Auteur : Ariani Lee

Bêtalecture : Shangreela

Disclaimer : Les personnages présents dans cette histoire appartiennent aux Studios Square Enix. Il s'agit du prologue à l'adaptation d'un film (que je ne citerai pas histoire que si vous ne l'avez pas vu vous ne vous jetiez pas dessus, comme ça vous aurez des surprises !) Seul ce prologue m'appartient, c'est ma collaboration à l'histoire. Le reste appartient à Richard Donner. Vous saurez quel film c'est une fois le prologue terminé. Illustration de couverture : "KH2: Meet again" par Krayz4Aqua27, sur deviantART.

Pairing : AkuRoku

Résumé : En l'An de grâce 1389, le duc d'Anjou et son épouse périrent, emportés par la maladie, laissant derrière eux un fils unique âgé de dix ans. Roxas d'Anjou, en sa qualité de neveu du Roi et donc de prince du sang, fut confié par son royal parent à la garde de l'Evêque D'Aquila. Aquila était une citadelle connue tant pour ses fréquents congrès œcuméniques que pour ses geôles réputées inexpugnables. Il fut décidé que Roxas accompagnerait un convoi d'ecclésiastiques qui se rendait précisément à un de ces rassemblements. L'évêque dépêcha au devant du convoi une partie de sa garde avec à sa tête le fraîchement émoulu capitaine Axel Volange, alors âgé d'à peine dix-huit ans. Nul n'aurait pu deviner que ces sombres auspices allaient être le théâtre de la première rencontre de deux êtres que le destin et l'amour allaient lier à jamais, envers et contre tout…

Note : Joyeux Axel Day ! Je vous avais promis cette histoire depuis un moment déjà, mais je vous préviens que comme la priorité est à CDP, les updates ne seront sans pas réguliers.

Note Bis : IMPORTANT ! Si d'aventure vous reconnaissez le film dont il est question, ou que vous cherchez et trouvez, ne mettez pas le titre dans votre review ! Comme ça, ceux qui ne savent pas ne seront pas tentés de le regarder et, donc, ne se spoileront pas. Merci à tous !


LE PRINCE ET L'OISEAU

Prologue, première partie

Je voudrais tout te donner

Mais toi, pourquoi ne me dis-tu rien ?

Quel est-il, ton grand secret ?

Un secret d'homme, je le comprends bien

( "L'oiseau", Belle et Sébastien )


Le jeune capitaine tira sur les rênes de son cheval. Sa monture piaffait sous lui – rester debout comme ça, plantée immobile au milieu de la route, il n'y avait rien de pire pour elle. Il flatta l'encolure de la jument et lui murmura quelque chose à l'oreille. Elle sembla s'apaiser un peu.

- Ils sont en retard, constata une voix calme derrière lui.

Axel se retourna vers son second, une moue contrite sur le visage.

- Je sais, répondit-il. S'ils ne se hâtent pas, je finirai par ne plus pouvoir tenir Eléonore.

Les montures de ses compagnons semblaient s'impatienter, elles aussi. Voici une heure qu'ils attendaient, à présent. Après un moment, Axel laissa échapper un soupir excédé.

- Bon, je vais aller au devant d'eux, annonça-t-il. Restez là. Cirna, vous êtes en charge, si je ne suis pas revenu d'ici une demi-heure, vous irez chercher du renfort.

Son second, Saïx de Cirna, mit une main sur le cœur et s'inclina en selle. Le capitaine éperonna sa jument, et elle partit aussitôt, vive comme l'éclair, heureuse de pouvoir enfin dégourdir ses jambes raidies par l'immobilité. Ils filèrent le long de la route sur une demi-lieue avant qu'Axel n'aperçoive enfin ce qu'il cherchait : une colonne de chevaux qui avançait lentement vers lui. Bien trop lentement, à son goût, mais il ne semblait pas y avoir de problème pour autant. Hé quoi, ne pouvaient-ils donc pas aller un peu plus vite, tous ces culs-bénis !?

Il frémit un peu et secoua la tête. Les pensées de ce genre n'étaient pas particulièrement judicieuses… il ne put s'empêcher d'éprouver un vague soulagement en se disant qu'il était seul. Il évitait de se faire de telles réflexions en présence de l'Evêque. Qu'il eût été capable de lire dans les esprits n'aurait pas étonné le jeune capitaine. Il vous avait de ces yeux qui semblaient voir tout au fond des vôtres vos plus secrètes pensées, et une expression toujours impassible. Axel ne l'aimait guère, surtout parce que malgré sa droiture et sa valeur, dès qu'il croisait son regard, il avait l'impression d'être coupable de quelque chose sans jamais parvenir à savoir de quoi. Il évitait donc soigneusement de blasphémer en sa présence, et ce même par devers lui.

