-Alors, prête ?
-Prête ?
-Oui.
-Tu veux dire prête comme dans « je suis prête à me jeter dans la cage aux lions ? »
-Je voyais plutôt quelque chose du genre « Je suis prête à tout exploser ce soir… »
Je triture encore plus le coin de ma chemise, déjà dans un stade de froissement bien avancé. Une main rassurante vient se poser sur mon épaule et me fait l'effet d'une douche froide. Je n'avais totalement réalisé ce que tout ça impliquerait, à croire qu je m'étais mise en veille ces trois dernières semaines. Non. Ca remonte à il y a bien plus longtemps que ça.
-De toutes façons arrête de t'inquiéter, tu as juste à traverser quelques mètres, sourire, applaudir, en 5 minutes top chrono c'est fini !
-Mouais … Tu dois avoir raison.
-Bien sûr que j'ai raison ! Allez, déstresses, je fais ça toutes les semaines et regarde, je suis toujours sur pieds !
Je le fixe, pas si convaincue qu'il le voudrait. Je soupire. C'est vrai, il a raison, je n'ai rien à faire sinon sourire aux caméras, applaudir, faire ce sur quoi nous nous sommes arrêtés et supporter les regards suspects de centaines de personnes. Sans oublier ceux qui regardent ça à la télé. Et les fanatiques qui vont me haïr d'apparaître au coté de leur héro. La boule dans mon ventre grossit encore. Le stress me dévore de l'intérieur. Mes mains tremblent. Il semble le remarquer puisqu'il les attrape et les serre dans une des siennes. Je lui adresse un sourire hésitant.
-Pourtant, tu avais l'air plutôt enthousiaste jusqu'à maintenant …
-C'est jusqu'à ce que je me retrouve dans un vestiaire alors que je n'y avais plus jamais remis les pieds depuis la fin du lycée en sachant que je vais certainement me faire huer par les centaines de personnes venues ici pour te voir TOI…
-Tu ne réponds pas à ma question…
-Tu n'as pas posé de question.
-Tu te décourages ?
-Non ! Bien sûr que non ! Je suis très exitée rien qu'à l'idée d'être ici. C'est justement ce qui me fait stresser comme ça …
-C'est compréhensible. Mais relax … Personne ne va te sauter dessus. Tu as déjà fait du théâtre non ?
-J'avais 7 ans !
-Bah, c'était il n'y a pas si longtemps. Tu n'as pas pris une ride.
J'attrape la première chose que je trouve en libérant vivement l'une de mes deux mains, et l'abat avec une fausse violence évidente sur son épaule. Il sourit, visiblement satisfait de m'avoir, l'espace d'un instant, fait oublier le stress. Mais aussitôt que je le remarque, mon enthousiasme de vengeance retombe et mon sourire disparaît.
-C'est comme marcher dans la rue. Quand tu marches, tu fais attention aux gens autour de toi ? Non. Ca t'est égal, tu les ignores. Tu n'as qu'à faire pareil là.
-Facile à dire.
-C'est ce que je me dis à chaque fois que j'entre dans la salle. Les deux premières secondes, tu stresses. Et puis, l'instant d'après, tu n'y penses plus…
Un caméraman passe sa tête à travers la porte et scrute les vestiaires, qui sont vides de la moindre âme qui vive, sinon lui et moi. Il nous fait un bref signe de tête respectueux, et lance « C'est bientôt à vous ! » La boule de mon ventre grossit encore. Elle entrave les poumons et me coupe le souffle. Il se lève d'un bond et me tire la main.
-Allez ! Tu vas voir, le trac disparaît dès que tu passes sous les projecteurs.
-Ou il augmente…
-Mystère …
Il ponctue sa phrase d'un sourire en coin. Ce même sourire en coin qui fait hurler la gente féminine dès qu'il apparaît en public. Je soupire.
-Le numéro du charme fou, ça ne marche plus avec moi ! Ne va pas essayer de me faire gober n'importe quoi avec ça !
