Auteur: Altaïr
Disclaimer: évidemment, pas grand chose ne m'appartient (c'est bien dommage...). Je n'écris pas pour de l'argent etc...
Note: C'est une fic sur le film de Tim Burton, et vous allez rapidement constater que l'histoire vous est familière... Bon, personnellement je suis plutôt fan d'Ichabod Crane, mais je trouvais plus amusant et intéressant de trouver un point de vue disons… plus original… )
ON M'APPELLE LE HESSOIS...
Partie I:
Le Hessois. C'est le nom que l'on me donne parmi les Anglais. Mes compatriotes m'appellent le Cavalier. Ce sont les seuls noms que je connaisse. Pas de prénom, pas de nom de famille. Juste le Hessois. Mais ça ne me dérange pas, au contraire. Je suis le Cavalier, le seul, l'unique. Personne d'autre que moi ne peut monter, ni même toucher mon étalon: Trompe-la-mort ne les laisse pas faire. Le jour de notre arrivée dans ce camp, il a tué un homme qui voulait me le voler. Peu importe, c'est moi qui l'aurais tué si je l'avais surpris.
Lorsque je traverse le camp, ce que je fais rarement, ils me dévisagent tous d'un air impressionné et apeuré. Il suffit que je les regarde pour qu'ils baissent la tête et fassent trois pas en arrière. Je ne connais le nom d'aucun d'entre eux, pas même ceux des autres Hessois. Mais la compagnie de Trompe-la-mort me suffit. Je ne ressens aucune affection pour ces lâches qui se croient courageux parce qu'ils prennent des vies.
Prendre des vies... tuer... exterminer... Autant de termes qui les effraient presque. Pas moi. Ils se battent pour vivre, je vis pour me battre. C'est ce qui fait que jamais je ne me mêlerai à eux, et c'est très bien comme cela.
Ce matin, la vallée où la bataille va avoir lieu est recouverte de neige. Il fait froid. De la buée sort de ma bouche aux dents taillées en pointes. Je me tiens sur Trompe-la-mort, qui tremble déjà de l'excitation du combat à venir. Ce cheval me ressemble, il fait partie de moi. Je l'encourage en lui grattant les flancs avec mes éperons: bientôt, mon ami, bientôt...
Je jette un œil sur ceux qui sont censé combattre avec moi et retiens une grimace: pitoyable. Ils ont peur, je le sens d'ici. L'un d'entre eux prie derrière moi. Il prie pour son salut, celui de sa femme et de son fils. Je lui lance un bref regard qui le fait taire plus sûrement que si je lui avais coupé la langue.
Appréciant le silence retrouvé, je déguste le spectacle des ennemis qui se massent sur la colline en face. Non loin de là, je distingue un petit village. Je crois qu'il s'agit de Sleepy Hollow. Etrange, d'habitude je ne retiens pas ces noms quelconques. Aucune importance.
La charge est lancée. Je n'ai même pas besoin d'éperonner Trompe-la-mort, il part au galop. Je crie, je hurle ma rage de vaincre, de tuer. La première vague d'ennemis hésite en me voyant dévaler seul la colline. Erreur. Très grave erreur.
Je tire mon épée, la fais siffler dans l'air. J'aime le contact du pommeau en forme de tête de serpent dans ma main. Je ne suis plus qu'à quelques mètres de mes ennemis. Ils veulent leur indépendance, c'est leur droit. Les Anglais veulent garder leurs terres, c'est leur droit. Moi, je n'ai qu'un droit, qui prime sur celui des autres: tuer.
Un des soldats s'agenouille, lève son arme pour me viser. Encore une erreur. Trompe-la-mort fait un écart prodigieux pour tout autre, absolument banal pour lui. Je fonds sur ma proie et fais siffler ma lame. Il n'a même pas le temps de crier avant que mon épée lui tranche la gorge, faisant rouler sa tête dans la neige.