Il arriva à hauteur du convoi et fit demi-tour pour chevaucher au pas à côté du messager qui se trouvait en tête et qui, en dehors de l'enfant qu'on l'avait lui-même dépêché chercher, devait être le seul à ne pas être un homme d'Eglise, et le salua courtoisement. L'homme lui rendit la politesse et s'enquit de la raison de sa présence – bien que celle-ci fût évidente, songea le capitaine dont la tunique de cérémonie sortie pour l'occasion était tout de même frappées des Armes d'Aquila en plus de celles des Volange.

- Sa Sainteté m'envoie escorter son Altesse jusqu'à la Citadelle.

Le héraut hocha la tête et lui indiqua un des prêtres qui chevauchaient un peu plus loin derrière.

- C'est le père Ienzo qui est en charge du prince. Son Altesse se trouve juste derrière lui.

Axel le remercia d'un signe de tête et arrêta son cheval, se laissant dépasser par la procession jusqu'à ce que le prêtre qu'on lui avait désigné arrive à son tour. Il avait des cheveux gris ardoise, coupés ras, mais son visage était jeune et ses yeux avaient une couleur curieuse, un bleu clair tirant sur le lilas. Axel se porta à sa hauteur et lui remit la lettre qu'il avait reçue à cet effet. Pendant que l'ecclésiastique la lisait, le chevalier regarda l'enfant qui était assis sur le cheval derrière le sien.

Il était petit et trop mince. Ses cheveux, ternis par la poussière de la route, étaient blonds et ses yeux bleu marine. Ses traits étaient fins, délicats comme ceux d'une poupée, empreints de cette beauté que seuls possèdent les petits garçons. Il ressemblait à un ange, mais un ange à bout de forces. Sa peau était bien pâle et ses paupières semblaient peiner à rester ouvertes. Il avait les traits tirés comme jamais un enfant ne devrait les avoir, et ses vêtements noirs et stricts, loin de le vieillir, lui donnaient l'air d'être encore plus jeune qu'il ne l'était vraiment.

Axel éprouva pour lui un grand coup de cœur, compassion et attendrissement mêlés. En tant que soldat, il n'était guère habitué aux enfants et celui-ci semblait plongé dans la détresse la plus poignante. Il avait envie de lui prendre la main et de lui dire que c'était fini, qu'il était à l'abri, qu'il pouvait fermer les yeux et dormir jusqu'à ce que tout s'arrange.

Mais il se contenta de saluer l'enfant d'une voix douce, de lui dire son nom et qu'il était bientôt arrivé, qu'il était venu le chercher pour faire le reste du chemin. Le petit garçon posa sur lui son regard brumeux puis baissa la tête, les yeux apparemment fixés sur les mains d'Axel qui tenait les rênes d'Eléonore, mais sans paraître les voir. Puis ses paupières se fermèrent complètement et il bascula sur le côté, vidant les étriers, surprenant les cavaliers qui chevauchaient derrière lui mais ne purent que pousser des exclamations de désarroi. La route était trop étroite pour leur permettre de passer, et le père Ienzo était toujours plongé dans la lecture de la missive.

Axel rattrapa l'enfant avant qu'il ne tombe et il resta inerte, moitié assis sur son cheval, moitié dans ses bras. Le capitaine n'hésita guère. Il souleva le corps frêle – comme il était léger ! – laissant la monture du prince avancer seule, et l'installa devant lui sur sa propre jument, passant ses bras de part et d'autre pour tenir les rênes. Un léger brouhaha de voix s'éleva soudain, arrachant le prêtre à sa lecture.

- Que se passe-t-il ? Demanda-t-il d'une voix calme ou pointait néanmoins l'inquiétude en voyant l'enfant assis sur le cheval du capitaine.

Axel posa une main sur le front du garçon, puis dans son cou, avant de secouer la tête en remontant à la hauteur du jeune homme.

- Il est juste évanoui, répondit-il.

L'autre soupira d'un air accablé et secoua la tête.

- Pauvre enfant…, dit-il d'une voix pleine de compassion. Il est exténué…

Axel décida de chevaucher encore un instant avec la procession pour interroger le prêtre qui semblait être la personne la mieux renseignée à propos de toute cette situation. Il savait bien qu'une fois à Aquila, approcher le prince deviendrait sans doute impossible, et l'idée de s'en détourner tout simplement lui semblait i0d'une lâcheté mpardonnable.

