N.A: Cette histoire se passe environ sept ans avant mon autre fiction « La flamme du corbeau frileux », mais peut être lue toute seule.

B-Jovana: « J'aurais aimé en savoir plus sur la relation qui unissait Firkle et Michael... »


La cloche qui sonnait la fin des cours résonna bruyamment contre les murs de brique de l'école élémentaire de South Park. En quelques secondes, les couloirs furent investis d'une armée d'enfants, fourmillant comme des insectes ne cherchant qu'une chose : la liberté.

Ils parlent et communiquent les uns aux autres, sans réellement porter d'intérêt à ce que les autres leur disent : l'important c'est de parler, pas d'écouter. Faire le plus de bruit possible. Assez de bruit pour que celui-ci se rende jusqu'à la tête du petit Firkle, lui donnant l'impression d'être une cathédrale dans laquelle un groupe de death metal aurait décidé de jouer un concert : les échos rebondissant contre la paroi de sa cervelle pour retourner la heurter à l'infini.

Le brun quittait sa classe de CP, le dos voûté. La journée avait été difficile, et il se doutait bien que la soirée le serait aussi. Il n'attendait qu'une chose : pouvoir s'enfermer dans sa chambre pour sombrer dans un sommeil aussi vaste que cette école. Il avança un pas après l'autre vers son casier qu'il ouvrit d'un mouvement las de la main : ils n'utilisaient pas de cadenas, en CP.

En étirant le bras vers ses chaussures pour les attraper, il vit quelque chose d'inhabituel. Les lacets des baskets bleu délavé qui avaient été rongés par l'usure étaient emmêlés entre eux. Firkle tira sur un bout de lacet, puis sur un autre, avant de soupirer et de s'assoir directement au sol, tentant de les démêler.

Ce n'était pas la première fois que quelque chose de similaire lui arrivait, il en avait bien l'habitude. Cependant, c'était la première fois que les autres élèves allèrent fouiller directement dans son casier. Après plusieurs minutes à tirer et étirer les lacets blancs qui s'entortillaient comme un paquet de pâtes oubliées dans une casserole, qui auraient eu le temps de moisir puis de sécher jusqu'à devenir dure comme du ciment, il réussit à les séparer l'un de l'autre. Cependant, il ne les rattacha pas. Firkle ne savait pas faire ses lacets, alors il cacha les quatre bouts blancs à l'intérieur des souliers pour ne pas qu'ils trainent avant de se relever et de jeter un regard à la ronde : presque plus personne.

Il se dépêcha alors à sortir, ne voulant pas rater le départ de son autobus. Il jeta des regards nerveux à la ronde, fixant rapidement chaque visage autour de lui. Des élèves plus vieux, pour la majorité. Une fois arrivé à la porte de sortie, il posa un pied à l'extérieur et un vent froid vint le frapper : le ciel était teinté de nuages bleus. Enfin, ils étaient gris, mais un bleu-gris calme et silencieux.

On entendit les feuilles danser au rythme de la brise frigorifique alors que Firkle entra à l'intérieur du véhicule jaune bondé de corps. Beaucoup rigolaient, bougeaient, parlaient. Les yeux du jeune garçon firent une ronde avant de se poser sur un siège vide qu'il s'appropria immédiatement. La solitude, il en était habitué, en quelque sorte. Elle était une amie précieuse : l'assurance d'avoir le calme.

Il déposa sa tête contre la vitre qui reçut une goutte d'eau. Il ne pleuvait pas encore à l'extérieur, mais ça ne saurait visiblement tarder. Les roues du bus se mirent à rouler et le chauffeur fit sa ronde habituelle et monotone, sans réellement porter attention à l'armée de garnements qui se trouvait derrière lui. Un vieil homme aux cheveux gris, portant une casquette et des lunettes de soleil, même un jour de pluie.

Après une bonne douzaine d'arrêts, le bus se retrouva vidé. Il ne restait plus que le jeune garçon et le chauffeur aigri. Firkle vivait dans un endroit reculé de South Park, c'était pour cette raison qu'il finissait toujours dernier dans le bus. Ce n'était pas pour lui déplaire, en un sens. Finalement, le bus s'immobilisa, sortant Firkle de ses rêveries. Il descendit et fit face à son chez-lui : une maison à l'aspect négligé, au sol terreux et humide, presque aussi sale que le balcon aux blanches moisies ou que les fenêtres qui semblaient êtres elle-même domicile de toute la poussière du monde. Il avança, un pas après l'autre, souillant encore plus ses chaussures dans la boue.

La porte grinça lorsqu'il l'ouvrit et la referma. Firkle retira immédiatement ses souliers avant de s'avancer davantage sur le plancher autrefois blanc de la cuisine. Devant lui se trouvait un comptoir chargé de détritus et de vaisselle. À sa gauche, une table en bois vide, et à sa droite, le salon où son père se trouvait.