Ce premier mort semble tout déclencher. D'autres ennemis me mettent en joue, tirent. Sans résultat pour eux. Pour moi, trois têtes tranchées en plus. L'artillerie tonne sur la colline, fauchant les combattants qui l'escaladent. Bientôt la mêlée est totale. Personne ne sait qui est l'allié, qui est l'ennemi. Pour tout le monde, une seule chose compte: survivre. Il n'y a que moi pour qui une autre chose est encore plus importante: tuer. C'est pour cela que j'existe, je le sais, je le sens au plus profond de moi. Et j'adore ce pourquoi je suis fait.
Mon épée virevolte, tranchant les têtes qui sont au ras des flancs de Trompe-la-mort. Je suis comme en transe, je ne pourrais pas m'arrêter même si je le voulais. Et comme je ne le veux pas... Je continue ma danse macabre, teintant la neige de rouge. Rouge sang. Délicieuse couleur.
La bataille se termine. Les Anglais l'ont remporté. Ou peut-être les gagnants sont-ils Américains? Aucune importance: aujourd'hui, j'ai tué trente-sept personnes. Mieux que hier. Moins bien que demain.
Le soir commence à tomber. Il est temps de rentrer au camp, sinon ces larves d'officiers prendraient mon retard comme excuse pour me renvoyer en Hesse. Je ne pourrais plus tuer. Inconcevable.
Je quitte lentement le champ de bataille où je me suis attardé pour profiter de mon œuvre. Je décide de couper par les bois, ce sera plus court. Trompe-la-mort avance au trot, visiblement satisfait de sa journée.
C'est alors que tout bascule. Des détonations retentissent dans les fourrés non loin de moi. Les Américains. Ils veulent venger leurs camarades morts par ma faute. Ils sont cinq, peut-être six. Largement assez pour moi. Mais soudain Trompe-la-mort se cabre en poussant un cri de douleur, avant de basculer sur le côté. Je saute dans la neige pour ne pas être écrasé, avant de me diriger vers mon cheval. Une balle l'a touché en pleine poitrine. Il est mourant.
Fou de rage, j'empoigne mon épée et me redresse pour faire face aux assaillants. Mais ces lâches se terrent dans les fourrés pour me tirer dessus de loin. Avec un geste rageur, je prends la hache attachée à la selle de Trompe-la-mort, lui adresse une dernière caresse en guise d'adieu et bas en retraite.
Ils me suivent. Parfait. Je m'enfonce dans la forêt, pour mieux les y perdre. Je cherche un endroit propice pour leur tendre une embuscade, aperçois une clairière. Pour la première fois, je maîtrise ma rage de tuer pour garder mes forces et les battre au combat au corps-à-corps.
J'émerge des arbres, jette un regard autour de moi. Je sursaute presque en voyant que je ne suis pas seul. Deux gamines, pas plus de dix ans. Des cheveux blonds, des yeux bleus innocents. Elles ramassaient sans doute du bois. Maintenant, elles me fixent, figées. Je me rappelle que je ne suis pas loin du village que j'ai vu dans l'après-midi, c'est sûrement de là qu'elles viennent.
Ce n'est pas le moment de tout faire échouer: je leur fait signe de se taire, je ne veux pas qu'elles se mettent à hurler avant que je ne les tue. Par surprise, c'est le seul moyen. Je fais un pas vers elles, un deuxième... CRAAAC! Avant que je ne puisse l'en empêcher, une des gamines a brisé le morceau de bois qu'elle tenait entre ses mains. L'autre s'enfuit en courant. Celle-ci reste et me regarde dans les yeux. Elle soutient mon regard.