- Qui êtes-vous ? Demanda Axel sur son ton le plus courtois. L'homme d'église tourna vers lui son visage étrangement juvénile. Le capitaine estima qu'il pouvait avoir deux ans de plus que lui, trois maximum.

- Père Ienzo Da Firenze monseigneur, pour vous servir. Je suis le confesseur de son Altesse, et son précepteur. Et vous-même ?

Axel bougea le menton et la tête de l'enfant roula au creux de son épaule. Il percevait le mouvement régulier de sa respiration contre son torse. Le jeune prêtre avait autant l'air d'être Italien qu'Axel ressemblait à un Perse, mais les hommes d'église avaient des façons de se nommer qui dépassaient son entendement, aussi ne releva-t-il pas.

- Axel Volange, capitaine de la Garde d'Aquila. Comme vous le signifie la missive que je vous ai remise, j'ai été dépêché par Sa Sainteté pour venir chercher le prince. Sans doute avait-il deviné que le convoi avancerait lentement.

Le père Ienzo acquiesça d'un signe de tête.

- Il est rompu de fatigue, dit-il d'une voix morne. Il a besoin de repos et de repères, puisse l'Evêque lui assurer cela, par la grâce de Dieu. Il est si jeune.

Et il se signa, l'air recueilli. Le jeune capitaine baissa les yeux sur son petitpassager. Assis de la sorte, la tête du prince reposait contre sa clavicule et il était si menu qu'Axel n'avait même pas besoin d'écarter les bras pour tenir les rênes. Il songea que le moine avait parfaitement raison. Il était si jeune… Endeuillé par une perte cruelle, subite et par trop prématurée puis arraché à tout ce qu'il avait toujours connu, jeté sur les routes pour un voyage beaucoup trop long vers l'inconnu, des jours de chevauchées interminables à travers une campagne morne et déserte avec pour seule compagnie une procession d'hommes d'église tous abîmés dans leurs réflexions… Pauvre enfant, rien d'étonnant à ce qu'il soit tombé d'épuisement. Comment était-il seulement possible qu'il n'ait pas fait le trajet en voiture ? C'était un prince, au nom de Ciel, un fils de duc… Axel avait envie de caresser ses cheveux et de le serrer dans ses bras mais il s'abstint. Là n'était pas sa place, des gens de cour se seraient déjà insurgés de voir le prince juché ainsi sur le cheval d'un soldat comme le fils du premier paysan venu…

- Je dois conduire son Altesse à Aquila au plus vite. M'accompagnez-vous ? Finit-il par demander au moine.

Celui-ci secoua la tête.

- Je dois demeurer avec le reste de la procession. Je me présenterai à sa Sainteté sitôt que nous serons arrivés.

Le jeune capitaine acquiesça d'un signe de tête, puis mit sa jument au trot.

Il eut tôt fait de dépasser le convoi et prit un peu de vitesse sur la route. Dans son giron, le prince dormait toujours, et même si Eléonore se montrait d'instinct précautionneuse pour ne pas réveiller le petit qui se reposait, il avait dans l'idée qu'il aurait pu la lancer au grand galop sans que le garçon ne remue une oreille. Il dormait de ce sommeil que seuls ont les enfants : profond et réparateur. Maintenant qu'il avait sombré, il dormirait jusqu'à ce qu'il ait fini de récupérer. Sa tête continuait de balloter doucement contre son torse, tous ses muscles complètement détendus.

Il rejoignit ses hommes et tous repartirent en direction de la Citadelle. Au petit trot, ils l'atteignirent en moins d'une quinzaine de minutes. Ils passèrent les portes et arrivés dans la grande cour pavée qui était le centre de la forteresse, il les congédia.

Avec mille précautions, il fit passer une des jambes de l'enfant par-dessus le dos du cheval pour l'y assoir en amazone, puis glissa un bras dans le creux de ses genoux et passa l'autre autour de ses épaules. Puis il passa sa propre jambe par-dessus l'épaule de la jument et se laissa glisser puis tomber au sol, fléchissant souplement les genoux pour amortir le choc. Le garçon n'émit qu'un léger soupir et ne bougea pas. Axel réprima un sourire attendri et, laissant pour une fois à un palefrenier le soin de ramener Eléonore aux écuries et de la bouchonner, il emporta l'enfant jusqu'au cabinet de l'Evêque.

