TRADUCTION du oneshot "The truth is", de Khatt.
Le Docteur et Rose sont contaminés par un virus qui les oblige à dire la vérité. Jusqu'où vont-ils devoir se dévoiler, avant de pouvoir s'en débarrasser ?
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EN VÉRITÉ
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La cité de Troie avait brûlé, dévastée par des saboteurs grecs introduits au cœur d'une fallacieuse offrande. Hector était mort, Achille était tombé et Priam gisait mourant. Tandis qu'Énée s'efforçait de soutenir son père, le rideau du théâtre retomba et le public applaudit debout, ébahi face à une telle performance. Les applaudissements roulaient d'un bout à l'autre de l'amphithéâtre pendant que les acteurs s'inclinaient chacun à leur tour pour saluer – l'éblouissante Hélène recevant les plus vives acclamations.
Rose s'était hissée sur la pointe des pieds pendant un moment pour mieux la voir : l'actrice était vert pâle et dépassait d'au moins deux têtes tout le reste de la troupe. Sous les applaudissements nourris, sa crête de plumes se dressa en réponse muette à l'admiration de la foule. Se penchant sur sa droite, Rose éleva la voix pour couvrir la clameur du public : « Pour moi, elle n'a pas très bonne mine ».
« Elle est magnifique si l'on s'en tient aux critères de beauté borvaniens », répondit le Docteur du même ton. « Tu vois cette bande noire sur son épine dorsale ? » demanda-t-il en indiquant du menton la scène. « Très rare. Très belle. Et ses plumes sont sans tache. Ce n'est pas très surprenant qu'ils l'aient choisie pour jouer Hélène ».
Rose acquiesça en plaisantant. « Oui, je vois le genre : la tête à crête qui a jeté en mer mille navires*… ou je ne sais pas ce qu'ils ont à la place des bateaux ».
« Des voiliers célestes borvaniens. Et ils utilisent un système à base six, alors c'est quatre mille trois cent quarante-quatre. »
« La tête à crête qui a jeté en mer… »
« Ici ils disent plutôt 'lancé' », l'interrompit le Docteur.
« Alors 'la tête à crête qui a lancé quatre mille trois cent quarante-quatre voiliers célestes borvaniens' ? Ça ne sonne pas très bien, non ?
« Très poétique ! » rayonna-t-il. « Ça roule facilement sous la langue et c'est si bien prononcé ! Nous devrions pouvoir t'avoir une audition pour la prochaine saison ».
« Merci ». Rose ne savait pas trop s'il était sérieux. « Alors comme ça, ils ont des langues ? » demanda-t-elle.
« Et bien… non. Non pas exactement. Tu vois… »
La foule sortait de l'amphithéâtre en file indienne. Les êtres verts et blancs aux longues jambes refluaient par des arches d'argent qui épelaient « sortie » en treize langues. Le circuit de traduction du Tardis leur afficha tout en anglais (bien que ce soit à chaque fois dans une police de caractères légèrement différente), ce qui donna l'impression à Rose que ces portes insistaient particulièrement pour être utilisées.
Elle sourit pour elle-même pendant que le Docteur continuait à jacasser sur la biologie bizarre des Borvaniens. La biologie bizarre des Borvaniens, se répétait-elle. Serait-il capable de le dire cinq fois très vite ? se demanda-t-elle en contemplant le Docteur expliquer avec animation. Je parie qu'il peut, décida-t-elle. Mais si ça se trouvait, on aurait du mal à l'arrêter ensuite…
Le Docteur décrivait toujours la race alien locale quand ils franchirent les portes de sortie. Les derniers retardataires du public leur adressèrent des regards préoccupés. Ils avaient fait un détour par l'arrière de la fosse d'orchestre où le Tardis était garé, et le Docteur poursuivait : « … ainsi quand l'air est compressé dans la chambre de résonance, cela fonctionne comme un larynx, et c'est la raison pour laquelle ils ont toutes ces petites sacoches sur eux, ce sont des pompes à air miniatures ».
