Barty pousse la porte des Trois Balais, le pas lourd et le visage pâle. Le vent glacé de l'hiver ne le froisse même pas. Il a l'esprit bien trop loin pour cela.
Evidemment, il aurait dû s'en douter… mais une part de lui n'avait pu s'empêcher d'espérer. Espérer que pour son seizième anniversaire qui coïncidait avec un week-end à Pré-au-Lard, son père aurait pu se libérer et venir déjeuner avec lui. Mais non, bien sûr, il avait eu mieux à faire. Surement quelque mage noir à juger voire à emprisonner sans procès. Ou un déjeuner très important pour s'assurer le poste de Ministre de la Magie. Quoi qu'il en soit, quelque chose qui compte visiblement plus que son fils.
Et Barty en a assez. Il en a assez, de passer après toutes les occupations ministérielles de son père. Il en a assez, d'avoir moins de valeur que les Mangemorts du Seigneur des Ténèbres. Il en a assez, de n'être qu'un nom sur l'arbre généalogique et des gallions en moins dans la chambre forte familiale. Il en a assez, d'être un faux orphelin.
Ses pas s'enfoncent dans la neige comme son âme sombre dans la tristesse. Il ne regarde pas où il va. A quoi bon, puisque de toute manière, il ira toujours seul. Ne dit-on pas que le voyage est toujours plus intéressant que la destination. Mais un voyage en solitaire, est-ce vraiment ce dont il a envie ?
Il ne regarde pas, si bien qu'il ne voit pas l'obstacle qui se met en travers de sa route. Il ne peut que subir la collision qui le projette au sol, et qui va révolutionner son monde. Il tente de se relever avec difficulté mais ne fait que s'enfoncer un peu plus encore dans la neige. Et alors une main se tend devant lui, et il l'attrape avec gratitude. C'est la seule qu'on lui ait offert depuis bien longtemps, de toute manière.
Il lève les yeux pour marmonner un « merci » timide mais le regard qu'il rencontre est dur et froid. Celui d'une femme d'une grande beauté, les paupières lourdes, le visage pointu.
— Fais attention à où tu vas, gamin.
Sa voix est emplie de mépris et de suffisance, et Barty baisse les yeux, murmure un vague « désolé. » La femme dit alors :
— Tu te sens seul.
Ce n'est pas une question, mais une affirmation, et Barty répond sans même savoir pourquoi.
— Oui, madame.
— Quel est ton nom ?
— Barty Croupton, madame.
Elle siffle alors comme une vipère et Barty se sent encore davantage mal à l'aise.
— Tu es le fils du juge ? demande-t-elle d'un ton hargneux.
Barty ne peut s'en empêcher : il ricane d'un air amer, et regardant l'inconnue dans les yeux pour la première fois, il dit.
— Son fils ? Non, bien sûr que non. Mon père n'a pas d'autre enfant ni d'autre amour que son travail.
La voix de la femme est étrangement intéressée quand elle demande :
— C'est à cause de ton père que tu te sens seul ? Il te délaisse ?
— C'est un euphémisme.
Les larmes qu'il avait réussies à refouler en sortant du pub où son père ne l'attendait pas s'écoulent lentement sur son visage quand il dit :
— Je voudrais juste compter pour quelqu'un, quelque part, qu'on me le dise, et que ça soit sincère.
La femme sourit alors d'un air carnassier, et elle répond :
— Je connais la personne qu'il te faut. Si tu viens avec moi, je te présenterai quelqu'un qui sera le père que tu n'as jamais eu.
Barty hésite un peu, mais la tentation d'enfin découvrir l'amour paternel est trop forte, alors une fois de plus, il prend la main tendue de la femme dans la sienne et quand tout devient noir autour de lui et qu'il sent les effets du transplanage sur son corps, il sourit enfin.
