« — Cours ! Plus vite Clarke, cours ! Criait-il de sa voix rauque et fatiguée. »

Essoufflée, les joues rosies par le froid qui giflait sa peau, la dénommée Clarke courrait. Et quelle tâche ardue que de courir dans la neige de la montagne. Chaque hiver, la famille Griffin se rendait au Mont Blanc, en France pour s'amuser et passer un peu de temps en famille. Seulement cette année, tout était différent. En effet, non seulement pour la première fois Clarke avait piqué une crise à ses parents pour que Finn, son petit ami vienne avec eux ce qui avait été une cause de conflit et de multiples cris au sein de la petite famille habituellement unie mais en plus, ses parents ne lui adressaient presque plus la parole depuis, mis à part son père qui, quelques heures auparavant, avait recommencé à la taquiner comme il le faisait si bien. Clarke n'avait pourtant jamais été une petite fille très capricieuse, au contraire. Cette jolie petite blonde aux yeux d'un bleu aussi profond que l'océan était d'une nature très douce et empathique, ses parents l'ayant élevé avec certaines des valeurs qu'ils jugeaient comme les plus importantes comme l'honnêteté, le respect, l'entraide, le partage et tant d'autres choses. Si la fille Griffin devait pourtant se reconnaître un défaut, ce serait sûrement son fort tempérament et son attitude quand elle perdait son sang-froid. Le coeur sur la main, elle était très patiente seulement quiconque la connaissait plutôt bien savait qu'une fois qu'elle explosait réellement, il valait mieux ne pas se retrouver trop près d'elle au risque de subir les foudres de la jolie blonde qui pouvait se révéler redoutable malgré sa carrure qui pouvait facilement tromper les apparences. Elle n'était pas la plus populaire du lycée, mais elle n'était pas non plus la plus détestée. Au contraire, plutôt aimée en général, elle aimait beaucoup aider son prochain, les plus faibles, les plus opprimés et détesté des autres en général. Cela lui avait d'ailleurs souvent valu quelques ennuis comme cette fois ou elle avait protégé un garçon obèse contre des racailles qui l'avaient frappé. Clarke s'était interposée mais c'était sans compter ces garçons qui possédaient une arme blanche. Par chance, Finn n'était jamais loin quand il s'agissait de Clarke et de la protéger et l'avait en quelque sorte sauvé de ce bazar. Puis étaient venues les vacances. Et dès le début, elles avaient mal commencées, Clarke l'avait sentit. Et elles ne faisaient qu'empirer.

« — Allez Clarke, cours ! Tu peux le faire, rejoins l'abri sous la cabane !

— J'essaie ! »

Elle ne reconnaissait pas sa propre voix, elle était brisée, épuisée, cassée, à l'image de celle qui l'utilisait. Quelques larmes amères et salées glissèrent le long de ses joues, des larmes glacées qui, ajoutée au vent, lui giflaient le visage. Elle voyait la maison au loin et c'est d'ailleurs là qu'une vive lueur d'espoir se ranima en elle. Elle puisa alors dans ses dernières forces et porta tout ses efforts sur ses jambes déjà meurtries par le froid, sa course et les chutes occasionnées par la neige.

« — Tu y es presque, allez, encore un petit effort, tu vas y arriver. »

Encore ces cris derrière elle, ces cris qui l'encourageaient, qui la poussait dans ses retranchements, ces cris qui lui permettaient de tenir debout un tant soit peur encore. Puis soudain… Plus rien. Le vide, le néant, plus une parole, plus un son, à part sa propre respiration saccadée accompagnée par ses oreilles bourdonnant de ne plus entendre la voix masculine. Clarke n'osa pas se retourner de peur de voir quelque chose qui la briserait, la détruirait et c'est à ce moment là qu'elle traversa enfin les portes de sa maison hivernale. Comme il le lui avait dit, elle rejoignit l'abri en dessous non sans avoir pensé à récupérer sa peluche, Mr. Ous. Bien qu'on puisse penser qu'elle avait passé l'âge pour ce genre d'enfantillage, elle traînait Mr Ous partout avec elle depuis toujours. C'était son père qui lui avait offert cette peluche alors qu'elle commençait tout juste à parler. À cette époque-là, elle ne parvenait pas encore à dire « ours » ce pourquoi le mot « ous » était resté, depuis. Quoi qu'il en soit, elle n'attendit pas une seconde de plus pour s'enfermer à clé en bas. Ceci fait, elle s'assit lentement sur le lit, les larmes coulant à flot sur ses joues bien que son coeur, lui, ne ressente absolument rien. Elle n'avait pas mal, que ce soit physiquement ou mentalement. Elle ne souffrait pas, rien, et pourtant elle pleurait. C'est sans s'en rendre compte que la jeune blonde, épuisée, posa sa tête sur son oreiller et que ses paupières se fermèrent, Morphée venant tendrement la prendre dans ses bras pour un sommeil sans rêves ni cauchemars…

