il avait bien dû le lui promettre pour le remercier de tout ce que le vieil homme avait fait pour lui…

Le Prince des fleurs avait pris la suite et les fêtes avaient continué.

Et le chevalier d'Eon dansait, dansait et dansait encore, qu'il soit homme, qu'il soit femme, en tentant d'éviter les bouches avides de ses courtisans.

Et Tetras cherchait sans trop d'envie, dans cette foule envieuse, celle qui lui permettrait de tenir sa promesse.

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Danse, danse Manon, le tango de folie

Qui t'attire et te prend et t'entraîne ravie.

Le tango qui te grise en te prenant ta vie.

Fragile papillon danse, danse belle Manon.

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A suivre avec le seconde partie : Les secrets merveilleux.


[Dlb1]Oui, je sais… Quatre est censé avoir 29 sœurs… mais ça fait un peu beaucoup pour UNE femme… Bref, il a trois frères et sœurs ici… C'est suffisant nan ?

[Dlb2] C'est d'Alfred de Musset, dans 'les caprices de Marianne' : « Vous êtes comme les roses du Bengale Marianne, sans épines et sans parfum. »