L'envol de phœnix
ou la chance donnée à Sirius Black
Ça fait neuf ans que Sirius Black est en prison quand Remus découvre la culpabilité de Peter. Saisira-t-il toute les chances offertes par un plan à la Dumbledore ?
Fic compatible (au début au moins) avec Entre Lune et Étoile mais qui devrait pouvoir se lire toute seule... Réponse au défi de DameLicorne, Aria Lupin, Elhini, Dina et bien d'autres dont j'ai oubliés de noter les noms...
1. Un labrador peut en cacher un autre
Quelque part, une goutte d'eau tombait sur une pierre dans un ploc bref mais qui était repris par l'écho. Ce n'était pas réellement régulier. Goutte après goutte, les nerfs de Sirius Black semblaient prendre leur liberté.
"Je ne pourrais pas rester une seconde de plus dans cette cellule !", souffla-t-il avec colère. Crier aurait inutilement attirer les gardes.
L'avoir dit sembla lui rendre un semblant de calme. Il avait connu pire après tout. N'avait-il pas enduré la faim récurrente et qui rend faible et malade ; la maladie qui donne l'impression que jamais la chaleur ne reviendra ; les gémissements des cauchemars laissés par les Détraqueurs à ceux qui se rebellaient ? Il avait aussi supporté, pendant un nombre de semaines qu'il n'était même plus capable d'évaluer, les hurlements d'une folle qui avait tué son enfant et l'appelait, heure après heure. Il avait même dû encaisser que sa toujours charmante cousine Bellatrix ait le culot de se sentir le droit de le juger, la seule fois où ils s'étaient croisés au hasard des promenades obligatoires :
"Notre petit Sirius... condamné malgré toi à la décence !", avait-elle lâché quand ils s'étaient trouvés à moins d'un mètre.
Dépassé par la colère et le chagrin, par la honte du gâchis, il lui avait craché dessus, et sa cousine avait essayé de lui arracher les yeux - elle y serait parvenue si les gardiens ne l'avaient pas retenue, Sirius n'en doutait pas. Lui, on l'avait mis une semaine au cachot pour "réaction disproportionnée".
"Ils devaient être rivaux", avait marmonné un des gardes en refermant la porte.
"Je les croyais de la même famille", avait soupiré son acolyte.
"De grands malades en tout cas", avait conclu le premier.
Leurs pas s'étaient éloignés pour laisser place au silence et au noir. Et ça aussi il l'avait supporté avec tout le courage qu'il avait pu réunir.
Tant de petites et de grandes misères... il allait supporter une goutte d'eau, décida-t-il avec toute la fermeté qu'il pouvait encore réunir. Il valait mieux ne pas penser qu'il resterait toutes les minutes de sa vie restante dans cette cellule. Surtout pas. Dans l'intention de trouver rapidement un dérivatif à ses nerfs, Sirius se carra contre le mur, à quelques centimètres de la grille. Parfois, de là, on pouvait voir les quelques gardiens sorciers d'Azkaban passer. Mieux encore, quelque fois, il pouvait les entendre discuter entre eux. Et leurs petites histoires - l'avancement de Kenley ; la rage de dents de la femme de Crochue ; l'entrée à Poudlard du fils aîné de Saltegg... C'était la preuve que la vie continuait, que le monde existait, que Sirius n'était pas encore totalement fou. Et quand cela ne marchait pas, il ne restait que Patmol pour le sauver... mais il ne pouvait se transformer que lorsque les gardiens sorciers laissaient les lieux aux Détraqueurs - pour eux, un chien ou un humain ne faisaient que peu de différence. Et puis, se transformer lui demandait toujours plus d'énergie, et il fallait mieux garder cette solution pour quand il n'en pourrait vraiment plus.
