Chapitre 1

« Soyons fous et volons jusqu'aux cieux ! »

Voilà ce qu'elle m'avait dit.

« Volons jusqu'aux cieux pour être toujours ensembles ! »

Sûr que si on restait là, être à jamais ensembles tiendrait du parcours du combattant.

« Et nous ferons notre bonheur, à notre image et à notre rythme ! »

Ces paroles m'avaient enthousiasmé. J'étais heureux qu'elle veuille partir avec moi. Qu'elle m'aime à ce point.

« Et comment volerons-nous ? »

Cette question, je lui avais posée rapidement. Mais elle ne s'est pas laissée abattre par mon air désabusé.

« Avec les ailes de notre cœur. »

Mon cœur n'a pas d'ailes, sinon je l'aurais déjà emmenée hors de chez elle. Très loin.

Je me réveille en sursaut. Encore ce rêve. Il me laisse toujours un goût de regrets amers. Je ne le comprends pas. Je ne connais pas cette fille. Je ne vois jamais clairement son visage, mais sa silhouette et sa voix me sont inconnues.

Pourtant dans mon rêve …C'est comme si nous nous aimions. J'étais prêt à aller au bout du monde pour elle. Pour une inconnue.

Je repousse mes couvertures et m'assois dans mon lit. Ils m'ont assurés que cette maison était la mienne. Ils m'ont dit à mon réveil que le manoir, les serviteurs, les terres étaient à moi. Depuis toujours. Mais je ne sais pas. Je me suis promené sur chaque sentier du domaine. Dans chaque jardin. Dans tous les couloirs de la maison. Rien n'éveille de souvenirs en moi.

Car je suis amnésique. Je me suis réveillé il y a un mois. Dans cette chambre. Un homme se tenait au pied du lit. Il a appelé un docteur qui lui a assuré mon amnésie. Je n'ai pas tout compris. Apparemment, j'ai chuté d'un toit et je suis tombé dans le coma. L'amnésie est, selon le médecin, tout à fait normale, et mes souvenirs devraient me revenir rapidement. Mais au bout d'un mois, toujours rien.

Je me lève. Vais jusqu'à la cuisine. Ils m'ont répété que ma place n'était pas là, mais j'ai l'impression que si. Que je ne suis pas là pour commander, comme ils le prétendent, mais pour obéir.

Pendant que le thé infuse, j'observe mon visage dans le reflet d'un meuble chromé. Les yeux, la bouche, le nez. Je me trouve banal. Il paraît que non. Je ne comprends pas. Je ne me reconnais pas. Je suis un inconnu pour moi.

Cette fille dans mon rêve … Elle me regardait avec amour. Et joie aussi. Beaucoup de joie. Elle aimait rire et rêver. Mais elle n'était pas heureuse chez elle. Je me le disait à moi-même, mais j'ignore pourquoi je le faisais. Je voulais l'emmener ailleurs, dans mon rêve. Là où elle disait qu'on pouvait s'aimer. Très haut dans le ciel.

Pourquoi ces rêves ? Je les prendrais bien pour un souvenir s'il y avait cette fille au domaine. Mais non. J'ai demandé. Ils m'ont dit que jamais une telle fille n'avait franchi les grilles de la propriété. Pourquoi m'auraient-ils menti ?

« Vous auriez du appeler. » me reproche une voix depuis l'encadrement de la porte.

Une voix grave et sérieuse. Le parfait reflet de celui qui la porte.

« Je ne vais pas réveiller tous les serviteurs à chaque insomnie. »

Ma propre voix. Qui me semble froide, monotone. Sans vie.

« Les serviteurs sont là pour vous servir. »

Toujours ces pensées. Les serviteurs sont là pour servir, les maîtres pour commander. Alors pourquoi me sens-je si étranger à cela ?

« Laisse-les dormir. Ils ont beaucoup fait hier. »

Hier. Le jour de nos anniversaires. Qui à jamais nous sépare.

« Ils sont là pour obéir aux ordres. Qu'importe leur santé. »

Non. Au contraire. C'est ce que je pense depuis longtemps.

« Un serviteur fatigué n'est bon à rien. »

Une petite opposition. Pas grand chose. Un début.

L'autre ne répond pas. Il n'a pas à contester mes ordres. Conseiller n'est pas maître. Il connaît la hiérarchie.

« Y a t-il un problème ? »

Prévenance. Assurance que tout va bien. Aucune tendresse. Juste … nécessité.

« Pourquoi y en aurait-il un ? »

Un dont vous auriez mérité d'être au courant. Voilà ce que j'ai envie de dire. Mais une fois encore, rien. Pas un mot exprimé à voix haute.

« Vous vous réveillez fréquemment la nuit. »

Un jour, cet homme saura mieux que moi ce que j'ai fait dans la journée.

« Parlez-moi de moi. »

Ca y est. L'ordre est lâché. Il s'y pliera. Pas avec bonheur. Mais il obtempérera.

