Bonjour à tous ! Me revoici avec un nouveau projet de fanfiction dans un Univers Alternatif, sur lequel je travaille depuis déjà plusieurs semaines. J'ai hésité à le publier jusqu'à maintenant, car je n'ai pas encore fini la première partie et que je n'aime pas vraiment avoir trop de projets à tenir à la fois. Cependant, je suis presque arrivée au bout de la première partie, donc je vous propose le prologue, en attendant la suite qui arrivera dans quelques temps.

Je tiens d'abord à vous prévenir : cette histoire est glauque. Je ne dis pas ça pour forcer le trait, non, cette histoire, de par son sujet, est glauque, violente, sanglante. Ne vous attendez pas à quelque chose de doux, positif, c'est un Univers Alternatif qui prend en compte une hypothèse, et comment je vais développer toute cette hypothèse. Si vous ne supportez pas les descriptions sanglantes, le style horrifique, ne lisez pas. Pour les autres, c'est la première fois que je tente ce genre d'histoires, donc je vais voir comment je vais m'en sortir.

Enfin, cette histoire est faite en partenariat avec Greengrin, qui s'occupera des illustrations. N'hésitez pas à faire un tour sur son deviantArt !

J'espère que cette fanfiction vous plaira, bonne lecture.

KILL IT WITH A PEN

THE HUMAN WHOSE NAME IS WRITTEN IN THIS NOTEBOOK SHALL DIE

ONCE DEAD, THEY NEVER COME BACK TO LIFE.

MAYBE.

« Il cria d'une voix forte : Lazare, sors !

Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d'un linge. »

- L'Evangile selon Saint-Jean, chapitre onze.

L'IMPLOSION

« La mort est aussi égale pour les humains que l'est un Triple Osseux contre Deux Crâneurs. »

- Vieux proverbe de l'Au-delà.

PROLOGUE

LA DERNIERE REGLE

Il était de ce monde et quand il parlait, pas un souffle ne sortait de sa bouche, et ses dents étaient des crocs qui souriaient sans émotion. L'odeur de son corps était celle de la cendre froide, et ses doigts étaient tendus vers les quatre petits os brillants au sol, contrastant avec la terre noire. Les Dieux n'étaient jamais souillés par ce qu'ils appelaient tout simplement «la Crasse », mais il arrivait parfois que cette petite poussière, plus grasse que de la suie, se perde dans le monde des Humains, et un malheureux, se trouvant là au mauvais moment, en aspire une minuscule trace dans l'air, avant de mourir tué par l'énergie. Cela ne dérangeait pas les Dieux qui en riant fixaient par le Gouffre les humains qui tombaient, car c'était le fameux Bonus de la Crasse, bingo, tous y gagnaient une petite année en plus.

- Hé, Dellidublly, tu veux jouer ou pas ?

Il se tourna et la sensation lourde du monde fit pression sur ses larges épaules. Il se demandait souvent combien de temps un humain –si jamais un humain pouvait passer la Barrière de Mu- pourrait survivre dans un tel lieu. Une seconde ? Peut-être un peu plus si jamais il avait eu l'idée de gonfler ses poumons à bloc, comme s'il plongeait dans une piscine. Sa pensée, aussi ridicule fut-elle, le fit glousser et son corps en eut un lent mouvement, les bandages de son corps flottant autour de lui.

Lorsqu'il riait, le bruit de son nez et sa bouche était proche de celui d'un animal, un « arf arf » qui aurait fait frissonner les plus courageux des humains. Dans son monde, son rire agaçait les autres. Il joua avec ses doigts, frottant ce qui aurait pu s'apparenter pour les humains l'index contre le pouce, comme s'il y avait de la Crasse sur sa peau, ou bien qu'il mimait le geste d'obtenir de l'argent. Pas d'argent dans l'Au-delà. Quand le Roi avait le dos tourné, et que Justin, plus las que d'habitude, fermait les yeux, les Dieux misaient les années qu'ils gagnaient. Tu veux tout miser sur un Quadruple Vertèbres ? Tu donnes quarante ans à celui qui gagne, tu vas chercher un humain par le Gouffre, et toutes ces années ne sont plus à toi.

