En se réveillant, il avait trouvé la place vide, à coté de lui. Le lit était froid, depuis plusieurs heures.
Il s'assit sur son lit, le regard perdu dans le vide. C'était l'heure de se lever, mais il n'en avait pas vraiment envie. Pas du tout d'ailleurs. C'était un de ces matins, où rien n'a d'odeur, où tout est incolore. Un de ces matins, ou l'on voudrait se rendormir, en espérant que tout aura reprit un air normal à son réveil, se réveiller en espérant ne plus se retrouver seul au petit matin.
Mais c'était impossible, il avait du travail, il n'avait pas le temps de se rendormir. Des papiers à remplir, des réunions importantes, un programme chargé en somme. La banque comptait sur lui. Mais il n'en avait pas envie, du tout. Même s'il savait bien que se rendormir ne ramènerait pas la présence dans son lit.
Il eut alors une pensée, pour son silencieux et fuyant ami, qui passait chaque midi, depuis deux mois, pour lui apporter son déjeuner, avant de repartir, sans avoir dit un mot. Cette pensée parvint à lui donner assez d'énergie pour se lever, et pour se préparer. Il allait le revoir aujourd'hui.
Finalement, le soleil brillait dehors, et se reflétait sur la neige toute fraîche de la nuit. Mais les couleurs du jour étaient encore fades, et pas assez intéressantes pour les observer. Lorsqu'il sortit de chez lui, il accrocha son habituel sourire charmeur sur ses lèvres, et se mit en marche. Son bureau était assez proche pour qu'il se permette de s'y rendre à pied, et il aimait, marcher dans la neige immaculée, et être le premier à y laisser son empreinte.
En se levant, ce matin, il avait prit une résolution. Il lui parlerait, mais réellement cette fois, pas comme la veille. Il ne se laisserai pas avoir par ses grands yeux bleus, et son visage enfantin, non, non, pas cette fois encore. Il lui parlerait, et il mettrait les choses au clair, pour de bon. Il en avait assez de vivre ainsi. En passant devant la bibliothèque, à deux rues de sa banque, il sentit son ventre se serrer. Etait-il déjà là, au travail ? Devait-il aller le saluer ? Il se tordit le cou, pour tenter de le voir, au travers d'une des multiples fenêtres, mais en vain. Tant pis, il devait accélérer le pas, ou il arriverait en retard, et il se ferait de nouveau enguirlander par son patron, ce n'était pas le moment.
Alors il entra dans la banque, et s'installa à son bureau, se laissant guider par la seule pensée de sa discussion à venir. C'est ainsi que sa matinée passa, lentement, trop lentement. Mais au moins, elle passa. A mesure que les minutes de l'horloge tournaient, il sentait son ventre se serrer. Il savait qu'il passait chaque jours à la même heure, parce qu'il aimait les habitudes, et la ponctualité. Il savait presque a quel exact moment les portes automatiques allaient s'ouvrir, pour le laisser entrer. Il savait presque exactement à quelle heure il allait tourner à droite, puis avancer tout droit, pour arriver devant la porte de son bureau. Il savait presque avec exactitude, quand il le verrait passer devant ses murs de verre, et quand il entendrait trois petits coups contre sa porte de chêne. Il se rendit compte que ses mains tremblaient. Il regarda l'horloge, elle marquait 11:57. Dans trois minutes, il franchirait l'entrée, et dans quatre minutes exactement, il irait lui ouvrir la porte. Mais il ne pouvait pas attendre quatre minutes. Il ne pouvait plus. D'un bond, il se leva, en poussant son fauteuil à roulettes en arrière, et il sortit précipitamment de son bureau. Était-ce lui, ou des tambours résonnaient au dehors, dans son propre crâne ? Son sang résonnait dans ses tempes, comme à chaque fois qu'il savait qu'il allait le voir, c'en était presque douloureux.
Il arriva sur le porche du bâtiment au moment même ou une chevelure blond pâle grimpait lentement les quelques marches avant la porte. C'était lui. Il s'arrêta juste en face de lui, et leva ses grands yeux pour le regarder fixement, l'air complètement indifférent, comme d'ordinaire. Un instant, il crut qu'il ne parviendrait pas à sortir un son. Puis, il réussit à prononcer la première chose qui lui passait par la tête.
-Lukas !
