Prologue

C'était le soir du combat contre le Duc des Neuf Enfers qu'avait invoqué feu la Valsharesse.

Les gens de Lyth My'Athar faisaient la fête avec ceux de l'auberge du Portail Béant d'Eauprofonde.

Sauf l'elfe aux cheveux d'or et d'argent à qui l'on devait en grande partie cette victoire et la naissance d'une légende. La jeune elfe vêtue de sa robe d'archimagicienne blanche, en satin et velours turquoise, était déjà à l'écurie en train de préparer son cheval pour partir. Elle n'avait pris aucun repos depuis que le démon était tombé deux à trois heures auparavant. Elle avait usé de toutes ses trousses de soins pour ses compagnons et les autres combattants comme l'aubergiste Durnan. Et ses propres blessures étaient occultées par sa volonté quasi suicidaire.

L'elfe avait un beau visage d'un pâle argenté aux reflets bleus plus rond que d'habitude, des traits plus frais et sauvages. Et des yeux immenses tels ceux d'un faucon d'un bleu de lapis-lazuli. Elle était l'enfant d'un accouplement entre un elfe de Lune et une elfe des Bois. Et bien qu'elle se dénommait par 'Sylvaine', elle avait tout le physique d'une elfe argentée, ceci en ayant le cœur d'une elfe cuivrée. Elle avait une blondeur exceptionnelle pour une elfe de lune mais à laquelle se mêlait également des cheveux gris d'argent. Elle était menue et d'apparence fragile, mesurant un mètre soixante deux, plus fragile encore que les autres elfes car elle était aussi fort jeune pour sa race. A peine adulte... 125 ans. Et déjà célèbre !

Tristement célèbre pour sa part.

Elle s'appelait Heally Do'Ruilaralesti, originaire d'une petite cité elfique sylvaine de la Haute Forêt dont le père, Heian un mage, était l'un des dirigeants... Après la mort de sa mère Mialyë, une rôdeuse. Heally avait d'abord suivi l'enseignement arcanique de son père car elle avait la facilité d'apprentissage magique de son sang argenté. En parallèle sa mère l'avait instruite comme rôdeuse et Heally avait de son âme sylvaine la facilité du contact avec la Nature. Ces deux enseignements l'avaient tout naturellement dirigée vers la carrière d'archère-mage. Classe prestigieuse d'ordinaire si prisée des elfes des Bois.

Mais elle était en exil et devait payer le prix de ses crimes : parcourir Faêrun et faire le bien.

Pour cette raison, lorsqu'elle força sur ses bras pour soulever sa sacoche de selle, elle gémit mais ne faiblit pas. La jeune héroïne ne voulait pas de louanges, pas de cérémonial, elle avait accompli ce que l'on attendait d'elle et sa réussite, le bien de tous, devait être sa seule récompense.

Et puis, elle se sentait mal à l'aise.

Chapitre 1 – Eauprofonde

Mais dans son entêtement à ne pas prêter attention à la douleur de ses muscles, à sa fatigue et à ses blessures... Ses bras la lâchèrent et le poids de la sacoche de selle l'entraîna au sol dans un couinement. « Aie ! » Souffla t-elle, une fois les fesses aussi douloureuses que le sol dur. Des crampes la prirent dans les cuisses et elle se mordit la lèvre inférieure, pâle et ronde, pour ne pas crier.

Elle entendit les éclats de la fête dans la salle commune, tout le monde chantait et dansait la fin de la terreur à Eauprofonde. Elle les écouta quelques secondes, pensive, avant de se relever en faisant fi de la douleur de son corps. Les bras noués autour de l'encolure de sa monture comme d'un rocher sur un fleuve, les yeux dans le vague elle se disait que personne durant la bataille n'avait remarqué la sauvagerie qui l'avait dominée et meurtrie. Elle avait par miracle réussi à la diriger entièrement sur Méphistophélès.

Heally releva rapidement la tête quand elle entendit des bruits de pas à l'entrée de l'écurie.

C'était Valen Soufflombre, le Tieffelin qui avait été son compagnon d'armes à Outreterre et dans le 8ème Cercle des Enfers. L'homme était de grande taille, les oreilles pointues. Deux longues mèches encadrant son visage triangulaire, sinon courts lisses et brillants cheveux cuivrés portés en queue de cheval avec une corde de cuir brun. Il avait les yeux bleus de turquoise fluorescents et portant toujours son armure de mailles vert sombre. Celle-ci avait été forgée par les Drows de la déesse Eilistraée, ceux qui étaient de la cité de Lyth My'Athar.

L'elfe lui adressa un sourire doux en le voyant, heureuse de l'avoir libéré de sa part démoniaque. Même si physiquement le Tieffelin arborait toujours cornes et queue fourchue, lui n'était plus menacé par sa nature maléfique.

Mais le Tieffelin en question passa d'un air doux de l'avoir découverte à une mine austère. Qui passa à franchement outrée quand il constata : « vous partez ! » Sa voix sonnant comme un plan planaire de reproches.

Heally en trembla et ses crampes lui arrachèrent un petit cri de douleur.

Valen se précipita « qu'avez-vous ?! » Seule une secousse de gauche à droite de la tête d'Heally lui répondit, quand par inadvertance le maître d'arme remonta la manche de la robe de mage de la jeune elfe pour y apercevoir des bleus le long du bras. Réaction immédiate : « vous êtes folle ! Monter à cheval dans cet état misérable ! Je ne vous croyais pas si inconsciente ! » Gronda t-il d'une voix caverneuse et glaciale qui fouettait comme un vent du Nord. Il dardait sur Heally son regard bleu glacé du haut de son mètre soixante-quinze.

