Till Kingdom come

Chapitre 1

Winter is coming

– Hey, Donnie ! appela Michelangelo. Ça va commencer !

– Juste une minute, répondit Donatello depuis les profondeurs de sa chambre.

Raphael renifla, affalé dans le fauteuil, une bière à la main et la télécommande dans l'autre. Michelangelo guetta l'arrivée de son frère quelques secondes avant de se retourner vers l'écran, piochant au passage dans un saladier plein de pop-corn.

– S'il rate encore le début, on lui raconte pas ce qui se passe, décréta Michelangelo, la bouche pleine. Il nous a pourri l'épisode de la semaine dernière comme ça.

– Tu dis ça mais vous allez quand même passer toute la nuit à reparler de vos moments favoris, comme les sales fanboys que vous êtes, railla Raphael. Vous pouvez pas apprécier quelque chose en silence, tous les deux.

– C'est ça, être fan, répondit Michelangelo avec conviction.

Raphael noya son sourire moqueur dans une gorgée de bière. Parfois, ses deux geeks de frères s'enflammaient bien plus vite que lui. Donatello avait du mal à résister à l'appel de la technologie et il suffisait d'une bande dessinée ou d'une série télévisée pour distraire Michelangelo, même après toutes ces années. Pourtant, ils n'étaient plus aussi jeunes mais ça faisait partie du peu d'individualité qu'ils possédaient et chacun en prenait grand soin. Raphael glissa un coup d'œil vers la porte en bois cachée par un vieux rideau en velours pourpre et décida de ne pas penser à la personne qui occupait cette pièce. Il préférait ignorer les problèmes quand c'était possible. Il laissait avec plaisir la rumination à Donatello et Michelangelo.

Donatello arriva au petit trot vers les canapés défoncés qui encadraient la télévision, son ordinateur portable dans les mains, et s'installa dans le fauteuil à la gauche de Michelangelo, pas trop loin du pop-corn mais pas trop près non plus de son frère, au cas où. Raphael zappa.

– Hey ! s'indigna Michelangelo. Remets HBO !

– Ça va, j'en ai marre des pubs.

– Monte le son, demanda Donatello.

Raphael obéit sans poser de question. Si Donatello repérait quelque chose, il fallait y prêter attention.

« … seizième fois ce mois-ci que ce mystérieux justicier masqué vient au secours de simples gens dans les rues de New York... » annonçait la présentatrice des informations télévisées.

– Et on est que le 13, commenta Donatello. Bonne moyenne.

Il fait mieux que nous, c'est clair, ajouta Raphael pour lui-même en avalant une nouvelle gorgée de bière.

« … appelé le Singe Rouge par une communauté grandissante de fans... »

– Quel nom ridicule, marmonna Raphael.

– C'est parce qu'il porte un masque de singe rouge, expliqua Michelangelo.

– Sans déconner ?

Un regard de Donatello fit taire les moqueries de Raphael.

« … de nombreuses vidéos des interventions du Singe Rouge sont mises sur Internet grâce aux téléphones portables, ajoutant à sa popularité ... »

– Conseil aux superhéros novices : éviter les smartphones, grogna Raphael.

Cette fois-ci, Donatello manifesta son mécontentement par un regard plus appuyé et Raphael leva les yeux au plafond. La télévision diffusait justement une de ces vidéos amateurs, montrant un guignole de taille moyenne plutôt fin et élancé, habillé de noir et portant un masque de singe menaçant peint en rouge. Il avait des protections elles aussi rouges sur les tibias, les genoux, les avant-bras et les coudes, ainsi que des gants noirs. Son masque était d'origine asiatique et était fait pour impressionner, avec ses grands crocs luisant et sa lourde crinière blanche. Il devait mourir de chaud là-dessous, supposa Raphael. La vidéo tremblait beaucoup mais elle suivait plus ou moins le Singe Rouge rattrapant un type avec un sac à main qui ne lui appartenait manifestement pas.

– Regardez moi ces mouvements, souffla Donatello. Rapides, souples, précis... C'est un combattant de haut niveau, il n'y a pas de doute là-dessus.

– N'importe qui avec un peu d'entraînement peut latter des petits voleurs à la sauvette comme ça, rappela Raphael.