Quand ils voulaient jouer d'un plus haut niveau encore, ils misaient les années qu'ils possédaient déjà. Le procédé était particulier, et l'honneur était mis en jeu. Les deux joueurs prenaient leur Cahier, en tiraient une page, puis traçaient chacun leur tour une signature avec un doigt maculé de Crasse. Donner des années était un acte intense, et les Dieux le sentaient passer dans leur corps. Logé tout au fond de leurs entrailles, ils visualisaient le récipient de vie neutre, le récipient qui se remplissait quand ils tuaient des humains. Tous savaient que ce récipient avait un trou minuscule, et que la vie coulait toute seule par cette fuite, comme pour les humains, en somme. Chacun imaginait son propre fluide en couleur différente, qui leur correspondait. L'échange était fait sans un mot, et le jeu recommençait. Ce pari n'était dangereux qu'au bout de la vingtième fois.

Un seul Dieu, nommé Gargo –mais qui fut plus tard rebaptisé Gargo Hullkibü par le Roi, le marquant ainsi à jamais par le nom de la honte, Hullkibü signifiant « Cerveau Visqueux », alla jouer jusqu'au quitte ou double et mourut quand il perdit pour la trentième fois. Deux Crâneurs contre un Triple Osseux de la part de Meadra, qui bien qu'elle ne jouait pas souvent, avait une chance extraordinaire. Il misa toutes les années qu'il avait gardées, puis celle qu'il possédait en ce moment même. Quand Nu apprit la nouvelle, en voyant le sable et la rouille qui composaient Gargo, son grand corps aux milliers d'yeux eut un grand frisson agacé, les yeux clignèrent en même temps et ce qu'il restait du Dieu Gargo fut renommé à jamais Gargo le Cerveau Visqueux. Tout cela avait eu lieu des millions d'années auparavant et plus aucun Dieu n'était assez stupide pour jouer à un tel niveau. Ils n'avaient pas forcément envie de se faire appeler Hullkisham – Débile Visqueux- ou encore Hullkizherk – un mot qui dans le monde des humains aurait trouvé un équivalent dans la formule « Sexe de limace », mais qui était difficilement traduisible même pour les Dieux, bien qu'il s'agissait d'un terrible affront physique-.

Dellidublly hésita une dernière fois puis haussa les épaules.

- Ces paris me fatiguent, et si on changeait ?

- Tu veux miser quoi ? demanda Dalil.

Elle le fixait, impatiente. Dellidublly avait beau aimer l'Os, il commençait exceptionnellement à s'en lasser. Il se sentait en ce moment –le temps n'existait pas vraiment, ni jour, ni nuit, ni des années, juste… le moment- un peu paresseux et était bien tenté de dormir. La Crasse était un peu tiède, parfaite pour s'y allonger.

- Allez, quoi, une petite partie, geignit Dalil et comme Dellidublly le prédit, elle secoua sa tête faisant ainsi bouger la longue tiare de perles fixées sur ses tempes.

Dalil aimait l'or et les pierres précieuses mais était d'un tempérament si peu curieux qu'elle ne pensait jamais à regarder par le Gouffre, puis à choisir les bijoux qu'elle désirait avant de les prendre. Cela ne l'intéressait pas. Les seuls bijoux qu'elle possédait étaient ceux des humains propriétaires des cahiers perdus dans le monde des vivants. Lorsque les Dieux revenaient, ils pensaient à elle et lui donnaient une bague, ou même un tout petit diamant, histoire de. Dalil jalousait Justin pour tous les joyaux incrustés dans son corps, et ce dernier la regardait en se moquant, pointant parfois un rubis sur sa joue, comme s'il demandait silencieusement à Dalil de lui faire la bise.

- Et si on le faisait en mode « petit os » ? On parie rien, on fait juste ça pour s'amuser.

Delibublly se mit à rire. Arf, arf, arf, comme un chien qui s'étoufferait.

- A quoi ça sert, Dalil ?

- Prépare ton jeu d'os, je le prépare aussi.

Un autre Dieu, nommé Gook, regardait le jeu en préparation. Quand les joueurs eurent finis, le Dieu sortit plusieurs os d'un vase ébréché et les disposa pour que les joueurs puissent davantage nourrir leur main.

- Je te fais un Double Vertèbre.

- Passe.

- Crâneur ?

- Métacarpe.

- Difficile, ça.

Le dernier os fut posé. Dellidublly sourit derrière ses bandages.

- Trois Iliaques avec bonus de cotyle pour moi.

Dalil, furieuse, fit bouger encore plus sa tiare. Elle rejeta son jeu sur le sol et les os s'entrechoquèrent.