Sirius avait mis des années à avoir une aussi bonne cellule, aussi bien située. Il avait été sage. Il avait été soumis - sauf quand Bellatrix l'avait provoqué ; Bella restait hors concours. Mauvaise nourriture, privation, isolement, il avait tout accepté - sa mère n'en serait pas revenue sans doute. Il avait même cessé de répéter qu'il était innocent. Ce n'était pas très difficile parce qu'il était intimement convaincu qu'il ne subissait que ce qu'il méritait. Si le Magenmagot se trompait en le croyant un Mangemort, c'était une maigre consolation. Il avait fait tuer James et Lily - James et Lily ! - aussi sûrement que s'il avait rejoint les rangs des encagoulés qui prétendaient que la mort nourrit. Il avait fait de Harry, qu'il avait juré de protéger, un orphelin... Pourrir à Azkaban était tout ce qu'il méritait, la mort aurait été trop douce.
Depuis environ vingt mois qu'il traînait dans cette meilleure cellule pour prisonnier sage, il avait appris des choses inestimables de son coin près de la grille. Quand le rejeton de ce vieux bigot de Saltegg était entré à Poudlard, il avait découvert que Remus en était devenu le directeur après y avoir été professeur ! Leur Remus, leur timide et courageux garou qui n'osait pas toujours respirer ! James aurait été tellement fier de lui ! C'était une telle belle revanche que les Détraqueurs avaient flairé en lui des quantités suffisantes de pensée positive pour tourner chaque nuit autour de sa cellule comme s'il venait juste d'arriver.
Ça n'avait pas duré. Cette bribe d'information, aussi joyeuse qu'elle ait pu paraître, avait elle-même ouverte des heures de réflexion circulaire et douloureuse : et tous les autres ? Et Harry ? Qu'étaient ils devenus ? Pensaient-ils parfois à lui ? Le haïssaient-ils ? Est-ce qu'on avait appris à son filleul à le haïr ? L'idée était déchirante ; elle lui coupait le souffle. Mais il y avait pire - il y avait toujours pire : que croyait Aesthelia ? Que pensait aujourd'hui la seule femme pour laquelle il avait ressenti un intérêt profond dépassant l'excitation de la conquête ? Avait-elle pu croire, elle aussi, qu'il avait trahi ses meilleurs amis ? Après tout, Remus devait le croire - il n'était jamais venu le voir...
"Trop occupé à réussir à Poudlard", avait grincé Sirius, furieux des larmes qui lui brûlaient les yeux.
Mais Aesthelia ? L'avait-elle rayé aussi fermement de sa mémoire ? Après tous leurs serments ? Leurs projets ? Aesthelia... ses longs cheveux noirs ondulés... toujours parfumés d'huiles exotiques... ses poignets si fragiles... ses yeux verts pâles presque gris... son envie de porter un enfant de lui malgré tout ce qu'il lui avait avoué de la démence congénitale de sa famille... La douleur était tellement forte que les Détraqueurs l'évitèrent pendant des semaines.
Peut-être parce qu'il avait l'air si épuisé, si prêt d'abandonner la lutte, Kenley qui était un bon bougre lui avait alors donné un journal - tout un journal. Sirius l'avait lu intégralement de la première à la dernière ligne, ne négligeant ni le prix, ni la date, ni le lieu d'impression. Tant de choses dans une seule lecture... On était en 1990. Neuf ans qu'il était là, dans cette place forte livrée aux vents et aux cauchemars au milieu de l'océan... neuf ans qu'il perdait son âme par lambeaux... Finalement, il ne se serait pas cru si résistant ! C'était comme cet imbécile de Fudge qui était toujours là ! Plus résistant que l'espoir, avait songé sombrement Sirius. Le Ministère semblait ronronner : des règlements sur les fonds de chaudron, des limitations à l'importation des tapis... Un pays en paix !
Était-ce la paix qui avait permis la seule chose réellement surprenante apprise par Sirius pendant sa lecture méticuleuse de la Gazette ? Était-ce la paix qui avait permis à Remus non seulement d'enseigner et de devenir directeur à Poudlard, mais d'assumer officiellement sa lycanthropie ? Plus il y pensait, plus Sirius regrettait de ne pas vivre dans une communauté magique qui acceptait un lycanthrope à Poudlard !
"Juste quelques mois, juste pour voir", plaida-t-il à mi-voix dans la solitude de sa cellule.
