Titre : Before the dawn

Base : GW

genre : aventure, amitié, amour, angst

Statut : en cours, triptyque

Rating : M

Disclaimer : bandai a sûrement plein de droits sur ces pauvres garçons, mais pas nous.


AVANT L'AUBE


Une heure avant l'aurore, il faisait encore nuit noire

Duo renifla. Un filet de sang dégoulina de son nez. Dommage, dans d'autres circonstances, il se serait volontiers amusé à chercher des yeux le petit cul moulé dans du spandex qui pouvait lui faire pisser le sang comme ça. Les circonstances, tout n'était qu'une question de circonstances. Dans d'autres lieux, d'autres époques, ils auraient été... pas heureux, non, mais au moins normaux, ils auraient eu une autre chance. Pas de bol. Dans les circonstances présentes, il savait bien que c'était une mandale expresse de la part du propriétaire du petit cul en question qui avait provoqué son hémorragie nasale.

Il toucha l'arrière de son crâne : le coup lui avait laissé une énorme bosse et il sentait comme une entaille. Ce malade n'a jamais su trouver la juste mesure, maugréa-t-il pour lui-même.

Il se rassit sur le tabouret dont il avait chu lorsque son équipier l'avait assommé. Il se massa à nouveau le crâne, cela faisait un mal de chien.

« Faisons le point, se dit-il plus pour lui même que pour son auditoire inexistant. Il a pété un câble ? Nan, trop simple. Il a décidé de me faire payer quelque chose ? Mouais, pas son genre. Il a décidé que ça me ferait du bien de me faire frapper tous les jours ? Non, il se fout complètement de ce qui peut me faire du bien, sinon ça ferait longtemps que... bon, voilà. Alors, il veut juste se débarrasser de moi, conclut tristement Duo. »

Restait à savoir si c'était définitif ou juste temporaire.

« Si c'était définitif, il m'aurait collé une bastos entre les yeux. Pourquoi est-ce qu'on l'appellerait perfect soldier, sinon ? Pour l'emmerder certes, mais encore ? Nan, s'il ne m'a pas encore ouvert un troisième œil, c'est parce qu'il veut se passer de moi mais pas de façon permanente. Dieu soit loué ! Donc il a un truc à faire et ne me veut pas sur son dos (dommage !) pendant ce temps. »

Ben voilà.

Fier de sa conclusion, navré par ce qu'elle sous-entendait, paniqué parce qui allait se passer maintenant, voilà l'état d'esprit de Duo Maxwell en se précipitant hors de la petite kitchenette, à la recherche de ses comparses. Enfin surtout l'un d'entre eux.

Quelques mois plus tôt, il se serait précipité dehors, il aurait foncé vers le premier véhicule venu et aurait foncé vers n'importe où, pourvu qu'il bouge, qu'il se donne l'impression de faire quelque chose pour ne pas laisser Heero partir. Mais quelques mois avaient passés et il avait appris. Il prenait le temps de réfléchir. Sortir en catastrophe était tout sauf discret, vu le mal qu'ils se donnaient pour ne pas être délogés de leur planque au bout de deux jours. Voler un véhicule était tout sauf intelligent, sans parler du sens de la légalité de Quatre qui s'en trouverait légèrement heurté. Courir n'importe où derrière un hypothétique Heero était tout sauf de la tarte. C'était à peu près impossible. Ils ne le retrouveraient qu'après qu'une ou deux bases d'OZ aient explosé. Suivez les bunkers en feu.

Parce que c'était bien ce qu'il était parti faire : exploser des bases, des bunkers, des usines d'armement, des casernes... et le tout dans mon dos, naturellement, conclut amèrement Duo en remettant sa natte en place.

Il commence sérieusement à me courir sur les nerfs, lui. Qu'il agisse comme s'il avait les anglais qui débarquent tous les trois jours, d'accord, qu'il se croit tout permis, passe encore mais qu'il ne trouve rien de plus intelligent pour que je lui foute la paix que de me cogner au sang, faut pas pousser non plus. Il est complètement con. Bien vu l'aveugle.

Bon, il faut aussi admettre que je me suis imposé plus de force que de gré. Mais aussi, ce gars est du genre à partir en mission avec la moitié du torse suturée ! Et on se demande pourquoi je me casse le cul à surveiller le sien ! C'est que moi, je ne me fous absolument pas de ce qui pourrait lui faire du bien, et quelque chose comme deux semaines de repos, même forcé, font généralement du bien.

J'avais juste oublié que j'avais affaire à un névrosé au dernier degré.

Avant qu'il ait pu étayer encore son raisonnement intérieur, la seule personne du périmètre qui pouvait s'inquiéter pour eux le télescopa alors qu'il passait la porte.

« DUO !

- Quatre... mon blondinet préféré, qu'est-ce qui t'amène dans la cuisine ?

- Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

- Ah ben... je ne voudrais pas te choquer... t'as les oreilles sensibles...

- Duo, le reprit le blondinet en question d'un ton plus que désapprobateur. Qu'est-ce qui s'est passé, j'ai senti... vous. Il t'a frappé ! S'exclama Quatre en montrant le sang qui coulait le long de la natte.

- Sans rire, dire que j'ai presque rien senti, heureusement que tu me le dis.

- Quelle belle paire d'idiots !

- Oh ! Je veux bien mais dans le tas, je suis tout de même la victime. Si ça ne t'embête pas.

- Désolé, Duo. C'est pas de toi dont je parlais. C'est Heero et Wuffei.

- Quoi Heero et Wuffei, me dis pas qu'ils ont fugué en amoureux ? Ironisa l'américain, toujours en train de se masser le crâne sur lequel fleurissait une jolie bosse.

- Duo ! Un peu de politesse. Non, ils devaient partir en douce... et

- Attends, attends. Partir en douce ? J'ai raté un épisode ?

Quatre rougit, un peu gêné. Si ça n'avait tenu qu'à lui , il se serait expliqué depuis longtemps déjà mais garder le secret était primordial. Même Trowa n'en avait rien su, et Duo passait encore après Trowa.

- Duo... ils devaient partir de leur côté, sans que des observateurs éventuels ne les repèrent.

- Et au lieu de monter une petite mise en scène pour les « observateurs éventuels », assortie de toutes les mesures de sécurité qu'on a vaguement apprises lors de nos entraînements, vous avez préféré tout garder secret

- Tu l'en aurais empêché.

- Moi ? Jamais ! Fit l'américain avec une mauvaise foi stupéfiante.

- Essaye un peu de me raconter des histoires.

- Bon, d'accord mais admets qu'il n'est pas en état pour se faire la belle en douce !

- Wuffei sera avec lui.

- C'est censé me rassurer ?

- Il a été soigné.

- Quatre ! On lui a filé des antibiotiques et mis un pansement. Ça ne veut pas dire qu'il est guéri.

- Il a accepté la mission, c'est...

- La preuve de rien du tout. Tu sais aussi bien que moi qu'il est assez timbré pour accepter une mission même en chaise roulante. C'est un cinglé ! Je suis le seul à m'en être aperçu ?

- Bon. Il sont partis. Pas besoin de revenir là-dessus. Franchement, il aurait juste pu faire ça plus discrètement.

- Et pacifiquement.

- On ne force pas sa nature.

- Hé ! J'ai bien fait des efforts, moi !

Le silence éloquent qui lui répandit le réduisit au même état.

Le fait de ne pas prononcer un mot n'ayant jamais empêché quiconque de faire fonctionner ses méninges à plein régime, pas même Duo, ce dernier poussa un long hurlement indigné et intérieur.

Et tu crois qu'on vire Duo Maxwell comme ça ?

Qui crois-tu que je suis ? Un putain de dieu de la mort ! Voilà la réputation pourrie que je me traîne, et l'image que quatre-vingts dix pour cent des gens qui ont le malheur de me croiser gardent de moi. Et ce n'est pas un petit soldat, aussi parfait soit-il qui va se faire un dieu de la mort en pleine forme. Tu vas connaître ton bonheur et pas plus tard que dès que je t'aurais mis la main dessus. S'pèce de cinglé, va !