« Pourquoi cette demande … incongrue ? »

Sans discuter. Un regard noir lui rappelle qui est censé être le maître ici.

« Vous vous appelez Drago Malfoy. Vous êtes l'héritier de la noble famille Malfoy. Votre père est Lucius Malfoy. Votre mère Narcissa Malfoy. Vous avez vingt ans … »

Il essaye de m'endormir. De détourner ma demande. Il l'a comprise.

« Comment étais-je ? »

Cette question amène un air gêné sur le visage de mon interlocuteur. Lui qui d'habitude gère si bien ses émotions. Un regard insistant et il reprend la parole.

« Vous étiez fier. Fier de votre rang. De votre famille. De vos parents. Vous ne fréquentiez que les meilleures familles. La meilleure société du pays. Vous avez fait vos études à Poudlard, l'école la plus célèbre du monde. »

Il doit le faire exprès. Jamais un imbécile n'aurait été admis à servir mes parents.

« Je vous parle de caractère. »

Les faits ne servent à rien. Mon caractère, ma manière de vivre me semble bien plus importante.

« Fier, je vous l'ai dit. »

Un autre regard noir. Qu'il dise tout de suite que mon père ne l'a pas autorisé à en parler.

« Tu peux disposer. Je n'ai plus besoin de toi. »

Il me regarde un moment avant de s'incliner et de sortir. Je sais qu'il va aller rapporter mes faits et gestes à mes parents. Et ma mère va arriver bientôt.

Je n'ai pas tort. Dix minutes après le départ du domestique, une grande femme blonde et très belle entre et s'assoit à côté de moi.

« Mon chéri, tu devrais essayer de te rendormir. »

Sa voix est pleine d'inquiétudes. Elle parle lentement, en articulant bien chaque phrase.

« Je vais y aller. Le temps d'aller à la bibliothèque prendre un livre. »

Ma voix n'a pas changé d'intonation. Ou si peu. Une nuance minime de chaleur s'y est déposée quand je lui ai parlé. Mais pas plus. Je ne la reconnais pas non plus.

« Tu ne devrais pas lire autant. Tu dois guérir rapidement et pour cela il te faut beaucoup de repos. »

Voix pleine de sollicitude. Mais elle ne répond pas aux questions que je me pose.

« Ne vous inquiétez pas. Je ferai attention. »

Je ne veux plus me réveiller en sursaut, marqué par rêve qui n'a pas de sens.

Je me lève. Elle suit mon mouvement. Sur le pas de la porte, elle m'arrête.

« Ne reste pas debout trop longtemps. Tu vas attraper froid. Bonne nuit mon chéri. »

Elle dépose un léger baiser sur mon front. Elle n'arrête pas de sourire doucement lorsqu'elle est avec moi. Encore une chose dont je me dis que ce n'est pas naturel.

« Bonne nuit … Mère. »

Ce dernier mot sonne trébuchant à mes oreilles. J'ai du mal à le prononcer. Je ne me rappelle pas d'elle avant mon accident. Si elle m'a déjà serré dans ses bras. Les cadeaux qu'elle a pu m'avoir fait.

Je ne sais plus.

La bibliothèque du manoir est immense et très remplie. Depuis mon réveil, j'y fait souvent de longues escales. Ce soir, je recherche un livre sur les familles nobles du pays. Si je ne fréquentais que les familles nobles, la fille devrait y être consignée. Un livre avec des photos de ces familles. C'est mieux.

Je choisis trois ou quatre livres traitant du sujet et je les emmène dans ma chambre. Je m'installe confortablement et commence ma lecture.

Trois heures plus tard, je n'ai pas avancé. Il n'y a pas une photo de cette fille dans les ouvrages parlant des familles nobles du pays. En revanche, je m'y suis vu, en compagnie de mes parents et de quelques cousins. Cela me rassure. Ils ne m'ont pas menti.

Je secoue la tête. Pourquoi mentiraient-ils ? Ils sont mes parents. Me connaissent depuis que je suis bébé. Narcissa m'aime vraiment.

Je prends un autre livre. Mais je sais déjà le résultat. S'il n'y a rien dans les deux autres, il n'y a pas de raison qu'il y ait une information importante dans celui-ci. Il faudra chercher ailleurs.

Encore ce rêve. Encore une nuit. Encore une insomnie. Pas de souvenirs malgré trois mois depuis mon réveil. Pas de trace de cette fille, qui ne me semble pas heureuse. J'ai repassé mes rêves des journées entières dans ma tête. Et j'en suis arrivé à plusieurs conclusions.

Si je ne trouve pas sa trace dans les registres des nobles, c'est qu'elle n'en est pas une. Si elle n'en est pas une, elle est paysanne. Si elle est paysanne, alors les domestiques et mes parents m'ont menti Je ne côtoyais pas que des gens nobles.

Reste à savoir pourquoi ils ont menti. Et qui elle est.

Je veux savoir.