Quatre chapitres pour cette fiction et je n'ai prévu aucune histoire d'amour, pas une seule course sur la plage la main dans la main au ralenti, pas le moindre petit bisou au coucher du soleil, rien…

L'histoire est narrée du point de vue d'Ino et les indications superfétatoires s'arrêtent ici.

Bonne lecture (enfin j'espère).


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Petite, j'aurais répondu que même si j'avais pu choisir je n'en aurais voulu aucun autre. Que m'importait le sharigan ou le kage no jutsu! Mon kekkei genkai me permettait de voler les pensées les plus intimes des autres, de découvrir ce qu'ils dissimulaient farouchement: qu'y aurait-il eu que j'eusse pu désirer davantage? Jadis, lorsque j'étais môme.

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J'ai appris tôt. Parce que le laps de temps où, en tant que Yamanaka, nous pouvons développer notre capacité est court. Quelques mois, parfois un an, ça varie un peu en fonction des individus.

L'initiation se fait toujours à un âge où peu d'entre nous en comprennent vraiment les enjeux. Mais nous connaissons déjà tous la signification du mot clan. Nous savons quel honneur nous ait fait. Entre deux ans et demi et trois ans, en général.

C'est le moment de l'existence où tous les humains apprennent à discerner leur moi : dire « je » pour ici et ailleurs c'est « les autres ». Avant, aucun de nous ne sait qu'il est un individu distinct, que sa conscience lui est propre et l'isole. Avant, personne ne sent l'espace irréductible qui sépare nos esprits. Même quand nos corps se touchent.

Avant, personne ne sait qu'il sera seul toute sa vie.

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C'est dans cet intervalle de temps-là, entre deux ans et demi et trois, qu'on apprend aux Yamanaka, depuis des générations, à malaxer leur chakra pour transférer leur esprit.

Si on dépasse ce délai, il y a ensuite un mécanisme de rejet. Il est alors intolérable pour l'individu de faire émerger sa conscience dans une autre personne, de faire sien ce qu'elle sent, son corps, ses désirs, ses émotions….

Banni. Autrui est à jamais un corps étranger pour un Yamanaka qui n'a pas éveillé à temps son kekkei genkai.

La possession de l'autre lui demeurera toujours interdite.

Il y a des années, alors que nous traversions une rue de Konoha, et que je tenais la main de mon père, trottinant pour suivre son pas de grande personne, il s'est soudainement arrêté: « Tu vois cette statue ? » Du doigt il désignait une petite silhouette grise qui ornait le portail d'une demeure du clan Akimichi. C'était un papillon dont le dessin délicat des ailes de pierre me ravit immédiatement.

« - Si tu voulais lui donner la forme d'un autre animal, par exemple celle d'un cerf, tu la casserais. »

Je n'ai pas répondu, je n'aimais guère le tour que prenait notre promenade. Baissant la tête, je me suis mise à chercher un moyen d'opérer la transformation sans abimer la statue et, par la même, de contredire mon père.

« -Tu la casserais, inévitablement. » répéta-t-il doucement. Il me souriait. « L'esprit est semblable : tu ne peux que le briser si tu lui imposes une nouvelle forme une fois que son "je" est apparu. »

J'ai mis très longtemps à admettre qu'il avait raison : je ne peux exiger des autres qu'ils se mettent à ce point à ma place. Seuls les quelques initiés de mon clan en sont capables.

«- Il n'y a de retour possible pour aucun d'entre nous une fois que nous avons commencé à définir les contours de notre personnalité ».

C'est pourquoi les Yamanaka ayant dépassé trois ans ne peuvent plus être éveillés à leur pouvoir.

« -Que se passe-t-il si on le fait quand même ?

- Je te l'ai dit Ino-chan, on brise leur esprit, ils deviennent fous…

- Alors il faut toujours le faire avant trois ans ?