– Y'a un truc qui cloche chez lui, intervint Michelangelo en se penchant un peu vers la télévision. Vous trouvez pas ?

– La carrure et la taille correspondent à un adolescent, jugea Donatello. Mais il a l'air gêné par quelque chose sous sa veste. Peut-être une arme.

– Quelle bonne idée de laisser des gamins jouer avec des armes, commenta Raphael.

– Et nous ? rappela Michelangelo.

– On a été éduqué dans l'optique de devenir des armes, c'est très différent.

– Vous regardez les infos ? s'étonna Leonardo.

Il arrivait avec une tasse de café à la main, l'air un peu ailleurs. Leonardo s'installa dans un autre fauteuil, à droite de Raphael, alors que Michelangelo se jetait sur la télécommande et remettait HBO juste à temps pour le générique.

– Episode final de la saison trois du Trône de Fer, c'est parti !


Leonardo n'avait pas lésiné sur l'entraînement, une nuit de plus. Donatello sentait les muscles de ses jambes tirer agréablement alors qu'il marchait derrière ses frères à travers le dédale des égouts de New York. Il devrait faire des étirements avant de dormir, comme toujours, mais il échapperait cette fois au désinfectant et aux pansements. Leonardo avait soigneusement évité tout conflit, appliquant à la lettre le principe de discrétion des ninjas. Leonardo ne prenait pas beaucoup de risques depuis quelques temps, en tout cas pas assez au goût de Raphael qui bouillait d'envie de « se faire des Foots », selon son expression. Michelangelo aussi commençait à s'impatienter. Il aimait combattre, même s'il n'en donnait pas l'impression au premier abord.

Donatello n'était pas vraiment pressé de rencontrer leur prochain adversaire. Il n'aimait pas prendre des risques inutiles et les années lui avaient appris à s'économiser. Les courbatures ne le dérangeaient pas, il y était trop habitué pour s'en préoccuper, mais il ne courait pas après comme Raphael et Michelangelo. Et puis, honnêtement, il préférait rentrer tôt et sans douleur chez eux plutôt que de passer une nouvelle nuit promettant des hématomes et des coupures à gérer pendant des jours.

Leur petit chez eux était plongé dans le noir lorsqu'ils arrivèrent, à l'exception des veilleuses des appareils que ses frères n'avaient pas éteints – il leur avait pourtant dit de ne pas les laisser en veille mais est-ce qu'ils écoutaient ? non. Il n'y avait même pas de lumière sous la porte de maître Splinter.

– Qui a faim ? s'enquit Michelangelo en allumant les lumières.

– Bof, répondit Raphael.

– Et si je dis pizza ?

– Je passe mais je dirais pas non à une bière.

– Encore ? commenta Leonardo.

– Occupe-toi de tes fesses, ô puissant leader.

Raphael passa devant Leonardo sans même lui adresser un regard et s'engouffra dans la cuisine qu'ils avaient installée dans un creux de la salle de collecte d'eau usagée désaffectée qui leur servait de maison. Michelangelo fit la grimace avant de suivre son frère et Donatello soupira. Il n'avait pas envie d'entendre Raphael râler à propos de Leonardo mais il n'avait pas non plus envie de rester à supporter le silence tendu de ce côté-ci de la barrière. Donatello n'avait qu'un moyen pour éviter que la situation devienne vraiment déplaisante, un moyen qu'il n'aimait pas d'avantage : il devait parler de Splinter.

– Maître Splinter a mangé, avant qu'on parte ? demanda-t-il en calant son bâton contre le mur de briques.

Leonardo fixa encore la cuisine une seconde avant de reporter son attention sur Donatello. Il y avait de la fatigue dans son regard.

– Je lui ai posé un plateau, en tout cas, répondit Leonardo, mais il était à peine réveillé.

– Tu veux que j'aille le voir ?

– C'est bon, je vais le faire.

Donatello sentit une pointe d'agacement le titiller. C'était peut-être la fatigue qui parlait ou peut-être avait-il lui aussi besoin d'action pour se défouler mais, pour une fois, il répondit à son frère.

– Tu n'es pas obligé de tout prendre sur toi, tu sais ?