Duo mitonnait déjà un programme de torture des plus raffinés dans lequel des laptops se faisaient éventrés sous les yeux terrifiés de leur propriétaire. Mais toutes les bonnes intentions du monde ne pouvaient rien faire (et encore moins, les plus mauvaises) contre un petit leader incontesté et bien aimé de cette bande de vauriens. Le murmure désapprobateur cueillit en plein vol ces dernières pensées.

- Touche à un seul de ses cheveux et je m'occupe personnellement de ton cas, Duo Maxwell.

- Ça va, ça va, Quatre, pas mordre le gentil pilote.

Comme seul un nouveau silence lui répondait, il se retourna pour voir son équipier.

- Quatre ?

- N'interfère pas, Duo.

- Quoi ?

- Nous avons tous nos motivations. Heero a des ordres.

Le pilote dévisagea son ami, un air incrédule sur ses traits.

- Attend ! T'es en train de me faire croire que je vous gêne ?

Quatre eut un sourire désolé.

- Pas nous. T'inquiète pas. Pas moi en tout cas. Si Heero a décidé d'agir seul et de ne rien t'expliquer, c'est son problème et sa décision. Je n'ai pas à en juger.

- Pourquoi il a cru que j'allais l'empêcher de mener une mission à bien ? Il a des envies de solitude soudaines, le petit soldat ? Il a ses règles ou quoi ?

- Il faut vraiment que je t'explique, ou tu préfères prendre ton mal en patience en attendant qu'il revienne ?

Duo gratifia son ami d'un sourire en tranche de courge.

- Laisse tomber, Quatchou, j'aurai tout le temps de l'embêter quand il sera revenu.

- S'il revient, conclut l'arabe à mi-voix et avec optimiste. »

Il était contre cette mission. Il l'avait bien fait comprendre aux profs, et il avait cru, avec une naïveté touchante mais ridicule, que ses arguments tous plus sensés les uns que les autres auraient pu faire ployer la volonté de fer des scientifiques. C'était oublier que des hommes déterminés et dénués de tout scrupules ne se laissent jamais détourner de leur but. Aussi raisonnable soit leur contradicteur.

Il se revoyait encore, répétant inlassablement les mêmes remarques. « C'est disproportionné, c'est incertain, ce n'est pas indispensable à ce niveau... » et plus que tout « ce n'est pas une bonne chose de se séparer maintenant ».

Quand je pense à tous les efforts qu'il a fallu pour enfin bosser ensembles, voilà qu'on revient au point de départ.

Cela ne servait à rien de se dire qu'il avait fait ce qu'il fallait, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une désagréable point de de culpabilité au plus profond de lui. Mais le pire... ce qui était le pire sûrement, c'était qu'il devait soigneusement le cacher aux autres

OoOoO

Heero lança un regard irrité à la ville qui s'éloignait rapidement derrière eux. Si Duo avait été avec lui, il lui aurait sorti une réflexion débile du genre « t'as oublié ta brosse à dent ? », « t'as pas dit au-revoir à ta fiancée ? », des trucs débiles par excellence mais pas désagréables. Comme des parasites sur une radio : quand ça arrive pour la première fois, c'est chiant, quand ça n'arrive que pendant les moments les plus importants, lors d'une transmission capitale, ça donne des envies de meurtre, mais quand ça cesse d'un seul coup, sans explication, sans rien pour remplacer, ça manque terriblement.

Duo était son parasite radiophonique disparu.

Il ferma les yeux, prit une respiration aussi profonde que lui permettaient ses côtes encore douloureuses. Un rapide coup d'œil à sa montre lui indiqua qu'il n'arriverait pas à destination avant trois bonnes heures. De quoi se reposer encore un peu.

Il posa son laptop devant lui, l'ouvrit en tentant de chasser Duo de sa tête. La tête de Duo. Sa tête souriante, l'air narquois ou taquin, perdu ou puant de suffisance, la tête de Duo arrivait à faire tout ça. Il savait pertinemment que la moitié des images de l'américain qu'il se faisait était uniquement due à son imagination. Mais l'autre moitié, c'était sa mémoire qui se faisait mousser.

Duo qui souriait doucement face à un hypothétique paysage de collines verdoyantes, Duo habillé d'un improbable costume trois pièces, Duo nu, assis en tailleur sur son lit, les yeux bouffis de sommeil « t'as pas sommeil toi ? ». Bon, cette dernière image avait vraiment eu lieu et c'était plutôt un bon souvenir. Mais les autres sortaient de fantasmes débridés ou d'une imagination limitée, au choix.

Il jeta un coup d'œil ennuyé au laptop, pourquoi est-ce qu'il ramait autant pour s'allumer ? La réponse lui sauta immédiatement aux yeux. Il pressa le bouton de mise sous tension avec un soupir exaspéré. Pourquoi est-ce qu'il n'arrivait pas à penser à Duo sans faire de conneries ? Sans oublier d'allumer son laptop ?

Il lui restait deux rapports à taper avant la fin du voyage. Le rapport ON qu'il envoyait aux profs, qui feraient sûrement le tour du monde le jour où tout sortirait au grand jour, celui sur lequel on jugerait leurs actions et puis le rapport OFF, celui qui serait lu, crypté, codé, recrypté, recodé, et puis on le rangerait dans un tiroir fermé à clé, muni d'un ingénieux dispositif qui enclenche son explosion en cas d'ouverture forcée. Bref, ce rapport n'existait pas et n'existerait jamais. Il sera juste là pour dire que, histoire de montrer que... que quoi ? Que parfois, toute vérité n'est pas bonne à dire. Il n'avait jamais songé qu'il falsifiait des documents, Heero acceptait simplement le fait que certaines choses ne seraient jamais partagées avec le reste du monde.

Dans le rapport ON, qu'est-ce qu'on écrit ? Ben que tout va bien dans le meilleur des mondes. Que si on pulvérise des bases à longueur de temps, c'est pour le bonheur des peuples. Le tout sous un vernis de dévotion et de langage militaire. Rien de bien méchant en somme. Dans le rapport OFF, on se libère : les discussions, les confrontations, les divergences entre les membres du groupe, les conneries, les « merde ça marche pas », et toutes les fois où on se goure de cible, bref, tout ce qui montre que le monde est trop mal fait pour y rester. Ceci dit, on va pas se plaindre. Y'a es gens qui meurent de faim aussi.

Il ne peut s'empêcher de froncer les sourcils en remarquant que Duo et ses état d'âme figuraient plus souvent qu'à leur tour dans ses rapports OFF. Mais ce n'était pas sa faute si l'américain avait toujours quelque chose à redire sur tout.

Le train filait toujours à toute berzingue vers nulle part. Enfin si, vers la ville. Celle où Wuffei devait l'attendre, sur les nerfs_Wuffei était tout le temps sur les nerfs, allez savoir pourquoi_et une petit chambre sordide dans un hôtel miteux, censée assurer leur discrétion.

Et, en pianotant vaguement sur le clavier de son laptop, Heero se demandait ce que faisait Duo à cet instant.

Probablement un truc stupide. Il ne prenait pas trop de risque en pariant ça ; à ses yeux, les quatre cinquième des faits et gestes de Duo étaient stupides.

Il ouvrit le mail de leurs commanditaires.

De quoi s'agissait-il maintenant ? Quelle mission pouvait être assez délicate pour nécessiter de laisser la moitié de l'équipe dans l'ignorance ? Depuis qu'ils avaient décidé de se regrouper avec cohésion, c'était la première fois qu'il avait l'impression qu'on cachait volontairement quelque chose à la moitié d'entre eux. Et c'était aussi la première fois qu'il découvrait l'objet d'une mission après l'avoir acceptée.

Objectif : base de Taman, bords de la mer Noire.

Description : base-laboratoire, fabrication d'armes chimiques suspectée, base aux ¾ enterrée, bâtiment émergé camouflé en hôtel-restaurant.

Localisation exacte...

Rien d'extraordinaire en somme. Pas de quoi en faire toute une histoire, ils auraient aussi bien pu s'en charger tous ensemble. Mais bon, à deux ou à cinq, la mission serait faite.

