Chapitre 1 :

Un grand bateau était arrimé aux pelouses d'Hogwarts. Sa coque peinte et sa voile bigarrée égayaient de leurs couleurs vives le sombre gazon. Argus Filch attendait en bas du pont d'embarquement avec une liste d'étudiants de sixième année. Harry regardait ses camarades monter devant lui avec un enthousiasme grandissant. Quand vint son tour, Filch hésita. Harry lui tendit d'une main tremblante l'autorisation exceptionnelle signée par Dumbledore. Le concierge lui lança une œillade dédaigneuse, sûrement déçu de ne pouvoir le rabrouer, et maugréa un « C'est bon, Potter » à peine audible. Harry mit le pied sur la passerelle en bois avec l'impression d'être déjà en terre inconnue. Son cœur faisait des bons périlleux d'excitation et de joie. Depuis combien de temps n'avait-il pas ressenti cette sensation ? Il repensa brièvement à tous les tracas qu'il laissait derrière lui en se promettant de ne plus y prêter attention ensuite. Les murs du château garderaient en leur sein les dangers d'une guerre imminente, le retour en force de Voldemort et les secrets de Malfoy. Harry tourna la tête vers la file d'élèves qui attendait toujours l'autorisation de Filch pour monter à bord. Il repéra rapidement la tête blonde en regrettant, une fois encore, que son pire ennemi soit du voyage. Le jeune Slytherin n'était pas le seul à ternir le plaisir d'Harry. La silhouette noire et sévère de Snape se devinait à l'ombre du grand mat. Harry se sentit un peu moins malheureux en voyant la mine renfrognée du professeur de Potion qui ne laissait aucun doute sur son manque de motivation.

Harry alla poser sa malle de voyage dans la cabine-dortoir. Ron, Hermione et Parvati avaient déjà pris place et avaient réservé quatre lits côte à côte. Harry sourit en pensant au soleil, à la mer et à la plage. Il rêvait déjà des heures de liberté à nager dans les eaux claires de la Grèce. Pris dans sa rêverie, il imagina la peau blanche de Malfoy exposée sans ménagement aux rayons cruels du soleil tropical. L'idée d'une torture nouvelle le mit en joie et il sentit son sourire s'élargir.

Ils ressortirent sur le pont pour assister au décollage du bateau. Penchés au-dessus du bastingage, les élèves embarqués saluaient leurs camarades restés à terre. Harry aperçut Neville et Seamus, deux petits points jaune et rouge en contre-bas. Dean serrait l'inconsolable Lavender dans ses bras. Harry agita la main en leur direction mais leurs silhouettes furent bientôt obscurcies par des ailes géantes qui sortaient doucement de la coque et se déployaient sur la quasi-totalité des pelouses alentours. Des hurlements effrayés se firent entendre aux premiers battements d'ailes. Certains spectateurs avaient senti des plumes leur caresser la base du crâne. Le bateau s'ébranla. À bord, chacun s'agrippait à la rampe pour supporter les secousses. Une fois dans les airs, Harry lâcha prise et se mit à discuter avec Ron des possibilités que leur offraient ces quelques jours.


Draco avala la potion anti-nausée que lui avait spécialement concocté Snape. Le goût âcre des œufs de Doxy lui agressa les papilles mais il sentit aussitôt l'effet apaisant du liquide lui détendre les muscles et faire disparaître le nœud dans son ventre. Il sourit d'aise et oublia pour un temps la contrariété qui le taraudait depuis l'annonce de ce voyage. Sa mère l'avait inscrit de force alors qu'il se débattait encore avec le Vanishing Cabinet. Il avait objecté qu'il n'avait pas de temps à perdre avec des mondanités scolaires. Mais pour une raison obscure elle avait insisté pour qu'il parte. Draco avait failli faire une scène pour lui faire changer d'avis mais, quand il s'était retrouvé face à elle et son regard fatigué d'angoisse, il n'avait pas osé argumenter. Il allait donc supporter ces cinq jours inutiles avec dignité et résignation.