Des bruits et des cris montent derrière moi. Les soldats. Ils ont entendu le bruit de la branche. Fou de rage, je décide de les tuer avant la gamine. Ils sont plus menaçants. L'un d'eux émerge des bois. Il n'a même pas le temps de me voir que j'abats mon épée, faisant rouler sa tête dans la neige. Les autres se jettent sur moi. J'en tue deux. Pour Trompe-la-mort. Mais un est plus malin que les autres: il se glisse derrière moi et m'enfonce sa lame dans les côtes. Je crie, la douleur est atroce. Mais la rage de tuer est plus forte: sans même le regarder, je fais virevolter la hache que je tiens dans l'autre main et la lui enfonce dans l'abdomen. Je l'achève d'un revers en lui coupant la tête.
Mais je suis gravement blessé, je le sais. Bientôt le nombre me fait plier et ils me désarment. Je tombe à genoux, à bout de forces. J'en vois un qui ramasse mon épée, la lève au-dessus de sa tête. Je crie de colère. Ma propre lame s'abat sur ma nuque et la brise.
*****
Je sens l'air frais sur mes membres. J'ai les mains qui tremblent, je ne sais pas pourquoi. Ma vision est étrange. Comme si tout autour de moi était devenu rouge. Toujours ce rouge sang. Je suis monté sur Trompe-la-mort, qui a l'air en pleine forme. Mais quelque chose ne va pas. L'instant d'avant, j'étais dans cette forêt, on me tuait avec ma propre épée... Et maintenant je suis ici, sur Trompe-la-mort que je croyais assassiné.
Je me penche légèrement en avant, flatte l'encolure de ma monture. C'est alors que je réalise ce qui me dérange: il ne respire pas. Trompe-la-mort renâcle, hennit, mais il ne respire pas. Je m'aperçois avec stupeur que moi non plus. Je porte la main à ma nuque, là où l'épée m'a frappée. Mais il n'y a plus de nuque. Plus de mâchoire, plus de tête. Je ne respire plus, je n'ai plus de tête, et je suis toujours là.
Je n'ai pas peur. Je ne connais pas la peur. Mais je n'aime pas ça. J'entends et je vois, mais ce n'est pas réel. Je vois tout en rouge, mon oreille siffle en permanence. Enfin, mon absence d'oreille... Je sens vaguement quelques odeurs, mais tout est noyé dans du souffre. Trompe-la-mort n'est pas à l'aise non plus. Il pivote nerveusement et c'est seulement à cet instant que je «regarde» autour de moi.
Une clairière. Les arbres tordus qui m'entourent sont bien ceux de la forêt dans laquelle je suis mort. Mais la neige a disparue. Maintenant, les sabots de Trompe-la-mort retournent un épais tapis de feuilles mortes. Combien de jours, de mois séparent cet instant de celui de ma mort? Pour moi, tout a été instantané.
Je lève mes «yeux» et vois un arbre se dresser au-dessus de moi. Son tronc est tordu, craquelé. J'aime bien la sensation qu'il dégage. Elle me rappelle les champs de bataille, l'odeur de sang... Je réalise soudain que cet arbre est ma demeure. Je le sais, c'est tout. Je n'ai pas d'explication et je n'en ai pas besoin. Rien que la certitude d'avoir cet arbre comme domicile me plaît, me rassure.
Je fais avancer Trompe-la-mort. Une branche m'égratigne le bras. Je ne sens rien. Mon sang ne coule pas. Après un petit temps d'hésitation, ma main se referme sur mon épée. Je la sors lentement de son fourreau et m'entaille profondément la main avec la lame. La blessure est bien là, mais il n'y a pas de sang, pas de douleur. Je réalise que la lame me brûle, même si elle semble toujours aussi froide.
Alors que je comprends que je suis invulnérable, une voix résonne soudain à l'endroit où aurait dû se trouver ma tête. Je mets un peu de temps avant de la comprendre. Tu es réveillé. C'est bien. Maintenant, tu vas m'écouter et me servir. Je détiens ta tête, ce qui fait de toi mon serviteur.
« Fais ce que je te demande et je te la rendrai.»