OoOoO

Quatre détestait ce moment de doute. Quand ils s'échappaient, à partir d'un endroit où ressentir leur présence nécessitait un effort trop considérable pour qu'il le fasse naturellement. Deux d'entre eux avaient déjà disparus de son champ de « vision ». Combien de temps avant que les autres ne partent aussi ? Après tout, leur association n'était que passagère, vouée à disparaître. S'ils réussissaient, ils s'en retourneraient à leur vie. S'ils échouaient, pas besoin de se poser la question, l'échec signifiait la mort.

Il chercha Heero et puis abandonna. Heero tourmenté, un parpaing à l'extérieur, un château de carte à l'intérieur : au moindre coup de vent, tout s'envolait. Il sourit. Il percevait nettement Trowa, qui l'attendait à l'intérieur, Trowa, un roc, derrière le silence et l'indifférence, un roc brûlant et sûr. Pourquoi se faire du mal à ressentir Heero et sa perpétuelle errance quand on pouvait se perdre dans Trowa ?

Idiot. C'est ton boulot, se morigéna-t-il.

Et Duo, il était où ce crétin ?

Duo était... était dans un de ces instants d'auto-apitoiement débridé que Quatre détestait. Dans ces moments-là, oui, Duo était le gars le plus malheureux du monde sauf que... prendre un tel soin à se remémorer les pires souvenirs de son existence pour le simple plaisir de faire monter la rage en soi, était largement au delà des capacités de compréhension de Quatre. La douleur, on la refoule comme Heero et Trowa ou on essaye de la surmonter comme Wuffei et Quatre. On ne la cultive pas avec un entrain pervers.

Trowa s'approchait et Quatre sentit brutalement le souci que se faisait son ami pour lui. Pas un soucis tourmenté et angoissé, comme il en croisait bien souvent en lisant les sentiments de son entourage, un vrai souci, désintéressé, étrangement sain.

Il se retourna.

« Trowa... »

Le français releva le coin des lèvres de deux millimètre, ce qui fait tout de même un large sourire réconfortant sur l'échelle de Trowa.

« Ça va ? »

Des « ça va ? » comme celui-là, l'empathe en aurait volontiers repris trois fois au petit déj'. Concerné, confiant mais sincèrement soucieux du bien de son ami.

« Oui, il est hors de ma portée maintenant.

Trowa hocha la tête et laissa Quatre exprimer ses craintes.

- Je suppose qu'il va bien, et puis, ce n'est pas comme s'ils étaient incapable de se débrouiller seuls...

- Mais... ?

- Mais ça a été tellement difficile de former une équipe cohérente que se scinder ainsi ne me dit rien de bon. »

Un hochement de tête lui apprit que Trowa partageait au moins un peu son inquiétude. D'un autre côté, le soupir inaudible qu'il poussa était le secret reproche fait continuellement à Quatre. Tu les maternes trop. Nous ne sommes pas tes enfants.

Quatre haussa les épaules et sourit tout de même.

« Je vais chercher Duo. On a du travail nous aussi. »

Trowa acquiesça. Loin de deviner le soulagement de Quatre.

Quatre qui se demandait un peu plus chaque jour s'il arriverait à supporter moins de dix mots de vocabulaire par jour de la part de son ami à l'avenir. D'accord, il pouvait ressentir plus ou moins ce que les autres éprouvaient mais il y avait une limite. Et puis l'empathie n'est pas à proprement parler un moyen de communication. C'est un pouvoir psy intrusif.

OoOoO

« Dépêche-toi. »

S'il voulait être honnête avec lui-même, Heero devait reconnaître que Duo n'avait pas laissé la place au vide absolu. Mais pas loin. Puisqu'il se retrouvait à moins d'un mètre de Wuffei. Wuffei n'était pas à proprement parler « un vide absolu » mais pas loin. Il y avait quelque chose qu'il ne saisissait pas chez le chinois, il y avait cette agaçante supériorité que celui-ci affichait en toutes circonstances. Cet air d'être revenu de tout. Et cela désorientait le jeune pilote qui ne pouvait, pour sa part, faire preuve d'une telle assurance. Son existence était pétrie de doutes.

« On ferait mieux d'y être avant la nuit. Avant que les rues grouillent de flics.

- Ils ne doivent pas encore avoir nos signalements ici.

- Peut-être, je ne veux pas vérifier. »

Ils se faufilèrent le long des ruelles sombres et arrivèrent finalement à un hôtel miteux coincé entre une église et un sex shop.

Entre la gare peuplée de clochards, les rues vides et grises, les volets qui battaient à cause du vent, la petite ville de campagne qu'ils avaient choisi comme base de repli était lugubre à souhait. Mais au moins, ils y seraient tranquilles.

Heero ne se souciait pas le moins du monde de ce à quoi son équipier pouvait bien occuper son temps. Et l'indifférence était tellement réciproque qu'ils travaillaient ensemble sans s'en rendre compte. Wuffei était ressorti presque immédiatement après l'avoir déposé dans leur chambre d'hôtel.

La nuit tombait petit à petit et ils avaient tirés les rideaux pour plus de discrétion, mais Heero ne se sentait nullement fatigué, ni par son voyage, ni par ses vieilles blessures qui pourtant n'étaient pas vraiment guéries.

Il s'allongea pourtant sur le lit. Sur le dos, les bras en croix, les yeux errant sur le plafond gris. Et il laissa son cerveau en veille, observant de loin les images qui lui passaient par la tête.

Raaah encore ces images débiles de son ancien... enfin, pas ancien mais plus d'actualité, partenaire.

Un Duo, nu, en tailleur sur son lit. Il y a le drap qui fait des plis, mais pas assez pour tout cacher. Il y a une question idiote « pourquoi t'es retourné dans ton lit après ? » Parce que crétin bouge la nuit. Le « fuckin' perfect soldier, t'es increvable », ce moment où il s'interdit un sourire, pour hocher la tête. Et l'inénarrable « bon, encore un peu alors, je dormirai après ». Il y avait ce quelque chose de singulièrement passif chez Duo qui lui donnait toujours l'air d'être demandeur. Alors que c'était tout l'inverse.

Lui, il lui avait trouvé la capacité de désirer. Il avait grandi dans la quasi certitude que ce genre de sentiments n'étaient pas faits pour lui, pas plus que l'indécision et le désespoir. Et pourtant, à son contact, il avait appris cela. Lui, l'handicapé des relations sociales (dixit Duo), il avait découvert avec stupéfaction l'incroyable facilité qu'il avait à faire l'amour avec son coéquipier. D'accord, s'ils faisaient ça, c'est bien parce que Duo le voulait et parce qu'il avait commencé le premier ; toujours est-il qu'il n'hésitait plus maintenant à prendre les devants, à identifier une situation propice aux ébats.

C'est de sa faute, songea-t-il avec sérieux. C'était Duo qui lui avait sauté dessus en premier, c'était Duo qui lui avait appris à se déshabiller et à coucher avec un garçon comme si c'était normal. Et il ne voulait pas savoir qui avait appris tout cela à Duo, il n'aimait pas trop la pensée qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la vie de l'américain, cette pensée l'énervait au plus haut point. Lui n'avait personne d'autre dans sa vie, personne à pouvoir se glisser si intimement dans chaque moment de sa vie. Il avait des amis, des ennemis, le prof, et une fille qui le harcelait et qui finirait par avoir sa peau tant elle était étrange, mais il n'avait pas un autre Duo. Il n'y avait que Duo qui parvenait à faire ça avec lui, à le pousser à bout.

Il stoppa net ses pensées. Ce n'était pas le moment, pas le moment de regretter. Il savait où cela le menait quand il commençait à penser à ça. Il finissait pas se trouver seul, et puis par se trouver inutile, puis par se préférer mort. Penser à Duo lui donnait l'irrésistible envie de se balancer d'une fenêtre, sans parachute, ou de se laisser crever de faim. Parce qu'il ne pouvait pas avoir une vie normale, il ne pouvait pas se demander s'il était amoureux de Duo, parce qu'ils ne pouvaient pas être amoureux, ils étaient en sursis.

Oh non, il ne pouvait pas continuer comme ça, il ne pouvait pas continuer à réfléchir, c'était très mauvais pour lui.