-Tu es sûre que ça se marche plus ?
M'interroge-t-il en se rapprochant un peu plus, gonflant ses lèvres, de plus en plus, jusqu'à ce que je constate et lui fasse gentiment remarquer sa ressemblance frappante avec un poulpe ou quelque mollusque associé. Vexé, il se renfrogne et recule de la dizaine de centimètre qu'il avait gagné. J'éclate de rire. Mais rapidement, ma nervosité reprend le dessus. Lorsqu'il le remarque, il pose sa main sur mon épaule, avec compassion.
-Fais moi confiance. Et souris. C'est ton sourire qui a convaincu Vince, qui a convaincu la prod, alors crois moi, il devrait convaincre tous les spectateurs aussi …
-Je suis tentée de te prouver le contraire, mais je pense que tu m'en voudrais … Alors je vais essayer de te faire confiance.
-Très bon choix petite !
Lâche-t-il d'une voix bien plus grave et dramatique qu'à l'ordinaire, mimant un visage fermé et autoritaire. J'éclate nerveusement de rire, le moindre détaille semblant me provoquer des réactions à l'extrême. Nous traversons en silence les couloirs, les caméramans et autres membres du staff se décalant de quelques pas sur notre passage. Enfin, sur son passage. Je me fais minuscule derrière lui, collant au moindre de ses pas. Il salue plusieurs personnes, et échange une parole avec d'autres. Plus nous nos approchons, plus je distingue les hurlements des spectateurs par-dessus le brouhaha des couloirs. Nous croisons une figure qui m'est familière mais sur laquelle je suis incapable de mettre un nom tant mon esprit est embrouillé par le stress. Comment s'appelle-t-il déjà ? Il s'arrête près de nous et les deux hommes se serrent vigoureusement la main.
-Salut mec ! Tient, une tête inconnue !
-Finement observé. Voici Amy ! Amy, Ron.
Répond-t-il simplement en achevant ses présentations express d'un simple geste de la main. J'adresse un sourire hésitant à Ron, qui me répond par une poignée de main vive et chaleureuse, avant de glisser dans la conversation, d'un ton moqueur :
-J'en connais une qui doit être jalouse !
-Tssss…
Perdant le fil de la discussion, ne relevant même pas les allusions me visant particulièrement, je scrute les vêtements du nouvel arrivant, cherchant l'endroit où il a apposé son nom. Je déchiffre l'écriture sur sa jambe droite. R-Truth. Comment ai-je pu être aussi stupide pour oublier ? Je soupire en silence, affligée par mon manque de calme effarant. Sans m'en rendre compte, je me remets à triturer ma chemise. Lorsque sa main m'arrête et que je relève les yeux, Ron a disparu.
-Cinq minutes !
La voix masculine du membre de staff me fait sursauter. Nerveusement, je lâche le coin de ma chemise à l'agonie pour venir trituré une mèche de cheveux venant chatouiller mon épaule. Je sens son regard sévère me fixer, mais je m'accorde quelques secondes de répit avant de relever les yeux et d'affronter son regard noir.
-RE-LAX !
M'ordonne-t-il. J'hausse les sourcils, faussement outrée. Mais la dizaine de centimètre qu'il possède de plus que moi que ça soit en hauteur ou en carrure freine rapidement ma tentative d'air supérieur, et je me contente de lui grommeler une réponse positive en attrapant discrètement l'autre coin de ma chemise. Ce détail n'échappe pas à son regard affûté, et à peine ai-je commencé à entortiller le morceau de tissu autour de mes doigts que je sens mes pieds quitter le sol. Me retrouvant réduite à l'état de sac à patate, je martèle son dos à coups de poings.
-Repose moooooi !
-Quand tu arrêteras de stresser comme une folle !
-D'accord ! Je suis calme ! Je suis très calme !