Il eut cependant la désagréable surprise de se voir refouler à la porte. Le garde prétexta que sa Sainteté était retenue par des affaires plus urgentes et Axel se retint, lui, de demander ce que l'Evêque pouvait bien avoir de plus important à faire que d'accueillir un orphelin de sang royal qui élisait officiellement domicile dans la Citadelle pour plusieurs années. À la place, il demanda si on pouvait au moins lui indiquer où se trouvaient les appartements du prince et déclara qu'il resterait auprès de lui jusqu'à ce que l'Evêque désigne quelqu'un d'autre pour s'en charger, ou s'en occupe lui-même. On lui indiqua le premier étage, troisième porte à droite. Traçant mentalement et comme par réflexe le plan de la forteresse, Axel établit qu'il s'agissait de la chambre située juste au-dessus de l'armurerie. Arrivé devant la porte, l'enfant toujours profondément endormi dans ses bras, il joua du coude pour actionner le loquet, entra et referma derrière lui d'un léger coup de pied. Puis il regarda autour de lui et resta coi.

Il n'aurait jamais imaginé qu'il y avait ce genre d'appartements dans la Citadelle, à moins qu'ils n'aient été aménagés en prévision de l'arrivée du prince ? Le jeune capitaine disposait de sa propre chambre, dans les baraquements à l'extérieur. Il s'était plutôt attendu à une espèce de cellule monacale avec un surplus de confort…

Au lieu de quoi, l'endroit était assez spacieux, et douillet. Tapis et tapisseries couvraient le sol et les murs, cachant la pierre et troquant son aspect froid et triste contre une chaleur colorée. La pièce était tout en longueur et le fond était occupé par un immense lit en bois massif garni d'oreillers d'une blancheur éclatante et de fourrures. Devant, de lourds rideaux en gros velours bleu roi permettaient d'isoler le lit du reste de la pièce, créant une sorte de chambre. Ledit reste de pièce tenait à la fois du grand boudoir et du petit salon : une étagère chargée de livres était appuyée contre un des murs, à côté d'une bergère du même bleu que les rideaux. Il y avait aussi plusieurs guéridons, un bonheur du jour surmonté d'une glace, une série de placards en bois sombres probablement vides et, à moitié masqué derrière un paravent en soie peinte qui occupait un coin de la pièce, un ensemble de toilette en fer forgé et en faïence. Au-dessus du manteau de la cheminée était suspendu le plus massif des crucifix qu'Axel avait jamais vu en dehors d'une église ou d'une chapelle.

Axel traversa la pièce, monta la marche qui permettait d'accéder au lit – celui-ci se trouvait sur une partie du sol légèrement surélevée, un peu comme une estrade – et déposa l'enfant dessus. Aussitôt, ce dernier s'y roula en boule et ne bougea plus.

Le jeune capitaine se mordilla les lèvres quelques secondes, incertain, puis finalement se pencha pour déchausser l'enfant, lui ôtant ses bottes puis, après un autre instant d'hésitation, il se débattit un peu avec lui pour le dépouiller de sa veste noire qui, toute poudrée par les poussières de la chevauchée, était plus grise qu'autre chose. Après quelques instants de lutte – car le prince, maintenant qu'il était en boule, avait apparemment très envie de rester en boule même s'il ne se réveillait pas – il parvint à ses fins et laissa l'enfant sur le lit en pantalon et chemise, le tout rigoureusement noir. Il posa les chaussures au pied de la marche et abandonna la veste sur le sol d'une propreté parfaite – même l'âtre avait été nettoyé – juste le temps de tirer sur les couvertures pour en dégager une et couvrir le prince.

Ce dernier agrippa le bord doux et y crispa les doigts, rentrant davantage la tête dans les épaules et ne bougea plus. Seul trahissait sa présence le rythme régulier et paisible de sa respiration.

Axel ramassa la veste et alla à la fenêtre la secouer vivement, enlevant une partie de la poussière, puis la disposa sur le dossier d'une chaise.

Et se retrouva sans savoir quoi faire d'autre.

Alors il s'accouda à l'entablement de pierre et regarda dehors, respirant l'air frais. Il avait correctement estimé la localisation de la chambre : l'armurerie se trouvait juste en dessous.

Le jeune capitaine jeta un furtif coup d'œil vers le prince endormi et songea à ce qui l'attendait.