Firkle jeta un regard rapide dans sa direction : toujours le même homme négligé, en surpoids. Les cheveux rasés courts, il était écrasé sur le canapé devant la télévision : une petite boite antique. Une bière à la main, il grattait un jeu de loterie de l'autre et se mit à jurer. Il n'avait rien gagné. Sa cannette s'envola à l'autre bout de la pièce sous sa rage soudaine, déversant tout son contenu sur la moquette et sur la petite table de salon.

Discrètement, le garçon s'avança vers le couloir qui côtoyait la cuisine. Ce couloir comptait plusieurs portes : deux à gauche, et deux à droite. La dernière à gauche était complètement ouverte, tout comme celle qui lui faisait face. Il s'approcha de celle de gauche et commença à descendre l'escalier qu'elle ouvrait pour se rendre à sa chambre, au sous-sol.

Malgré tous ses efforts pour ne pas regarder dans la pièce qui faisait face à cette descente, il frissonna. C'était la chambre de ses parents. Enfin, de son père. Quand était la dernière fois que celui-ci y avait passé une nuit? Firkle n'en savait rien. L'avait-il seulement déjà fait.

Il descendit les escaliers un à un, toujours sur cette même moquette grise puante de cigarette. Son père ne se gênait visiblement pas pour fumer où il le voulait, même en la présence de son Fils. Firkle avait déjà aspiré tellement de fumée dans sa vie qu'il pourrait attraper un cancer. Une fois arrivé en bas, il jette un regard à sa droite : un vieux fauteuil brun faisait face à la télévision qui ne fonctionnait pas. Attendant que quelqu'un s'assoie dessus pour regarder cet écran noir et vide de sens.

Il ferma la porte de sa chambre derrière lui, alluma et s'allongea sur le lit qui prenait presque toute la place. Il n'y a rien à faire dans la chambre de Firkle : pas de télévision, pas d'ordinateur, pas de consoles de jeu. Alors il prend son carnet et dessine. Ses mains laissent libre-cours à ses pensées sur le papier, s'exprimant à la place des mots. De toute façon, personne ne serait là pour les entendre, ses mots.

Sur la page apparait lentement le croquis d'une rue pluvieuse. La perspective n'était pas parfaite, mais Firkle est bien meilleur que les autres enfants de son âge. Ce n'était pas réellement un choix, mais une conséquence de sa vie.

Une voix grasse fit alors trembler les murs de sa chambre :

— FIRKLE! MONTE EN HAUT!

Ce dernier obéit, se doutant bien que c'était son diner qui était servi. Il arriva devant une pile de jambon coupé en tranche. Il avait l'air sec et trop cuit, aucun accompagnement, rien. Posé là sur une assiette de céramique mal lavée. Il la prit et regarda son père du coin de l'œil : il engloutissait une pointe de pizza sans porter attention à son enfant, une cigarette dans sa main libre. Alimentant son corps d'énorme porc.

Pourtant, Firkle n'ose rien lui dire. Rien demander. De toute façon, il savait déjà ce qu'il risquait de recevoir comme réponse : « Tu es ingrat, moi je n'avais même pas ça pendant mon service, c'était du pain et des pommes de terre ». En se retournant, une planche craqua sous le poids anormalement faible du gamin :

— NON, MAIS ÇA VA PAS, J'ESSAIE DE REGARDER LA TÉLÉ MOI! TU AS FINI DE ME DÉRANGER TOUT LE TEMPS!?

Firkle se tut et redescendit s'enfermer dans sa chambre, sa pièce, sa boite. Habitué, il mangea la nourriture peu gouteuse et s'endormit là, complètement habillé comme il le faisait souvent.

Le lendemain matin, Firkle se fit réveiller en sursaut par un bruit strident et criard. Son réveil était défectueux et crachait là une agonie digne de celle d'un démon. Il l'éteignit en urgence avant de se relever, déboussolé. Il monte à l'étage pour s'enfermer dans la salle de bain et se dénuder, faisant couler l'eau de sa douche. Il y en avait tellement, d'eau. Peut-être la douche pleurait-elle, parfois.

Une fois lavé, il mangea un morceau de pain avec du beurre et se dirigea à l'extérieur pour attendre son bus qui arriva quelques minutes plus tard, à moitié remplies d'élèves. Il monta et s'assis, encore tout endormi.

À plusieurs reprises, il entendit les gens glousser autour de lui. Ses yeux étaient à moitié fermés et il fixait le vide, trop épuisé pour leur porter attention, si ça avait ça de bon. Il entendait des rires, des chuchotements. Mais rien ne lui semblait important.

Lorsqu'ils arrivèrent à destination, Firkle se mit en rang pour sortir et posa un pied au sol. À peine avait-il progressé de quelque mètre qu'il s'étala de tout son long au sol, s'irritant le visage contre la paroi rugueuse que formait l'asphalte. Des rires éclataient de tous les bords, garçons comme filles semblaient divertis une fois de plus par Georgie Firkle Smith.