Même si cette victoire semblait avoir été acquise de haute lutte, arrachée par Dumbledore - qui d'autre ? - à un Fudge sans doute en petite forme, son père et sa mère s'en seraient étranglés de rage avant de retirer immédiatement leurs enfants de l'école. Ils avaient les moyens qui manquaient à un Saltegg qui regrettait ouvertement : "Avec la femme, si on avait eu les sous, on l'aurait envoyé là où ils ne confondent pas les créatures avec les sorciers"!
Même si - et la phrase hantait Sirius depuis - selon le journal, "l'ouverture d'esprit de notre Ministère a sans doute été aidée par son adoption de Harry Potter". Remus avait adopté Harry ? De tous les scénarios que Sirius s'était fait en neuf ans, eh bien, celui-là était bien parmi ceux qui lui plaisaient le plus. Il battait facilement un Harry confié à la famille de Lily entrevue deux fois - deux fois de trop. Il gagnait aussi contre ce que Sirius avait tenu pour le plus probable : que Dumbledore ait récupéré son filleul... sans doute pour le gaver de sorbets au citron et de vieux parchemins écrits en langue sirène !... Remus était plus jeune, il était l'ami de James comme de Lily... Il aurait même pu être plus que cela pour Lily, Sirius s'en rappelait bien... Même si James et lui l'avaient souvent trouvé trop raisonnable, il était un maraudeur, le dernier... celui pour qui Patmol avait existé ! Remus était avec Harry... il en avait mieux dormi pendant des jours.
Sirius n'espérait pas aujourd'hui un aussi beau cadeau, lorsque surgirent au bout du couloir Renley et Crochue guidant un sorcier qui n'était même pas un prisonnier. Il se passait si rarement quelque chose d'aussi extraordinaire que les murs de pierres avaient paru moins humides tout d'un coup. Il y avait aussi des ombres dans leurs pas, remarqua Sirius en se redressant. Il finit par distinguer deux chiens. Un noir et un blanc. Des labradors, comprit il avec une accélération subite de son coeur. L'envie de se transformer faillit le submerger, ses mains en tremblèrent, et il se força à baisser la tête et à s'abîmer dans la contemplation d'une pierre plus bleue que les autres dans le mur en face de lui. Six pieds chaussés, huit pattes griffues, ils étaient quasiment devant sa cellule.
"Ah, vous avez mis Black ici", annonça une voix inconnue au dessus de lui. Ils s"étaient tous arrêtés, les chiens essayaient de passer leur museau au travers de la grille.
"Il est tellement calme et absent", se justifia Renley, le bon bougre.
"Il sait toujours lire, pourtant !", intervint Crochue. "Renley lui a donné un journal au printemps." C'était donc le printemps, songea Sirius, classant méticuleusement ce petit fait - au printemps, il avait lu un journal - comme un rempart à la folie. "Eh bien, il l'a lu pendant des jours, tout, même les petites annonces !"
"Intéressant", estima la voix inconnue. "Black !"
"Black, répond à Monsieur l'inspecteur", ordonna Renley avec un mélange détonnant de volonté de le protéger et de complaire à son supérieur.
Laissant la pierre bleue à sa vie de pierre bleue, Sirius leva lentement la tête vers les hommes debout dans le couloir. La robe marron de l'inspecteur annonçait le bon tailleur et les chiens étaient magnifiques - mais Sirius s'interdit de même les regarder, perdre le contrôle de son animagus en plein jour et devant trois sorciers du Ministère, autant se suicider.
"Je suis l'inspecteur Bellame", annonça l'homme. Relativement âgé, jugea Sirius, presque trop pour faire des inspections de terrain dans des endroits comme Azkaban. "Je fais une enquête sur la santé mentale de nos prévenus... Accepteriez-vous de répondre à mes questions, Monsieur Black ?"
"Bien sûr", répondit Reley pour lui en sortant son énorme trousseau de clés avec un empressement qui lui rappela curieusement ce garde chasse de Poudlard... - Comment s'appelait-il déjà ? Hagrid, retrouva le cerveau de Sirius à sa propre surprise. Il en eut furtivement les larmes aux yeux. Un fait et un souvenir, un jour béni.
