Chute libre

C'est si affreux que tu ne te permets jamais de le dire, même pas à Bruce, mais tout ce que tu te rappelles de tes parents ces temps-ci, c'est le moment de la chute.

Apparemment, c'est un phénomène naturel de perdre ses souvenirs d'enfance – Wally en a fait mention, une fois, amnésie infantile, il était dans une période psychologie-biologie et en bon copain, tu as essuyé sa conférence impromptue sur le sujet – et toi, tu avais neuf ans. Non, même pas. Huit ans, mais c'était presque neuf alors tu arrondis par réflexe.

Tu en as treize à présent. Quatre années ont suffi pour que tu te demandes si la voix de ton père était plus baryton que basse, ou si le parfum vanillé de ta mère contenait bien une touche de caramel.

Mais tu te rappelles ce soir-là. Tu te rappelles la chaleur des projecteurs qui t'ont encore fait transpirer sous ton costume. Tu te rappelles la craie sur tes mains, pour ne pas glisser. Tu te rappelles le grondement enthousiaste du public, loin sous tes pieds.

Tu te rappelles le bruit sec de la corde qui se casse.

Tu te rappelles le regard de Maman alors qu'elle comprend – qu'elle souffle ton nom, la toute dernière chose qu'elle te dira.

Tu te rappelles que tu es resté pétrifié sur la plateforme en même temps que tu dégringolais toi aussi.

Parce que tu es tombé, toi aussi. Ta vie s'est fracassée sur la piste, brisée en morceaux qui ressemblaient plus à des pantins de chiffons qu'à des gens parce qu'une telle chute déforme toujours les corps.

Tu es tombé. Dick Grayson est tombé. Si loin que tu te demandes si un jour, ce sera possible de se relever.

Alors à la place, Robin s'est envolé.