Cette fois, la voix monte à mes côtés. Je tourne la tête et vois une forme humaine qui se tient debout près de mon arbre. Elle est orange dans la lumière rouge qui noie ma vision. Je distingue une femme. Un crâne repose dans sa main. Un crâne aux dents limées en pointes. Mon crâne. Ma tête.
Je veux lancer Trompe-la-mort vers elle pour lui reprendre mon bien, mais je suis incapable de lui faire du mal. Je le sens au fond de ce qui reste de moi. La femme ricane. Elle m'est vaguement familière, mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi.
« Ne t'en fais pas, cela ne te sera pas désagréable. Je dois te demander de tuer pour moi.»
Je me sens tout de suite plus à l'aise. Tuer. Je me rends compte que mon épée n'a pas servit depuis longtemps. Trop longtemps.
« Tu es mort il y a plus de vingt ans. Je t'ai ramené des Enfers pour que tu me venges.»
Vingt ans... Je contemple ma lame et comprend pourquoi elle brûle. En même temps, je comprends pourquoi Trompe-la-mort et moi sommes invincibles. Mes armes sont démoniaques. Mon cheval est démoniaque. Je suis démoniaque. Et je crois que je vais adorer ça.
Quelques minutes plus tard, je galope plus vite que jamais sur un chemin forestier. Mis à part cette désagréable sensation d'être sans tête, je me sens incroyablement bien. Mieux, l'absence de mes yeux m'a doté d'un sens supplémentaire. Une sorte d'intuition qui me dit précisément où se trouvent les victimes que je dois tuer. Où se trouvent les victimes de cette femme. Très pratique lorsqu'on est un tueur.
Des éclairs illuminent brièvement le ciel. Le tonnerre gronde. Je sais que cette tempête signifie mon retour. Le retour du Hessois. Tremblez maintenant. Je suis déjà mort une fois, je ne le serai plus une seconde.
J'arrive à un carrefour. Mon nouveau sens me guide à gauche. Je poursuis une diligence. Mes victimes sont à l'intérieur. Peter et Dirk Van Garrett. Tue-les. Venge-moi. Elle leur en veut. Beaucoup. Peu m'importe pourquoi. Je ne demande qu'à tuer.
Je vois la diligence apparaître sur le chemin devant moi. Deux chevaux lumineux à mes yeux la tirent. A l'intérieur, deux formes brillantes, deux humains. Ceux-là sont encore plus lumineux, presque dorés. C'est la marque de mes victimes. Trompe-la-mort accélère. Je me rapproche. Je sens mes victimes, leurs émotions. Le plus jeune, Dirk, est inquiet. L'orage. Le plus vieux ressent ma présence. Il a peur. Il ne sait pas pourquoi, ce qui l'effraie encore plus. Il a raison d'avoir peur...
Cette voix me dérange un peu. Je devine que la femme sait ce que je ressens. Elle a ma tête. Je suis mort. Je dois tuer pour la reprendre. J'ai connu pire. J'ai envie de sourire en tirant ma lame. Je le ferai quand j'aurai retrouvé ma bouche. Le bruit du métal dans son fourreau attire l'attention du conducteur. C'est une forme dorée. Une victime. Le jeune. Il se retourne. Il me voit. Il ouvre la bouche pour hurler. Mon épée s'abat. Aucune chance. Sa tête roule sur le sol. J'observe qu'il n'y a presque pas de sang. Mon épée brûle du feu de l'enfer.
Une impulsion me pousse soudain à faire demi-tour. La tête de ma victime brille faiblement sur la route rouge sang. Je la harponne avec mon épée. Je dois la ramener avec moi, j'ignore pourquoi. Je le dois. J'empoigne un sac accroché à l'arrière de ma selle. J'y glisse le crâne. Trompe-la-mort se cabre et retourne à la poursuite de la diligence.
Je constate que mon autre proie n'est plus à l'intérieur. Je jette un œil autour de moi. Dans le champ. La forme dorée se démarque clairement dans les maïs. Van Garrett court. Il a peur. Très peur. Tue-le! Pas besoin de la voix. Je sais ce que j'ai à faire.