Quand Clarke rouvrit les yeux, elle ne comprit pas immédiatement ce qu'il s'était passé ni ou elle était. Pendant un instant, elle s'attendit à sentir l'odeur des pancakes et des œufs au plat accompagnée de la voix chaude de son père et celle douce de sa mère mais rien n'en fit. Puis les souvenirs revinrent à la surface et elle se rappela ce qu'il s'était passé. Et si de nouvelles larmes menacèrent de couler, elle ferma fort les yeux, inspira et expira doucement tâchant de se calmer. Elle ne pouvait pas se permettre de pleurer une nouvelle fois, non. Elle se devait d'être forte. Alors, une poignée de secondes ou de minutes plus tard, la plus jeune des Griffin se leva doucement du lit sur lequel elle était et tâtonna autour d'elle à la recherche de l'interrupteur de l'unique lampe de la pièce. Celle-ci allumée, Clarke regarda autour d'elle en poussant un soupir. Il n'y avait que très peu de vivres, ici. La pièce était composée d'un petit réfrigérateur, d'un lit, d'une petite table capable d'accueillir deux personnes au maximum et d'une porte qui amenait à une toute petite pièce où se trouvaient des toilettes et une douche tout juste assez grande pour une personne. De plus, une petite radio portable se trouvait sur la table et c'est vers celle-ci que Clarke se dirigea immédiatement, omettant volontairement les bruits sourds que son ventre produisait.

Ils avaient fait ramené cette radio des années auparavant, au cas où quelque chose dans le genre d'aujourd'hui se produirait, ce pourquoi elle n'avait pas besoin de réseau, juste d'une prise où la brancher. Ceci fait, c'est d'une main hésitant qu'elle alluma le poste, le réglant sur la chaîne de toutes les infos du monde. Par chance, elle tomba pile au bon moment sur les informations susceptibles de l'intéresser. Se doutant que ce ne serait sûrement pas facile à entendre, elle se rassit sur son lit, ses jambes déjà flageolantes et prêta enfin attention aux mots du présentateur qui allait lui redonner de l'espoir ou alors qui la détruirait complètement.

« — Flash infos. Mesdames et Messieurs bonsoir et merci de nous écouter pour les informations de 18h. À l'heure actuelle, nous nous trouvons au Mont Blanc ou s'est déroulée la tempête de neige la plus violente que le pays ait connu depuis de près de deux siècles. Dégâts humains et matériaux ne cessent d'augmenter à mesure que les autorités fouillent les lieux de ce que l'on pourrait qualifier de crime. Nous avons plusieurs intervenants dont Mr Westwood, chef de la brigade des pompiers des alentours. Mr Westwood, que pouvez-vous nous dire sur la situation actuelle jusque là ?

— De nombreuses victimes sont à déplorer ainsi que de nombreuses disparitions mais malheureusement très peu de survivants sont connus à l'heure actuelle. La tempête semble s'être enfin calmée après des heures et des heures de désastre mais nous recherchons toujours les personnes encore en vie ou les corps des victimes. Si quelqu'un était près de l'accident et entend ceci, montrez-vous, nous serons en capacité de vous aider.

— Merci Mr Westwood, nous vous contacterons plus tard si vous avez plus d'informations à nous donner. Nous avons avec nous un autre intervenant, commissaire de police qui à en sa possession la liste des personnes dont nous n'avons pour l'instant aucune nouvelle ou qui sont malheureusement décédées. Les membres des familles sont invités à rejoindre le poste de police ou ils seront accueillis par des psychologues et des policiers qui les prendront en charge. À vous Mr Thomas.

