Salut à tous. Une nouvelle sans prétention aucune bien qu'elle essaie de coller un peu aux personnages... Ceux du film, à la lumière du livre.

Et sans faire de pamphlet pour la review... on a vite fait d'être en manque de reconnaissance quand on publie sur des sites web donc... une petite review n'est pas de refus. Même si c'est pour dire que vous vénérez Hopkins, que Lecter c'est de la merde, que le sexe c'est honteux, ou bien que je suis une déesse, que vous voulez m'épouser ou...

Ou plus probablement laisser un petit mot gentil histoire de dire "Moi aussi, je suis passé(e) ici, j'ai lu et j'ai bien/pas aimé ton histoire" ;-)

Merci d'avance et bonne lecture (bonne soirée, bonne nuit, bon appétit...)


Aria

Hannibal Lecter brosse du revers de la main la carte épaisse de chez Smythson. Caresse rituelle sur le papier à lettre qu'il s'apprête à honorer de sa ronde inimitable. Tout est calme.

« Clarice, » commence-t-il avant de marquer une pause, sa plume d'argent en suspens. Ses yeux acajou se perdent dans la perfection de la marqueterie qui orne les tiroirs hauts de son bureau. Une « vue ». Une « vue » idéale typiquement Renaissance, qui ouvre l'esprit au-delà du contentement des yeux. Il se sent un instant Federico da Montefeltro dans son studiolo d'Urbino. Un sourire satisfait s'étale sur ses lèvres vermeilles. Il reprend.

L'encre marque de son chemin carbone la surface vierge du papier à lettre. Il frissonne et se laisse bercer par le chant du métal sur le grain parfait. La chandelle posée à l'angle de la table fait scintiller de sa lueur dorée chaque mot formé pour Clarice. Un soupir.

Lui écrire est une gourmandise. Il y avait eu la lettre suivant son évasion de Memphis, expédiée depuis Freeport aux Bahamas, détail qu'elle n'a jamais connu, évidemment. Il était alors question de ces étoiles qu'ils partageaient*. Hannibal Lecter esquisse un sourire. Même s'il l'avait encouragée à lui apporter une réponse, il était intimement convaincu qu'elle ne lui donnerait aucun signe de vie, ni dans le Times, ni dans le China Mail. Après tout, elle n'avait plus de raison depuis qu'elle avait mis fin à la petite carrière de Gumb de lui « faire plaisir ». Gratuitement. C'était « donnant donnant », « quid pro quo », et il n'avait plus rien à lui offrir en échange. Du moins, de son point de vue de toute récente « Agent Spécial ». La dernière était cette lettre qui avait suivi le massacre du marché au poissons et toutes ses questions en suspens.

Vient le moment sacré de la signature et du cachet. La feuille est pliée en trois et introduite dans l'enveloppe ivoire. « Clarice », note-t-il avant de celer le tout d'une goutte de cire brune qu'il écrase de sa chevalière. Tout est prêt.

*voir « Le silence des agneaux », chap. 61

Alors, Clarice, est-ce que les agneaux ont cessé de pleurer ?

Vous me devez une réponse, vous savez, et cela me ferait plaisir.

Une petite annonce dans l'édition nationale du Times et dans l'International Herald Tribune, le premier jour de n'importe quel mois, ce serait parfait. Faites-la aussi passer dans le China Mail.

Je ne serais nullement surpris, si la réponse était oui et non. Les agneaux vont se taire, pour le moment. Mais Clarice, vous vous jugez avec la miséricorde d'un Inquisiteur du Moyen-Âge; il vous faudra constamment le mériter, ce silence béni. Parce que ce sont les situations désespérées qui vous poussent à agir, et il y aura toujours des situations désespérées.

Je n'ai pas l'intention de vous rendre visite, Clarice ; sans vous le monde serait beaucoup moins intéressant. Je suis sûr, polie comme vous l'êtes, que vous diriez la même chose.

J'ai des fenêtres.

Orion viens de se lever, près de Jupiter, plus brillante qu'elle ne le sera jamais avant l'an 2000. (Je n'ai pas l'intention de vous dire l'heure qu'il est et à quelle hauteur elle se trouve au-dessus de l'horizon.) Mais je suppose que vous la voyez aussi. Nous avons certaines étoiles en commun.

Clarice.

Hannibal Lecter.


Variation 3
Cannone all'unisono

Clarice Starling retire la clef de la serrure et pousse la porte d'un coup d'épaule. Une journée de plus au bureau. Une journée de plus à trier de la paperasse plutôt que de passer à l'action.

Près d'une année s'est écoulée depuis l'affaire de la seconde évasion d'Hannibal Lecter. Au début, elle avait pensé qu'une baisse de régime professionnel aurait pu lui permettre de surmonter les évènements. Erreur : c'était occulter les deux lignes principales de son caractère. Premièrement, travailler occupe l'esprit. Deuxièmement, travailler est un service rendu.