Il se redressa, attrapa son laptop et ouvrit le dossier qui concernait leur mission. Il allait devoir pirater un ou deux satellites pour obtenir les vues aériennes aux heures qui les intéressaient. Autant s'y mettre tout de suite.

OoOoO

Au même moment, au même endroit (sur un lit), mais à des centaines de kilomètres de là, Quatre aussi prenait connaissance de sa prochaine mission. La pochette de papier craft se froissa entre ses mains et il lut attentivement les instructions qu'elle contenait. Lorsque ce fut fait il soupira de tout son cœur. Il détestait faire ça. Il se détestait lorsqu'il devait faire ça. Quelques heures plus tard, il trouva pourtant le moyen de réunir ses deux autres collègues dans leur petite cuisine, qui écoutaient attentivement son exposé.

La mission en question était simplissime. Faire péter une base d'OZ, le plus dur était en gros de ne pas se gourer d'adresse et d'éviter d'atteindre la ville la plus proche (à cent cinquante kilomètres, ils avaient de la marge). Avec deux gundams et dix kilos d'explosifs répartis soigneusement dans toute la base, il aurait fallut être demeuré pour échouer. Un gamin de cinq ans pouvait le faire, et ça tombait plutôt bien ils étaient des gamins de quinze ans : ils pouvaient le faire. Dans l'immédiat, la seule difficulté résidait dans le tirage à la courte paille : chacun priant très fort pour ne pas tirer la plus courte qui désignerait celui qui se ferait infiltrer dans la base et, par conséquent, opérer sans gundam.

Ce fut Trowa.

« Dommage, fit Quatre l'air embêté, le Heavy Arms aurait été le plus approprié pour cette mission.

- On a dit qu'on tirait au sort, on tire au sort, et on ne discute pas le résultat, protesta Duo avec une mauvaise fois déconcertante, il était toujours le premier à se plaindre quand le sort le désavantageait.

- Duo ! Admets aussi que tu aurais été le plus indiqué pour la pose des explosifs.

- Trowa n'est pas plus nul que moi.

- Il n'est pas meilleur non plus, et c'est toi qui clame tout le temps que l'infiltration est ta spécialité.

- Ce n'est pas comme si on avait vraiment besoin de mettre le paquet. Si c'était le cas, ils nous auraient pas laissé le faire à trois.

- Nous y voilà ! S'exclama brusquement Quatre d'un ton triomphant.

- Quatre !

- Trowa ? »

Sur une injonction muette de Trowa, Quatre hocha la tête et reprit plus calmement,après avoir haussé les épaules d'un air fataliste.

« Bon, timing. On règle nos montres, à cinq, il sera exactement . Un, deux, trois, quatre... DUO ! Tu peux faire semblant de t'intéresser à ce qu'on fait ?

- Pardon Quatre. Bon, heu, t'en étais à trois, quatre...

- À cinq, il sera . Un, deux, trois, quatre, cinq. Top. Seize heures zéro deux, début de la mission à zéro trente, demain. Accroche-toi un peu, Duo, sinon, je reconsidère la mission. Sans toi. »

Les dernières mises au point expédiées, Duo voulu reprendre sa protestation contre la diminution des effectifs. L'intervention discrète, quasi muette et très efficace de Trowa (un regard noir et un coup de coude) mis fin aux tentatives de prise de bec entre les deux garçons.

Le français saisit Quatre par le bras « viens » et poussa Duo vers la cuisine « repas », et tandis que le natté faisait cramer les pâtes, Trowa entraîna son ami dans sa chambre.

« Trowa ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Protesta ce dernier dès qu'ils furent seuls, prouvant par là qu'il n'était pas si empathe que ça.

- Il faut que tu te calmes, Quatre.

- C'est Duo !

Trowa le dévisagea, impassible, avant de continuer sur le même ton monocorde.

- Duo est inquiet de l'absence de Heero, on a compris et on ne peut pas l'en empêcher, c'est passager. Pas besoin de passer ton énervement sur lui.

- Inquiet ! Tu as vu comme il est ?

- D'accord, inquiet et frustré.

- Tu vois bien.

- Mais toi tu es jaloux.

- Jaloux ! Moi ? Et de qui serais-je jaloux, je te prie ?

Trowa garda un silence obstiné, insensible à l'indignation de son ami.

- Attends, tu sous-entends que je serais jaloux parce qu'il s'inquiète pour Heero et Wuffei et qu'il s'occupe moins de moi ? Mais tu te moques de moi. Je suis aussi inquiet que lui à leur sujet !

Le silence de mort qui suivit cette assertion semblait accuser Quatre avec force.

- Oui ! Tu me crois vraiment capable d'être jaloux parce que Duo fait moins attention à moi depuis peu ? C'est complètement idiot ! Je comprends son inquiétude et je compatis mais mon attitude à son égard n'a rien à voir avec une quelconque jalousie de ma part. Tu ne me crois pas ?

Seul un hochement de tête négatif lui répondit.

- Tu veux que je te dises, c'est toi qui est jaloux, parce que je me soucies plus de Duo maintenant qu'ils sont parti et moins de toi ! Tu...

- C'est vrai. Je suis jaloux de Duo. Et moi je l'admets.

- Tu... tu.. Je le savais. T'es jaloux. Et tu me le reproches après !

- C'est bien pratique le cœur de l'espace. Dommage que ça ne marche que sur les autres.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Trowa, reviens-là tout de suite ! »

Jamais, songea le pilote, laissant son ami sur place, et prenant la direction du hangar où dormaient les trois gundams restant. Il s'installa dans le cockpit du Heavy Arms et le verrouilla derrière lui, signifiant, même pour le plus borné des idiots, qu'il ne fallait pas venir l'embêter.

Quatre resta seul dans sa chambre, fulminant contre l'absence de tact et de compréhension de son ami. Déjà qu'il passait la moitié du temps à parler par monosyllabes et gestes muets, alors si en plus il lui faisait des scènes comme ça. Il s'assit sur son lit, frappa le matelas du poing, puis le traversin, avant de se défouler littéralement, explosant le pauvre oreiller qui ne lui avait rien fait. Sa rage semblait ne pas pouvoir s'éteindre et puis, petit à petit, ses coups se firent différents, méthodiques, incontrôlés et il comprit, se forçant à s'arrêter. Ce n'est pas moi. La rage était là, toujours présente dans son esprit, mais détachée, comme si elle venait d'ailleurs. Elle vient d'ailleurs... les garçons... Trowa, non, ça ne lui ressemble pas... Duo ! Quatre se précipita dans la cuisine, mais l'américain n'y était déjà plus. Un mouvement de panique le prit. Et s'il s'était tiré pour retrouver Heero ? Il en est capable cet idiot. Et puis l'absurdité de cela lui sauta aux yeux. Il ressentait sa rage, elle l'envahissait, le rendait fou, alors Duo devait être tout proche.

Après s'être un peu calmé, Quatre alla droit à la chambre de l'américain. Il inspira profondément et chassa le vent de haine et de colère qui l'avait dirigé pendant un bref moment. Il fallait qu'il soit parfaitement calme et maître de lui lorsqu'il serait face à Duo. Ce dernier ne pouvait se calmer que face à quelqu'un d'impassible. À croire qu'il avait des tendances à l'empathie, tant il pouvait être touché par les émotions de la personne qu'il avait en face de lui.

Quatre poussa la porte et entra sans frapper, pour trouver un Duo effondré sur son lit, les poings serrés, les yeux exorbités et l'écume aux lèvres.

« Duo ?

- M'approche pas.

- Je vais bien devoir pourtant.

- Je suis dangereux.

- Moi aussi, fit Quatre, accentuant son ton le plus neutre, histoire de rappeler qu'il n'était pas seulement une petite chose rose et sensible, mais aussi un pilote de gundam surentraîné.

Le jeune arabe vint s'asseoir sur le bord du lit et attrapa une des mains crispées de son ami.

- La colère a eu sa part, maintenant essaye de réfléchir.

- Laisse-moi.

Duo fit un geste brusque pour retirer sa main mais elle resta prise dans la poigne solide de Quatre.

- Je ne veux pas qu'on vienne m'aider.

Quatre secoua la tête.

- Je ne suis pas là pour t'aider. Je veux des explications.

- Quoi ?