Crochue installait déjà une chaise en face de Sirius et l'inspecteur Bellame tendait sa baguette à Renley. Pas de magie près des prisonniers, le code Auror lui revint en mémoire sans qu'il l'ait demandé.
"Soyez prudent, Inspecteur", ajouta quand même Crochue.
"J'ai mes chiens", répondit l'inspecteur en s'installant sur la chaise. Les deux labradors se mirent à renifler Sirius jusqu'à ce que leur maître les rappelle et les fasse asseoir à ses pieds. Ils avaient des yeux noirs tous les deux, une truffe fraîche, ils respiraient la course dans les bois et les embruns salés. Sirius se remit à trembler d'envie.
"Vous avez froid ?", s'enquit doucement Bellame alors que les deux gardiens s'éloignaient.
"Non", souffla Sirius. "Juste... un mauvais... rêve..."
"Vous aimez les chiens ?", questionna l'inspecteur sans réellement peser sa réponse.
"Beaucoup", reconnut Sirius, content de sentir son corps se calmer à l'énoncé de cette vérité. Si tout dans la vie pouvait être aussi simple.
"Particulièrement les labradors ?", continua Bellame, et Sirius se sentit sur ses gardes. Quelqu'un avait découvert Patmol, quelqu'un l'avait dénoncé... Il allait perdre sa dernière liberté... sa dernière goutte de lucidité... son coeur réaccéléra et ses mains tremblèrent. Ce châtiment-là, l'avait-il mérité ?
"Tous les chiens", il parvint à articuler, défense dérisoire contre l'inéluctable.
"C'est ce que m'a dit un ami à vous", commenta Bellame en ouvrant un grand écritoire de cuir et en le plaçant sur ses genoux. "Lunard m'a dit que vous seriez content de voir des labradors..."
"Lunard ?", coassa Sirius dépassé. Si c'était un piège il était monstrueux. Remus pouvait-il en être venu à le haïr tellement qu'il avait révélé son dernier secret à ses bourreaux ? Et l'idée suivante ne fut pas meilleure : Remus élevait Harry... Pouvait-il faire cela au nom de Harry ?
"Un ami", affirma Bellame l'air un peu inquiet de sa réaction.
"Lunard... ami ?" Un rire rauque écorcha la gorge de Sirius.
"Votre dernier ami", insista Bellame avec des coups d'oeil au couloir comme s'il craignait que le rire de Sirius fasse revenir les gardiens.
"Si... si vous le dites", décida Sirius. Il était le prisonnier. Il était le coupable. Il ne pouvait que perdre.
"Bien, d'après les gardiens, vous savez toujours lire, après neuf années de captivité... ce n'est pas si courant... Pouvons-nous faire un essai ?", interrogea de façon tout à fait rhétorique l'inspecteur puisqu'il lui tendait un parchemin.
Sirius le prit - que pouvait-il faire d'autre que se soumettre ? Sa main lui parût singulièrement décharnée à côté de celle pourtant plus âgée de l'homme sur le parchemin. Il repoussa les implications de cette impression et lissa le parchemin. C'était un article à propos du discours de rentrée de Fudge.
"Lisez-le, et je vous poserai des questions ensuite", intima Bellame. Il semblait chercher quelque chose dans ses poches, et Sirius avec un soupir se rendit à ses ordres.
La prose de Fudge était difficile à lire, tant de grands mots inutiles, surtout quand on a lu un seul journal en neuf ans. Mais après le premier paragraphe sur la paix éternelle et prospère offerte aux sorciers britanniques, le texte de l'article lui-même vint à changer. Sirius ne put que relever les yeux vers l'inspecteur qui maintenant caressait ses chiens.
"Lisez donc."