— A cet instant, les victimes ou disparus connus sont : Finn Collins, Jake, Abigail et Clarke Griffin, Jasmine et Alexandre Deanbright, Charlie Wilson, Tris et Anya Woods, Joseph, Suzanne, Vanessa et Lily Standers, Harry et Elodie Meyers, Joséphine Moore, Eléonore Dubois, Vanessa Hawtinks et enfin Mélanie et Jason Hall. Toutes nos condoléances aux familles de victimes et en espérant retrouver les disparus.

— Merci à vous Mr Thomas. C'est la fin de cette édition, nous reviendrons dans quelques heures avec de nouvelles informations. En attendant, restez fort. Merci à tous. »

La tête de Clarke bourdonnait. Elle voyait trouble, peinait à respirer, se sentait nauséeuse, fiévreuse, faible. Si elle était désolée pour toutes les victimes, quatre noms avaient retenu son attention. Le sien, celui de ses parents et celui de Finn. Où étaient-ils ? Étaient-ils… ? Non, la blonde ne préférait pas y penser, cette simple pensée lui serrant le coeur et ravivant les larmes dans ses yeux. Elle resta assise là, à contempler le sol pendant de très longues minutes, sans bouger, oubliant presque de respirer. Quand enfin elle retourna à la conscience c'est toute tremblante et peureuse qu'elle se leva, tel un automate et qu'elle déverrouilla avec précaution la porte de la pièce. Remontant lentement les escaliers qui menaient à la maison, elle pouvait aisément observer les dégâts. Il faisait d'abord un froid de canard et ce n'était pas surprenant quand on voyait que la neige avait envahie tout l'espace, détruisant tout les meubles, toutes les petits recoins de cette maison qu'elle chérissait depuis tant d'années. Quand son regard se posa dehors, elle sentit une nouvelle fois son coeur se serrer et ferma les yeux en se rappelant la voix de son père qui lui criait de courir, qui lui criait de se mettre à l'abri. Elle l'avait écouté mais aurait dû rester avec lui. Elle aurait dû se retourner, lui crier qu'elle l'aimait plus que tout, qu'ils se retrouvaient bientôt. Elle ne pouvait pas concevoir que son père soit mort, elle ne pouvait pas concevoir que ses dernières paroles pour son père aient été « J'essaie ! ». Elle ne pouvait pas concevoir qu'elle ne le reverrait jamais. Et sa mère, et Finn… Où étaient-ils ? Clarke ne croyait pas en Dieu, mais elle priait en cet instant n'importe quelle divinité que tous aient survécus, qu'ils ne soient que de simples disparus et non pas des cadavres.

Debout devant le perron de sa maison maintenant détruite, Clarke ne savait pas exactement ce qu'elle attendait, ni ce qu'elle faisait. Tout était encore flou autour d'elle, elle ne ressentait pas le froid, ni la soif, ni la faim, rien, elle se contentait de rester debout sans bouger. C'est peu de temps après qu'un homme qui semblait être un pompier courut vers elle et une fois face à elle, commença à lui crier des choses, mais elle n'entendait pas, n'était pas conscience de ce qu'il se passait. Elle n'eut pas le temps de dire ou faire quoi que ce soit que ce fut le trou noir. Le néant…

Des murmures, des bruits de machines et une vive lumière qui lui faisait mal aux yeux. Sa gorge aussi la piquait. Clarke, de nouveau consciente, papillonna des yeux avant de les refermer aussitôt. Par chance, une personne semblait avoir compris qu'elle n'était pas encore habituée à la lumière du jour puisqu'elle ferma les stores de la chambre dans laquelle elle se trouvait, une chambre d'hôpital sûrement, supposa la petite blonde. Elle rouvrit les yeux et put discerner la silhouette de sa mère qui lui souriait tendrement, des larmes dans les yeux pourtant. Quand Abby nota que sa fille était réveillée, elle accourut auprès d'elle, et la prit dans ses bras. Clarke répondit bien joyeusement à son étreinte, ayant plus que besoin de cette étreinte après tout les récents événements et quand elles se séparèrent, elle sentit les lèvres de sa mère sur son front ce qui réussit à apaiser légèrement son coeur.

« — Comment vas-tu, ma puce ? Tu m'as fais tellement peur..