Donatello regretta aussitôt ses paroles et il se prépara à recevoir un mot bien senti ou un regard de travers. Pourtant, il vit les épaules de Leonardo s'affaisser et la lassitude l'envahir. C'était déroutant de voir Leonardo ainsi, voire dérangeant. Donatello se retrouva pris au dépourvu et il ne put que tapoter maladroitement l'épaule de son frère.

– Va te reposer, lui conseilla-t-il. Je vais veiller sur maître Splinter aujourd'hui.

Leonardo lança un nouveau regard vers la cuisine et Donatello comprit à quoi il pensait.

– C'est notre maître à tous, Leo, ajouta-t-il sur un ton réconfortant. Laisse à Mike et Raph l'occasion de le soutenir aussi. Ils en ont autant besoin que toi.

Leonardo renifla.

– Ils sont capables de s'occuper de maître Splinter, insista Donatello.

– Parfois, j'en doute, avoua Leonardo.

Donatello reçut cette confession comme un coup de poing. Il eut envie de frapper Leonardo en retour mais il se retint, prit une grande inspiration et donna une petite tape sur l'épaule de son frère.

– Tu as tort de douter, assura-t-il. Allons, au lit. Le poids de la charge te fait dire n'importe quoi, c'est signe qu'il faut passer le relai. Je veille, ne t'inquiète pas.

Leonardo hocha la tête sans grande conviction et traîna des pieds jusqu'à sa chambre. Donatello s'assura que son frère n'allait pas voir Splinter avant de faire un crochet par la cuisine. Michelangelo avalait avec enthousiasme une part de pizza froide tout en discutant avec Raphael, adossé au frigo, une bière à la main.

– Il reste du café ? demanda Donatello.

– A cette heure ? s'étonna Raphael.

Michelangelo n'attendit pas la réponse, la cafetière déjà en main et une tasse dans l'autre. Une fois remplie, la tasse fut mise au micro-onde et Michelangelo leva le pouce en signe de victoire.

– Merci, Mikey, sourit Donatello. Je vais veiller sur maître Splinter pendant que Leo ne repose et il serait de bon ton que je ne pique pas du nez.

– Oh ? Leo l'indestructible a accepté de te laisser t'approcher de son papa chéri ? railla Raphael.

Donatello sentit très nettement sa patience se briser mais il n'eut pas le temps de répondre, Michelangelo lui coupa la parole.

– Tu peux éviter de nous balancer tes seaux de testostérone en pleine tronche ? Non mais sérieusement, foutez vous sur la gueule et passez à autre chose. J'en ai raz le bol de votre pseudo rivalité à deux balles.

Raphael regarda son frère, sérieux comme la mort, droit dans les yeux pendant un instant puis posa sa bouteille de bière sur la table bancale de la cuisine. Il fit craquer ses phalanges.

– Tu comptes les points, Mikey ? nargua Raphael.

– Pas maintenant ! grogna Michelangelo. On est tous fatigué et ce n'est pas le moment, avec maître Splinter dans cet état.

– Ça va pas s'arranger, tu sais ?

Michelangelo accusa le coup et fut sauvé par le gong du micro-onde. Il se détourna pour attraper la tasse brûlante qu'il tendit à Donatello. Ils le savaient tous mais géraient l'inéluctable chacun à leur manière. Leonardo prenait tout sur lui. Raphael avait admit l'évidence. Michelangelo faisait comme si tout allait bien et Donatello essayait de ne pas y penser – mais comment ignorer la vieillesse ? Maître Splinter n'était plus lui-même depuis quelques mois, une année peut-être. Il était toujours fatigué alors qu'il passait ses journées à somnoler devant la télévision. Il ne participait plus aux entraînements ni aux repas. Il ne blaguait plus, ne les félicitait plus, ne les réconfortait plus, s'enfonçant dans l'incertitude que les souvenirs laissent en disparaissant. Certaines nuits, Splinter cauchemardait et hurlait le nom de son maître, Hamato Yoshi, revivant le jour maudit où ce grand homme avait disparu, abattu par le Shredder. Il fallait alors le convaincre qu'Oroku Saki était mort, qu'ils l'avaient vaincu et que Hamato Yoshi était vengé. Dans ces moments-là, ces moments où Splinter ne se souvenait même plus d'eux, ses fils, Donatello n'était que trop heureux de laisser le far d'eau à Leonardo, même si c'était lâche et ignoble de sa part. Il savait que Michelangelo s'enfonçait la tête sous ses oreillers pour ne pas entendre et que Raphael sortait dans les égouts pour évacuer sa colère.