Je descends de Trompe-la-mort. Je prends ma hache avec moi et m'enfonce dans le champ. A la poursuite de ma victime. L'homme court au hasard. Sa panique le perd. Il s'arrête soudain, effrayé par un visage grimaçant devant lui. La forme ne brille pas. Ce n'est pas un être vivant. J'aurais ricané si j'avais eu une bouche: un épouvantail. Il a eu peur d'un épouvantail.
Je lève ma hache. Avertit par cette intuition qu'ont parfois les proies, il se retourne. Il n'essaie même pas de hurler. Il me regarde juste avec des yeux exorbités. Avec satisfaction, je fais tomber ma hache sur sa gorge.
Le sac accroché à l'arrière de ma selle contient les deux têtes. Trophées macabres. Trompe-la-mort est heureux de galoper à nouveau. Moi aussi. J'arrive près de mon arbre. L'Arbre des Morts, si j'ai bien compris. Un nom qui me va tout à fait.
J'arrête mon cheval devant l'arbre. Ses racines et ses branches brillent doucement. Elles sont vivantes. Enfin, d'une certaine manière. Je réalise soudain que les racines ne se contentent pas de briller. Elles bougent. Elles se tordent, se contractent pour s'écarter les unes des autres. Bientôt, un espace vide reste au milieu. Il est encore plus rouge que le reste.
Comme souvent depuis ma mort, je sais ce que je dois faire sans que personne ne m'ait rien dit. J'éperonne Trompe-la-mort. Il hennit et bondit vers l'arbre. Ses sabots quittent le sol et je vois ses antérieurs pénétrer dans la substance qui remplit le tronc. Puis ma vision cesse d'un coup.
Je dors. C'est une forme de repos. Un peu au-dessus de moi, les têtes sont restées accrochées derrière les racines. En-dessous, les profondeurs m'appellent. Mais je ne peux pas y aller. Pas encore. Je dois d'abord retrouver ma tête. Et pour l'instant, j'attends que la femme me désigne mes prochaines victimes.
*****
L'air est toujours aussi frais. Cette fois, je reprends conscience au moment où Trompe-la-mort émerge de l'arbre. Je suis sur son dos. Nous sommes indissociables l'un de l'autre. La voix résonne à nouveau. Je t'appelle une nouvelle fois, mon cavalier impur. Viens pour une autre tête, viens! Mon cheval se cabre et part comme une flèche à travers les bois. Le temps de m'habituer à ma vision ensanglantée et je le reprends en main. Je le guide vers ma nouvelle proie.
Je sais que quelques jours sont passés depuis mes deux premières victimes. La nuit est presque tombée. De toute façon, les nuages cachent le soleil couchant. Je m'aperçois que j'approche d'un village. Sleepy Hollow. C'était donc mon destin de me retrouver ici. C'était donc pour cela que ce village attirait tellement mon attention. Ou peut-être pas finalement. Peu importe.
Trompe-la-mort galope à la lisière de la forêt. A travers les murs des maisons, je vois des formes lumineuses vivre et respirer. Une envie de meurtre monte en moi. Je veux dévier mon étalon, l'entraîner vers ces êtres qui vivent et ne me craignent pas. Je veux les tuer, qu'ils meurent par ma main. Mais la voix m'arrête. Pas eux, Cavalier. Seulement ceux que je t'indique. Je ne peux malheureusement pas résister et doit rester loin des maisons. La rage d'être esclave brûle au fond de moi. Par ici. La voix est sèche. Autoritaire. Je hais l'autorité. Mais je n'ai pas le choix.
C'est alors que j'aperçois mon lot de consolation. Une silhouette dorée. Ma victime, enfin. Trompe-la-mort l'a sentit lui aussi. Il accélère encore. Je tire mon épée. Sensation délicieuse de puissance. C'est elle. Tue-la elle et son enfant. Mes proies sont une femme et un enfant. Un peu décevant. J'aime quand on me résiste.