- Non. Parfois, il ne faut pas le faire du tout. Ça dépend des enfants. »

C'est qu'à deux ans et demi, même guidé par des adultes, le risque n'est pas exactement nul. Devenir soi en apprenant en même temps à se mêler à autrui, à connaître la pensée qui lui traverse l'esprit comme si elle était la vôtre n'est pas chose aisée. La personnalité de quelques-uns de mes aïeux n'y a guère résisté : à ceux qui s'adressaient nommément à eux certains ne répondaient jamais. Ils ne savaient pas qui ils étaient. Ni vraiment combien ils étaient.

Pourtant, si gamine vous me l'aviez demandé je vous aurais répondu que je n'en aurais voulu aucun autre. De kekkei genkai.

Même si j'avais pu choisir.

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Après mon initiation, j'ai grandis vite. J'ai appris à lire les pensées de ma mère la nuit, pendant son sommeil, lorsque mon père était en mission. J'entrais discrètement dans sa chambre, m'allongeais sur le sol afin que mon corps ne tombe pas durant l'exécution de la technique. Je l'étudiais, j'apprenais les tours qu'elle avait joué aux adultes lorsqu'elle était fillette, les traits de sa propre mère à l'époque, ses soucis d'adolescente, ses premiers émois avec mon père...

Elle m'a surprise une fois, allongée par terre à ses pieds. Elle venait de se réveiller en sursaut et j'avais brutalement été ramenée à ma propre conscience. Avant même qu'elle ait pu me poser une question, je lui ai parlé d'un cauchemar et de ma peur de rester seule dans ma chambre. J'ai expliqué en pleurnichant mon désir de me rapprocher d'elle pour calmer mon effroi, sans pour autant oser la réveiller… J'avais six ans.

Je devenais futée.

Et menteuse.

Pendant sa sieste, je visitais parfois aussi l'esprit de mon grand-père. J'appris ainsi la façon dont le frère de mon père est mort durant la dernière grande guerre ninja. Et pour la première fois je sentis l'odeur du sang séché, la puanteur des cadavres après les combats.

Puis vint l'âge où je pu inviter mes amies à dormir chez moi et où je découvris, à travers leurs esprits assoupis, d'autres horizons que celui sous lequel j'avais grandi.

Le sommeil des autres constituait pour moi un moment merveilleux : en eux je pouvais tout explorer sans qu'ils en prennent conscience, ni ne s'en défendent.

J'étais prudente.

Je faisais semblant de peiner à l'entraînement pour maîtriser ma technique.

Pour ne pas être démasquée, je n'évoquais jamais de ce que j'avais appris durant leurs songes.

Rusée.

Je feignais la surprise en recevant mes cadeaux d'anniversaire.

Manipulatrice.

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Je n'avais qu'une règle. Jamais.

Non, jamais, je ne le faisais lorsque mon père était à proximité.

J'étais terrifiée à la seule idée qu'il découvre la façon dont j'utilisais mon attribut héréditaire.

Et, je vivais dans l'angoisse perpétuelle de le voir utiliser sa technique sur moi, une nuit, d'être ainsi démasquée et, bien entendu, terriblement punie.

Je me rends compte à présent que, comme tous les enfants, je projetais alors spontanément sur autrui ma propre façon de me comporter, le désir qui m'animait.

La punition que me laissait craindre la perspective que mon père apprenne la vérité me donnait des sueurs froides. Sans vraiment me le dire, je sentais que ce que je faisais relevait du domaine de l'interdit.

Je ne cessais pourtant pas. J'étais toujours plus curieuse, avide de ce que les autres pouvaient me dissimuler. Jadis, lorsque j'étais môme.

« - Ino-chan à quoi penses-tu ?

- Mmmh…

- Tu rêves à tes amoureux ? Si tu le faisais dans ton lit ? Il est l'heure d'aller dormir pour de bon.

- J'ai encore des trucs à faire. Et je n'ai plus six ans, papa.

- C'est dommage, tu étais plus obéissante à l'époque. »

Je crois que je rougis. Du coup, je grommèle et monte dans ma chambre. « Plus obéissante »…

Moi, qui vous aurais répondu que je n'en aurais voulu aucun autre.

A l'époque.