La jeune elfe ouvrit la bouche pour protester « je-je vais bien, Valen ! S'il vous plait ! Je dois m'en aller maintenant ! »

Toutefois le demi-Démon n'était pas un homme des plus facile ! Il secoua la tête lentement et son beau visage aux traits ciselés offrit la vision d'une effrayante expression de féroce détermination. C'était bien simple : elle lui obéissait ou il l'y obligerait pour cette fois !

Devant l'air inébranlable de son camarade, la Sylvaine, qui ne souhaitait pas contrarier un si fier guerrier, se soumit aussitôt. Alors son corps entier se relâcha, à bout de force. Elle sentit ses jambes céder sous elle dans un soupir.

Le Tieffelin la rattrapa par la taille, surpris par cette réaction, cet effondrement d'épuisement enfin avoué. C'était à mille lieux de la réaction d'une simple aventurière comme d'habitude. Si Heally Do'Ruilaralesti cherchait quelque chose, Valen Soufflombre avait saisi aux premières paroles que ce 'quelque chose' était autre chose que 'l'aventure'. Il la souleva dans ses bras et fut saisi par sa légèreté. A y songer, elle lui rappelait ces elfes ailés, ces Avariels enfermés dans les ténèbres de l'Outreterre suite à la malédiction du miroir brisé. Si légers de par leur ossature vide... Mais si fragiles !

Valen contempla un instant ce visage rond et pâle comme la lune, les longs cheveux d'or et d'argent coulant en riches et éphémères cascades. Les yeux clos, le visage frappé de souffrance, oui elle dormait. Le guerrier avait déjà observé cette expression quand l'elfe se laissait aller à dormir. Le genre de personne insomniaque qui prenait toujours tous les tours de garde jusqu'à tomber d'épuisement. Il se rendit compte qu'à part son nom et la réputation qu'elle lui avait prouvée, il ne savait rien.

« Valen avoir trouvé Chef ? – S'exclama Deekin, le petit barde Kobold, en déboulant tout cliquetant dans son armure rouge.

-Oui.

-Chef être malade ? – S'enquit le Kobold. Tellement dévoué et admiratif de l'elfe. Peut-être que lui savait quelque chose ?

-Dis à Durnan de préparer une chambre.

Mais le Kobold restait cloué à le fixer – mais Chef avoir disparu ! »

Le Tieffelin baissa les yeux pour voir qu'effectivement, si légère, ses bras étaient vides. Le temps d'échanger quelques mots avec le Kobold. « Par les Neuf Enfers ! »

Un oiseau vola à travers l'écurie et sortit dans la nuit. Se retournant, le maître d'arme ne vit qu'une chouette des neiges au plumage ivoire pointillé de noir.

Blessé et furieux tout autant qu'inquiet, Valen retourna à la salle commune en faisant subir un interrogatoire à Deekin, le compagnon le plus ancien de l'elfe volatilisée... La réponse du barde faisant monter la moutarde au nez de Valen car toujours la même était « Deekin pas savoir ! » Jusqu'à ce que le Kobold s'exclame « Chef juste bien aimer chansons sur lune et destin cruel ! Oh oui ! »

Valen se souvint qu'une prêtresse de Sehanine Lunarc, déesse elfique de la lune, se trouvait dans l'auberge parmi les volontaires ayant exploré Montprofond, et qu'Heally avait ressuscité en retrouvant leurs corps dans ce donjon souterrain. Cette héroïne de Padhiver se nommait Linu La'néral.

Il la vit en compagnie de ses camarades de Padhiver : l'Halfelin roublard Tomi la Potence aux frétillants cheveux roux et aux brillants yeux noirs. Le demi-Orc barbare Daélan de la tribu des Tigres rouges et la très séduisante et flamboyante rousse, barde humaine Sharwyn. Tous étaient à une table du centre occupés à festoyer. Tomi était en train de chanter une chanson à boire accompagné au luth par Sharwyn alors que la prêtresse riait du spectacle tout en discutant avec Daélan.

Quand la chouette des neiges passa au ras du Tieffelin, venant se poser sur l'épaule de Linu.

« Ca être chouette chouette !! Heu... » S'exclama Deekin avant de se perdre en questionnements sur cette phrase. Linu les remarqua et toute la troupe se tourna pour les accueillir à leur table. Sharwyn d'ailleurs, jaugeant Valen comme on juge un étalon de race, se leva et fit d'un ton enjôleur de s'asseoir parmi eux ! « Ce serait un honneur de passer la soirée avec deux des héros de la cité des splendeurs ! »

Mais Valen, qui n'appréciait pas d'être observé comme un vulgaire quartier de viande par une femme, leva la main vers Sharwyn pour lui signifier de se taire et s'adressa à Linu : « cette chouette sur votre épaule, est-elle la vôtre ? – Demanda t-il poliment mais froidement. Sans prêter une quelconque attention au demi-Orc et encore moins au Halfelin.

Linu lui adressa un regard respectueux servi d'un sourire – non mon seigneur, c'est cependant devenue une amie car de temps à autre elle nous apparaît et nous guide à des secrets – répondit-elle avant de tendre le bras. La chouette sauta sur son poing et attrapa le lacet de jambon que la prêtresse lui lançait de l'autre main – n'est-ce pas, Fallwind ?