Non, ça n'allait pas s'arranger.

– « La Nuit se regroupe, et voici que débute ma garde », récita Donatello.

Michelangelo sourit un peu et Raphael soupira en lâchant un commentaire sur ses geeks de frères.

– Je te remplacerai vers quatorze heures, ajouta Raphael. Et pas de contestation.

– J'ai dit à Leo...

– Leo peut aller se faire foutre, ça m'est bien égal.

Donatello n'insista pas plus et emporta avec lui sa tasse de café dans la chambre de Splinter.


Donatello n'était pas avec Splinter lorsque Leonardo ouvrit la porte de la chambre de leur maître. Le vieux rat dormait dans son fauteuil, une couverture posée sur lui, un plateau avec des biscuits et une tasse de thé, froid depuis longtemps, sur la petite table de chevet à côté de lui. Sa télévision était éteinte et on n'entendait que la respiration sifflante de Splinter. Leonardo referma sans bruit la porte et fit glisser le lourd rideau devant pour étouffer les bruits venant de l'extérieur. Il trouva Raphael affalé dans le canapé, un livre entre les mains, les restes de victuailles sur la table basse.

– Don pionce, informa Raphael avant que Leonardo ne pose ses questions. Mikey me remplacera vers minuit. Fais ce que tu veux cette nuit.

– C'est toi qui donnes les ordres, maintenant ? demanda Leonardo plus froidement qu'il ne l'aurait voulu.

– 'faut bien que quelqu'un s'en charge quand tu n'en es pas capable, répondit Raphael en tournant une page.

– Donatello...

– Don a horreur de prendre des responsabilités et tu le sais très bien.

– Il reste le plus intelligent d'entre nous, insista Leonardo.

– Le plus intelligent, pas le plus sage.

– Parce que tu te crois sage ?

Raphael ferma son livre et se redressa pour faire face à son frère.

– Non, je ne me crois pas sage, cracha-t-il, mais ça ne m'empêche pas d'épauler mes frères lorsque c'est nécessaire. Don et Mikey ont horreur des responsabilités. Quand tu dérailles, c'est à moi de gérer.

Leonardo serra les poings. Il n'avait pas déraillé. Au contraire, il avait fait ce à quoi Splinter l'avait préparé pendant des années : il avait pris les choses en main. C'était à lui que revenaient les décisions importantes. C'était à lui de maintenir leur famille unie. C'était à lui de ramener ses frères vivants chaque matin. Mais Raphael ne voyait que ce qui l'arrangeait, comme d'habitude. Il ignorait la pression, le poids de ces trois vies entre ses mains.

Leonardo inspira profondément, chassant la colère qui occultait son jugement. Desserrer la mâchoire ne fut pas chose aisée.

– Maître Splinter m'a formé à ces responsabilités, lâcha-t-il. C'est à moi de...

– Tu n'es pas Splinter, coupa Raphael. Tu peux faire les choses différemment.

– Il m'a appris...

– A être un bon petit soldat, rugit Raphael.

– Et j'ai mieux appris mes leçons que toi, manifestement.

– Tu veux vérifier ?

Raphael portait constamment ses sais, contrairement à Leonardo qui posait ses sabres dans l'armurerie en rentrant chaque matin. Même désarmé, il restait un bon combattant mais Raphael avait toujours été le meilleur lorsqu'il fallait en venir aux poings. En terme de puissance brute, Raphael le surpassait. Si Leonardo voulait l'avoir, il fallait jouer sur son contrôle. Le tempérament colérique de Raphael lui jouait souvent des tours et il n'avait jamais fait l'effort de travailler à la résolution de ce problème – ceci dit, Raphael ne le voyait pas comme un problème. Leonardo n'avait qu'à le faire sortir de ses gonds pour s'assurer une victoire facile.

– Leonardo !