Bon, il y avait un troisièmement. Non pas le traumatisme d'avoir tranquillement causé avec le cannibale le plus recherché à la surface du globe devant un Krendler trépané. Non pas le tapage médiatique occasionné par les photographies pleine page d'elle même, « la fiancée de Dracula » (sobriquet revenu à la mode), en robe saillante, un flingue à la main. Non, la cause était plus profonde. En laissant fuir Hannibal Lecter, beaucoup de réponses lui avaient filé entre les doigts. La morphine avait imprimé dans son esprit un souvenir morcelé, trop coloré pour être réel. Une suite d'images mitraillées, un essai cinématographique.

Gros plan sur le scalpel, travelling avant sur le sourire carnassier de Lecter, panoramique sur la table dressée. Fondu sur son baiser. Le cliquetis des menottes, le « bang » du hachoir, puis rien. Seuls les hurlements des agents du F.B.I. et le rythme des pales d'hélicoptère. Impossible de différencier la réalité du cauchemar.

Elle pose un sachet de provisions sur la banque de la cuisine. Le répondeur : nouveau message d'une Ardelia Mapp inquiète. Un sourire ironique. Elle se baisse pour empoigner la liasse de courrier et de publicités qui trône sur son paillasson. Promotion sur le lot de couteaux de cuisine acier Inox. Bulletin de la ville. Une carte postale… portant la grosse écriture de Pilcher. Un trac criard. Une pochette kraft qu'elle ouvre sans ménagement.

Son cœur trébuche.

L'enveloppe crème tombe sur le carrelage froid. « Clarice », porte-t-elle sur le recto. L'écriture est reconnaissable. Immanquable. Elle reste un instant prostrée au-dessus de cette interpellation silencieuse.

Ne surtout pas se laisser reprendre au collet. Au-delà des vestiges flous de cette soirée qui surnageaient dans son esprit, Starling avait eu à faire face à une véritable lassitude suite à l'évasion de Lecter. Auprès de lui, elle s'était crue importante, forte, digne. Digne de vivre mais aussi digne de lui. Sans lui, ces considérations éphémères s'envolaient. Elle n'était plus qu'une carcasse vide que les réminiscence d'un baiser faisaient tressauter.

Toute la soirée, l'enveloppe épaisse traîne à terre. Elle n'ose pas y toucher.

Soudain, elle franchit le pas, écrasant son hésitation sous une pile de vaisselle sale. Le danger n'est pas physique. Les mots du docteur reviennent flotter dans sa mémoire : « Je n'ai pas l'intention de vous rendre visite, Clarice ; sans vous le monde serait beaucoup moins intéressant ». Un soupir.

Le coupe lettres déchire l'enveloppe, le coup est trop brutal. Les mains tremblantes, elle se saisit de la carte et y pose un regard mi effrayé, mi avide.

« Clarice,

Je ne vais pas vous faire languir.

Vous avez assez longuement tourné avant d'oser ouvrir la boîte de Pandore, j'ai raison ? Tout est bien rangé chez vous. Chaque souvenir dans son dossier. Que faites-vous du bon vieux Docteur Lecter, Clarice ? L'avez-vous relégué au fond d'un tiroir, avec vos histoires ratées ? Ou bien plutôt aux côtés de votre papa, rayon 'blessures frustrées à ne pas rouvrir' ?

Il n'y a plus personne pour vous rassurer. Ce bon Crawford a cassé sa pipe. Pipe. Lapsus, il en a tellement rêvé.

Sentez-vous l'odeur de la déchéance, ne craignez-vous pas de vous complaire d'insignifiance en insignifiance ?

Cette vie n'est pas pour vous, Clarice.

Dans votre éternelle sollicitude, vous serez comblée de savoir que je vis bien, ici.

Hannibal Lecter.

P.-S : s'il vous vient à l'esprit de m'adresser une réponse, passez-la dans le Tribune le premier du mois. Trouvez un nom explicite et songez que cette fois, je vais devoir perdre mon temps à la lecture de toutes les balivernes des autres pour trouver la votre. H.


Variation 6
Cannone alla seconda

Hannibal Lecter termine une Allemande des Suites Françaises de Bach et enchaîne sur la sixième variation, cannone alla seconda.

Le Seinway semble frissonner sous son toucher velours. Une caresse. Toute en lenteur, avec un flegme qui lui est propre, les yeux mi-clos sur un songe éveillé qui met en ordre ses pensées. Chacun de ses souvenirs y flotte comme dans une cuve de formaldéhyde : il manipule les lourdes chaînes qui hissent les corps à la surface dans un grincement de poulie, les examine, les dissèque, les croque de sa pointe d'esprit. L'épaisse dalle les renferme s'il souhaite y revenir plus tard…quand il ne les abandonne pas au feu salvateur comme ce vieux Dortlich. Le ménage effectué, tout est étincelant et calme. Tout sent le jasmin et l'orange.