Rose acquiesça, écoutant d'une oreille distraite tout en repensant au spectacle auquel ils venaient juste d'assister. Bien qu'elle n'ait eu qu'une connaissance très succincte d'Homère datant de ses dernières années d'école, Rose était certaine que ça s'était passé très différemment aujourd'hui. La voyante de cette pièce, était incapable de dire la moindre vérité. A chaque fois qu'elle parlait, ses mots étaient immédiatement méprisés tant ils étaient ridicules. Pas seulement dans le contexte de l'histoire – mais de tout le public également. Les gens pouffaient avec mépris à toutes les prédictions, toutes celles qui s'avéraient finalement justes.
« La princesse était vraiment la meilleure de toute la troupe », commenta Rose pendant qu'ils marchaient par-dessus les accessoires poussiéreux sous la scène. « J'avais lu cette histoire, et je savais que la cité tomberait, mais je continuais à ne pas la croire. Un sacré boulot d'actrice ».
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Le Docteur fit une pause, la clé du Tardis suspendue en l'air à mi-chemin de la serrure. « Oui, en fait, je me suis posé des questions là-dessus. Dans le mythe originel de Cassandre, elle avait subi la malédiction d'Apollon, condamnée à toujours dire la vérité sans jamais être crue. Tu imagines ? ». Il introduisit enfin sa clé, la tourna et tint la porte ouverte pendant que Rose entrait. « En réalité, elle a dû être infectée par un virus alien rapporté par les premiers éclaireurs lamasteeniens. Quoique très contagieux, il est plutôt inoffensif, mais ça devait être la seule à y être sensible, la pauvre petite. Figure-toi que son ragout de bœuf était un vrai chef d'œuvre ». Il grimpa les escaliers qui menaient à la console. « Une fois, nous avons diné dans le… Rose ? »
Rose s'était arrêtée au pied de la rampe, une main sur le chambranle de la porte pour se tenir. Son visage affichait une expectative inquiète.
Le Docteur essaya de décrypter son expression « Est-ce que… tu es sur le point d'éternuer ? »
Rose regarda de côté, puis de nouveau vers lui. « Je n'en sais rien. Je ressens… quelque chose ».
« O… kay. Tu peux préciser ? » Il redescendit la rampe, sortant un stéthoscope de sa poche.
Rose fronça le nez. « En vérité, je crois que j'ai détesté la pièce » laissa-t-elle échapper.
Le Docteur se figea à mi-parcours. « Mais tu adores la mythologie grecque ».
L'expression blessée qu'il arborait toucha la corde sensible de Rose. « Oui, c'est vrai. Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça », répondit-elle en secouant la tête. « Je veux dire, j'ai aimé mais je ne pensais pas que ce serait le cas » précisa-t-elle en remontant un peu la rampe pour venir toucher le bras du Docteur en guise d'excuse. « Cette sensation bizarre est partie, je vais bien maintenant. Docteur ? » Comme il ne répondait rien, elle avait posé la main sur son épaule. Il dévala la rampe pour se ruer par les portes du Tardis. « Excuses non acceptées apparemment » renifla-t-elle.
En ressortant du Tardis, Rose vit du coin de l'œil le Docteur revenir aux escaliers et tirer son sonique de sa poche. Elle l'entendit l'activer et l'objet émit des trilles par courtes salves qui se répétaient par intervalles à l'intérieur du théâtre. Lorsqu'elle atteint l'auditorium lui-même, elle épia le Docteur en train de scanner les dernières sorties restantes. Son air de plus en plus préoccupé était manifeste quand il se retourna vers elle.
« Quelque chose ne va pas ? » demanda-t-elle alors qu'elle ne décelait aucun danger évident.
« En vérité… ». Le Docteur prit une profonde inspiration, se préparant sans doute pour une longue explication exhaustive. « … nous avons été infectés par une maladie extraterrestre qui se transmet d'une personne à une autre par le biais d'une affirmation vraie mais incroyable, que le théâtre utilise pour mettre l'accent sur la détresse de Cassandre, en lui conférant à n'en pas douter d'excellentes critiques sur sa performance, et que nous n'avons maintenant aucun moyen de guérir parce que tout le monde est parti et qu'ils ont coupé l'immunisation des portes de sortie ». Il reprit son souffle.
« Attends… Quoi ? ».
« Cassandre, tu te souviens ? ». Le Docteur agita la main en signe d'encouragement.
« Oui, personne ne la croyait mais elle avait raison depuis le début ».
« C'est ça ! Mais même si tu connaissais l'histoire, malgré tout tu ne la croyais toujours pas » insista-t-il pour elle.
