J'ai l'impression que mes jambes ne pourront plus me porter encore longtemps.

Et pourtant, je continue de courir à en perdre haleine, me retournant de temps à autre, entre deux pas de course, afin de vérifier si je suis toujours poursuivie.

Pour m'apercevoir, à chaque fois et avec une grande déception, que oui.

Je traverse ainsi cette lugubre forêt, écartant au passage avec ma main libre les branches qui se trouvent sur mon chemin. La respiration haletante, je peine davantage, à chaque seconde qui s'écoule, à reprendre mon souffle, et ai l'impression que je pourrais tomber dans les pommes à n'importe quel moment.

Mais je dois continuer. Quoi qu'il arrive, je ne dois pas m'arrêter de courir.

De faibles échos de voix, auxquels se mêlent des hurlements de Grahyena, parviennent à mes oreilles. Mon sang se fige dans mes veines et, ne pouvant me résoudre à perdre du temps en tournant une nouvelle fois la tête, j'accélère le rythme.

Mes muscles, douloureux, se contractent sous l'effort et, un instant, j'oublie tout ce qui m'entoure pour ne penser qu'à ma course, ne me concentrer que sur ma respiration. J'inspire et expire difficilement, tandis que ma main se comprime, par réflexe, sur le paquet qu'elle enserre.

Plus je m'avance dans la forêt, plus le chemin devient impraticable et, bientôt, je ne peux plus avancer. Je jette un rapide coup d'œil autour de moi, à la recherche d'un autre passage, et constate que je suis forcée de faire demi-tour.

Sans prendre réellement le temps de réfléchir, j'attrape une Pokéball à ma ceinture et la lance devant moi.

— Massko, utilise Lame-Feuille pour dégager un passage ! ordonné-je en me retournant légèrement pour observer dans mon dos.

Le Pokémon s'exécute et, tandis qu'il continue d'avancer rapidement en nous débarrassant des branches encombrantes, je m'engage à sa suite. Finalement, notre chemin nous ramène sur un petit sentier de terre praticable et je le fais rentrer dans sa Pokéball en le remerciant, pour m'élancer de nouveau dans une course effrénée.

Mon cœur se remet à tambouriner au rythme de mes pas précipités, et bientôt je n'entends plus qu'eux qui résonnent à mes tympans. Mon précieux paquet plaqué contre ma poitrine, comme s'il s'agissait de la huitième merveille du monde, je considère un instant la situation.

Quelle idiote, ça m'apprendra à foncer tête baissée.

Après quelques minutes interminables, je me permets enfin une courte pause et m'adosse contre le tronc d'un arbre.

Je n'entends plus de bruit, sans doute ai-je réussi à les semer. Ou, tout du moins, à prendre de l'avance...

Malgré moi, je sens mes jambes trembler, tellement qu'elles menacent de me laisser m'écrouler à chaque seconde qui passe. C'est un supplice. Mon corps ne pourra bientôt plus me porter, si je continue ainsi.

Mon sang pulse à mes oreilles et, alors que cette pause aurait dû me soulager, je me rends compte qu'elle me pénalise plus qu'autre chose. Je perds pieds, incapable de retrouver le contrôle de mon corps qui se laisse, malgré moi, glisser le long de l'arbre contre lequel je suis.

Je ne sais même plus depuis combien de temps je cours, déjà.

Mes yeux se ferment lentement, sans que je ne parvienne à lutter, et je n'entends plus rien. Le néant. Mes oreilles bourdonnent, douloureusement, j'ai l'impression que plus jamais je ne reprendrai le contrôle de mes membres.

Pourtant, un bruissement de feuilles m'y oblige et mes paupières se rouvrent brusquement. Mon cœur prend une course effrénée dans ma poitrine, prêt à en sortir, tandis que je reste paralysée, mes jambes ne répondant plus de rien pour me relever.

Je prends une large inspiration – comme si ça allait changer les choses – et, alors que je m'apprête à me faire attraper, je réalise que c'est un petit Saquedeneu qui me fait face. Il me regarde un instant, l'air incrédule, en penchant la tête.

Ou plutôt le corps...

Je laisse échapper un soupir de soulagement, ne pouvant finalement retenir l'esquisse d'un faible sourire en le voyant trottiner pour s'approcher de moi.

Soudain, j'ai l'illumination. Si je ne peux plus courir, rien ne m'empêche de me cacher.

— Saquedeneu, tu veux bien m'aider ? demandé-je, la respiration encore légèrement haletante.

— Saqueuuuu ? répond-il, enthousiaste.

— Pourrais-tu... m'aider à monter tout en haut d'un arbre, avec ton attaque Fouet Lianes ?

Le Pokémon me considère un instant et lève les yeux en direction de l'arbre contre lequel je suis assise. Je l'imite, et me rends compte, d'une rapide œillade, qu'il s'agit du plus haut de tous ceux qui m'entourent.

— Saqueuu !

Devinant qu'il s'agit d'une approbation, je prends appui sur le tronc pour me relever et l'entoure ensuite de mes mains, faisant attention à ne pas lâcher mon paquet. Je fais signe au Saquedeneu que je suis prête, et deux lianes sortent de la boule de nœuds bleue qui lui sert de corps, pour venir s'enrouler autour de ma taille.