La voix faible de Splinter filtra jusqu'au salon et Leonardo abandonna l'idée de remettre Raphael à sa place aussitôt. Cependant, Raphael le poussa sur le côté et se dirigea vers la chambre de Splinter.

– Je veille jusqu'à minuit, répéta-t-il. Profite de ton temps libre pour te reprendre.

– Je n'ai pas besoin de me reprendre.

– Alors lâche de la pression ! Démerde-toi, je veux pas savoir.

Raphael lâcha un regard noir à son frère avant de frapper à la porte de la chambre de leur maître.

– Splinter, c'est Raphael. Leo est parti prendre l'air.

Leonardo marcha d'un pas déterminé jusqu'à l'armurerie et attrapa ses sabres sans prêter attention à Michelangelo aiguisant des shurikens. Il sentit que son frère voulait lui dire quelque chose mais Michelangelo prenait rarement la parole juste après une dispute au sein de leur famille. Il attendrait que l'humeur se soit tassée pour tenter de recoller les morceaux. Pour le moment, c'était inutile.

Vidant son esprit, Leonardo sortit et se laissa guider par l'habitude pour se retrouver sur les toits de New York. La nuit était belle, autant que possible dans une ville. Le jaune et l'orange des lampadaires teintaient la nuit et donnaient un air surnaturel aux ombres des hautes tours de l'île de Manhattan. Ils n'allaient pas souvent là-bas. Il n'était pas facile de s'y déplacer car les rues étaient plus larges et les gratte-ciels très espacés par rapport aux immeubles de quelques étages du Bronx, du Queens ou de Brooklyn. Et puis la corruption de la société n'était pas la même dans les beaux quartiers. Quelques coups de poings ne résolvaient rien là-bas.

Leonardo jeta son dévolu sur le Queens et patrouilla sur les toits en surveillant les petites rues sombres. Il était encore tôt pour les New Yorkais et il n'y avait pas beaucoup d'activité mais Leonardo repéra quelques gamins essayant de voler des voitures ou des scooters. Il leur fit plus peur que de mal et son humeur s'améliora quelque peu.

Il devait être une ou deux heures du matin lorsque quelque chose de vraiment intéressant se produisit. Leonardo remarqua une demie douzaine d'hommes habillés en noir sur un toit d'un immeuble de deux étages, penchés au-dessus d'une verrière. A leur dégaine, il savait qu'ils étaient du clan des Foots. Des années à botter leurs fesses – et occasionnellement à se faire botter les fesses – lui avaient appris à les reconnaître au premier coup d'œil, même lorsqu'ils ne portaient pas leur bandeau frontal. Il y avait quelque chose dans leur attitude, une certaine assurance qui ne trompait pas.

Leonardo se rapprocha discrètement et observa quelques minutes ce qu'il se passait mais les ninjas ne faisaient que regarder par la verrière. Leonardo se demanda ce qu'il pouvait y avoir de si intéressant dans ce bâtiment. Ce n'était pas un entrepôt ni une entreprise. A sa connaissance, c'était une ancienne caserne de pompier désaffectée depuis des années. Il n'était pas venu dans le coin depuis longtemps alors il ne savait pas vraiment ce qui pouvait s'y passer mais six Foots ne posaient pas de problème.

Leonardo sortit des ombres sans bruit et personne ne releva la tête avant qu'il ne mette à terre son deuxième homme. Trois autres sautèrent aussitôt sur lui mais le quatrième ouvrit une fenêtre de la verrière et sauta dans le bâtiment, certainement pour appeler des renforts. Qu'ils viennent, pensa Leonardo. Il préférait laisser son corps prendre le contrôle plutôt que de penser.

Ses trois adversaires ne furent pas vraiment un problème. L'un d'eux réussit bien à s'approcher suffisamment pour s'offrir une opportunité de le toucher mais il était trop inexpérimenté pour saisir sa chance. Leonardo lui attrapa le bras et lui brisa le coude tout en le projetant sur ses petits camarades, déplaçant son poids vers l'arrière pour faciliter son retrait car la cavalerie arrivait. Il compta vingt Foots avant d'arrêter. C'était inutile de savoir combien ils étaient au-delà de dix. Ce qui comptait à présent était de les empêcher de se relever. Rapidité, précision, efficacité.