Draco se regarda dans le miroir des toilettes. Son visage était toujours aussi pâle et marqué par les soucis. Une petite ride commençait à s'installer entre ses sourcils à force d'être contractés par la concentration. Le mal des airs accentuait légèrement son teint blafard et le violacé de ses cernes. Il pencha la tête avec consternation, cherchant à fuir l'image dégradée que lui renvoyait son reflet. Après quelques secondes, il se recomposa une figure lisse, sérieuse et dénuée de toute expression puis il prit une grande inspiration et sortit rejoindre les autres.

Lorsqu'il pénétra dans la salle commune, il fut assailli par le brouhaha des discussions. Il fit une grimace de dégoût comme si le bruit venait lui souffler sous le nez avec une haleine fétide. Son déplaisir s'aggrava quand il aperçut une table plus animée que les autres où un Harry Potter extatique parlait à ses camarades en faisant de grands gestes. La seule vue de sa bonne humeur, étalée sans aucune pudeur, piqua Draco d'une nouvelle aiguille venimeuse. Il détourna vivement le regard et repéra les fauteuils où s'étaient installées les filles Slytherins. Malgré les efforts répétés du Professeur Sinistra pour mélanger ses élèves, tous s'étaient groupés par réflexe selon leur maison.

Pansy fit un signe inutile pour attirer l'attention de Draco. Tracey et Daphné se tournèrent vers lui avec des sourires béats. Il s'approcha lentement et majestueusement tel un pacha entrant dans son harem. Crabbe et Goyle lui manquaient cruellement, mais la perspective d'être le seul garçon de Slytherin commençait à bien lui plaire. Il répondit au regard langoureux de Daphné par un sourire ravageur et se mordit légèrement la lèvre inférieure quand Tracey se jeta à son cou. À l'autre bout de la salle, il remarqua distraitement que Potter s'était tu et l'observait avec les yeux vides d'un poisson hébété par l'apparition d'un appât. Draco pencha la tête pour déposer un baiser rapide sur le cou offert de Tracey et s'éloigna d'elle doucement. Il sentait les filles au bord de la pâmoison et se félicita d'aussi bien maîtriser l'art de la séduction.

Daphné lui fit une place sur le canapé. Pansy partit dévotement lui chercher une tasse de café. Tracey riait déjà des plaisanteries qu'il n'avait pas encore fait. Il s'enfonça avec satisfaction dans le moelleux du velours et savoura les œillades envieuses des autres mâles. Il s'approcha un peu de Daphné car il savait que la belle blonde en faisait rêver plus d'un. Il lui susurra à l'oreille un secret qui n'en était pas un et surveilla Stephen Cornfoot du coin de l'œil, espérant attirer sa jalousie. Cornfoot, avec son catogan et son air propret, était sûrement le garçon le plus séduisant de leur année. « Après moi-même », corrigea mentalement Draco d'un ton détaché. Cependant le Ravenclaw était absorbé par une partie d'échec. Draco décida donc de faire appel à ses talents d'orateur. En peu de temps, ses trois compagnes pouffaient de rire et poussaient des « Oh, Draco... » qui intriguèrent le reste des voyageurs. Si le beau Stephen n'avait pas encore tourné la tête, Potter, lui, jetait ses yeux liquoreux dans leur direction avec un air faussement agacé mais véritablement curieux. Draco se délectait.


Les événements prirent une tournure moins agréable à l'approche du repas. Sinistra gambadait d'un groupe à l'autre pour les inviter à prendre place dans la cabine-réfectoire. Les étudiants se levèrent à contre cœur pour rejoindre la grande table commune. Refusant obstinément de se mélanger aux maisons ennemis, Draco prit soin de poster une sentinelle à chacun de ses côtés. Par malchance, Potter et sa clique s'assirent à sa droite. Le petit corps de Tracey ne le protégeait qu'à peine de la vision de l'Élu. Draco se sentit de nouveau nauséeux et s'abstint de dévorer les mets abondants qui apparaissaient devant eux.

« Salut, Harry », lança jovialement Tracey. Potter sembla chercher longuement dans ses souvenirs avant de trouver son prénom et lui répondre. La petite brune enchaîna : « Paraît qu'on va tous être mélangés pendant cinq jours, alors autant faire comme si on s'aimait bien ». Draco étouffa un reproche : elle n'avait pas l'air si contrarié de devoir parler au Gryffondor. Il essaya, par des regards emplis d'outrage et de dédain, de faire taire sa voisine. Il finit par lui donner de violents coups de coude quand elle devint trop amicale avec Potter. Mais rien n'y faisait. Plus Draco rageait, plus Potter semblait prendre du plaisir à converser avec Tracey.