- Que t'arrive-t-il ? Pourquoi tu t'énerves comme ça ? Et qu'est-ce que le départ de Heero et Wuffei a à voir avec ça ?

Vivement, Duo se releva et secoua Quatre de toutes ses forces en criant.

- Mais tout ! Ça a tout à voir ! Ils ne sont plus là ! Il n'est plus là ! Lui, surtout lui.

- Lui ?

Duo laissa sa tête retomber sur la poitrine de son ami et étouffa un sanglot.

- Lui.

Quatre murmura.

- Heero ?

Duo se tordit sous le coup d'une douleur invisible.

- Qui d'autre ? »

Prit de pitié, Quatre le serra dans ses bras, enlaçant le jeune homme de toutes ses forces. Duo se blottit dans cette étreinte chaleureuse, déversant toute sa détresse dans l'âme généreuse qui l'accueillait ainsi. Serrés l'un contre l'autre, ils pouvaient sentir leur peau se toucher, la chaleur passer entre eux, se diffuser et la douleur se retirer petit à petit.

Duo se pelotonna plus près encore de Quatre, comme s'il cherchait à se fondre en lui. Il effleura la peau brûlée par le soleil du jeune arabe.

« Il me manque.

- Je sais.

- Il... ce n'est pas normal.

- Quoi ?

- Ce à quoi je pense. Ce qui me vient à l'esprit quand je pense à lui, mais aussi à toi. C'est quoi tout ça ?

- C'est le manque. »

Duo acquiesça sans aucune conviction, il sentait bien que Quatre n'était pas convaincu lui-même par ce qu'il disait. Il pouvait très bien croire Quatre même s'il lui sortait les pires absurdités, mais la condition c'était que Quatre y croit lui-même, qu'il pense sincèrement ce qu'il disait. Duo connaissait trop bien le son du mensonge pour l'ignorer. Pour une fois qu'il ne voulait qu'un peu de réconfort, pour une fois que c'était lui qui avait besoin d'un peu de courage pour continuer, il fallait qu'on lui mente éhontément.

« Raconte pas de conneries, Quatre. T'y crois encore moins que moi.

Quatre soupira, sans cesser de serrer ses bras au tour de Duo.

- Que veux-tu que je te dises, je ne sais pas moi-même si ce que tu ressens se justifie. Je ne vais pas te juger, Duo, pas moi.

- Parce qu'en plus, ça mérite d'être jugé ?

- Tout mérite d'être jugé, Duo. La seule chose qui change, c'est le nom du juge. »

Quatre se laissa submerger par les pensées qui noyaient l'esprit de son ami. Tourment, haine et remords. Il ne savait à quoi tous ces sentiments correspondaient, il voulait pas le savoir. Peu importe au fond d'où Duo tirait tant de culpabilité, puisqu'il pouvait la partager avec lui. Il pouvait ouvrir son cœur à la souffrance d'un autre, et c'était un privilège rare. Si rare qu'il avait décidé, bien des années auparavant, qu'il ne refuserait jamais son soutien et son réconfort à un homme dans la douleur ; si peu de gens avaient un tel pouvoir de compassion, refuser cette compassion à quelqu'un qui souffre aurait été la dernière des bassesses.

Lentement, la soif de consolation et de compassion de Duo se transforma. Au lieu de la douleur et la tristesse, Quatre reçut des vagues de désir, d'une soif nouvelle, une soif d'affection qu'aucune parole apaisante ne pouvait éteindre. Il avait craint ce moment, où Duo deviendrait réellement dangereux pour lui. Il avait craint sa propre réaction, le rejet ? La honte ? Le dégoût ? Et puis en fait non, il n'eut aucune hésitation et accepta cette vague d'émotion avec la même détermination qu'il avait accueilli la douleur et la peine.

Doucement, il bascula en arrière sur le lit, et sourit tendrement, calmement, sereinement à son ami. S'il hésitait, c'était ce genre de sourire qui pouvait le décider. Le sourire qui donnait la permission. À cet instant, ils le voulaient tous les deux.

Une vague de culpabilité lui parvint, qu'il dissipa de quelques mots.

« Ne crois pas que tu es le seul à y gagner. Je le fais aussi parce que ça me fait plaisir. »

En vérité, il ne pouvait faire autrement qu'y trouver du plaisir, puisque ce plaisir, il venait le puiser dans son ami, au creux même de son cœur, il pouvait aussi partager cela.

Duo hocha simplement la tête, une reconnaissance sans borne au fond des yeux et posa la tête sur le ventre de son ami, apaisé par leur étreinte. C'était tellement étrange, plus il le serrait contre lui, plus il se sentait rassuré, et il savait que s'ils finissaient par faire l'amour, il serait complètement remis de son vague à l'âme. C'était comme ça avec lui, un peu de sexe et de tendresse, comme une recette miracle. Quatre avait perçu cela, confusément, et il se disait que, après tout, c'était son plaisir, son devoir, et son honneur de réconforter son ami.

Sinon, à quoi sert un ami ?

Duo s'empara de ses lèvres avec avidité. Besoin de tendresse. Quatre l'enlaça tendrement, lui sourit encore et encore, laissant Duo ôter prestement ses vêtements. L'étreinte était maladroite empêtré dans ses tourments intérieurs, Duo laissait son corps faire ce qu'il pouvait. Et Quatre le laissait volontiers faire, ce n'était pas comme s'ils devaient se ménager l'un l'autre, pas comme s'il y avait entre eux la tension que provoque la passion amoureuse. Fiévreusement, ses mains couraient sur le corps de son ami, cherchant le réconfort et la douceur. Avec la maladresse d'un néophyte, Duo se rassasiait de la chair de son ami, goûtant ses lèvres, savourant sa peau, buvant sa sueur. Tendre mais lointain, Quatre participait du bout des doigts à leur étreinte, embrasant aussi peu que possible la passion de son partenaire. Il pouvait soulager la souffrance, apaiser la soif de tendresse, mais certainement pas s'enflammer dans l'étreinte. La sensation de pure satisfaction qui lui arrivait ne pouvait que signifier que Duo trouvait ce qu'il voulait et c'était ça qui comptait : le moral des troupes.

Finalement, ils restèrent là, étendus l'un contre l'autre, sans s'enlacer, juste à côté. Quatre tenta de sentir l'état d'esprit de Duo et soupira profondément en trouvant sa détresse à nouveau enfouie au plus profond de lui. Seul un calme morose parvenait à l'empathe et une colère stagnante, comme endormie, qu'un rien suffisait à éveiller. Finalement, de la sérénité céda le passage à la colère. Une colère molle, une colère désespérée.

« Je crois que les profs sont encore pire qu'Oz. Eux aussi ils veulent la guerre, malgré tout.

Duo allait se lever, quand Quatre stoppa net son ami. Il avait de loin le meilleur point de vue pour comprendre tout ce qui se passait. Sauf que c'était juste... les circonstances.

- Si Heero et Wuffei meurent là... sans nous...

- Ça n'a rien à voir avec les profs, ça.

- Ils me manquent. Si... c'était la paix... on... on aurait...

- On n'aurait pas à faire ça. C'est pour que personne n'ait plus jamais à faire ça qu'on le fait. si nous ne le faisons pas bien maintenant des dizaines de gamins comme nous devront le faire dans le futur.

Duo soupira avant de rétorquer d'un ton désabusé.

- Le couplet du sacrifice, le moindre terroriste sait le reprendre à son profit.

- Nous ne sommes pas comme eux. Notre but...

Duo se retourna vivement et haussa le ton.

- Mais ils disent tous ça ! N'importe quelle brute d'Oz peut prétendre agir pour la liberté des peuples. On est comme eux et on ne sait même pas si on est du bon côté.

Quatre fronça les sourcils. Il avait déjà entendu ce petit laïus. Dans la bouche de certains pacifistes les plus extrémistes. Et il avait finit par y trouver la réponse. Une réponse non violente, faut-il préciser, parce que pour Duo, il se serait volontiers contenté d'une bonne paire de gifle pour lui apprendre à se poser des questions.

- Si tu veux être du bon côté, alors tu y es, Duo. La différence entre nous et ceux que nous combattons réside dans l'intention. Il n'y en a pas d'autre, ne cherche pas.

