Hooligan
Prologue
Stade du FC Everton, Liverpool Février 1985
Everton 1 - Chelsea 2
83ème minute
Debout en haut de la tribune, l'acclamation du stade me prend aux tripes. Voir mon équipe perdre me met en rage mais les chants des supporters, les rugissements de la foule, le grondement à chaque action manquée, les insultes, les jets de pierres, les fumigènes... l'ambiance du stade est euphorisante, stressante, prenante et fait passer le score au second plan.
Le résultat du match n'est qu'un prétexte à ce qui va suivre.
Les Blues en face sont chauds, la bataille va être féroce et je m'en réjouis déjà. Je connais ces mecs depuis des années, ils semblent n'avoir peur de rien. Mais c'est faux, ils sont aussi terrorisés que nous mais c'est ce qui nous fait planer. Un mec qui n'a pas peur est un homme mort.
Dès les premières heures du jour j'ai senti les picotements angoissants de l'impatience, de la peur grandissante partout dans mon corps et maintenant que le soleil s'est couché, maintenant que le chrono décompte les secondes, l'exaltation me gagne c'est bientôt... bientôt...
Parce que c'est Jour de Match!
On ne sait pas à quel moment ça va partir, ni ce qui va être l'élémentdéclencheurmais une chose est sure, ça va être violent. Nous sommes au moins deux cents, ils sont tout autant. Les grillages qui séparent les tribunes de béton gris ne sont qu'un mince rempart, une sorte de contretemps pour faire monter la pression.
Tourné vers la tribune adverse, les majeurs tendus bien haut vers le ciel, le flot d'insultes qui sort de ma bouche est continu et a pour unique but de me galvaniser. Croyez-le ou non ça marche!
Le sifflement d'une pierre à ras mon oreille me fait un peu plus frissonner. Les grilles tombent sous la pression des gars devant nous, les stadiers sont très vite et très largement dépassés. C'est parti!
Je me jette dans la mêlée comme un camé en manque. L'adrénaline dans tout mon corps me donne une impression de force incroyable. Entouré de mes potes, desmâchoiresse brisent, des dents volent, des cartilages sont broyés et je suis vivant. Je frappe, je me libère, je cogne sans retenue, j'exulte.
Un bel uppercut m'envoie contre une barrière, d'un geste rapide je me redresse et rends la pareille à mon nouveau meilleur copain, un brun plutôt baraqué. Quand il tombe à terre un deuxième est déjà sur moi, je me fais bousculer par un gars de chez nous, je trébuche sur un mec à terre mais ça ne m'empêche pas de continuer mes coups libérateurs.
Au cinquième mec fracassé, mon sourire n'a plus de fin et je pourrais me la coller avec eux pendant des heures et des heures mais la fumée des grenades lacrymogènes commence à envahir les tribunes. Je remonte ma cagoule sur ma bouche et mon nez, pour protéger mes bronches, je passe ma capuche par-dessus ma tête. Un coup d'œil à droite, à gauche, les gars sont là, il est temps de déguerpir avant de finir en cellule.
Le fou rire qui s'ensuit alors qu'on trottine à l'extérieur du stade est jouissif. On se congratule, on s'applaudit même si on est un peu vexé que les forces de l'ordre aient mis un terme à la fête. C'était bien, et vivement samedi prochain.