À côté de la blonde et filiforme Daphné, Tracey n'était pas un canon de beauté. Plus petite et plus ronde, elle avait cependant un charme certain qui l'avait rendu populaire auprès des garçons de leur maison. Son éternel sourire et son bagout inébranlable faisaient d'elle une personnalité très appréciée. Draco s'en était faite une alliée précieuse et usait allègrement de ses capacités en Potion et en Herbologie. Souvent, après ses entraînements de Quidditch, il se rapprochait d'elle avec un air de guerrier fatigué et venait se pelotonner dans ses bras pendant qu'elle promettait de lui terminer les devoirs qu'il n'avait pas eu le temps de faire.

Draco savait parfaitement pourquoi Potter se laissait charmer. Les moqueries de Tracey, contrairement aux siennes, qui tombaient facilement dans la méchanceté gratuite pour plus d'efficacité, savaient rester respectueuses. Même si elle prenait pour cible les Gryffondors, Tracey eut une manière si habile de les énoncer que Potter en rit de bon cœur. À la fin du repas, il se tordait littéralement devant son imitation subtile et pertinente de McGonagall. Draco pinça les lèvres au comble de l'exaspération.


Alors que l'obscurité se faisait plus dense et rendait le ciel à peine visible à travers les hublots du navire, les élèves se retrouvèrent dans le salon pour une partie d'Action-Vérité. Les adultes s'étaient éclipsés après le repas, laissant le champ libre à Tracey de proposer le jeu. Les trois Hufflepuffs s'étaient aussitôt enfouis sous les sarcasmes de Malfoy. Ron avait voulu décliner l'invitation mais Pansy s'était approchée de lui en susurrant « On a peur, Weasley ? ». Ne voulant pas subir la même humiliation que les autres et voyant déjà le sourire satisfait de Malfoy briller dans sa direction, Ron se leva d'un bond pour rejoindre la partie. Il tira Harry par la manche mais son ami lui lança un regard noir. « Hors de question, siffla-t-il par dessus le guide touristique qui lui servait d'alibi.

- Me laisse pas seul, mec.

- T'avais qu'à y penser avant. »

Ron resta interdit puis fronça les sourcils dans une mimique d'intense concentration : « Ça pourrait te donner une excuse pour avoir des infos sur ce que trame Malfoy ». Harry releva la tête, sa curiosité piquée au vif. Ron lui sourit d'un air diabolique et tentateur. Harry prit une seconde pour réfléchir à la possibilité d'obtenir des explications sur l'étrange comportement de Malfoy dans la Room of Requirement et posa son livre.

« C'est ton tour, Ron ». La voix aigrelette de Daphné le ramena à la réalité. Ron prit sa respiration et tenta d'oublier le feu qui lui brûlait les joues. À son côté, Hermione se tortilla inconfortablement et remit correctement en place le coussin sur lequel elle était assise. Ron prit la baguette qui se trouvait au centre de leur cercle, la fit tourner sur le sol comme une toupille et attendit qu'elle désigne la prochaine victime. Il croisa les doigts pour que ce soit Pansy et qu'il puisse prendre sa revanche. Mais la baguette ralentit et s'arrêta en pointant Draco. Aussitôt, un filament de lumière vint s'enrouler autour de son poignet. Draco soupira légèrement et leva les yeux vers son tourmenteur. Ron prit son temps. Il passait en revue tous les supplices qu'il rêvait de lui faire subir depuis des années. Harry se racla la gorge pour lui rappeler la raison première de leur participation. Ron devait trouver une action assez répugnante pour que Malfoy choisisse de répondre à sa question.

« Action, lança le Slytherin d'une voix décidée.

- Embrasse Harry... Avec la langue... évidemment, ajouta Ron avec une pointe de sadisme.

- Vérité.

- Qu'est-ce que tu fabriques dans la Room of Requirement ? ».