- Alors on est pas meilleurs qu'eux ?

- On est du bon côté. On évite au maximum de faire des victimes civiles, on n'attaque jamais sans avertissement et on leur laisse toujours la possibilité de se rendre. Nos moyens d'action sont en adéquation avec nos intentions. Nous nous posons nous-même en combattants de la liberté, et pour cela, nous nous posons certaines limites. Nous nous restreignons volontairement pour ne pas tomber dans le combat injuste.

Duo le regarda avec inquiétude.

- Des limites ? On s'en pose ?

- S'il fallait sacrifier une ville entière pour que des ennemis se rendent, nous ne le ferions pas. Nous choisirions toujours la solution la plus respectueuse des vies humaines.

Duo s'avachit sur son ami, enlaça son torse nu et soupira.

- Alors pourquoi je me sens terroriste Quatre ?

- Parce que tu luttes contre ce qu'on t'a appris. Tu luttes pour ne pas devenir la machine à tuer qu'on a essayé de faire de toi. Nous luttons tous. C'est pour cela que nous avons conscience de cette faiblesse, parce que nous devons nous en débarrasser. Si tu ne te sentais pas terroriste, tu serais comme tous ces fanatiques qui sont persuadés de détenir la vérité et de devoir tuer pour la propager.

Duo soupira et enfoui son visage dans le creux de la nuque de son ami.

- Nous valons tellement mieux que ça. »

Et s'il avait été attentif, le jeune américain aurait pu entendre le profond remord dans la voix de Quatre. Parce qu'en plus de ressentir le même malaise que ses amis à l'idée de jouer le rôle des « bons terroristes », il se sentait chaque jour plus coupable d'être leur leader. Son charisme particulier lui donnait un pouvoir sur eux, un pouvoir de rassembleur. Mais faire usage de ce pouvoir pour les faire continuer le combat faisait de lui un responsable autant qu'un exécutant.

Brusquement, deux coups cognèrent contre la porte de la chambre. Pas besoin d'être devin pour savoir qui c'était, ils n'étaient que trois dans cette maison.

«Duo ? Tu sais où est Qua... ? »

La fin de la question se perdit dans un silence de mort alors que Trowa entrait dans la pièce. Il sembla ne pas s'intéresser le moins du monde à ce qui les avait amené tous les deux nus dans le même lit. Il hocha simplement la tête. Sans prononcer un mot, il fit demi-tour et ferma la porte en douceur. Tout en lui disait « d'accord, je vois et je comprends et je ne peux rien y faire », et ce n'était pas quelque chose qu'il pouvait dire à haute voix. Alors il n'avait qu'à partir. Il était venu pour savoir où pouvait bien avoir disparu Quatre, il avait trouvé sa réponse, alors pourquoi rester ? Parce qu'il l'avait cherché pour se faire pardonner d'avoir été injuste et brusque ?

Quatre retomba sur le dos. Il avait voulu se lever, il s'était redressé, il avait ouvert la bouche et tendu le bras pour retenir. Et tout cela était inutile. Et tous ses efforts pour le ramener à lui étaient vains. Il aurait voulu poursuivre Trowa et lui expliquer ce qu'il en était véritablement, mais il avait su, dès qu'il avait croisé son regard que c'était parfaitement inutile : Trowa savait mais il ne l'acceptait pas.

Duo ferma les yeux et retint un soupir. Il y a une limite à tout. Une limite à ce qu'on peut faire sans se sentir coupable ou sans regretter. Et lui, il ne se connaissait pas cette limite-là. Quatre venait de la heurter de plein fouet dans le regard sombre de Trowa, Trowa, lui, devait avoir cette limite solidement ancrée au corps, si raisonnable, si sage.

Il se redressa sur le coude et passa tendrement la main sur la joue baignée de larmes de son ami.

Il ne t'en voudra pas. Il te pardonnera. Il comprendra. Tant de chose inutiles à dire que, pourtant, il voulait dire. Tant de choses importantes. Tout doucement ses mains descendirent pour effleurer les lèvres rosies par leur étreinte, il y porta les siennes avec tendresse. Et puis enlaça carrément son ami. L'enfoui dans ses bras, le serra contre lui, mêla ses jambes aux siennes et, sans un mot de plus, le cacha sous son corps, laissant les larmes passer.

Lentement, il glissa une jambe entre celles de Quatre et posa ses mains de chaque côté du corps qui tremblotait encore sous lui. Le jeune arabe inspira profondément. Oh non. Il devinait ce que Duo essayait de faire, mais comment lui faire comprendre que coucher n'était pas la meilleure manière de consoler quelqu'un ? Comme lui expliquer ça à Duo qui trouvait son exutoire préféré dans le sexe ? Il sentit le pénis dur frotter contre son bas-ventre et malgré lui, la chaleur se réveilla, le plaisir l'envahit, irradiant depuis son entrejambe et instinctivement, il écarta les jambes.

OoOoO

Wuffei vaquait à ses occupations sans plus se préoccuper de son coéquipier temporaire. Il était, tout naturellement, dévoré par la curiosité à l'idée de savoir comment il avait pu se débarrasser de Maxwell. Après tout, ce dernier avait bel et bien déclaré qu'il le garderait à l'œil jusqu'à ce que le japonais aille mieux.

Mieux n'était pas le meilleur mot pour décrire l'état du concerné. Il aurait plutôt dit « de pire en pire ». Mais une mission est une mission, aussi désagréable soit elle. Et pour une fois, ils devaient réfléchir un minimum avant de se lancer, or il y a deux chose avec lesquelles il est impossible de réfléchir sainement : un Duo Maxwell surexcité et un Heero Yuy au troisième sous-sol.

Finalement, Wuffei réagit beaucoup plus rapidement qu'il ne l'avait escompté. Il ferma simplement le laptop de son équipier sous son nez avant de s'asseoir en face de lui. Il venait probablement de lui faire perdre une demi heure de boulot mais s'il fallait en passer par là pour s'assurer de son attention, pas d'hésitation à avoir.

« Fais-toi une raison.

- Hn ?

- Il est avec les autres, on le retrouvera lorsque la mission sera achevée et réussie, pas avant. Tu feras tes excuses, ou ce que tu veux, à ce moment-là. Pour l'heure, tu te concentres sur notre tâche. On ne sera pas trop de deux sur ce coup. »

Le regard éteint de son coéquipier le scandalisa. Comment ce type pouvait-il se mettre dans des états pareil pour si peu ? Et pourquoi s'en faisait-il autant pour cet énervé qu'ils laissaient derrière eux ? Ils n'avaient pas à se sentir aussi sensibles, c'était purement aberrant, alors qu'ils pouvaient mourir à tout moment.

« Fais-toi une raison. C'était couru d'avance, c'est notre lot à tous de nous séparer.

- Tu ne peux pas comprendre.

Wuffei haussa les épaules. Celle-là, c'était quand même la réplique bidon quand on ne veut pas expliquer.

- C'est toi qui ne comprend pas. Recouvre tes forces. Tu es blessé et j'ai besoin d'un équipier en plein possession de ses moyens. Pas d'erreurs cette fois. »

Heero planta son regard dans celui de son camarade et fronça les sourcils. Wuffei esquissa une grimace. Ce regard noir, cette colère incertaine, il ne voulait pas la voir. Il la sentait depuis le début, cette nervosité, derrière le calme apparent de Yuy se cachait une anxiété folle. D'autant plus dangereuse que Heero ne se doutait pas être aussi fragile. Il ne savait pas à quel point ses émotions le guidaient bien plus que sa raison. Et, par toutes les divinités de ce monde, Wuffei ne voulait pas être témoin des émotions de Heero Yuy. Il voulait bien supporter ses états d'âmes, son mutisme, sa balourdise, il voulait bien le voir lancer des regards en coin à Maxwell, mais pour rien au monde, il n'accepterait de le voir en train de se torturer la tête.

« Tu coucheras avec lui au retour. Si c'est ça qui t'inquiète.

- Et s'il y a un retour.

- Hein ?

- Pour nous comme pour lui, le retour n'est pas sûr.

- Dans ce cas, il fallait coucher avec lui avant de partir.