- Triple Vertèbre. Quel jeu pourri. Bon, tu veux quoi ?

- Je n'ai jamais dit que je voulais miser quelque chose, rétorqua Dellidublly.

- A quoi ça sert de jouer si on parie rien du tout, répliqua aussitôt Dalil. Ne me prends pas pour une Naärk !

Être traité de Naärk était plus qu'une insulte, mais une réputation lancée par tous les autres et qui vous poursuivait pour l'éternité. Jealous avait été un Naärk avant de mourir –bêtement, mais c'était un Naärk, de toute façon-, Sidoh était un Naärk, et Ryuk, parfois, était traité de Naärk, tout cela dans son dos car il y avait chez lui le potentiel d'être plus fort que les autres. Tous le voyaient quand il parlait à Justin. Être un Naärk, c'était être un Idiot, dans le sens pur, total du terme. L'idiot du village, l'idiot de sa propre race, l'idiot de tout. Et on pouvait être un Naärk même au jeu. C'était le pire.

- Je ne t'insulte pas du tout, oh, calme-toi.

- Tu veux quoi, dix ans ? Quinze ?

- On peut miser autre chose ?

- Comme quoi ?

Les perles de Dalil étaient l'un des rares éclats des environs. Les tous petits os blancs du jeu brillaient toujours, des bijoux différents, mais toujours des lumières aux yeux de Dellidublly, les percevant au travers de ses bandages grâce au reste d'énergie humaine qui en émanait, tiède comme de la chair. La chaleur humaine était la chaleur d'un organe vivant, pulsant le sang, battant comme un cœur, à la texture humide et tous les Dieux la sentaient, plus forte, étouffante, quand ils passaient dans le monde des humains.

- Si on misait nos cahiers, lança-t-il sans penser.

- Nos cahiers ? T'es fou, c'est horrible !

- Je disais ça comme ça, tu sais. Oh et puis donne-moi cinq ans, ça me suffira largement, finit par dire Dellidublly d'un mouvement de la main.

Le flux de vie neutre dans son récipient était d'un vert qui rappelait la vase, mais fluide, douce comme la crème. Il pouvait la saisir dans son esprit, entre ses doigts invisibles, la brasser et y sentir toute l'odeur humaine qui s'en échappait pour ne laisser place qu'à la vie brute. La Vie n'avait pas de distinction. Ce n'était qu'un flux inodore, aux couleurs de celui qui la possédait, comme de l'eau pour les humains, ou les cahiers pour les Dieux. Le flux de Dalil était d'un bleu nuit, mais aux reflets plus clairs, comme de l'argent. Il crut voir Dalil toucher son flux dans son esprit, la connection se faisant naturellement entre eux, et la texture était plus lourde, comme de l'argile, et les traces de ses doigts s'effaçaient quelques secondes après leur passage.

- Cinq ans, alors ?

- Ouais, ça suffira, comme ça on pourra jouer une autre fois, murmura Dellidublly, concentré sur le mouvement d'encre et d'argent qu'il visualisait.

Les doigts de Dalil eurent un mouvement délicat, et la partie bleue de son flux passa ailleurs, disparut le temps que Dellidubbly la sente dans tout son corps. Il vit le bleu encre se figer, se liquéfier, foncer, changer de couleur pour devenir d'un vert semblable au reste de son récipient. Gagner de la vie en utilisant les flux était une émotion un peu trouble, réveillant ainsi les Dieux de leur ennui perpétuel. Tuer les humains ne leur procurait rien, ce qui expliquait pourquoi ils s'en désintéressaient. Si tuer les humains pouvait leur procurer une telle émotion, aussi fugitive, inexprimable fut-elle, les Dieux travailleraient davantage.

- Tu veux aller dormir, c'est ça ? Quel paresseux…

- Va embêter Justin, il te donnera peut-être un bout de son émeraude qui lui pointe au bout du nez.

Dalil le regarda et Dellidublly vit qu'elle y pensait à moitié puis, comme si son esprit dérivait, ses yeux se firent plus vagues. Elle releva la tête, fixant le ciel –ou le haut, il n'avait pas d'espace propre à l'Au-delà, le haut et le bas n'étaient différents que par le fait que l'un était sans Crasse, et l'autre si -.

- Tu entends ? fit-elle d'une voix lente, trop éteinte pour cela ait l'air normal, même pour un Dieu comme elle.