La femme se redresse. Elle était en train de jardiner. Elle lève un regard inquiet vers le ciel zébré d'éclairs. J'approche, l'épée en main. Elle tourne la tête, me voie. Je fais siffler ma lame vers sa nuque. Mais elle est plus maligne et courageuse que les deux premiers. Elle roule sur le sol. Je la manque. Elle se relève et dévale la colline en hurlant à l'assassin. Je lance Trompe-la-mort derrière elle. Peut-être vais-je m'amuser, après tout.
La femme est rapide, mais pas assez. Sa longue robe la gêne pour courir. Elle gagne la place du village. Répondant à ses cris, des fenêtres s'ouvrent. Des hommes sortent sur leur palier, en armes. Tous me voient. Aucun n'essaie de m'arrêter. Ils ont trop peur.
J'ai rattrapé ma victime. Elle crie un peu avant que je ne lui coupe la tête. Je la ramasse dans mon élan et la brandit au bout de mon épée. Trompe-la-mort se cabre. J'observe avec satisfaction le visage des humains. Ils sont vraiment terrifiés maintenant. Un petit groupe attire mon attention. Cinq hommes sur le seuil d'une porte. L'un d'eux, habillé en révérend, se signe avec frénésie. Un autre résiste visiblement à l'envie de fuir à toute jambes. Le troisième me fixe avec le seul œil valide qui lui reste. Le quatrième, un magistrat, tripote un talisman métallique entre ses doigts boudinés. C'est le dernier qui parle:
« Il... il a tué la veuve Winship!»
Je veux me lancer en avant et sentir mon épée réduire tous ces corps en bouillie. Mais la voix m'arrête une nouvelle fois. Patience, leur tour viendra. Baltus est sur la liste. N'oublie pas l'enfant. Bouillant de rage, j'essaie de lui échapper. Mais elle me tient. Ne te débat pas et obéit! Tu n'as pas le choix! A contrecœur, je baisse les yeux vers le corps de la veuve. Je distingue une forme qui brille encore faiblement dans son ventre. Un minuscule enfant. Tue-le! Aucun intérêt. Pas amusant. Mais ce n'est pas moi qui décide. Mon épée s'enfonce dans le ventre de la femme pour couper la tête de la fille qu'elle portait. Je ne pourrai pas la ramener. Ce n'est pas grave.
Trompe-la-mort pousse un hennissement retentissant et repart au galop vers la forêt. Sur mon passage, tout le monde plonge à l'intérieur de sa maison. Je tente une dernière fois de faire un écart. Je t'ai dit de m'obéir! Je quitte le village. Et je me jure que dès que je le pourrai, je tuerai cette voix et sa propriétaire.
*****
Lève-toi une nouvelle fois, mon cavalier! Viens! Lève-toi et tue pour moi! Cette fois les bois sont pleins de brume. Un brouillard épais et glacé. Il m'obéit. Il me précède et m'entoure. Je contemple quelques secondes mon arbre avant de partir au galop. Soit rapide et efficace. Les victimes seront plus rapprochées maintenant. Celle qui me dirige se sent menacée. Je ne sais pas pourquoi. Pour une fois, j'aimerais le savoir. J'espère qu'elle n'est pas en danger de mort. Je veux la tuer moi-même.
Encore vers le village. J'aperçois une tourelle de défense construite à la va-vite. A l'intérieur, la silhouette dorée que je cherche. Un peu devant moi, des langues de brouillard s'étirent, sortent de la forêt pour étouffer les flammes des torches de garde. J'entends presque le cœur de ma proie faire des bonds dans sa poitrine. Il arme son fusil et attend que je sorte des bois. Parfait.