- Il fallait faire vite. »

Le chinois secoua la tête, évacuant l'image mentale de Duo et Heero couchant « vite » ensemble.

« Tu as reçu les détails de la mission. Tout ira bien.

Heero hocha la tête.

- Nous devrions échelonner l'attaque.

Wuffei se redressa.

- Comment ça ?

D'un geste vif, Heero se leva, attrapa une chaise et la passa entres ses jambes. Il montra la carte chronologique qu'il avait mis quelques dizaines de minutes à élaborer.

- D'abord, vague de bombardement. En altitude, histoire de provoquer la panique. Et puis le feu, il faut pouvoir encercler le site en mettant feu aux bâtiments qui l'entourent. Il faut isoler le site.

- Et pour la partie souterraine ?

- J'y viens. En même temps, on attaque trois des cinq murs porteurs de la structure. Tout s'effondrera.

- D'accord. Et on termine en tir serré.

- On veille à ce que personne n'en sorte vivant.

- Les installations doivent être inutilisables. C'est vital.

- Un deuxième bombardement, cette fois-ci depuis la surface devrait pouvoir terminer le plan.

- Quand commence-t-on ?

Heero haussa les épaules.

- Demain, repérages dans la journée, révision des gundam le soir. Après-demain, dernières vérifications, on passe à l'action après-demain, à la tombée de la nuit. On ne pourra pas profiter de la révision mensuelle de leur radar à ondes courtes très longtemps.

Wuffei hocha la tête.

- Je vais te passer un plan de la ville et te montrer les positions des différentes installations. La cible principale, c'est le laboratoire, le reste est secondaire, mais si on arrive à s'en débarrasser, c'est aussi bien. »

Heero attrapa le plan et commença à en examiner les différentes marques et légendes qui l'ornaient.

Finalement, alors qu'il allait sortir, le chinois se retourna et hésita une longue seconde avant de se décider.

« Hé Yuy ?

- Mh ?

- Comment tu as réussi à décoller Maxwell de tes semelles ?

Heero eut un air complètement blasé en répondant.

- Je l'ai assommé. »

Et Chang Wuffei se contenta de cette réponse, l'air dubitatif. Lui n'aurait pas fait ça. Mais lui n'était pas Heero Yuy et peut-être qu'il fallait bien ça quand on savait l'obsession que représentait Yuy aux yeux de Maxwell.

« Ici. Le laboratoire passe sous le fleuve ? Fit Heero, changeant brutalement de sujet.

- On ne sait pas. Les parties hachurées sont les endroits où l'étendue de l'installation est inconnue. De manière générale, c'est toute la partie Est de la ville qui pourrait être concernée. »

Heero hocha la tête et replongea dans l'étude du plan.

Toute la partie Est, cela représentait une centaine d'hectares, des habitations, des routes, des écoles, des civils. Ils allaient devoir trouver quelque chose pour détruire ce labo sans toucher aux civils qui vivaient trois mètres au dessus.

Ses pensées se chamboulaient en lui, loin de la sérénité qu'il avait espéré en prenant le large, il demeurait dans la confusion. Machinalement, il se déshabilla, passa un tee-shirt un peu large et se glissa sous les draps, tout en gardant son laptop ouvert et à portée de main. Il se releva quelques seconde après pour éteindre la lumière à la porte de leur chambre, et, ce faisant, ne laissa dans la pièce que la lueur rosâtre d'une enseigne lumineuse dans la rue. Il se recoucha par dessus les draps cette fois et croisa les bras sous sa tête.

Il n'avait pas spécialement envie de se demander pourquoi il ressentait cela, mais lentement, dans sa tête, prenait la forme d'une envie irrésistible, un élan qui le poussait. Il voulait entendre Duo, le voir, le toucher. Il voulait Duo. Et cette pensée, aussi naturelle soit-elle, faisait grandir en lui un malaise indescriptible.

Il ne dormait toujours pas quand Wuffei rentra dans leur chambre. Le chinois ne lui jeta pas un seul regard, il se déshabilla, fit trois séries de pompes sur le parquet et s'installa sur son lit, en tailleur, les yeux mis-clos, les mains soigneusement posées en équilibre sur ses cuisses.

Heero regarda Wuffei méditer avec un certain intérêt. Peut-être que c'était cela qui lui manquait ? Un peu de méditation.

Il essaya, d'abord incertain de ce qu'il faisait. Il ferma les yeux, sans pour autant chercher l'état d'abandon instinctif qui le menait inévitablement au sommeil. Il devait, se vider la tête. De tout. Et il allait avoir du boulot parce qu'il y avait un véritable merdier dans sa tête. La première chose c'était Duo qui l'aguichait sans honte, qui lui souriait de toutes ses dents, Duo qui l'implorait, qui lui faisait ses yeux de cocker, Duo qui le tenait entre ses bras, qui lui offrait un espace de douceur et de tendresse, Duo chaleureux. Doucement, il écarta toutes ces images. Il se força à ne pas se laisser emporter. Et pourtant qu'est-ce qu'il aimait ça, se laisser emporter dans le souvenir de Duo il ne connaissait rien de plus apaisant que de compter sur ce souvenir fantasmé du bonheur qu'il lui procurait.

Et puis ce fut encore Duo, mais plus le même Duo, un Duo aux yeux furieux, un Duo qui l'accusait. Un Duo qui le méprisait. Il lutta contre la tentation d'ouvrir les yeux pour échapper à cette vision, et fit face. Face à Duo qui ne voulait pas de lui. Il sentit la douleur intense, le désespoir, l'envie de fuite, l'envie de mort. Là encore, il repoussa doucement ces images, qui n'étaient que le pâle reflet de ses peurs, et fouilla plus profondément en lui avec un sentiment de malaise au creux du ventre.

Il y avait les trois autres, les autres pilotes et chacun vacillait comme une flamme, oscillant entre le sourire triste et la franche désapprobation. Les trois autres qui le jugeaient, qui portaient sur lui un regard sans concession, sans pardon et sans rémission. À nouveau, il dû se faire violence pour écarter ces images troublantes.

Et puis ce fut comme s'il entrait un peu plus profondément en lui, nulle autre image ne s'imposant à lui, seulement le noir. Le vide. Et un tiraillement intérieur insupportable. Comme un long hurlement, que lui seul pouvait entendre. Étrangement, c'était aussi lui qui poussait ce cri douloureux. Culpabilité. Peine. Désespoir. Douleur. Honte. Honte. Regret. Remord. Tout cela dans une plainte, dans une plainte qui jaillissait de son cerveau. C'est moi. C'est ce que je suis. Heero tenta de rejeter cette sensation poisseuse, sale et étouffante qui l'envahissait, comme il avait rejeté les autres images, mais celle-ci fut impossible à détourner de lui et il se sentit peu à peu suffoquer.

Brutalement, il rouvrit les yeux, haletant, la bouche grande ouverte et les poings serrés, crispés. Tout son corps lui faisait mal, le tiraillait, comme s'il s'était assis sur un lit de tessons de bouteille.

Un coup d'œil au réveil sur la table lui appris que presque une heure s'était écoulée depuis qu'il avait fermé les yeux et pourtant, il avait l'impression que seulement cinq minutes avaient passé.

Sur le lit d'à côté, Wuffei était dans un état second, le souffle imperceptible, sa poitrine se soulevait à peine. Il était parfaitement immobile, et dans la lumière grise de la nuit, on aurait pu croire qu'une statue était posée sur le lit.

Heero inspira profondément et se remit à ses efforts. Ça ne pouvait pas être aussi terrible que ça. Il n'imaginait pas arriver au niveau du chinois dès le début mais il ne pouvait pas faire un malaise à chaque fois qu'il tentait de faire le vide dans son esprit.

Il revint lentement là où il en était. Le vide, la sensation poisseuse à l'intérieur de lui, et puis, profondément, plus encore, lorsqu'il ne restait même pas le vide qui habitait sa vie. Tout au fond, il sentit comme une longue décharge électrique, une sensation au creux du ventre, remontant le long de sa colonne vertébrale, faisant éclater sa tête. L'envie de meurtre. L'envie brutale, viscérale, de tuer. L'instinct primaire qui dominait en silence, attendant patiemment son heure.