« Et ça, c'était vraiment bizarre ». Un drôle de fourmillement grandissait dans le subconscient de Rose, presque comme un besoin mental de tousser.
« Ils contaminent le public avec une sorte de maladie de l'incrédulité, exactement comme pour la vraie Cassandre, et puis ils le guérissent quand il utilise les sorties ».
La sensation étrange grandissait et Rose ressentit un besoin incontrôlable de parler. Elle parvint à le réprimer en se contentant de hocher la tête pour confirmer.
« Mais nous n'avons pas pris les sorties. Alors nous voilà coincés avec, à nous asséner continuellement des vérités incroyables, jusqu'à ce que nous puissions le repasser à quelqu'un d'autre ». Le Docteur s'arrachait les cheveux de frustration, et ils restèrent dressés en l'air tout de travers. « Nous ne pouvons pas remonter le temps pour ressortir par les portes comme il le faudrait, car nous pourrions tomber sur nos doubles. Et tout nouveau spectacle pourrait utiliser une souche différente du virus ». Il jeta un coup d'œil à Rose qui bataillait contre son besoin de parler. « Est-ce que tu te sens bien ? ».
« En vérité… » Rose se mordit la lèvre, luttant pour ne pas dire quelque chose qu'elle pourrait regretter. Ça ne marchait pas. « …la prochaine fois que tes cheveux seront comme ça, je veux que ce soit à cause de moi ! ».
Le Docteur en resta bouche bée. « Et bien… on se calera un rendez-vous. Tu te sens mieux ? ».
Rose inspira profondément, ignorant la rougeur qui montait sur ses joues. « Oui, c'est fini maintenant. Je suppose que ça sera ton tour dans quelques minutes ? ».
« Mhh » acquiesça le Docteur. « On dirait que 'en vérité' est le mot-clé pour la contagion ». Il prit ses mains dans le siennes. « Si nous parvenons à revenir sur Terre, nous pourrons nous en débarrasser. La plupart de ton espèce est immunisée ; c'est juste la faute à pas de chance que ce ne soit pas ton cas ».
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Ils se ruèrent dans le Tardis et le Docteur programma un vol retour vers la Terre en un temps record. L'inconfort qu'il ressentait à retenir sa Vérité était évident. « Nous allons nous rendre à une conférence de presse. En vérité, s'il existait ne serait-ce qu'une personne de ta planète qui pouvait attraper ce virus, ce serait l'endroit le plus intéressant pour essayer de le découvrir ».
Rose ne l'aurait jamais cru si un air de soulagement n'était pas instantanément apparu sur son visage. Parfois, elle oubliait qu'il n'était pas vraiment un modèle de moralité. « Pourquoi ne pourrions-nous pas simplement nous servir de choses comme 'le ciel est bleu' ou 'je porte des baskets' ? » demanda-t-elle, maintenant un peu plus habituée au sentiment lancinant qui remontait le long de son cou à cause du transfert du virus.
« C'est subjectif, déjà » répondit le Docteur en tournant le dernier levier pour accélérer leur voyage en direction de la Terre du 21e siècle. « Et je suis à peu près certain que ça doit être quelque chose qui serait automatiquement pris pour un mensonge dans toute autre circonstance. A ton tour, qu'est-ce que tu as pour moi ? ». Il leva les yeux sur Rose qui s'était assise sur le sol de la salle de contrôle, le dos contre la rambarde et les yeux bien fermés. « Oh, vas-y, laisse le sortir. Tu te sentiras mieux ».
Rose avait du mal à sélectionner sa Vérité. Elle passa sur certaines – spécialement celles dont elle craignait que le Docteur ne les croie vraiment, qu'elle ne voulait pas lui livrer aussi facilement, et particulièrement si ça ne soulageait pas tellement la pression qui s'accumulait à l'arrière de sa tête. Elle choisit un secret qu'elle n'avait jamais dit à personne. « Je déteste le thé ».
Le Docteur renifla dubitativement.
« Si c'est vrai ! Je ne peux le dire à personne, à commencer par Maman. Je serais déportée aux Amériques ou lynchée comme traitresse, et Maman m'enterrerait et me couperait en morceaux dont elle ferait du thé, si elle venait à le savoir ». Elle frappa l'arrière de sa tête contre la balustrade derrière elle. Son esprit s'éclaircissait. Elle adressa son regard le plus sérieux au Docteur. « Et ne t'avise pas d'oser le dire à qui que ce soit ».