-Ca lui arrive aussi de nous mener à de gros problèmes ! – S'extasia Tomi, le regard brillant d'amour pour l'animal, avant de contraster par un – vous voulez l'acheter ??

Daélan grogna, Linu soupira sans commentaire alors que la chouette aux yeux jaunes l'agaçait de petits coups de bec au bras pour être nourrie.

-Linu l'a nommée Fallwind car elle surgit quand le vent tombe mais cet animal ne se laisse approcher que par elle, » informa le barbare demi-Orc avant de faire une démonstration. Il approcha le doigt du pelage de la chouette et s'en retrouva immédiatement pincé jusqu'au sang. Après un grognement, le barbare porta son index à sa bouche avant de commenter « elle aime aussi le sang.

-Daélan ! – S'exclama Linu avec inquiétude.

-Bah, c'est un carnivore !

-Puis-je essayer ? – Questionna le Tieffelin avec un air impénétrable.

-Si vous tenez à perdre un doigt ! - Soupira l'elfe avec une légère humeur désapprobatrice.

-Deekin penser Valen aimer chouette magique ! »

Le guerrier des Profondeurs avança la main, songeant surtout que l'animal pourrait lui montrer où Diable avait disparu l'elfe de lune ! Alors sans quitter l'animal des yeux, il approcha le poing. La chouette poussa un cri aigu mais n'attaqua pas, au lieu de ça elle avança la tête, Valen ne bougea pas, la chouette s'envola et traversa la salle. Sans un mot de plus le guerrier Tieffelin se précipita pour la suivre tout en entendant Linu s'étonner « ça alors ! Fallwind ne l'a pas pincé !

-Peut-être apprécie t-elle les hommes beaux !

-L'animal sacré de la déesse ne s'arrête pas à ces futilités !

-Facile à dire, vous les elfes êtes tous beaux ! »

r

Valen avait perdu la trace de Fallwind dans les rues d'Eauprofonde et avait semé le Kobold dans ces mêmes rues. « Par les Neuf ! Où est passé cet oiseau de malheur ?! » Grogna t-il avant qu'un clair de lune ne lui révèle le bosquet de la ville. Intrigué le maître d'arme entra dans le petit bois.

Un lourd et grave silence informa le guerrier roux avançant à pas de loup qu'une puissante magie était à l'œuvre.

Il fronça les sourcils en s'arrêtant. « Cette situation est trop étrange – songea t-il – cette elfe qui se prépare à partir à l'instant sans attendre louanges ou récompenses ! Qui disparaît et moi qui cours après une chouette ! »

Le demi-Démon baissa la tête sans baisser ses yeux turquoise incandescents. Il n'avait pas grande connaissance de la surface mais il ne commettait pas l'erreur de la croire moins dangereuse que l'Outreterre ou les plans. Valen n'était pas de ceux qui baissaient leur garde une fois leur espoir accompli.

Il entendit un bruissement et se dirigea vers un petit buisson, quand il fut à bonne hauteur l'obstacle lui livra un spectacle qui parvint à le surprendre ! L'elfe de lune était nue et étendue sur le dos, les yeux clos et le corps à peine couvert par le voile scintillant de sa chevelure de soleil et de lune.

« Par Bélial... A quoi cela rime t-il ? » Souffla t-il sans parvenir à détourner le regard de ce tableau bordé par les rayons de lune. Valen s'approcha tout de même, remarquant que l'elfe aux tempes glacées de sueur n'était pas évanouie mais qu'elle semblait souffrir et se débattre contre quelque chose comme lors d'une fièvre. Ses doigts étaient enfoncés dans la terre et arrachait l'herbe. Le Tieffelin serra les dents, appréhendant légèrement cette situation incompréhensible, posant un genou à terre il glissa une main gantée de cuir sous les reins de la Sylvaine en vérifiant des yeux qu'elle ne fût pas blessée. Et compter les bleus sur tout le corps fragile mais capable de bien encaisser les coups visiblement. Quand il toucha sa peau, elle ouvrit brutalement les yeux et allait lui griffer le visage avec un grognement animal. Il lui saisit l'autre main, dardant un regard transissant sur ce beau visage enlaidi de cruauté.

L'elfe gémit comme un oiseau blessé et se détendit en papillonnant des paupières avant de croasser un semblant de cri et d'ouvrir des yeux immenses de frayeur en cherchant à se dérober !

« Calmez-vous ! – Sonna le maitre d'arme – je ne vous veux aucun mal !

-N'approchez pas ! Eloignez-vous ! Ne-ne... » Débitait-elle quand même en se débattant comme un Diable de tous ses membres.

Valen souffla par le nez, lui plaqua les poignets au sol de ses mains et pesa de tout son poids en lui bloquant les jambes des siennes, ne sachant pas comment calmer la Sylvaine hystérique sinon en la laissant se débattre jusqu'à épuisement comme on le fait pour un animal sauvage capturé.