Numéro sept opposa un peu plus de résistance et frappa Leonardo dans l'épaule de son coude, le déséquilibrant suffisamment pour mettre numéro huit en confiance. Leonardo se laissa tomber au lieu de se reprendre et se redressa après une roulade, cisaillant quelques mollets de ses sabres au passage. Numéro huit manqua son coup mais numéro sept profita de la prédictibilité de la trajectoire de Leonardo pour lancer un shuriken qui se planta dans l'avant-bras de la tortue. En réponse, Leonardo trancha net le bras d'un Foot, comme si cela ne demandait aucun effort. Le sang gicla sur son visage – même blessé, servir le groupe en gênant l'ennemi. Les Foots n'avaient toujours pas appris leurs leçons de biologie, manifestement, et Leonardo ne se laissa pas attendrir. Il banda ses muscles pour éjecter le shuriken et sourit en voyant quelques Foots reculer. La peur était une arme comme une autre, pour un ninja.

Quelques minutes plus tard, alors que de nouveaux soldats arrivaient pour remplacer au fur et à mesure ceux que Leonardo abattait, l'un des Foots eut l'idée d'utiliser une arme à feu. Leonardo détestait les revolvers, il les trouvait éthiquement contestables mais maître Splinter leur avait souvent répété que l'arsenal d'un ninja devait sans cesse évoluer – Donatello le prenait d'ailleurs au mot avec ses gadgets et ses jouets. Cependant, les Tortures avaient décidé de ne pas utiliser d'armes à feu. C'était trop facile et, surtout, ça laissait trop de traces, le genre de traces qui intéressait les autorités.

Leonardo planta son sabre droit dans un Foot et attrapa un shuriken à sa ceinture dans la foulée, le lançant sur le Foot au pistolet. Il reprit son sabre sans se soucier plus que ça du shuriken ou du revolver, versant à nouveau le sang et quelques mètres d'intestins en plus. Une détonation retentit pourtant et Leonardo sentit le coup de l'impact dans son dos. Il fut déséquilibré et percuta un Foot qui s'accrocha désespérément à lui alors qu'il tombait par la verrière. Leonardo essaya de retrouver son équilibre mais il se prit les pieds dans un intestin vagabond et chuta à son tour.

D'une pirouette, il se libéra du poids mort du Foot et fut en position pour atterrir souplement. Il roula une fois au sol pour dissiper la force de la chute et adopta une position basse, tous les sens aux aguets. La lumière était presque aveuglante à l'intérieur mais Leonardo put distinguer une autre vingtaine de Foots autour de lui. Sa carapace avait beau être solide, elle n'en restait pas moins sensible d'une certaine façon et Leonardo pouvait sentir avec précision la position de la balle – juste entre deux plaques, pour arranger les choses. C'était douloureux mais rien qu'un esprit bien entraîné ne puisse surpasser.

Un Foot tomba à travers la verrière, bientôt suivi d'un deuxième puis d'un troisième. Il se passait quelque chose là-haut mais Leonardo avait d'autres Foots à fouetter. Il esquiva un coup, fit glisser sa lame gauche à l'intérieur d'une cuisse offerte – artère fémorale, hémorragie, moins un –, continua son mouvement ascendant pour intercepter du même sabre le fer d'une lance tandis que le bras droit ouvrait l'abdomen de l'assaillant. D'un saut en arrière, il se dégagea pour avoir le temps de décroiser ses sabres et faire face au prochain adversaire. Celui-ci était plus petit que ses camarades mais plus musclé et, chose intéressante, bien plus gradé que les autres. Il portait des poings américains hérissés de pics et Leonardo lui fit un petit sourire. S'il pensait qu'il lui laisserait l'opportunité de s'approcher suffisamment pour l'avoir, il se mettait le doigts dans l'œil jusqu'au coude.

Et soudainement, le jônin s'effondra, écrasé par le poids d'un éclair noir, rouge et blanc. Un lourd bâton de fer lui brisa les côtes et le nouvel arrivant laissa le jônin amortir sa chute. Leonardo le reconnut lorsqu'il se redressa, son masque rouge de singe furieux ne laissant de toute façon pas beaucoup de place à l'imagination.