Le journal trône non loin sur un guéridon en bois de hêtre aux côtés d'un chemin de clavier brodé dont il se saisit avant de le dérouler sur les touches ivoires.

Hannibal Lecter ôte prestement la bague qui maintient l'IHT. L'édition du premier décembre se déplie. Ses yeux dévalent les colonnes grises, bondissant de stupidité en niaiserie. Si annonce de Clarice Starling il y a, il la repèrera dès la première lecture. Bingo.

2002.12.01
C. Hannah à H.

Aujourd'hui je préfère le rêve au risque. Ceci n'est rien de plus qu'un signe de vie.

Bien que plutôt morne, ce mot le réjouit. Il l'espérait autant qu'on peut espérer une chansonnette d'un comateux.

Le rêve. Le docteur laisse échapper un léger rire. Elle ne saurait rêver. Ce n'est pas mécanique qui lui convient. Son esprit est beaucoup trop pragmatique pour se laisser aller à se satisfaire d'images mentales. Son appétit va à la prise de risques. Sa déclaration est un contre sens. Elle se protège. Elle se ment. Elle lui ment.


Variation 9
Cannone alla terza

Hannibal Lecter déambule sur un chemin de vignes, lunettes de soleil sur le nez, vêtu d'un long imperméable beige. La saison est belle, mais fraîche. Au loin, un soleil pâle peine à se lever sur les collines.

Voilà plus d'une semaine qu'il concocte une réponse à l'intention de Clarice. Il rature sans cesse son esprit, triturant les brouillons, échafaudant des phrases imaginaires.

Il veut la séduire. Il hésite. Le caprice. C'est le caprice qui l'a toujours trahi, depuis les écorchés stylisés de l'école de médecine jusqu'au chasseur sublimé dans le rituel de « L'aigle sanglant » à son retour aux Etats-Unis l'année précédente.

Loin de relever de la simple fantaisie, il a vu cette tendance germer dans son esprit dès la nuit à Chesapeake. Avant cela, il voulait seulement la posséder et se nourrir du puits sans fond de sa psychologie, en explorant chaque névrose, titillant les traumatismes.

Le baiser qu'il avait appliqué sur ses lèvres l'avait rabaissé au simple rang humain. Ce soir là, elle l'avait rendu humble.

Une réponse si prompte de votre part n'était pas même espérée. Une

année de plus, Clarice. Une année de plus depuis ce petit repas plein

de surprises.

Plus de coup d'éclat pour vous depuis. Comme c'est triste. La vie

sans rebondissement doit être ennuyeuse, pour la justicière que vous êtes. Quant à moi, je vous propose un petit jeu. Voudrez-vous bien y prendre part,

Clarice ? Le 22/12, 23h45, connectez-vous à un logiciel de vidéoconférence sous le nom,

c'est prévisible, que vous connaissez. Le mot de passe est facilement décryptable. Je tiens

beaucoup à cette entrevue. D'ici là, ne vous faites pas

trop de mauvais sang, Clarice. Ne vous demandez pas si vous voulez me revoir. Acceptez-le.

Hannibal Lecter.


Variation 13

Clarice Starling se redresse au bord du fauteuil de cuir fauve. Ses mains triturent sur ses cuisses une feuille de papier crème. Ses yeux, suspendus dans le vide, ont l'éclat des larmes qu'elle n'assume pas. La voix d'Hannibal Lecter raisonne « acceptez-le ».

Veut-elle vraiment le revoir ? Pourquoi ? Pour se rassurer, seulement ? Parce qu'il l'attire ? Parce qu'il la fascine ? Parce qu'elle sait qu'il a besoin d'elle ? Un peu de tout, sans doute. Elle sait qu'il n'est pas seulement joueur et qu'il ne se sert pas seulement d'elle pour nourrir ses fantasmes et ses réflexions.

Elle peine à assumer le fait de vouloir compter sur autre chose que son revolver, son esprit critique et sa résistance physique. Dépendre de lui, c'est construire un pont en bois sur une rivière en crue et risquer de ne jamais pouvoir faire demi-tour. C'est accepter l'instabilité et l'aléatoire.

Et puis après tout, merde alors, pourquoi ne pas céder ? Si la « Morale » bloque, voilà bien un faux problème : le sens « moral », elle l'a perdu depuis longtemps. Depuis qu'elle a admis voir en Hannibal Lecter autre chose qu'un monstre.

Son regard se pose à nouveau sur la structure étrange de sa prose. Ces retour ligne intempestifs sont étranges venant de lui. Serait-il possible que…Ses yeux parcourent rapidement chaque début de phrase.

« Une année de plus sans vous Clarice c'est beaucoup trop »

Il a mis un genoux au sol. Clarice Starling sait pertinemment que sous la pulsion il oublie la prudence. L'inspiration l'aveugle. Cette fois-ci, elle peut le reprendre. Non pas pour le F.B.I., mais pour elle.