Et très réactive aussi … Remarqué-je en cessant tout mouvement, me réduisant moi-même au simple état de poids mort sur ses épaules. Satisfait, il daigne me redéposer au sol.
-Mais je te préviens ! Si tu recommences à torturer ta chemise, je te ligote ! Elle n'a rien à t'avouer, alors laisse la tranquille ! Et je ne parle même pas de tes cheveux !
Rajoute-t-il alors qu'il vois que j'ouvre la bouche pour répliquer.
-Bon … Tu as gagné … Je vais essayer de me détendre un peu…
-Pourquoi, tu es stressée ?
La voix grave qui résonne dans mon dos m'arrache un monstrueux sursaut. Je me retourne prudemment et jette un coup d'œil dans mon dos. Deux personnes viennent d'arriver. Encore deux visages familiers. Sur lesquels je ne parviens toujours pas à mettre de nom. L'un deux m'adresse un sourire chaleureux. Kofi ! Kofi Kingston ! L'autre reste un trou noir dans ma tête. Le stress montant de plus en plus en sentant l'échéance de notre –peut être- entrée en scène arrivée. Discrètement, je cherche à déchiffrer ce qui est inscrit sur son tee-shirt. A mon grand damn apparaissent seulement trois lettres. Familière, certes. Mais malgré tous mes efforts, rien à faire, impossible de remettre un nom précis sur son visage.
-Elly, c'est bien ça ?
-Euuh, Amy, en réalité.
-Ah, excuse moi.
Je nie, surprise que quelqu'un ici connaisse mon nom alors que je n'ai jamais mis les pieds à un match de catch, et encore moins dans le backstage de l'arène en question.
-Amy, Bryan, Bryan, Amy, Amy Kofi, Kofi, Amy.
Byran ... Daniel Bryan ! Comment ai-je pu l'oublier lui aussi ? Relax. Relax. Tout va bien se passer. A cette simple pensée, la boule dans mon ventre grossit. Alors que les trois hommes entament la conversation, je perds à nouveau le fil de celle-ci, trop préoccupée par le tremblement qui gagne petit à petit mes genoux. Je me mords nerveusement la lèvre avant d'arrêter aussi sec, me rappelant les menaces qui m'avaient été faites quelques minutes auparavant et jette un regard discret pour vérifier qu'il n'a rien remarqué.
Les cris de la foule redoublent soudain, et un homme apparaît, brandissant une statuette dorée. Il s'arrête à coté de leur petit groupe, et entame la discussion avec les trois autres déjà présents. J'entends vaguement qu'ils parlent de moi, ou plutôt qu'il parle de moi, faisant les présentations. Je réponds d'un ton absent que je suis enchantée également, et sens ma main emportée par la poigne forte du nouvel arrivant. Mais mon esprit est d'ailleurs. Je reste omnubilée par les cris de la foule, dans la salle.
-Ca va mieux ? Demande soudain sa voix raussurante, lorsqu'il remarque que je semble ailleurs.
-Ouais…
Mentis-je, ignorant les appels désespérés de mon cerveau « tu vas mourir de stress Amy, fais gaffe ! ». Non, ça ne va pas mieux. Et ça n'ira pas mieux tant que cette boule de plomb qui croit dans mon ventre n'aura pas disparu. Mais il m'a emmené ici, m'a proposé de venir avec lui, alors je refuse de me permettre d'être égocentrique au point de me plaindre. Je le sens attraper ma main glacée et me faire une remarque sur la température de celle-ci. Mais je ne réponds pas. Je viens d'apercevoir le couloir débouchant sur la salle. Les lumières qui illuminent celui-ci jusqu'à une limite bien marquée. La voix d'une femme résonne dans la salle, couverte par les hurlements de la foule. Un homme lui répond. Annonce la liste des nominés. Je relève les yeux et cherche son regard. Lorsqu'il croise le mien, je lui souris.
-Bon. Tu te sens opérationnelle ?
-Eh ! Je ne suis pas ton pc !