Quand elle finit par cesser tout geste et se contenta de reprendre son souffle d'un regard vitreux, le Tieffelin la fit s'asseoir d'un bras autour des petites épaules puis il détacha sa cape noire pour la déposer sur celles-ci. Il la fit se relever ensuite en la tenant par les bras. « Vous avez besoin de repos, » dit-il du ton le plus doux que sa nature glaciale en était capable en se remémorant le corps meurtri. Il leva la main droite avec hésitation puis la glissa dans les cheveux or et argent de l'elfe près de la tempe droite. Sa chevelure coulait comme de l'eau jusqu'aux hanches mais il retira sa main aux environ de la nuque en serrant les dents. Ca faisait des lustres qu'il n'avait pas été si proche d'une femme ! Depuis la première et celle qu'il croyait être la dernière à aimer.

Heally réagit enfin à la flatterie à l'animal sauvage hébété et ses yeux de lapis-lazuli retrouvèrent leur brillance. « Valen ? – Souffla t-elle, abasourdie – c'est vous ? – chuchota t-elle en levant les yeux vers les siens turquoises incandescents, puis elle regarda autour d'elle – où... ?

-Vous ne... – Commença Valen avec une surprise visible sur son visage de marbre pâle – c'est... Un bosquet d'Eauprofonde. Je vous y ai trouvée – informa t-il en passant le détail de la chouette. Lui, suivre un oiseau sur une rumeur de prêtresse ! Lui-même avait du mal à y croire maintenant ! – Vous avez besoin de soins et de repos, je vous raccompagne à l'auberge. »

Elle baissa les yeux sur la cape qui la couvrait et cela lui fit hausser ses fins sourcils blonds mais, Valen trouva ce détail étrange comme tout homme à sa place, ne rougit pas. « Non, je dois partir – murmura t-elle presque en un chuchotis inaudible, pour elle-même.

-Vous n'irez pas loin en étant nue, » lâcha Valen d'un ton sec car agacé avant de passer un bras sous les genoux et le dos de sa camarade pour la porter une seconde fois. « Je pars avec vous qui êtes incapable de prendre soin de vous-même, » décida t-il en la toisant d'un regard qui n'accepterait aucune protestation et la faisant rester bouche bée.

Heally ferma la bouche et se fit toute petite dans les bras du Tieffelin en tirant la cape sur elle dans un brusque excès de pudeur lorsqu'il entama la marche. Elle se dit qu'il était inutile et malséant de chercher à dire au fier demi-Démon ce qu'il devait faire, sinon à le conforter dans son idée. De plus, la Prophétesse l'avait plus tôt prise à part pour lui dire que Valen risquait fort de l'accompagner. Car maintenant les Drows de Lyth My'Athar devaient chercher à rejoindre le temple d'Eilistraée à Montprofond sous la protection de Qilué la Drow une des 7 sœurs élues de Mystra et élue d'Eilistraée. Valen n'avait plus à les défendre et le maître d'arme avait besoin de quelqu'un à garder et d'ennemis à défaire. Qui plus est, lui-même avait dit à la Sylvaine qu'il n'imaginait pas le futur sans elle et ne se sentait bien qu'avec elle à ses côtés.

Sehanine lui avait murmuré une nuit que lorsque le pire serait proche, quelqu'un viendrait à elle et l'aiderait. Avec cela venait des interdits... Car il devait l'aider sans qu'elle le guide, tout devrait dépendre de lui et de la confiance qu'ils auraient entre eux.

Heally s'inquiétait, sans être de nature méfiante, elle pensait surtout ne pas mériter encore cette chance. Aucun de ses actes de bonté et de bravoure mis bout à bout ne lui semblaient suffisants en comparaison de sa culpabilité. Et tel était l'exigeant problème qui demandait de l'aide sans guider le sauveur. « Valen ? – Hésita t-elle d'une voix douce en levant ses grands yeux sur le Tieffelin.

-Taisez vous l'elfe, nous discuterons quand vous aurez moins de bleus sur la peau – coupa t-il sans la regarder.

r

Il monta l'elfe à l'étage et à sa chambre. La déposant doucement sur le lit frais avant de s'en retourner réunir ses affaires sûrement tombées sans bruit à l'écurie.

Quand il revint, Heally était sous les draps en chien de fusil, tournant le dos à la porte et la tête baignée dans la lumière lunaire déversée par la fenêtre, ses longs cheveux en corolle fantaisiste autour du corps.

Le guerrier déposa la sacoche de selle dans la cassette au pied du lit, ayant réuni tout ce qui était tombé. Il arriva qu'un bout de tissu de couleur émeraude dépasse de la sacoche de cuir noir, Valen eut le regard attiré par l'étoffe banale : du lin, qu'il fixa quelques secondes avant de s'accroupir et d'extirper lentement une robe d'elfe des bois usée et raccommodée mais propre et solide. Il retourna et manipula le tissu léger entre ses doigts fins, il trouva cousu à l'étoffe au niveau du cœur un écusson en forme de papillon d'or brodé en fins fils verts de la lettre T.

Songeur, Valen porta lentement le tissu à son visage. Près de ses lèvres fines le parfum boisé le saisit et le laissa l'esprit troublé jusqu'à ce qu'il entende du raffut dans l'escalier. Se dépêchant de sortir une fois la robe rangée et la porte fermée derrière lui, il alla déloger les fêtards et prévenir Durnan. Ils allaient rester quelques jours, le temps que l'elfe guérisse de ses blessures.

