Camille se regarda une dernière fois dans le miroir avant de soupirer. Rien n'allait, vraiment. Ses doigts glissèrent une énième fois dans sa frange pour la remettre en place. Mais, contrairement à d'habitude, cette dernière n'en faisait qu'à sa tête. Ce qui commençait d'ailleurs à l'exaspérer. Pourquoi fallait-il que ça soit aujourd'hui ? Pourquoi ses cheveux, d'habitude si dociles, décidaient-ils de devenir autonomes et de refuser de se laisser discipliner. Aujourd'hui, le jour de son débarquement à l'école ! Plutôt mourir qu'arriver mal peigné ! Ce serait humiliant si la première réflexion qu'on lui ferait était une remarque du style « Eh, ton chien a mangé ta brosse ? » ou « Tu t'es coiffé avec une moissonneuse batteuse ? » Tentant à nouveau de faire régner l'ordre dans sa tignasse blanche, Camille comprit qu'il ne lui restait plus qu'une chose à faire. Les attacher. Et c'était assez frustrant. Ils étaient plus beaux à l'air libre. Mais actuellement, il était impensable de sortir avec cette coupe. Bien ! S'emparant d'un élastique, les doigts de Camille y firent prisonniers les cheveux rebelles. Puis son regard se porta sur la photo qui était posée à droite de sa coiffeuse.

- Bon, souhaites moi bon courage, maman. Et espérons que cette fois-ci tout se passe bien.

Car oui, Camille était adepte des déménagements fréquents. Et pour cause. A chaque fois qu'on découvrait son secret, on n'hésitait pas à l'humilier. De quel secret parle t-on ? Mais enfin, du fait que ce qui paraît être une jeune fille assez jolie soit en fait uniquement un garçon. En effet, Camille était ce qu'on appelle un androgyne. Un garçon qui ressemble à une fille. Et, chaque fois qu'il débarquait dans une nouvelle école, c'était automatique. On le prenait automatiquement pour une fille. Il ne faisait pourtant rien pour cela. Même lorsqu'il avait les cheveux courts, on se méprenait. Pire ! A l'époque on le travestissait, pour pouvoir ensuite se moquer encore plus de lui. Sa tante, qui s'occupait de lui faute de temps de la part de son père, avait cru que faire pousser ses cheveux arrangerait la situation.

- Si on te prend pour une fille, on ne t'embêtera plus ! Avait-elle dit de sa voix sage, à l'époque.

Et ce qui paraissait être une bonne idée, s'avérait en fait être la pire des idées qui soit. Jamais Camille ne parvenait à dissimuler son secret très longtemps. En effet, de nature timide, et à cause de sa gentillesse, il s'attirait souvent, contre lui d'ailleurs, les faveurs des jeunes hommes. Et à force de repousser les quelques prétendants qu'il pouvait avoir dans telle ou telle école, on croyait qu'il snobait et prenait de haut. On lui collait donc une réputation de fille prétentieuse et hautaine. Et pour peu qu'ensuite un garçon découvre la vérité, il s'en mordait les doigts. Manipulateur, pervers, malade mental. Il avait déjà tout entendu. Mais les mots étaient toujours aussi douloureux. Aujourd'hui, il n'avait pas envie de mentir. Il voulait que tout le monde sache qui il était. Dès le début. Mais il ignorait s'il en aurait la force. Dire la vérité, lui qui avait été habitué à toujours énoncer mensonges sur mensonges.

Du bas de l'escalier, la voix de sa tante le tira de ses réflexions.

- Tu es prêt mon chou ? On ne va pas tarder ou tu va arriver en retard !

- Je arrive!

Il se regarda une dernière fois dans le miroir, maudissant ses cheveux. Plus le temps de s'attarder sur ce détail. Il récupéra son sac et descendit les escaliers. Sa tante le détailla de haut en bas.

- Tu n'as pas mis ta jolie jupe ?

- Non tata, soupira t-il.

- Dommage, elle te va bien.

Elle se contenta de lui sourire, comme elle l'avait toujours fait. Comme si tout était normal. Mais rien ne l'était. Et c'était vraiment problématique. Ils sortirent ensemble de la maison, et montèrent chacun d'un côté de la voiture. Sur le trajet, le regard de sa tante se posait régulièrement sur lui.

- Tu as attaché tes cheveux à ce que je vois.

- Pas eu le choix, ils étaient autonomes.

Elle se mit à rire.

- Ca m'arrive à moi aussi, certains jours. Ca te va bien, les cheveux attachés. Ca te rend coquette.

- Pitié tata, ne t'y mets pas. Je te l'ai déjà dis, parles de moi comme si j'étais un garçon, pas une fille.

- Roh, ne boudes pas, je ne pense pas que ça soit un défaut d'être coquet. Tu me connais.

Oh que oui, il la connaissait. Après tout, n'avait-il pas grandi avec elle ? Il aurait pu l'accuser de son changement cruel d'apparence. Mais il ne lui en voulait pas. C'était impossible. C'était la faute de son physique à lui, pas des plans « brillants » de sa chère tante. La voiture s'arrêta devant le lycée. La jeune femme regarda son neveu et lui caressa la joue.

- Tout va bien se passer, j'en suis sûre.