– Je savais pas que c'était déjà la ComiCon, lança le Singe Rouge avec un sourire dans la voix.

Il esquiva une lame en se penchant en arrière, posa les mains au sol et tourna ses hanches pour frapper les deux Foots arrivant sur lui. Leonardo ne se posa pas plus de question. S'il devait affronter ce taré, il le ferait une fois les Foots à terre. Il trancha la jambe d'un ninja à sa gauche, enchaîna avec un cisaillement sur la droite, recula pour mieux sauter et passer par-dessus un Foot qu'il transperça de haut en bas avec chacun de ses sabres. Basculant sur ses pieds, il profita de son élan pour soulever le corps et le balancer à travers un autre soldat.

Leonardo avait l'habitude de combattre avec un utilisateur de bâton mais celui qu'utilisait le Singe Rouge était plus grand que celui de Donatello et manifestement plus lourd. Cependant, il le maniait avec aisance et n'avait pas besoin de plusieurs coups pour mettre à terre un homme. Il ne tuait pourtant aucun Foot et Leonardo n'était même pas sûr que les ninjas seraient estropiés. Amateur, pensa-t-il en tranchant la gorge de son adversaire. Le Singe le regarda faire mais ne s'interposa pas, se contentant des quelques Foots qui essayaient de percer sa défense.

Le dernier homme se prit les pieds dans un cadavre et Leonardo lui planta son sabre droit dans la poitrine alors qu'il tombait en arrière. Le Foot glissa lentement le long de la lame, cherchant à s'agripper à l'arme pour ralentir sa chute, mais Leonardo se fichait bien de ses gesticulations. Il avait déjà les yeux fixés sur le Singe Rouge, guettant le moindre signe hostile.

Le Singe Rouge frappa le sol de son bâton et celui-ci se décomposa en trois morceaux reliés par de petites chaînes. Il replia son arme avec la force de l'habitude et le glissa sous sa veste, dans son dos. Leonardo ne se relâcha pas pour autant.

– Il y a trois ans, lança le Singe Rouge en pointant Leonardo du doigt, l'un de vous a sauvé mon frère. Soyez en remercié.

– Je n'avais pas besoin de ton aide, répondit Leonardo, toujours en position.

– Je n'ai jamais considéré avoir de dette envers vous, rétorqua le Singe en penchant la tête sur le côté. On bosse gratuitement, après tout, non ?

– Tu vas te faire tuer si tu continues sur cette voie.

– C'est possible. Je peux aussi traverser la rue et me faire renverser par un connard.

Leonardo raffermit sa prise sur les manches de ses sabres que le sang rendait poisseux. Il détestait les types dans ce genre, trop sûr d'eux-mêmes. C'était les meilleurs pour tout faire foirer.

– Je me tiendrais tranquille un moment à ta place, conseilla Leonardo. Les Foots vont te chercher.

– Ils ne sauront même pas que j'étais ici. Après tout, tu vas finir ceux que j'ai épargnés, n'est-ce pas ?

Leonardo hocha la tête. Ne pas laisser de témoin. Les Foots savaient à quoi ils se frottaient en entrant dans le clan alors tant pis pour eux.

– Je vais faire gaffe mais ça ne m'inquiète pas plus que ça, dans ce cas.

– Et ça ne te dérange pas ? demanda Leonardo.

– De quoi ?

– Que je les tue.

– T'as l'air habitué, je te fais confiance.

Ce n'était pas de ça dont Leonardo parlait. Le Singe Rouge n'achevait pas ses adversaires mais il laissait quelqu'un d'autre les tuer sans s'offusquer ? C'était moralement douteux mais Leonardo en connaissait un rayon sur le moralement douteux. Il abaissa ses sabres et le Singe Rouge recula dans les ombres, disparaissant quelques instants plus tard par une fenêtre. Leonardo acheva les Foots survivants sans y penser et sa blessure par balle se rappela à lui. Il serra les dents, rangea ses sabres et prit le chemin de la maison. Il entendait déjà ses frères râler, qui pour avoir manqué les Foots, qui pour avoir du pain sur la planche avec cette balle salement incrustée. Un léger sourire effleurait les lèvres de Leonardo alors qu'il s'engouffrait dans les égouts de New York.