Quand lui-même se coucha, lui et Deekin occupaient les chambres voisines.

r

Le lendemain matin il était entre sept et huit heures quand Heally se réveilla. Elle vit qu'on avait déposé un grand bac d'eau chaude pour un bain avec un pain de savon, une grande serviette blanche et une éponge alors elle se lava intégralement, cheveux compris. L'eau brûlante la délassa et fit disparaître le sommeil, elle observa son corps dans l'eau et constata que ses bleus avaient commencé à se résorber.

Elle y était allée un peu fort dans l'usage de la lame vampire Enserric la dague, mais chaque coup qu'elle avait pu infliger à Méphistophélès l'avait sauvée de la mort que l'Archidiable lui avait réservée. Chaque coup avait été porté avec une joie malsaine.

Quand elle fut sèche, et avec la serviette autour du crâne, elle trouva sa sacoche de selle et en tira sa robe d'Archimagicienne blanche. Bien qu'elle ne prétendait pas avoir un tel niveau de maîtrise de la magie pour porter cette robe. La supercherie lui sembla grossière à la surface de Toril, mais elle voulait encore moins porter la robe elfique. Alors elle mit la robe turquoise enchantée en songeant sérieusement de demander à Durnan où elle pourrait acheter une robe simple à mettre par-dessus ou à la place.

Puis elle ouvrit sa fenêtre en grand et inspira profondément l'air frais de la côte charrié par le vent. Elle se sentait encore bien courbaturée mais cette nuit de sommeil sans cauchemar ni interruption était la première depuis bien longtemps.

Enfin, elle songea à Piwyl, son familier pseudo-dragon, et à Baldwin son compagnon loup. Les deux animaux étaient sur son lit et cela la fit rire : elle était tellement habituée de leur présence qu'elles ne les avaient pas vus ! Elle se mit à quatre pattes sur le lit pour caresser de l'index le front écailleux du petit dragon rouge grand d'une trentaine de centimètres du museau à la pointe de la queue. L'animal ouvrit un œil reptilien jaune puis bailla et étira ses ailes membraneuses.

Heally était maintenant penchée sur le loup gris Baldwin, en train de lisser le pelage argenté du flanc. Le loup grogna sans conviction puis s'assit pour donner un coup de langue autoritaire à cette douce elfe. Si Piwyl était un jeune pseudo-dragon, Baldwin était un loup expérimenté qui agissait avec sa maîtresse comme un père à sa dernière née.

De fait, Baldwin avait perdu sa louve dans un piège à loup magique tendu par l'Archimage noir et durant l'absence de leur père, les louveteaux avaient été dévorés par la louve enchaînée à l'esprit du mage fou. Baldwin et sa famille n'avaient été qu'un sujet d'expérimentation pour le mage...

L'elfe joua un moment avec ses familiers, jusqu'à ce que Baldwin ne sonne le retour aux choses sérieuses par un gémissement affamé et un léchage de la pointe d'une oreille de leur maîtresse. Heally retrouva son sérieux, elle établit le contact télépathique avec le loup pour lui parler de Valen, lui savait quels étaient les interdits à respecter. Il en parla à Piwyl car Baldwin avait plus d'autorité que sa maîtresse quand il s'agissait de rendre Piwyl muet comme une tombe.

Elle descendit à la salle commune avec ses deux familiers, les cheveux encore un peu humides mais brossés, tressés et ramenés en chignon derrière la nuque. Elle trouva Durnan et demanda s'il était possible de lui acheter une robe simple ?

Le tavernier était occupé à nettoyer les tables, Heally saisit un chiffon et l'aida immédiatement. Durnan, surpris, s'insurgea tout de suite « mes hôtes n'ont pas à faire mon travail ! Je vous conseille d'aller en ville, les magasins ont eu le temps de rouvrir après la libération d'Halaster ! Vous, asseyez vous, que voulez-vous pour déjeuner ?

-Heu – bafouilla l'elfe, légèrement perdue à ce qu'on la renvoie s'asseoir comme une fille de la noblesse.

-Bon, je vous apporte des œufs d'oie, du lait de chèvre et une bouillie de maïs ! » Déclara Durnan alors que la jeune Sylvaine s'étonnait et s'amusait d'être au lait de chèvre au même titre que les enfants !

Elle s'assit à une table près de la cheminée allumée à cette heure froide même en saison chaude en ce mois de Kythorn puisque Durnan faisait les gros yeux dès qu'elle faisait mine d'approcher la main d'un torchon. Baldwin émit un gémissement à l'adresse de Durnan qui se retourna, ouvrit la bouche et leva la main en comprenant. L'elfe soupira et tira sa petite bourse en cuir de sa poche, elle était pauvre. L'Oracle des noms… Quand même ! Elle se dit que si elle n'avait pas eu d'argent, elle aurait trouvé moyen de libérer Valen Soufflombre de sa part démoniaque quand même ! Parce qu'il était triste de penser que la bonté ineffable du Tieffelin tenait en quelques pièces jaunes !

En comptant le petit-déjeuner et les morceaux pour Piwyl et Baldwin, il lui restait juste assez pour l'avoine de sa monture. Tant pis pour la robe simple !

Durnan revint avec un plateau, il déposa la commande sur la table : le verre de lait en premier, la bouillie de maïs, les œufs d'oie puis un bol de morceaux de viandes. Quand il la vit trifouiller dans sa bourse, il posa sa grande main sur les deux petites de l'elfe : « non, non, vous allez rester quelques jours comme mon amie et mon invitée, Heally ! Valen Soufflombre m'a informé que vous étiez couverte de bleus avec le combat contre Méphistophélès !