Dix ans, c'était bien jeune pour vivre dans un endroit pareil, surtout pour un enfant de sang royal qui avait grandi dans un monde de fêtes et de luxe et ne connaissait rien d'autre. Il tenta d'imaginer comment les choses allaient se passer et le vit très bien, six ou sept ans plus tard, passer cette fenêtre et se servir de l'armurerie comme d'un passage pour quitter la forteresse en cachette. Pour quoi faire ? Le pressentiment d'Axel n'allait pas jusque là mais il était néanmoins là, étonnamment net. Aquila n'était qu'un monastère doublé d'une prison. En aucun cas un endroit pour un prince. Qui avait bien pu avoir une idée pareille ?

Il s'écarta de la fenêtre pour retourner auprès du lit et, à nouveau, hésita avant d'oser faire ce dont il avait envie. Finalement, il s'assit sur le lit et remarqua que l'enfant gémissait doucement. Ses sourcils délicats se fronçaient légèrement, ses cils tressautaient un peu. Axel pouvait deviner le mouvement frénétique de ses yeux derrière ses paupières baissées, et sa voix plaintive, qu'il entendait à peine tant le bruit qu'il faisait était faible, était l'appel de détresse le plus poignant du monde. Axel en sentit son cœur se serrer.

Il avança une main hésitante. Il avait déjà largement outrepassé toutes les lois de la bienséance et de l'étiquette, un peu plus ou un peu moins… C'était un prince, mais c'était aussi, d'abord et avant tout, un enfant effrayé qui faisait un cauchemar. Un petit garçon seul et perdu dont personne ne semblait décidé à venir s'occuper. Alors Axel acheva son geste et caressa doucement les cheveux blonds.

Aussitôt, deux petites mains agrippèrent la sienne et s'y cramponnèrent avec une faiblesse désarmante. Le capitaine reploya doucement ses longs doigts autour de ceux du prince, ému. Il s'étonnait lui-même, il ne s'était jamais connu si sensible.

Le petit ne semblait pas apaisé pour autant. Alors Axel fit quelque chose qui ne lui était jamais arrivé, faute d'occasion. Il se racla la gorge et rechercha dans sa mémoire la berceuse que sa mère lui avait chanté pendant ses plus tendres années.

- Je connais les brumes claires, chanta-t-il d'une voix un peu trop grave pour le ton de la chanson, alors il essaya de monter un peu plus haut et y parvint plus ou moins.

La neige rose des matins d'hiver…

Je pourrais te retrouver

Le lièvre blanc qu'on ne voit jamais…

C'était un peu étrange d'écouter sa propre voix chanter cette chanson douce et apaisante. Il était plus habitué à s'entendre beugler des ordres et des cris au cœur de l'une ou l'autre bataille ou pour mettre bon ordre dans une rixe. Il n'avait pas coutume de chanter des berceuses à ses hommes, et il n'avait jamais eu à prendre soin d'un enfant. Cela marchait, ceci dit. Le visage du petit garçon semblait devenir plus lisse, sa respiration plus régulière. Axel laissa sa voix monter encore un peu.

Mais l'oiseau, l'oiseau s'est envolé

Et moi jamais je ne le retrouverai

Car j'ai vu l'oiseau voler

J'ai vu l'oiseau, je sais qu'il partait

Je l'ai entendu pleurer

Le bel oiseau que le vent chassait…

Il arrêta de chanter et sourit un peu. Le prince semblait tout à fait apaisé, à présent. Axel lui retira sa main et lui caressa les cheveux. Il resta comme ça un long, très long moment. Trop long, à son goût, car tout ce temps qu'il passait là, c'était du temps où l'enfant était en théorie laissé seul, puisque personne ne lui avait demandé de s'en occuper.

- Pauvre gosse, murmura-t-il en continuant de démêler la chevelure poussiéreuse.

Ce fut à cet instant, alors qu'il était dans cette chambre où il n'avait en principe rien à faire à veiller sur un prince orphelin dont personne ne semblait se soucier, qu'il décida que, dans la mesure que lui permettraient ses attributions, il s'en occuperait. Et si ce n'était pas possible, il garderait toujours un œil sur lui, même de loin. Ce n'était pas juste. Aucun enfant de cet âge et dans cette situation n'aurait dû se retrouver abandonné de la sorte. Il n'aurait pu se résoudre à simplement mettre ça dans un coin de sa tête et à l'oublier.

Finalement, quelqu'un entra dans la chambre. Aussitôt qu'il entendit des pas s'arrêter devant la porte, Axel se releva et alla s'adosser à une des colonnes torsadées qui soutenaient le ciel de lit et les rideaux. Il croisa les bras et regarda entrer la domestique comme s'il s'était trouvé là depuis le début à simplement monter la garde.