Il leva les mains en signe de reddition. « Tu as ma parole de Seigneur du Temps » promit-il.
Le sourcil de Rose se tordit alors qu'elle se souvenait des rares fois où le Docteur avait parlé de son peuple. « N'étaient-ils pas pourtant tous des tricheurs et des politiciens ? ».
« Oui, personne n'est parfait », répondit-il à moitié pour lui-même.
Le Docteur fit jouer les muscles de son cou de droite à gauche et Rose reconnut une tentative de sa tentative de réprimer les mots qui insistaient pour se faire entendre.
Elle sourit. « Oh, allez, ça ne peut pas être si terrible. Va, dis-nous la vérité ».
« En vérité… » le Docteur grogna de frustration, claquant les paumes de ses mains sur la console du Tardis avant de les passer nerveusement dans ses cheveux hérissés. Il se cacha la figure des deux mains, couvrant ses yeux et assourdit les paroles qu'il était en train d'avouer. Ça ressemblait plutôt à un murmure inaudible.
« C'était quoi ça ? » demanda Rose.
« J'ai dit… » soupira-t-il résigné. « J'ai dit que je trouvais que ta mère était charmante ».
« Quoi ? » fit-elle en riant. « Toutes ces histoires que tu fais comme quoi elle est 'autoritaire', 'bruyante' et 'trop bisou-bisou' et en fait, tu la trouves charmante ? ».
« Oui ! » persista le Docteur. « Je veux dire… elle est loin d'être parfaite, mais je ne peux rêver d'une meilleure mère pour t'élever correctement. Et le dîner de Noël était un vrai délice ».
« Tu me charries » continua Rose. Le Tardis atterrit avec un bruit sourd et elle s'aida de la rambarde pour se relever. Avec un peu de chance, ils se débarrasseraient de cette maladie ridicule avant qu'elle ne soit forcée d'admettre autre chose.
« Absolument pas, Miss Tyler, et j'aimerais avoir ta parole que tu n'en parleras jamais ».
« Ah oui ? » le taquina-t-elle tandis qu'ils quittaient le vaisseau pour sortir dans un couloir sombre menant à une salle de conférence beige. « Et si ça m'échappait ? ».
« Je dirais à ta mère en confidence combien tu adores son thé et m'assurerais qu'elle nous en livre des caisses entières, à chaque fois que nous ferons un arrêt chez elle… ».
Les paupières de Rose se rétrécirent. « Tu n'oserais pas ! » rétorqua-t-elle avec un regard noir.
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Ils s'arrêtèrent dans la vaste salle de conférence et Rose soupira en sentant le titillement à l'arrière de son esprit qui se frayait un chemin à travers la foule.
L'homme derrière le pupitre n'avait pas l'air d'un politicien aux yeux de Rose. Sa courte barbiche nette et son arrogante prestance lui semblaient déplacées et son expression ennuyée ne justifiait pas le crépitement des flashs, ni les reporters prenant en sténo des notes sur son speech monotone : « Ce serait excentrique… ». Était-ce l'imagination de Rose ou bien l'expression de son visage venait de changer à l'instant ? «… et euh… fantastique ». Il conclut : « En vérité… ».
« Bien, on y est ! » lança le Docteur joyeusement. « Voilà qui va peut-être rendre la politique sur Terre plus intéressante pour un moment. Mais avec tout ce monde et une population des plus résistantes, le virus va certainement s'éteindre très vite et on s'en tirera plutôt bien ». Ils firent demi-tour pour s'en aller et le Docteur salua de la main un homme dans un costume noir. « Oh, salut Phil ! Comment tu vas ? »
« Je n'ai jamais été mieux » répondit l'homme qui s'appelait Phil. « Nous avons finalement pu sécuriser le… »
Derrière son pupitre, l'homme exprima sa Vérité qui retentit dans toute la salle :
« Je suis Iron Man ».
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* Citation extraite de la pièce « La Tragique histoire du Docteur Faust » (1589) de Christopher Marlowe, où il est question en parlant d'Hélène du « visage qui a lancé mille navire (sur la mer) »