L'elfe en resta coite - il a décidé ça ? - Souffla t-elle jusqu'à faire rire l'aubergiste de sa voix caverneuse.

Il lui tapota l'épaule en riant et disant – ah vous allez former un sacré duo d'aventuriers vous deux ! »

Heally sourit tout de même, mal à l'aise de rester à rien faire pour plusieurs jours en plus ! Elle saisit d'une main quelque peu tremblante la choppe en étain remplie de lait de chèvre et la porta à ses lèvres pour boire quelques gorgées. Puis elle saisit un morceau de viande qu'elle donna à Piwyl et un autre à Baldwin, elle nourrit d'abord ses familiers avant de tracer des ronds dans la bouillie de maïs.

Elle ne prêta pas attention aux autres hôtes qui descendaient un par un, ou par deux ou en groupe de l'escalier pour prendre une table et commander. Bientôt la salle commune fut bruyante, noire de monde, et Heally avait à peine touché à la purée de maïs.

Elle finit quand même par se dire qu'il fallait faire honneur à la cuisine de la femme de Durnan et mangea un peu plus. Mais en deux ou trois cuillères, elle n'avait déjà plus du tout intérêt à manger.

Quand tout à coup elle se retrouva entourée des compagnons de Padhiver qui voulaient chacun lui offrir quelque chose pour leur avoir sauvé la vie ! La jeune elfe ne savait pas comment refuser leur or ou leurs pierres semi précieuses sans les froisser mais ils mirent tout derechef dans sa bourse ouverte.

La Sylvaine en était à gémir de gêne quand ce fut au tour de Deekin d'arriver en déclamant sa commande à un Durnan et à sa fille déjà débordés. Le Kobold s'assit sans cérémonie sur la chaise à côté de l'elfe et tira à lui le bol de bouillie de maïs avant de constater « Chef avoir appétit d'oiseau !

-Hum, on se demande pourquoi – dit d'un ton flegmatique le Tieffelin derrière Heally, venant s'asseoir en face d'elle.

-Bonjour Deekin, bonjour Valen, vous avez bien dormi ? – S'enquit Heally avec douceur en posant les mains sur ses genoux, se tenant droite sur sa chaise. Baldwin à ses pieds et Piwyl endormi sur la table.

-Deekin avoir dormi comme grosse belette ! Ou est-ce qu'on dit loir ? Deekin avoir...

-Vous avez bien dormi ? – Coupa le guerrier en ayant baissé les yeux sur le déjeuner de l'archère-mage voyant qu'elle n'avait pratiquement rien touché, comme d'habitude.

-Très bien, merci, et vous ? – Insista t-elle.

Silence.

-Et pour vous mes amis ? – Demanda Durnan en passant.

-Deekin vouloir œufs comme Chef ! Et lait qui sent la chèvre !

-Du jambon et une bouillie de maïs. »

Heally se sentait très mal à l'aise, et c'était très mauvais. Elle s'était habituée à la présence de Deekin en Montprofond, les tours de garde, puis la présence de Valen à Outreterre qui les guidait sur son terrain. Les repas pris sur le pouce en silence… Mais elle n'avait pas l'habitude de partager un repas autour d'une table dans une simple auberge. Elle s'éclaircit légèrement la gorge en fouillant les trous de vers de la table des yeux avant de les relever timidement sur le maître d'arme dans son armure de mailles verte. En train de manger lentement la bouillie de maïs et se méfiant tacitement des autres clients de l'auberge. Elle en revint à sa propre écuelle pour meubler le silence par du bruit et faire bonne mesure. Enfin elle se décida à parler au demi-Démon d'une voix tout de même peu assurée : « Valen, vous avez vraiment dit à Durnan que je... qu'on... allait rester quelques jours ?

-Oui, je pense qu'un peu de repos est mérité. Surtout pour vous, » et la seconde phrase était dite en la transperçant de ses yeux bleus, d'un ton un peu sec.

La Sylvaine rougit d'un air penaud. « Après tout, j'ai de plus en plus de contrôle sur moi... A part pour Méphistophélès. Valen ou Deekin n'ont jamais rien remarqué, » songea t-elle naïvement. Soit, Deekin ne faisait pas attention, préoccupé la plupart du temps par l'heure de dîner, mais le Tieffelin se posait des questions depuis un moment déjà.

Quand ils eurent fini de manger, Heally s'était un peu plus détendue. Elle prévint le maître d'arme et le barde kobold qu'elle souhaitait acheter une robe, songeant y aller seule mais Valen l'accompagna. Pendant que Deekin (celui comprenant le mieux le principe du repos) restait à l'auberge pour dormir.

Les rues menant aux diverses places de marché étaient noires de monde, bruyantes et joyeuses car les habitants d'Eauprofonde se sentaient à nouveau en sécurité dans leur cité. Heally entendait certains jouer d'instruments de musiques en groupe pendant que d'autres bardes chantaient. Elle était heureuse de voir la ville reprendre vie et c'est avec le sourire aux lèvres et le regard curieux qu'elle arpenta les rues avec le Tieffelin.

Celui-ci observa l'elfe un moment, il portait une cape avec une capuche pour cacher les cornes de bouc de sa tête, et puis sa queue fourchue. Il était un peu nerveux et gardait son fléau des Diables à la hanche. Heally semblait plus insouciante et c'était la première fois qu'il la voyait comme ça.