Je déglutis en fermant une courte seconde les yeux, et laisse échapper un petit cri de surprise en sentant mes pieds se décoller du sol. Cependant, l'euphorie qui me gagne s'évanouit aussitôt que j'entends, au loin, un bruit. Mes iris bleus fixent l'horizon, et je réalise que les feuilles bougent.

Oh non. Pas déjà.

Saquedeneu me pose délicatement sur une des branches les plus hautes et solides, et je me raccroche rapidement, de toutes mes forces, au tronc, qui est désormais mon seul soutien, si je veux rester en vie.

Je mime un merci silencieux au Pokémon, qui s'engouffre de nouveau dans les buissons. Mon cœur s'excite contre le bois, faisant trembler tout mon corps, et ce que je regrette – et espère à la fois – arrive : une meute de Grahyena traverse en courant le sentier de terre battue, juste en bas, avant de s'enfoncer davantage dans la forêt.

Un soupir de soulagement franchit le seuil de mes lèvres entrouvertes en constatant que, à cette hauteur, ils n'ont pas été capables de sentir ma présence. Et sans doute étaient-ils trop concentrés dans leur course.

Je reste un instant silencieuse, profitant de ce court moment de répit pour reprendre mes esprits et me calmer. Si les Grahyena sont passés, leurs horribles dresseurs ne vont pas tarder à en faire de même.

Alors que ma respiration commence enfin à se calmer, je prends finalement le temps d'analyser le paquet de tous mes ennuis. Une grande enveloppe, sur laquelle le « M » de la Team Magma est inscrit, accaparant toute la place, mais laissant tout de même visible un petit « Pour Max ».

Je m'apprête à l'ouvrir lorsqu'un bruit attire de nouveau mon attention, dans la direction par laquelle sont arrivés les Pokémons, quelques instants plus tôt. Comme par réflexe, je plaque une main sur ma bouche, comme si le moindre son pouvait m'échapper malgré moi.

En seulement quelques secondes, j'aperçois du monde, en bas. Tous habillés de leurs fidèles vêtements noirs et rouges, ils traversent l'allée, le regard rivé sur l'horizon face à eux.

Ne levez pas la tête, pitié.

Je reconnais immédiatement l'admin Keylian, à qui j'ai été confrontée il y a peu de temps, accompagné de plusieurs sbires.

De nouveau, une vague brutale d'angoisse me heurte de plein fouet : ils me cherchent.

— Je crois que nous l'avons perdue, chef, commence un sbire d'une voix désolée, en se tournant vers Keylian.

— Non, c'est impossible. Elle doit continuer de courir au travers de la forêt, indique l'admin, sûr de lui. Les Grahyena vont la retrouver, avec leur flair. Elle ne peut pas leur échapper !

La voix de cette homme me glace le sang, me fait frissonner. La première fois que j'ai été confrontée à lui, je n'ai pas souvenir d'avoir été intimidée, malgré la prestance que cet être détestable dégage. Pourtant, à cet instant, mon cœur se comprime douloureusement dans ma poitrine, au son rauque de ses mots.

Imbécile, ressaisis-toi.

Je les regarde s'éloigner et un sourire se dessine sur mes lèvres lorsqu'ils disparaissent de mon champ de vision. Je me laisse aller une courte seconde à mon soulagement, et là s'impose à moi un problème auquel je n'ai pas le moins du monde réfléchi : comment je redescends, moi ?

Ma vue se trouble face au vide et je considère en déglutissant la hauteur qui me sépare du sol. C'est impossible, je ne peux pas descendre seule. Mes mains commencent à devenir moites, tandis que je regarde partout autour de moi, à la recherche d'une solution.

Mais rien.

Il n'y a rien.

Ma respiration, qui a peiné à retrouver son calme, recommence à s'accélérer et bientôt j'inspire et expire trop irrégulièrement. Je n'ai jamais spécialement eu le vertige, mais il faut bien avouer que j'ai vécu des situations bien plus agréables et rassurantes...

Alors que je commence à paniquer, je n'entends pas que les buissons remuent, et c'est un cri qui me ramène à moi :

— Saquedeneuuu !

Instantanément, mon corps se décrispe et j'observe le Pokémon planté en bas de l'arbre, qui me regarde en sautant d'un pied sur l'autre. Sans que je n'ai rien besoin de le demander, il sort de nouveau ses lianes pour venir les enrouler autour de ma taille et me faire descendre.

Dès que mes pieds touchent la terre ferme, je manque de m'écrouler de soulagement, et un rire nerveux traverse mes lèvres.

J'ai bien cru que j'allai rester coincée là-haut.

Cet état second ne dure toutefois qu'un temps, et je reprends rapidement mes esprits.

— Je dois me dépêcher, merci beaucoup Saquedeneu, indiqué-je à l'attention de la petite boule de nœuds qui affiche un large sourire naïf et innocent.

Je jette un bref regard à la direction qu'a empruntée la Team Magma, avant de m'élancer à l'opposée, du côté par lequel je suis arrivée. S'ils ne me trouvent pas, sans doute vont-ils rebrousser chemin.

Alors je ne dois pas rester ici, et regagner Mérouville.