Lâché-je, faussement outrée. Je lui décoche une claque sur le bras, qui le fait rire plus que souffrir. Le second nominé est … Je tremble. Mon rire devient nerveux. Je serre les dents. Il resserra l'étreinte de sa main envers la mienne, qui semble visiblement se refroidir rapidement. Mon regard, cherchant un point quelconque à fixer croise celui, rieur, de Kofi. Il sourit. Je tente de lui répondre, mais ma gorge n'émet aucun son, sinon un bruit sourd et indiscernable de l'enthousiasme quelque peu bruyant des troisième nominé est … J'inspire profondément. Je suis excitée et terrorisée à la fois. Levant des yeux stressés, je lui lâche :
-Ca devrait être Mélina à ma place…
-Mélina est très bien à la sienne. Et toi tu es très bien là.
-Elle va m'en vouloir.
-Si tu ne souris pas dans les trente secondes, oui certainement beaucoup…
Et enfin, le dernier nominé est … Un sceau d'eau froide semble se renverser sur ma tête. Je bouge légèrement mes bras et change de pied d'appui, chacun de mes membres commençant à être envahi par des fourmis.
-Et le slammy awards du °$£¤ moment de l'année est décerné à … JOHN MORRISON !
L'hystérie du public redouble. Leurs cris emplissent l'espace sonore, rapidement couverts par le riff de guitare du thème de Morrison. Il m'adresse immense sourire, et me crie.
-Allez ! En scène !
Je déchiffre péniblement ses paroles sur ses lèvres, statufiée. Et alors que je m'apprête à lui répondre, je sens ma main tirée en avant. Le reste de mon corps suit. Lorsque je passe le mur lumineux marquant la fin des coulisses et l'entrée dans la salle, le souffle me manque. A peine ai-je fais un pas en dehors que les lumières m'éblouissent. Les hurlements de la foule acclamant Morrison se font plus forts encore. Il avance à grands pas, un grand sourire aux lèvres, et je dois faire de véritables enjambées pour ne pas être à la traîne.
John fait quelques pas, puis s'arrête, et, dans un mémorable mouvement de cheveux, élance son bras en l'air, tirant le mien, ma main toujours serrée dans la sienne. Je souris, du plus beau sourire que je peux offrir à la lumière éblouissante qui arrive droit dans mes yeux et m'empêche de distinguer clairement autour de moi. Lorsqu'il rabaisse le bras et lâche ma main, je sautille à ses cotés. Il avait raison. Le stress disparaît au moment même où vous passez les projecteurs. Du reste, je constate que la pénible boule dans mon ventre à disparu. Me sentant d'un coup beaucoup plus légère, je m'agrippe au bras de mon ami qui rejoint à grands pas la tribune où l'applaudissent les deux présentateurs pour l'occasion. Satisfait de ce brusque changement d'humeur, il m'enserre de ses deux bras et je sens mes pieds quitter le sol.
-Tu vois, je te l'avais dit non ?
Crie-t-il à moitié dans mon oreille en tournoyant sur place. Lorsqu'il me repose, je vois les lumières virevolter dans les airs un instant, puis distingue enfin quelques détails de la salle. Elle s'avère soudainement encore plus grande que dans mes souvenirs de la matinée. Je joins mes applaudissements à ceux des deux présentateurs pour l'occasion, me plantant aux cotés d'un John tous sourires qui tente de trouver des mots sans réellement y parvenir. Offrant son plus beau sourire à la foule indiscernable de la lumière braquée sur lui qui nous éboulis, il attrape la statuette dorée qu'on lui tend, la tenant ferment ancrée dans une main, il lève les deux bras, attrapant ma main au passage. Lorsqu'il rabaisse à nouveau les bras, j'ai l'impression d'avoir plus d'oxygène dans mes poumons que je n'en ai jamais eu. C'est fou comme l'adrénaline, qui peut vous embrouiller l'esprit au possible, peut également vous rendre les idées claires.