Pour cause, elle profita de la foule pour le semer ! Légèrement agacé et furieux après lui-même de s'être laissé suffisamment distraire par la cité des splendeurs (on lui en voudra pas), le guerrier aux brillants cheveux rouges décida d'aller faire quelques courses lui aussi pour le voyage.

La Sylvaine acheta, pour une pièce d'argent, une robe simple composée d'une chemise blanc écru en lin au corsage baleiné flottant jusqu'en dessous des genoux et à manches triangulaires resserrées par des lacets de coton aux poignets. Par-dessus la chemise au niveau de la poitrine et autour il y avait une robe en coton bleu turquoise à corset lacé de cuir brun par devant qui enserrait la taille pour s'évaser jusqu'aux genoux. Elle se changea derrière un drap tendu par une vendeuse toute contente et mit la robe d'archimage dans sa sacoche de cuir.

A une étale elle trouva un petit ocarina en terre cuite peint en bleu, décoré de motifs floraux vert tendre et vernis, il avait douze trous. Heally voulut l'acheter mais réputation aidant, le fabricant lui offrit l'ocarina avec un sourire. « Pour vous remercier d'avoir combattu les Drows et Méphistophélès !

-Ah ! Non – souffla t-elle, gênée jusque dans les cheveux.

-S'il vous plait ! C'est ma plus belle pièce, je veux savoir qu'une héroïne en joue ! – Insista le jeune marchand avec un hochement de tête.

-M-merci, » Céda l'archère-mage avant de prendre l'ocarina précautionneusement, de remercier une seconde fois le vendeur et de pratiquement détaler.

Elle trouva une grande fontaine au milieu du marché, elle s'assit, retira ses chausses et trempa les jambes dans l'eau en battant mollement tout en commençant de jouer de l'ocarina, les yeux fermés. Elle se souvint des journées qu'elle avait passé à chanter ou à jouer de l'ocarina dans son enfance insouciante. Cela faisait des années qu'elle n'avait plus touché à cet instrument et pourtant ses doigts bougeaient tous seuls entre les cavités pour former la mélodie. Sa mélodie favorite, celle qu'elle jouait à Sehanine.

Elle remarqua que des enfants l'entouraient, assis sur le bord de la fontaine, bouches bées, pendus à son ocarina. L'elfe continua à jouer de plaisir pour son jeune auditoire sans faire attention.

Jusqu'à ce qu'en entrouvrant les yeux, elle saisit le regard de quelqu'un qu'elle connaissait ! Un elfe de la Haute Forêt qui était juste en face d'elle, le visage tendu de rage. Il avança la main et arracha l'ocarina des mains d'Heally avant de baisser le bras dans l'intention de le fracasser à terre !

« Non, pitié !! » S'écria t-elle en tendant la main d'un air suppliant.

Quand Valen saisit juste à temps le poignet de l'elfe et reprit l'ocarina de l'autre main pour le redonner à sa propriétaire. « Gardez vous de m'offrir l'occasion de vous raccompagner... » Prévint-il d'une voix sombre en fixant avec insistance le malandrin pour qu'il se retire.

L'elfe, un mâle aux cheveux noirs coupés en bol et aux yeux verts répliqua par un regard rageur en montrant les dents, il renifla ensuite de mépris, baissa sèchement son bras pour que le Tieffelin le lâche et s'en retourna.

Le maître d'arme le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la cohue puis se tourna vers sa camarade.

Heally, agenouillée, était prostrée, serrant l'ocarina de mains tremblantes, le visage caché par le rideau de ses cheveux.

Cela blessa le Tieffelin qui était celui ayant le mieux mesuré la valeur de la jeune elfe. Il s'agenouilla et la fit se relever en la tenant par les épaules pour constater qu'elle avait replié ses membres sur elle-même. « Heally ! Vous n'allez pas prêter de l'importance à ce manant fut-il des vôtres !

-Vous avez entendu parler de ça – chuchotèrent les gens autour.

-Ces elfes de la Haute Forêt n'ont pas de chance ! Après la Traqueuse d'Aube maintenant c'est un dragon noir !

Heally redressa vivement la tête, faisant presque sursauter Valen lorsqu'elle dirigea immédiatement les yeux vers la personne qui venait de dire ces mots. Une noble en robe verte discutant avec une autre femme de sa condition en blanc.

-Les derniers aventuriers sont morts contre ce monstre ! Cet elfe doit être désespéré de trouver un sauveur !

-Heally ?

-Excusez moi ! Il y a un dragon noir dans la Haute Forêt ?! – Interrogea t-elle soudain d'un ton aigu et pressée.

Les deux femmes se tournèrent vers la Sylvaine qui les regardait d'un air anxieux – heu... Et bien oui, depuis plusieurs semaines et les elfes sont, paraît-il, obligés de lui livrer un des leurs une fois par jour pour le nourrir.

-Dire qu'ils ne sont pas même relevés de la Traqueuse d'Aube ! Quelle horreur !! Les elfes mettent si longtemps à accoucher ! »

Heally fronça les sourcils, l'air grave et étrangement impénétrable. Elle se retourna, relevant les yeux sur le maître d'arme particulièrement intéressé par tout cela. Elle esquissa un semblant de sourire en posant la main sur son bras, rangeant l'ocarina dans sa sacoche de cuir. Baissant ensuite les yeux sur Baldwin qui revenait vers elle en courrant, slalomant entre les passants. Piwyl lui était resté à l'auberge. L'elfe se dirigea d'ailleurs vers le Portail Béant.