Les mêmes mots réconfortants. Camille n'y croyait plus, maintenant. Il les avait trop entendu. Ils sortirent tous deux de la voiture. Devant eux se dressait le nouvel établissement scolaire du blanchon. Encore un, pensa t-il amèrement. Combien de temps resterait-il, cette fois-ci ? Il retint un soupir. Il ne devait pas se décourager dès le début. Il devait se montrer souriant. Comme il faisait d'habitude. Quitte à se forcer. Il franchit les grilles en même temps que sa tante, et traversa la cour. Pas un chat. Ce n'est qu'en ouvrant les portes du hall que le brouhaha des adolescents et les grincements des casiers les accueillirent. Quelques élèves se tournèrent vers les nouveaux venus, mais Camille n'y prêta pas attention, se contentant de suivre sa tante.

- Hm…Je me demande où se trouve le bureau de la directrice. Demandons donc !

Toujours aussi enthousiaste ! A croire que c'était elle qui allait faire sa rentrée. Camille, lui, commençait à avoir une boule au ventre. Le stress. Il connaissait ça par cœur. Au fond, il savait que tout allait se passer comme d'habitude. Présentation, intégration…Si jamais il y avait intégration. Après tout, il était presque décidé à dire la vérité dès le début. Sa tante le tira vers un petit groupe d'adolescents.

- Excusez moi jeunes hommes, nous cherchons le bureau de la directrice.

Le trio les regarda. Il y avait deux jumeaux, dont seule la couleur de cheveux les différenciait, et un dernier, plus petit, et aux cheveux chocolat. Comme leurs regards s'attardaient sur lui, Camille baissa les yeux. Toujours incapable de soutenir le regard de plusieurs personnes en même temps. Ce fut celui aux cheveux bleus qui répondit à la femme.

- Bien sûr, c'est au fond du couloir, en face de la salle B.

Il lui avait répondu avec le sourire. Sourire que Camille n'avait pas pu voir, à cause de sa tête baissée. Sa tante remercia poliment le groupe avant de le tirer au loin.

- Elle était mignonne. Vous croyez qu'elle est nouvelle et célibataire ?

- Je ne savais pas que tu étais devenu hétéro, Alexy, le taquina son frère.

- C'est pour toi que je me renseigne en fait. Peut-être qu'être en couple te ferait lâcher tes consoles.

- Pas si sûr, grogna le deuxième jumeau.

Pendant ce temps, Camille et sa tante arrivaient devant le bureau de la directrice. Ce fut la femme qui toqua à la porte. Une femme d'âge mur, les cheveux grisonnant et le tailleur chatoyant, les accueillit en souriant.

- Vous devez être Madame Sunshine.

Elle lui tendait la main de manière chaleureuse.

- Exactement. Enchanté.

Elles échangèrent une poignée de main, avant que n'arrive le tour de Camille.

- Et tu dois être Camille. Enchanté mon petit.

C'était un surnom affectueux. Impossible de savoir si donc elle savait qu'il était un homme. Elle les invita à s'asseoir et alla quant à elle regagner sa place derrière son bureau. Ils échangèrent quelques mots, comme le protocole l'exigeait. Rapide résumé de la situation, explications du pourquoi du déménagement. Enfin…Explications grossières par Tata Sunshine. En aucun cas elle n'évoqua que c'était à cause de ses tromperies que Camille se faisait taper. Et, bien sûr, jamais elle n'évoqua clairement qu'il était un garçon. Quant à lui, il prenait peu la parole, se contentant d'écouter leur discussion. Après quelques minutes, la directrice se leva.

- Bien. Je puis vous assurer que Camille n'aura aucun problème ici. Mis à part deux ou trois fortes têtes, nous n'avons jamais eu de véritables incidents à Amoris, et je puis vous certifier que personne ne lèvera la main sur votre nièce.

Arf. Elle le prenait donc pour une fille.

- Oh, je…Commença Camille.

Mais sa tante l'interrompit.

- Merci. C'est rassurant de trouver enfin un établissement compétent.

Avait-elle senti que Camille ne voulait pas induire en erreur la directrice ? Toujours est-il qu'elles échangèrent une nouvelle poignée de mains, avant que la directrice ne les raccompagne.

- Bien. Je vais accompagner Camille jusqu'à sa classe. Vous pouvez retourner chez vous.

Une nouvelle fois, elle fut remerciée, et Camille regarda sa tante s'éloigner après lui avoir fait signe.

- Suivez moi, Mademoiselle.

- A ce propos.

Il allait tout lui dire sur sa véritable identité quand elle lui coupa la parole. Elle s'était arrêtée juste devant la porte qui se trouvait en face de son bureau.

- C'est ici. Ne soyez pas trop nerveuse, tout se passera bien.

Elle toqua et se permit d'ouvrir quand la voix du professeur l'y autorisa.

- Monsieur Faraize, voici notre nouvelle élève, Camille.

Elle poussa gentiment Camille à l'intérieur de la classe, et ce dernier se laissa bêtement faire. Il entendit quelques murmures, surtout féminins, et n'osa pas lever la tête. Fixer ses pieds était devenu une habitude.

- Bien. Si vous pouviez vous présenter à la classe.

C'était le moment de tout dire. De laisser tomber le masque. On lui offrait une chance de ne pas répéter ses erreurs. Camille allait-il le faire ?