Les traits de Malfoy se crispèrent. Ses lèvres se pressèrent l'une contre l'autre pour ne former qu'une ligne mince et austère. Ron jubilait intérieurement. Il se tourna vers Harry pour partager sa victoire mais son ami fixait devant lui d'un air horrifié. Ron reporta ses regards vers Malfoy. Il s'était levé. « J'vais prendre l'action, finalement ». Il laissa tomber les mots avec un dégoût évident comme si chacun d'eux lui salissait la bouche. Le silence se fit plus dense dans le salon. Tracey retint son souffle mais ne put empêcher un sourire de fleurir sur son visage amusé. Harry observa Malfoy venir vers lui et s'agenouiller pour se mettre à sa hauteur. Il recula la tête, peu habitué à le voir de si près et maudit amèrement Ron quand il sentit la main de Malfoy lui passer dans le cou. « Mets-y du tien, Potter, c'est déjà assez désagréable comme ça ».

Harry voulut le frapper ou le repousser violemment, mais il n'eut pas le temps de réagir. Le visage de Malfoy s'était dangereusement rapproché et la vision d'Harry était brouillée par cette soudaine proximité. Il sentit la moiteur des lèvres de Malfoy sur les siennes. Son agresseur ouvrit légèrement la bouche et le captura dans la prison moelleuse de ses lèvres. Harry sursauta quand la pointe de sa langue vint se frayer un chemin jusqu'à ses dents. Il poussa un cri de surprise outrée. Malfoy en profita pour l'envahir plus profondément. Sa langue était dure comme si elle voulait imposer sa présence et lui faire mal. Harry resta immobile sentant le poids de la langue de Malfoy contre la sienne. Il voulut se dégager mais la main sur sa nuque le maintenait en position. Il voulut parler mais le mouvement de ses lèvres rendit le baiser plus vivant et insupportable. Sa langue se contracta pour essayer de repousser celle de Malfoy. Celui-ci se dégagea brusquement, laissant un invisible fil de salive s'étirer entre leurs bouches. Par réflexe, Harry s'essuya contre sa manche. Ses mains tremblaient et tout son corps était secoué d'horreur. Malfoy se releva et reprit sa place entre Daphné et Pansy. Ses pupilles étaient luisantes de colère.

Le fil lumineux qu'il avait autour du poignet et qui l'obligeait magiquement à remplir sa part du contrat avait disparu.

Après quelques minutes de silence, le jeu recommença. Potter lançait des regards de reproche à Weasley qui ne cessait de mimer de silencieux « Désolé ». Draco se détendit un peu en voyant l'effet dévastateur de son assaut buccal et reporta son attention sur la baguette qu'il fit tourner avec un peu trop de force. Elle toupina longuement avant de ralentir et se pointer sur... Potter. Draco regarda le fil de lumière s'enrouler autour du Gryffondor et respira d'aise. La vengeance allait être douce. « Action, finit par articuler un Potter visiblement hors de lui.

- Embrasse Ron... Avec la langue... évidemment, dit Draco en reprenant l'air sadique du rouquin quelques minutes plus tôt.

- Vérité.

- Que s'est-il s'est passé au Ministère l'année dernière ? Qu'est-ce qui a bien pu te faire pleurer comme un bébé, Potter ? »

Malfoy retint de justesse un rire sardonique. Il était ravi à l'idée de l'humilier aussi facilement. Il aurait aimé voir les deux amis s'embrasser et rougir d'embarras. Mais le Gryffondor choisit l'humiliation verbale et préféra évoquer ses larmes impudiques. « Parce que j'ai perdu un être cher, Malfoy ». Le sourire de Draco s'élargit de plaisir. Autour de lui, pourtant, les visages n'étaient pas aussi rayonnants qu'il l'espérait. Daphné lui jeta un regard réprobateur. Potter renifla bruyamment. Draco comprit avec consternation que le malheureux imbécile avait les larmes aux yeux. Il aurait pu savourer longuement son triomphe. Faire pleurer Potter avait toujours été un de ses plus tendres désirs. Mais le reste des joueurs le fixait avec une telle hostilité qu'il se replia légèrement sur lui-même. Padma interrompit le silence d'un ton doux et compatissant, pendant que ses noires pupilles jetaient des éclairs de haine vers Draco : « Vas-y, Harry, c'est ton tour ».