Vas-y! Tue-le! Cette voix m'énerve. Elle m'empêche de m'amuser. Elle m'empêche de tuer. Je décide de passer ma rage sur le gardien du village. C'est Masbath. Il est au courant pour l'héritage. Tue-le! Je sens le mépris monter en moi. Une histoire d'argent! Ces humains sont absolument pitoyables! Tue-le!
Je lance Trompe-la-mort en avant, plus pour échapper à la voix que par réelle envie. Mais bien vite, les sensations me reviennent. Je goûte avec plaisir à la vitesse de mon étalon, à la peur palpable de ma proie. Soudain l'homme tire. Il me touche. Je m'accroche aux rênes de Trompe-la-mort pour ne pas vider les étriers. La balle m'a déchiqueté la poitrine, je suis presque sûr qu'on peut voir à travers. Ma blessure ne saigne pas. Elle ne me fait pas mal. Mais qu'est-ce qu'elle peut me faire enrager!
Cette fois, j'en fais une affaire personnelle. Fou de rage, je me jette sur la tour de garde et attaque la base à la hache. Trois coups me suffisent pour l'abattre. J'entends un cri lorsque la tour s'écrase à mes pieds. Puis je vois ma victime se redresser parmi les décombres. Il me regarde quelques secondes sans bouger. Puis il pousse un cri d'horreur et fuit en lâchant son arme. Trompe-la-mort se lance à sa suite.
Masbath court. Il gagne la forêt et s'enfonce sous les arbres. Peut-être espère-t-il y être à l'abri. Il se trompe. Je le poursuis et tire mon épée. La peur lui donne des ailes, mais cela ne suffit pas. Mon étalon est trop rapide. Je suis trop rapide. Je le rattrape et lui tranche la tête d'un coup d'épée. Le corps fait encore quelques pas en chancelant, avant de s'écrouler.
Je ne ralentis qu'au bout de quelques mètres. Puis je tire sur les rênes pour faire demi-tour. Je m'arrête en approchant des restes de ma victime et les contemple quelques secondes. La tête brille encore faiblement à mes yeux. Je sens la rage de tuer intacte en moi. Une victime par nuit ne me suffit pas. Mon envie de meurtre contre cette femme qui me retient ne fait qu'augmenter à chaque fois. Je transperce la tête de mon épée avec un geste rageur. Puis je lance mon cheval en direction de l'Arbre des Morts. Je n'ai pas besoin de ranger la tête dans le sac, l'arbre n'est pas loin.
La voix ne semble pas vraiment s'adresser à moi. Parfait. Il ne remontrera jamais jusqu'à moi. Qui ça «il»? Celui que je viens de tuer peut-être. Non. Elle craint quelqu'un d'autre. Quand à savoir qui... L'arbre se dresse dans la brume, devant moi. Ses racines se tordent pour me laisser passer. Soudain, j'aperçois quelque chose qui me retient. Là, près du tronc. Une épée est plantée dans le sol.
Je descends de cheval et m'approche. Je compare mon épée sur laquelle la tête est encore plantée avec celle qui est plantée au pied de l'arbre. Identique. Sous mes pieds, le sol a été retourné récemment. Mon épée. Ma tombe.
Une impulsion me pousse à m'enfoncer un peu dans les bois. J'arrive dans une clairière. Même sans la neige, je ne peux que la reconnaître. J'avance lentement. Tant de souvenirs remontent à la surface. C'est ici que je suis mort. Que fais-tu? Rentre dans l'arbre! Je t'appellerai bientôt! Allez! C'est seulement à cet instant que je la reconnais. Cette femme. Je sais où je l'ai déjà vu.
Je fais demi-tour et remonte sur Trompe-la-mort. J'aurais dû tuer cette gamine quand j'en avais l'occasion. Il y a vingt ans. Mon cheval bondit dans le tronc. Si je l'avais fais alors, je ne serais pas son esclave aujourd'hui.