- Quoi ?

- Tu entends pas un bruit ?

Gook qui somnolait près d'eux eut un tressaillement. Les cornes de son crâne tout d'os –qui ne dégageait aucune énergie – se mirent à prendre une couleur légèrement plus rouge, comme si elles s'imprégnaient de sang. Dellidubbly observa son compagnon de jeu, surpris et même curieux. Les cornes de Gook avaient été utilisées par les humains quand le Dieu avait parié à d'autres qu'il irait sur Terre pour révéler son apparence. Il le fit de telle manière qu'il ne viola aucune règle, et les humains crurent qu'il s'agissait de Satan. Bien des siècles plus tard, Gook en riait et mimait de donner des coups de corne : « Mon nom veut seulement dire « Le Cornu joueur » mais il faut croire que les humains aiment me prendre pour une sale bête ! »

- Ah ouais, j'entends moi, marmonna-t-il et la fourrure qu'il portait eut comme un frisson.

Dalil se releva brusquement, et ses perles se balancèrent, brillantes comme des os. Dellidublly les regarda, et les trouva encore plus jolies, lui qui n'aimait pourtant pas les bijoux. Il baissa la tête, prit les os du jeu dans sa main. Il ne savait pas pourquoi mais l'énergie humain qui s'en dégageait lui semblait plus faible, moins pulsante. L'organe se desséchait.

Justin, non loin d'eux, daigna lever la tête, lui qui ne contemplait que la Crasse. Ses yeux composés de deux saphirs ne montraient rien et ses dents toutes d'or avaient un rictus perpétuel. Dellidublly garda les os dans sa main. Tous lisses comme des perles, et la chaleur s'estompait entre les bandages de sa paume. Il lui fallait serrer plus fort pour garder l'énergie. Et ce fut quand il crispa les doigts dessus qu'il entendit enfin ce que Dalil, Gook, Justin et les autres Dieux entendaient.

Ce n'était qu'un faible écho dans l'espace au-dessus d'eux, comme s'il y avait du vent. Pourtant le vent n'existait pas dans l'Au-delà. C'était un bruit qui portait doucement, comme un murmure, mais aucun des Dieux autour de lui ne parlait, n'émettait de sons. Même Meadra qui s'était assoupie était silencieuse, mains pliées sur la masse de son ventre qui faisait sa fierté –les Dieux basaient leur puissance sur leur aspect et Meadra imposait par son corps tout de graisse et de muscles contractés -. Le son s'amplifia, devint de plus en plus fort et Dellidublly entendit enfin une voix qui gémissait, une seule voix qui dans le silence pesant s'aventurait jusqu'à leurs oreilles. C'était une plainte étouffée mais qui, au fil des secondes –au fil du moment-, gagna en force, et se mua en un long cri qui ne s'arrêta pas, un cri d'une voix qui n'était pas en aucun celle d'un Dieu, ni même celle du Roi –la voix du Roi était si forte qu'il n'ouvrait que rarement la bouche, on la disait si puissante qu'elle pouvait toucher même les Dieux dans le monde des humains-. Le cri était sans aucun doute celui d'un autre être.

- D'où ça vient ? Là-haut ? demanda Dalil, très curieuse.

- Où ça, là-haut ?

- Armonia Justin, lança brusquement Kinddara qui venait tout juste de revenir. Tu devrais t'en occuper, non ?

Le Dieu ne la regarda même pas.

- Ah oui ? Si je devais me lever pour toutes les fois où vous croyez avoir besoin de moi, je porterai de la Crasse sous mes pieds pour l'éternité.

Kinddara émit un grondement menaçant. C'était une des rares femelles à posséder un caractère aussi violent. C'était elle qui se chargeait des morts atroces pour les humains. Quand elle était de mauvaise humeur – tout le temps-, elle regardait par le Gouffre, choisissait tous les conflits de portée internationale, piochait des humains dans le lot et leur décrivait une mort des plus horribles. Elle était d'ailleurs l'une des seules à faire preuve d'imagination quand elle écrivait les noms dans son cahier. « Guivelostain » était son surnom parmi les Dieux, qui signifiait dans leur langue la Crevasse Rouge, en raison de la crevasse lui barrant le crâne, mais aussi par moquerie car dire d'un Dieu qu'il avait une « Lostain », une crevasse, voulait dire qu'il était incroyablement stupide.