Sirius reprit le parchemin et déchiffra l'écriture manuscrite qui avait remplacé les caractères imprimés :
"Sirius, même quand je te croyais coupable, j'aurais dû t'écrire. Maintenant que je sais - sans aucun doute - qu'en plus, tu es innocent, je ne peux pas te laisser là. Nous n'avons pas assez de preuves acceptables pour te faire libérer mais nous pouvons te faire t'échapper... Patmol peut te faire échapper en prenant la place d'un des chiens de l'inspecteur Bellame... Ce n'est que le début de notre plan et, comme tu l'imagines, le temps nous est compté. Fais-le, Sirius, Harry et moi, t'attendons. Lunard."
"Lunard", répéta Sirius, incrédule maintenant.
"Pouvez-vous vous transformer seul ?", répondit Bellame dans une chuchotement.
"Pas longtemps", reconnut Sirius penaud.
"On va arranger ça", commenta l'homme en lui tendant un flacon. Tout petit. Juste quelques gouttes.
Incapable de toute analyse, Sirius l'avala sans plus réfléchir. Si c'était un piège.. il aurait le temps de pleurer plus tard.
"J'ai besoin de l'un de vos cheveux", ajouta l'homme en se penchant et en coupant lui même ce dont il avait besoin. L'instant d'après, il l'avait mis dans une autre flacon et tenait fermement le collier de son labrador noir.
"Ensemble", il souffla avec une pointe de stress pour la première fois. Curieusement, c'est ce stress qui rassura Sirius sur les intentions de l'homme. Il hocha la tête avant de fermer les yeux pour murmurer l'incantation avec le maximum de concentration qu'il pouvait réunir.
oo
Il était entré à Azkaban couvert de chaînes. Il avait fallu plusieurs jours avant qu'ils ne les lui enlèvent complètement. Il quittait Azkaban au bout d'une laisse rouge ; un labrador blanc retenu par une laisse marron n'ayant cesse de l'inviter à jouer avec lui . S'il en avait eu la force, il en aurait sauté en l'air de joie. S'il n'avait eu aucun doute sur ce qui était en train de se passer aussi...
Mais Patmol était content de simplement marcher, même tenu en laisse. Il était même content de sauter d'un bond précis sur le bateau qui reliait Azkaban au continent une fois par semaine. Il s'enivrait du vent, du sel, des odeurs de poissons faisandés qui traînaient dans les coins. Ça sentait la liberté, tellement que ça bloquait toutes questions, surtout celles qu'un Sirius totalement conscient se serait posées.
La traversée durant, il finit bien par se nicher contre son congénère blanc pour une petite sieste aussi étonnante que le reste de la journée. L'épuisement, la chaleur de l'autre chien peut-être, comment savoir ?
En arrivant sur le quai, il avait suivi, sans laisse cette fois, l'inspecteur Bellame jusqu'à la cheminée réglementaire qui les avait ramenés au Ministère. C'était sans doute prévisible, si Sirius avait pris la peine d'y réfléchir avant, mais la réalisation de l'endroit où il se trouvait, du piège manifeste que le lieu représentait, lui tomba dessus d'un seul coup. Il se serait sans doute re-transformé sur le champ s'il n'avait pas pris la potion de l'inspecteur qui le protégeait d'un défaut de vigilance. Mais cette nouvelle réalisation eut tendance à le stresser plus encore. Il devint une boule noire grondante et hérissée.
"Qu'est-ce qu'il a votre chien aujourd'hui, Monsieur Bellame ?", s'enquit une des hôtesses du Ministère.
"On revient d'Azkaban, il est tombé sur des Détraqueurs, ça l'a tout tourneboulé", répondit l'inspecteur en s'accroupissant pour le caresser de manière rassurante. "Là, là, rien de mal ne va se passer ici", souffla-t-il.
"Faut lui donner du chocolat", proposa une seconde hôtesse.
"C'est mauvais pour les chiens !", s'indigna une troisième.
"Ça va lui passer", répondit Bellame comme s'il le pensait vraiment mais en replaçant néanmoins la laisse sur son collier. "Je dois juste déposer mon rapport et nous rentrons."