*****
Lorsque je me lève une quatrième fois, c'est en sursaut. Vite! Réveille-toi! Il s'enfuit! La voix est très pressante. Rattrape-le et tue-le! Tout de suite! Trompe-la-mort est déjà parti au galop. Les arbres défilent autour de moi. Mon sens de tueur me guide à proximité de Sleepy Hollow. Vite! Cet imbécile est sur le point de tout révéler!
Elle a peur qu'on la découvre. Les animaux sauvages fuient devant moi. Le tonnerre gronde quand mon étalon accélère. Bientôt je m'approche de la lisière de la forêt. Je tire mon épée. Je vois enfin la silhouette dorée que je cherche. Reconnais avec une certaine surprise le magistrat superstitieux vu il y a quelques nuits. Un autre humain semble parler avec lui. Une forme orange. A épargner. Dommage.
J'émerge de la forêt en semant la panique dans un troupeau de moutons. Trompe-la-mort pousse un hennissement retentissant. Les deux humains se tournent vers moi et pâlissent à vue d'œil. Le magistrat fait demi-tour et court aussi vite qu'il le peut. C'est-à-dire aussi vite que son ventre rebondit le lui permet. J'aimerais avoir une bouche pour sourire.
L'autre humain, complètement figé par mon apparition, finit par faire un bond phénoménal en arrière quand je le frôle. J'ai vaguement l'impression qu'il perd l'équilibre derrière moi. Mais je suis fixé sur ma proie. Arrivé en haut de la colline, à bout de souffle, ma victime s'arrête. Il se retourne, me voit approcher. Ouvre la bouche pour crier. Il ne réussit qu'à gémir. L'instant d'après, mon épée a séparé sa tête de son corps.
Trompe-la-mort a conscience de mon triomphe. Il renâcle et se cabre au-dessus du corps du magistrat. Je vois la tête dévaler la pente de la colline. Elle est arrêtée, par le plus grand des hasards, par le corps de l'autre être humain. Je ris intérieurement en voyant son visage décomposé par le dégoût et la peur. Il lève les yeux et me fixe. J'ai l'impression qu'il a du mal à croire ce qu'il voit. Tant mieux.
J'aimerais dévaler la pente lui prouver à coups d'épée que je suis bien réel. Mais bien évidemment... Ne recommence pas! Je t'interdis formellement de le tuer! Du moins, pour l'instant. Je me charge moi-même de détruire cet inspecteur de pacotille... Un inspecteur... Alors c'était lui qu'elle craignait depuis quelques temps. Elle avait peur qu'il la démasque. Je ris encore une fois intérieurement en voyant cet homme qui lui fait si peur trembler en bas de la pente. Je vais un peu m'amuser avec ses nerfs...
Je dévale la colline vers lui, l'épée brandie. Je vois bien dans ses yeux brillants qu'il croit sa dernière heure arrivée. Comme j'aimerais un peu baisser ma lame et lui donner raison! Mais je ne peux pas. Je t'ai dit de me le laisser! Prend cette tête et arrête de te rebeller contre moi! Fou de rage, je tire sur mes liens imaginaires. Alors que je transperce la tête du magistrat, je réussis à frôler celle de l'inspecteur. Arrête tout de suite! Je ne l'ai pas touché. Mais j'étais assez près pour me redonner l'espoir d'une liberté prochaine.
Alors que je m'enfonce dans les bois, je perçois que l'inspecteur en question perd connaissance. Je lui ai vraiment fait la peur de sa vie, on dirait! Tu me le paieras, Cavalier... Et comment espère-t-elle me punir? Elle sait très bien que je suis invincible. Que je ne ressens plus la douleur. Elle ne peut pas me faire payer. Et elle le sait.
J'aperçois mon arbre. Je suis content de moi. Ce soir, j'ai failli faire une victime supplémentaire. Ce soir, j'ai failli tuer sans qu'on m'en donne l'ordre. Ce soir, j'ai appris que je pouvais me rebeller. Et je ne l'oublierai pas.
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