- Ne te fiche pas de moi, Justin. Tu es Armonia, tu es « la confiance du Roi » et ce qui se passe ici n'est pas normal.

Meadra qui s'était réveillée entretemps leva les yeux au ciel. Sa large bouche humide s'étira en une expression qu'aurait arborée un humain atteint de démence, mais qui passait pour un sourire relativement serein chez elle.

- Va appeler plutôt Mille Yeux au lieu de m'énerver. C'est elle qui se charge de ça.

Dellidublly gratta le bandage de son front, songeur. Le cri n'avait pas augmenté, mais continuait toujours, jusqu'à qu'il ne devienne plus qu'un son parmi d'autres. Dalil s'était rassise, presque déçue, et joua avec les perles de sa tiare. Gook s'était de nouveau assoupi et ses cornes avaient perdu de leur rouge, signifiant qu'il n'était plus du tout intéressé. Les Dieux retombaient dans leur torpeur.

- Justin, tu veux jouer avec moi ? demanda Meadra qui continuait toujours de sourire.

Le Dieu sourit de ses dents en or. Dellidublly pensa que si jamais Justin avait eu une langue, elle serait d'un tissu brodé d'autant de pierreries que son corps possédait déjà.

- Tu sais bien que j'ai tendance à miser beaucoup. Même avec ta chance, tu n'arriverais pas à me battre.

- Et sans miser ?

- Ce n'est pas drôle. J'ai bien envie de tabac, ajouta Justin d'une voix rêveuse.

Il se passa une main sur la mâchoire et le contact des pierres les unes contre les autres émettait un léger bruit de frottement et d'entrechoquement. Dalil, captivée, jalouse, le regardait. Dellidublly allait reposer les os sur le sol, prêt à les laisser pour d'autres joueurs quand il perçut dans sa paume la chaleur. Ou l'absence de chaleur.

Les os étaient devenus froids.

- Dalil ? Touche-les, s'il te plaît ?

Les os passèrent dans la main de Dalil qui eut un bref sursaut. Elle fixa les petits os, les fit rouler dans sa main, en éprouva le contact.

- Ils… Ils sont tous froids. Pourquoi ?

Justin qui avait suivi leur conversation eut un léger mouvement de la main, comme s'il se demandait si tout ce remue-ménage valait la peine de se lever de son fauteuil. Il décida d'opérer différemment et fit signe à Dalil de lui présenter les os. Kinddara était repartie, sans doute pour mordre un peu de Crasse avec ses crocs acérés qui ne lui servaient que pour impressionner.

- En effet, ils sont froids, répondit pensivement Justin, la main toujours tendue, les os roulant entre les joyaux, s'y accrochant parfois avant de retomber.

- Il faut appeler Nu, maintenant, dit Meadra, tapotant son gros ventre à la peau verte et jaune.

- Pour des os froids, pourquoi faire ? ricana Justin.

- Ca veut dire ce que ça veut dire, rétorqua Dalil. Pourquoi ils sont tous froids ?

- Les autres aussi le sont ?

- Oui.

Gook eut un vague sursaut et Dellidublly vit ses cornes s'épanouir d'une nouvelle vague de rouge, un rouge encore plus prononcé qu'avant. La fourrure de son corps était d'une blancheur terne, se mouvant sous les flux de son énergie.

- Satané bruit, grogna-t-il.

Les autres Dieux se figèrent. Trop occupés à parler, ils n'avaient pas entendu que ce son était devenu plus fort, encore plus fort qu'avant. Il était même d'une tonalité différente, plus aigue, et enfin une autre voix se fit entendre, un autre cri qui s'amplifia pour se transformer en un hurlement. La voix d'une femme, ou celle d'un enfant, Les Dieux ne savaient guère.

- D'où ça vient ? demanda Justin, vaguement agacé.

Meadra pointa un doigt vers l'Est, toujours vers le haut. Justin suivit son mouvement, et ses yeux eurent un reflet d'argent. Il aiguisait son regard, l'un des seuls capable de voir à travers toutes les couches de l'Au-delà. Nu le pouvait également et quand ses milliers d'yeux rouges devenaient argentés, les autres Dieux comprenaient qu'elle voyait plus loin encore, plus loin que le monde des humains, plus loin que leur propre univers.

« Nu » signifiait Infini.

- Alors Justin ?

Le Dieu sembla hésiter, passa de nouveau ses doigts sur sa mâchoire. Le bruit de frottement parut assourdissant, malgré les cris qui résonnaient à présent dans l'espace.