Sirius perdit la notion du temps, attaché avec le labrador blanc, dans un coin d'un grand bureau. Si c'était un piège, les Aurors auraient déjà été là, se répétait-il sans arriver à se convaincre. Même quand Bellame les sortit du Ministère, devant plusieurs fois le tracter sans ménagement par son collier pour obtenir sa collaboration, cette impression de piège résista à toute analyse logique. Bellame avait une grande voiture moldue, et il les mit dans le coffre, le labrador blanc et lui. C'était une femelle, et elle essaya de rassurer Sirius, avec de petits gémissements et de grands coups de langue sur la truffe tout le voyage, mais cette présence simple, chaude et amicale ne suffit pas à la détendre. Ils s'arrêtèrent devant une maison assez isolée en lisière d'un bois - une maison de sorciers - et Sirius ne trouva pas de raisons de refuser de suivre Bellame et son labrador blanc dans la maison, puis dans une sorte de garage attenant. Il n'eut même pas la force de s'étonner qu'un autre labrador noir leur saute alors dessus avec force de gémissements et d'exubérance.
"Oui, Jarl, je sais, c'est long une journée tout seul, ici !", commenta Bellame en le caressant - et Sirius fut pris par surprise par l'affection présente dans la voix de l'homme. Neuf ans qu'il n'avait plus assisté à des manifestations d'affection, il en fut bouleversé.
Bellame ouvrit la porte donnant sur le jardin et laissa sortir les chiens avant de revenir vers lui.
"Black ? Vous voulez... reprendre votre... apparence ?"
Patmol gémit, incertain, mais Bellame lui glissa d'autorité le contenu d'une nouvelle fiole dans la gueule, et Sirius sentit avec inquiétude et soulagement mêlés son corps d'homme adulte prendre la place de Patmol. Ses robes de prisonnier, grises, sales, élimées, lui parurent détestables. Comme s'il avait lu en lui, Bellame murmura :
"Il y a dans le garage un cabinet de toilette. Lu..Lunard m'a donné des vêtements pour vous... Je vais vous apporter à manger, et nous discuterons... Promettez moi seulement de ne pas sortir de ce garage... Vous ne pouvez pas être vu, compris ?"
"Promis", coassa Sirius faute de meilleure idée.
La douche chaude, longue, parut la chose la plus luxueuse que Sirius n'ait jamais vécue. Les vêtements simples, presque à sa taille, il était sans doute plus maigre que les souvenirs de Remus, étaient neufs et propres. Si l'idée du piège continuait de tourner dans l'esprit fatigué de Sirius, l'expérience physique était trop confortable pour que le corps suive. Quand il ressortit dans la garage, Bellame avait dressé une table de camping et un repas pour deux. Les chiens étaient rentrés.
"Pourquoi faites vous ça ?", souffla Sirius en se laissant tomber sur la chaise.
"Parce que Albus Dumbledore me l'a demandé", expliqua calmement l'homme.
Dumbledore. Évidemment. Furent les deux seules idées dont l'esprit de Sirius accoucha. Il dévora ensuite la soupe et la tourte sans trouver d'autres questions à poser.
"Je suis un homme d'habitudes", commença ensuite Bellame. "Je fais un promenade dans les bois avec mes chiens tous les soirs après dîner. Une autre au petit matin. Vous m'accompagnerez la seconde fois avec Lady... Dans les bois, je vous remettrai un portoloin qui vous amènera à Dumbledore... et je serai obligé d'effacer de votre mémoire mon intervention : Patmol aura trouvé seul le moyen de s'évader..."
"Mais le chien que vous avez laissé là-bas ?", s'inquiéta sincèrement Sirius - il n'avait pas tant d'attachement pour sa mémoire pour avoir envie de la défendre. Il aurait facilement abandonné tous ses souvenirs contre une mémoire vide, comme une page blanche, libérée des regrets et des deuils. Mais le chien...
"Ce n'était pas réellement un chien", répondit assez sèchement Bellame en plaçant devant lui une portion de pudding.
ooo
Note totalement inutile (mais ceux qui me connaissent déjà ont l'habitude) : les chiens s'appellent Jarl et Lady... Un Jarl est un chef viking...
La suite ?