Heero se réveilla en sursaut, dévoré par cette sensation nauséeuse. Il était à moitié allongé sur son lit, la lumière du jour emplissait la chambre et Wuffei était assis en face de lui et le fixait d'un air moins que sympathique.

Lentement, le japonais remit ses idées en place et inspira profondément. Un cauchemar. Cette pulsion de meurtre, ce besoin de sang et de violence en lui, c'était simplement le fruit malade d'un cauchemar. Il s'était endormi.

Simplement le regard de Wuffei sur lui lui donnait plutôt l'impression qu'il s'était ouvert à tous, livrant cette découverte aux yeux de son camarade. Mais ce dernier haussa les épaules et se retourna pour déployer la carte de la ville sur la table.

« Je sais pas à quoi tu joues, Yuy, mais ne refais jamais ça à proximité de Winner.

- Quoi ?

- Ce que tu as fait hier soir. Ta transe, là. Jamais près d'un empathe, ça pourrait le tuer.

- Attends !

Heero se leva et se précipita vers Wuffei, le tira par l'épaule.

- Tu sais ce que j'ai fait ?

- Je ne suis ni idiot, ni aveugle.

- Tu as vu ce que...

Wuffei leva la main, interrompant son coéquipier.

- Je ne sais pas de quoi était faite ta transe, mais elle a été violente et douloureuse, vu l'état dans lequel tu étais lorsque j'ai dû t'assommer pour que tu t'endormes.

- M'ass...

- Oui, t'assommer. Écoute, je ne sais pas comment tu as fait, mais cela prend normalement des années de pratique de la méditation pour s'enfouir dans une transe aussi profonde. C'est dangereux pour les novices, ne recommence jamais.

- Hm.

- On va faire les repérages en ville. »

Heero hocha la tête silencieusement. Il n'avait pas eu l'impression de sombrer la veille au soir, ni de se faire assommer. Soit Wuffei lui racontait des conneries et il s'était tout bonnement endormi durant sa méditation, soit c'était la vérité, et il ne devait jamais recommencer. Pourquoi Wuffei lui mentirait-il ? Pourquoi aurait-il inventé une telle chose ? Et pourquoi avait-il une folle envie de retrouver cet état de transe, plongé au plus profond de lui-même, au niveau de plus basique, où sommeillaient ses instincts les plus primaires. Il avait sentit le premier : l'instinct de survie, l'instinct meurtrier qui lui interdisait la pitié. Et en lui prenait racine l'envie de connaître les autres instincts qui dormaient au plus profond de son être.

Le tour de la ville fut fait assez rapidement, en fait, elle n'était pas très grande et ils repérèrent les points stratégiques en jouant les touristes. À cette époque de l'année, Rostov était encore une destination estivale tout à fait convenable et quelques familles de touristes russes étaient sur le départ. Ils réussirent à délimiter le périmètre le plus probable du laboratoire souterrain. Ensuite, en se faufilant habilement par les bouches d'égouts, ils avaient pu en estimer la profondeur et la solidité des matériaux de construction utilisés. L'un dans l'autre, la destruction du labo clandestin s'annonçait sous des augures favorables. À ceci près que la partie Est du labo était impossible à estimer, et il y avait fort à parier qu'elle s'étendait jusque sous des quartiers très peuplés, contenant des écoles, un hôpital.

« Un bouclier humain.

Heero hocha la tête aux mots de son coéquipier.

- Il faudra s'infiltrer et y mettre le feu.

Heero secoua la tête en désignant les endroits concernés sur la carte.

- Ici, ici, ici, et là, la structure est trop fragile. Même si on contrôle l'incendie, ce qui risque de ne pas être le cas, il y a des chances pour que le sol s'effondre, ce qui pourrait également provoquer un glissement de terrain plus vaste, la rivière étant juste à côté.

Le chinois dévisagea son collègue.

- Tu as une meilleure solution ?

- J'y réfléchis, fit Heero, un peu irrité. »

Irrité, parce que oui, il y réfléchissait, depuis le début de la journée, depuis qu'il avait compris que la faille de leur plan se situait là, et il n'avait rien trouvé. Faire évacuer la population ? Oui, mais comment ? Comment fait-on sortir trente-mille personnes d'une ville sans mettre la puce à l'oreille aux militaires qui grouillent dans le sous-sol ?

Sans trouver de solution à cet épineux problème, ils se rendirent dans une banlieue mal famée de la ville dans laquelle ils avaient planqué les gundams pour effectuer les derniers réglages.

Et subitement, sans qu'il réalise bien pourquoi, Heero trouva le silence lourd, pesant. Normalement, cela ne lui arrivait pas, ou du moins, pas avec Wuffei. Avec Chang Wuffei dans les parages, le silence était un état normal, un état stable et viable, dans lequel il pouvait se noyer tellement il s'y sentait à l'aise. Avec Chang Wuffei, le silence pesant n'existait pas, il dispensait cette espèce de sérénité, cet air de n'avoir rien à dire qui permettait de supporter l'absence de paroles. Cette fois-ci était différente.

Tout en programmant les différents éléments de leur mission dans la mémoire des gundams, les mots franchirent ses lèvres sans qu'il sache trop comment.

« Quand je vous ai rencontré, j'ai senti quelque chose.

T'es bien le seul, songea Wuffei, tout en bloquant les commandes d'autodestruction à distance de leurs gundam. C'est vrai que c'est parfois utile l'autodestruction, mais bon, dans l'état l'esprit présent du perfect soldier, il valait mieux lui ôter toute tentation avant qu'il ne commette l'irréparable.

- Quelque chose que je n'avais senti qu'une seule fois avant. J'ai toujours cru que je vivrai et mourrai seul. Parce que je suis programmé pour cela... mais maintenant... je ne sais plus.

- Tu penses trop.

- Je sais, tu parles comme Duo.

- Tu penses trop à lui.

- Hein ?

- Et tu penses qu'il est suffisant pour te donner une raison de vivre. Une raison plus forte que notre cause qui nous donne une raison de mourir.

- Non ce n'est pas...

- Si, c'est comme ça. J'ai connu ça autrefois, l'illusion d'aimer quelqu'un pour qui je devais revenir vivant.

Heero, attendait, suspendu aux mots du chinois, c'était la première fois qu'il l'entendait lui parler de son passé de manière si précise, et avec autant de hargne et d'amertume dans la voix.

- Mais c'est faux. Les gens que nous aimons sont aussi mortels que nous. Tout ce qui compte, au final, c'est ce pour quoi on est prêt à donner sa vie, pas ceux pour qui on cherche à la conserver. »

Le japonais hocha la tête. Il percevait la logique de cette argumentation. C'était la guerre et ils avaient une mission. Si on ne le fait pas, personne ne le fera et pourtant cela doit être fait. Pas d'autre choix, l'équation est simple, à la portée du premier débile venu. Et Heero Yuy était loin d'être un idiot.

« La vie est dure, le monde est cruel. Nous tentons d'y apporter un peu de justice, parce que nous croyons à cette justice là, murmura Wuffei, plus pour lui-même que pour son compagnon. Je crois à cette justice là. »

Heero sentit sa gorge se nouer. La justice. Une idée vide, une statue creuse qui s'effrite un peu plus chaque jour. Il avait entendu un jour ces mots « une femme sourde et aveugle qui ne reconnaît personne et sourit à tout le monde ». La Justice décrite ainsi était si proche de la mort. Y'avait-il de la justice lorsqu'il assassinait froidement les soldats d'OZ ? Et lorsqu'il faisait exploser un avion remplis d'innocents, où était la justice ? Pourquoi repensait-il à cet épisode-là, pile maintenant. Oui, il avait détruit des vies qui ne le méritaient pas, il avait fait une erreur, on l'avait trompé pour le discréditer, pour le perdre, lui faire plus de mal que n'importe quelle balle dans le bras ou le genoux. Ça ne se reproduirait pas, il prenait soin de vérifier les informations qui lui parvenait, il ne voulait plus porter le poids des vies innocentes. Alors pourquoi repensait-il à cette tragédie ?


La suite ? Mais bien sûr messieurs dames, elle arrive dans un mois pile.

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