— Ça va, maman. Je t'assure, ne t'inquiète pas pour moi.

— Bien sûr que je m'inquiète pour toi chérie, je suis ta mère.

— Je.. Et toi maman, tu vas bien, où étais-tu, j'ai entendu ton nom dans la liste des disparus et je..

— Calme-toi Clarke, je vais bien, je vais bien. Je m'étais réfugiée chez un inconnu qui m'avait ouvert sa maison le temps de la tempête..

— Et papa ? Et Finn… ? -demanda-t-elle enfin, ayant peur de la réponse à venir.-

— Je.. Chérie.. »

A cet instant, les yeux de la petite blonde se remplirent de larmes pour la centième fois de la journée au moins mais elle savait que si cette fois elle pleurait, elle ne pourrait plus s'arrêter, elle savait que si elle commençait, ça sonnerait l'arrêt de sa respiration, une fissure dans sa vie, un mal-être qui la suivrait longtemps. Elle supplia sa mère du regard de lui dire la vérité et elle fut apparemment assez convaincante puisqu'elle vit sa génitrice inspirer profondément avant de se lancer.

« — Finn à été retrouvé enseveli sous la neige. Il était trop tard chérie..

Clarke, la gorge nouée, ferma les yeux un instant puis hocha la tête, intimant à sa mère de poursuivre. En rouvrant les yeux, elle constata que les yeux de sa mère perlaient de larmes. C'est d'ailleurs d'une voix brisée que celle-ci reprit.

— Ton père.. Ton père à été empalé par un arbre en sauvant un petit garçon et une petite fille de la neige. Il est mort en héros… »

Brisée, c'est à ce moment-là que Abby Griffin mit sa main sur son visage et qu'elle s'effondra devant sa fille qui était elle-même déjà en pleurs, ne sachant comment surmonter ça. Son petit ami était mort. Son père était mort. Comment se remettre d'une telle tragédie ?

– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –– – – – – – – – – – – – – –

« — Clarke ? -entendait-elle au loin- Clarke, vous m'entendez, vous êtes avec moi ? »

Clarke secoua la tête, revenant au présent. Ses joues étaient mouillés, ses yeux rouges et gonflés et devant elle, une femme brune aux yeux verts qui la regardait avec une étincelle de pitié lui tendait un mouchoir. Il fallut un moment à la jeune femme pour se rappeler ou elle était, dans le bureau de la psychologue qui la suivait. Elle détestait voir la pitié dans le regard des gens seulement parce qu'elle avait perdu son père et celui qu'elle considérait auparavant comme l'amour de sa vie. Elle avait tout perdu. Tout, sauf sa mère qui se trouvait être enceinte. Elle allait avoir un petit frère ou une petite sœur qui n'aurait jamais la chance de connaître son papa. Elle-même n'aurait plus jamais l'occasion de voir son père.. Brisée, c'est une Clarke dénuée de toute émotion dans le regard qui attendit les prochains mots de sa psychologue.

« — C'est bien, vous avez été très forte, vous avez su restituer tout les éléments de l'incident survenu ce qui est un énorme pas en avant. C'est la première fois que votre mémoire se débloque ainsi. C'est une bonne chose pour nos séances, ça veut dire que vous commencez à accepter les choses, nous allons enfin pouvoir travailler sur tout ça et...

Fusillant du regard la psy face à elle, c'est une Clarke au teint blafard qui murmura quelques mots d'une voix froide, coupant l'adulte.

— Vous êtes… Vous vous trompez. Je n'accepterais jamais. Je n'oublierais jamais. Ça fera toujours aussi mal. Jamais je ne pourrais accepter ça.

La brune face à elle ignora superbement sa remarque et poursuivit.

— Pouvez-vous me dire quand tout ceci est arrivé, Clarke ?

Un blanc, une nouvelle lueur de douleur dans les yeux de la jeune fille, une douleur si puissante qu'une fille de 18 ans ne devrait jamais avoir à connaître.

— C'était il y a un mois. Tout ceci s'est passé il y a un mois. »

Une unique larme traversa la barrière des yeux de Clarke avant qu'elle ne se lève tel un automate et sorte de la pièce, aussi brisée que le mois dernier et aussi brisée qu'elle le serait le mois prochain.