- On dirait… que ça vient de la Barrière de Mu.

Les Dieux, surpris, restèrent silencieux. Justin tendit son crâne vers le haut, et après un long moment, il fit ce qu'il faisait le plus rarement possible : il se mit debout. Il leva un bras surchargé de pierres et d'or et fit un mouvement, comme s'il coupait l'espace devant lui.

- Les âmes de Mu, dit-il et Dellidublly entendit de l'étonnement et même –était-ce possible ? - de l'angoisse. La Barrière est brisée.

- Quoi ? La Barrière de Mu ? répéta Dalil, abasourdie.

Gook se releva avec lenteur. Son énorme collier se balança dans le mouvement et ses cornes étaient si rouges qu'elles étaient entourées d'un halo glacial. Il chercha dans sa fourrure et attrapa son cahier, le feuilleta.

- Les pages… elles sont toutes blanches, lança-t-il enfin d'une voix monotone.

Dellidublly crut mal entendre mais à peine Gook prononça ces mots que tous les autres Dieux présents sortirent leur cahier, et le froissement du papier fut presque aussi intense que les cris. Des cris qui s'étaient multipliés et qui venaient de l'Est, comme l'avait vu Justin. Sur toutes les pages, où des noms étaient écrits depuis toujours, il ne restait que du vide, des pages blanches sans trace.

Justin, qui était resté silencieux, eut un vif mouvement. Ses dents en or claquèrent quand il parla, et ce furent les dernières paroles avant le chaos.

- Pas normal, Mu est disparu, le Néant est-

Il y eut une lumière qui traversa le haut, une lumière blanche, vive comme un éclair. Les Dieux eurent un mouvement de recul et les cris devinrent des hurlements, une clameur qui s'éleva, fit trembler la terre. De l'Est, la lumière se transforma en une ébauche de voile qui se mit à flotter, plus ce fut le tour d'un autre éclat. Justin se releva, ses yeux si brillants qu'ils produisaient deux faisceaux d'argent.

- Les âmes s'en vont, chuchota-t-il.

Et ils les virent. Minuscules, blanches, elles ressemblaient à des poussières emportées par un vent nouveau, projetées vers l'Ouest. Dellidublly n'avait pas la Vision, mais l'aurait-il eu qu'il aurait vu la Barrière aux bords rouges, l'ouverture de Mu et le flot d'âmes qui s'en échappait en hurlant. Justin le vit, Nu, loin d'eux, ouvrit ses mille yeux et le vit à son tour. Son propre cahier au sol, aux pages blanches, comme si rien n'avait jamais existé.

Justin se rassit dans son fauteuil, observant le spectacle des voiles blancs dans l'espace, appuyant sa mâchoire contre sa main où chaque phalange était décorée d'une minuscule émeraude.

- Cela a eu lieu, murmura-t-il à nouveau.

- Quoi ? dit un peu bêtement Dalil.

Justin ne se tourna pas vers elle. Son regard éblouissait tout.

- La dernière règle a été écrite. C'est la règle de trop.

Gook semblait déjà comprendre mais ne dit rien. Meadra tourna son énorme masse vers Justin.

- Il y a encore une règle ? demanda-t-elle, plus surprise qu'autre chose.

- Tu n'as pas l'air de comprendre, Meadra, répliqua Justin d'une voix étonnement douce.

Il tendit un doigt vers le flot continu des âmes.

- Nous avons toutes les règles. Toutes contraires à l'une ou l'autre, mais cela formait un équilibre. Nous avions un équilibre. La première règle équilibrait la dernière.

Il se tut. Les hurlements étaient si assourdissants que sa voix n'était plus qu'un murmure.

- On vient d'écrire une règle de trop.

- Quelle règle ? demanda Dellidublly.

Justin ne le regarda pas directement, habituant ses yeux à perdre la Vision.

- Tu crois que je le sais ? Je le sens, c'est tout. Il y a une contradiction majeure maintenant. La grande contradiction avec tout le reste. Avec nos cahiers. Réfléchissez enfin ! lança-t-il brusquement, ce qui fit sursauter les autres Dieux.

Il y eut un silence qui fut enfin brisé par Gook, s'endormant à nouveau.

- Les pages sont blanches car le cahier n'est plus.

- Le cahier n'est-

Et ils comprirent tous.