La servante était jeune et jolie. Il la connaissait bien, c'était une des filles qui descendaient parfois dans les casernements boire une pinte avec lui et ses hommes. C'était une jeune femme qui avait du caractère, même si elle travaillait avec autant de soin et de discrétion que la plus docile des lavandières.

- Bonjour, Aqua, dit-il.

- Capitaine ! S'étonna-t-elle. Je ne vous avais pas vu. Bonjour, que faites-vous ici ? Demanda-t-elle en déposant ce qu'elle transportait – un seau d'eau fumante.

Il descendit de l'estrade pour la rejoindre.

- J'étais mandé par l'évêque pour escorter le prince jusqu'ici puisque le moine qui l'accompagne devait s'entretenir avec lui dès son arrivée. Comme il n'y avait personne pour s'occuper de lui, je suis resté. Il s'est évanoui sur la route, je ne voulais pas qu'il se réveille ici tout seul. Il est déjà assez éprouvé et perdu comme ça.

Aqua haussa les sourcils.

- On vient juste de m'informer de son arrivée et de m'envoyer ici. Vous êtes là depuis longtemps ?

- Deux bonnes heures, je pense.

La jeune femme traversa la pièce et se pencha sur le lit. Aussitôt, son visage et son regard prirent une expression pleine de douceur et de tristesse.

- Pauvre ange…, murmura-t-elle en tirant doucement sur la couverture pour voir son visage. Merci de l'avoir couché, capitaine, il en avait bien besoin…

Axel grimaça.

- Entre nous, Aqua, pourrais-tu arrêter de me vouvoyer quand nous sommes seuls ? Et de me donner du « capitaine », aussi. On se connaît depuis des années, bien avant que je n'aie cette promotion…

Elle sourit. C'était vrai : lui et Aqua avaient bu et ri et parfois même un peu jouté ensemble longtemps avant qu'il ne devienne capitaine – discrètement car ce n'était pas bien vu pour une femme, mais elle savait manier l'épée et avait même un certain talent. Elle n'en finissait pas de demander à ce qu'on l'intègre à la garde. À l'époque il n'était qu'un simple soldat et ils se tutoyaient et s'appelaient par leurs prénoms. Axel n'aimait pas que les gens le traitent différemment à cause de son statut. Il n'avait pas changé.

- Si tu veux, répondit-elle finalement. Mais à une condition.

- Laquelle ? Demanda-t-il, bien qu'il sût déjà ce qu'elle allait dire.

- Promets-moi d'intervenir en ma faveur auprès de l'évêque si tu en as l'occasion.

Il soupira.

- Je t'ai déjà fait cette promesse quatre fois, Aqua. Sa Sainteté n'a pas daigné s'intéresser à la Garde une seule fois depuis que j'occupe ce poste. Je crains fort qu'il ne demande jamais à avoir une entrevue avec moi à moins que je ne commette un impair. Auquel cas je me verrais mal lui demander une faveur.

La jeune femme soupira et ramena son attention sur le prince, l'air déprimé.

- Je sais que tu as raison, admit-elle. Enfin, ça ne sert à rien de se morfondre, n'est-ce pas ? Je vais plutôt investir mon énergie dans quelque chose d'utile.

- Tu as besoin d'aide ? Proposa-t-il.

- Non. Je vais juste le laver un peu et lui mettre une chemise propre, ça sera mieux.

- Tu es préposée à t'en occuper à long terme ou c'est juste pour cette fois ?

- Ils n'ont rien dit mais je demanderai. Il me fait de la peine, j'ai envie de prendre soin de lui.

Elle se releva et alla verser un peu d'eau chaude dans la bassine en faïence. Elle ajouta de celle, froide, contenue dans le broc et recommença jusqu'à obtenir la température qu'elle souhaitait puis y trempa un linge propre.

- Tu ne penses pas qu'il vaudrait mieux le laisser dormir ?

- Pour ce que j'en pense, il dormira quoi qu'il en soit. Et s'il se réveille, il se rendormira après… Je crois qu'il ne risque pas de se lever dans les jours qui viennent…

Axel hocha la tête et prit congé. Il quitta la pièce comme à regret, et jeta un dernier coup d'œil au plumet gris-blond qui était tout ce qu'il pouvait voir du prince depuis la porte avant de la refermer derrière lui.

Avec des protecteurs comme Aqua et lui-même, peut-être s'en sortirait-il mieux qu'il ne l'avait d'abord pensé.