Le feu lui montait aux joues et tous ses muscles étaient tendus, il baissa le regard vers ses pieds : ses souliers étaient attachés ensembles, une fois de plus. Il tenta de se redresser rageusement, mais ne fit que retomber au sol encore plus violemment sous les éclats de rire encore plus forts des élèves. Firkle retira ses chaussures et se redressa enfin. Tout autour de lui se trouvaient des gens hilares, l'encerclant. Ses poings se serrèrent. Son sang bouillait, mais il ne pouvait rien faire. Les larmes vinrent lui monter aux yeux, témoins fatalistes de son impuissance. Il les essuya d'un revers de la manche colérique avant d'accourir vers l'intérieur de l'école, laissant ses souliers-là, derrière lui, en compagnie des rires.

Le reste de la matinée se déroula dans le silence pour Firkle, et lorsque la récréation de midi sonna, il se chercha un coin tranquille et à l'écart. Il finit par le trouver juste devant une porte de service rouge, menant probablement au sous-sol de l'école. Le gamin s'assis devant pour regarder ses bas un moment, l'air triste. Puis, il se rétracta sur lui-même, posant son visage sur ses genoux et s'enroulant la tête de ses bras. Il était devenu une tortue se réfugiant dans son repère, sa carapace, sa boite.

— Ça va?

Firkle avait sursauté en entendant ses mots. Il releva la tête : à sa gauche était assis un enfant plus grand, probablement en CM2. Il portait de longs vêtements noirs. À vrai dire, tout de lui était noir : ses cheveux bouclés, ses bottes, ses pantalons, même le dessous de ses yeux l'était. Il n'y avait que sa peau blanche qui contrastait, donnant l'impression qu'il n'avait jamais vu le soleil.

Le gamin hoche la tête pour signifier que tout allait bien. Puis, le grand qui semblait être simplement apparu de nulle part déposa une main calme et froide sur son épaule. Une vague d'émotions contraires envahit l'esprit de Firkle, qui ne put, malgré ses poings serrés, retenir ses sanglots. La voix légèrement rauque du grand demande alors :

— Tu te sens seul?

Encore une fois, Firkle hocha la tête tout en reniflant. Le garçon se releva alors, surplombant ce dernier et masquant les rayons du soleil à son visage baigné de larmes. Il tendit la main dans sa direction, l'invitant à s'en saisir :

— Ce ne sera plus le cas.

Firkle se saisit timidement de la main qui l'attira alors que le grand se mit à marcher tout autour de l'école.

— Je m'appelle Michael. Et toi?

— Firkle.

Un moment de silence passa, on entendit quelques oiseaux au loin avant que Firkle ne demande d'une voix chevrotante :

— Pourquoi est-ce que tu es venu me voir?

Michael haussa les épaules sans détourner le regard qu'il portait sur l'horizon.

— J'ai mes raisons.

La discussion se poursuivit lentement, un peu banale, incertaine.

— Alors, qu'est-ce qui te rend malheureux?

— Pas mal de choses…

Michael sortit une cigarette de sa poche, la plaça en bouche et l'alluma d'une main, sans lâcher celle de Firkle.

— Mais encore?

— Et bien… firkle hésita. Je n'ai jamais connu ma mère, enfin pas vraiment. Et mon père n'est pas gentil.

— Pas gentil? répéta Michael.

Firkle hocha simplement la tête. La poigne de Michael se fit un peu plus dure avant de se détendre.

— Et ta mère?

— Elle est morte avant que je la connaisse. Un cancer.

Michael prit une grande latte, fermant les yeux avant d'expirer longuement. Puis, il demanda à Firkle si il voulait bien lui donner son adresse, ce qu'il fit sans aucune méfiance. Michael sembla un peu perplexe.

— Tu es certain que c'est ton adresse?

— Bah oui, pourquoi?

— C'est la petite maison délabrée?

— Oui je crois bien

Le grand eut un rictus :

— Alors je crois que nous sommes voisins.

Sur ces mots, la cloche se mit à résonner bruyamment. Michael se pencha sur Firkle pour qu'il l'entende :

— Écoute, mon père est un sale salarié conformiste et ma mère une femme au foyer bonne qu'à faire le ménage et à se plaindre. Du coup, si jamais tu veux venir chez moi, ne te gêne pas. Je suis la maison à droite de la tienne, la blanche.

Michael se redressa et Firkle sourit, visiblement plus relaxé. Alors qu'ils se séparèrent, Michael lança :

— Bon allez, on se revoit Snow!

— Snow? questionna le plus jeune avec un air perplexe

Michael sembla hésiter un instant, portant son doigt à ses lèvres.

— C'est parce que tu es blanc comme la neige.