Une fois éloignée du marché, le Tieffelin l'arrêta en posant sa main sur son épaule « puis-je vous parler ?

L'elfe leva sur lui ses immenses yeux d'oiseau, brillant comme les reflets de l'eau à la lumière du soleil – je dois aller en Haute Forêt, Valen. Irez-vous avec moi ?

-Il s'est passé quelque chose là-bas, entre vous et les vôtres de la Haute Forêt. Parce que je suppose que vous venez de là-bas, n'est-ce pas. »

Mais pour la première fois, au lieu de discuter avec lui, l'elfe le regarda dans les yeux un long moment. De ce regard opaque à la discrète lueur d'espoir suppliant. Le regard que lui-même avait adressé à la Prophétesse lorsqu'il l'avait retrouvée.

De retour à l'auberge, Heally informa Durnan qu'ils devaient partir au matin, Deekin était aussi du voyage.

Le reste de la journée se passa sans que le Tieffelin ne cherche à interroger la Sylvaine, celle-ci s'attela à mémoriser ses sorts les plus puissants et à en apprendre de nombreux autres.

C'est quand la nuit tomba que le mystère s'épaissit.

Valen Soufflombre avait écouté l'elfe jouer de l'ocarina depuis sa chambre une partie de la nuit. Quand l'instrument cessa sa triste mélopée, il entendit un fracas dans la chambre d'à côté et le hurlement du vent. Se précipitant dans la chambre de la Sylvaine, il vit la fenêtre grande ouverte et la chambre vide plongée dans le noir !

Seuls résonnaient des ricanements de diables et des murmures d'effroi, malgré lui le Tieffelin se prit à frissonner tout en se précipitant jusqu'à la fenêtre. Il entendit les chevaux de l'écurie hennir d'affolement et une chouette blanche, la même que celle d'hier soir, vola promptement tel un spectre baignant dans la lumière de la pleine lune dans son champ de vision avec un cri strident !

Les corbeaux croassèrent, Valen leva ses yeux bleu électrique sur l'astre lunaire. « La pleine lune... » Murmura t-il, puis il descendit en trombe au rez-de-chaussée pour sortir et prendre la direction prise par la chouette des neiges, en courant dans les rues sombres et silencieuses d'Eauprofonde.

Il entendit faiblement un cri de femme sur sa droite et redoubla de vitesse mais lorsqu'il arriva ce ne fut que pour voir le corps d'une paysanne dont les longs cheveux bruns baignaient dans une marre de sang. Le crâne fracassé avec son propre bâton qui gisait à côté d'elle couvert de sang.

Le maître d'arme était furieux de cette mort barbare, il s'agenouilla près du corps pour lui fermer les yeux de la main. Quand il les eut clos, il entendit un petit rire féminin moqueur au coin d'un bâtiment dans ce dédale de petites rues vides.

Se relevant et marchant à pas de loup, il arriva à un autre coin de rue pour surprendre les paroles de ce qui devait être un groupe de voleurs. Jetant un œil il vit une femme elfe lui tournant le dos, nue et entourée par un trio de sales malfrats lui faisant face affublés de sourire libidineux. Une seconde lui suffit pour constater qu'il s'agissait d'Heally, et qu'elle avait tué la paysanne : ses deux mains étaient rouges de sang.

Valen observa un moment ce manège, dissimulé derrière la façade d'une maison. L'elfe ouvrait les bras au voleur qui semblait le leader du trio, il la fit tourner sur elle-même en gardant ses poignets dans ses mains pour qu'elle appuie son dos contre son torse. Le clair de lune éclaira le visage de la Sylvaine. Le Tieffelin y vit une étrangère. Un être sauvage et mauvais, aimant le goût du sang et donner la mort. Valen y vit le reflet de ce qu'il avait été autrefois dans les Abysses.

Et pour l'instant l'elfe maléfique informait les trois voleurs pendus à son corps qu'ils pourraient se faire un bon prix sur la queue... De celui qui la suivait. Et qui était dissimulé juste là...

Valen prit pour lui le sourire sucré qu'elle esquissa dans sa direction, il sortit de l'ombre et avança dans la lumière de la lune. « Partez sans demander votre reste, humains, » conseilla t-il froidement en dardant un regard perçant sur le chef tenant toujours l'elfe contre lui. Celui-ci pâlit de manière critique ainsi que ses camarades lorsqu'il vit que son opposant était un puissant demi-Démon. Il poussa un petit glapissement de souris avant de lâcher l'elfe, il allait s'en retourner en courant et en hurlant quand celle-ci lui chaparda la dague qu'il avait à la hanche et la lui enfonça dans le creux des reins, là où il n'y avait aucune protection. Il hurla et s'écroula.

Valen se rendit compte qu'il avait servi à ce que la proie de l'elfe lui tournât le dos pour fuir. « Toi !! » Tonna t-il d'une voix grondante de fureur alors que les deux autres voleurs disparaissaient.

L'elfe se tourna d'une pirouette gracieuse vers le maître d'arme qui reconnut l'animal sauvage de l'autre nuit. « Merci Valen, j'étais sûre qu'il allait déguerpir sans demander son reste à l'unique vue de... Tes cornes - dit-elle doucereusement, les bras le long du corps, les longs cheveux brillant d'argent cachaient ses formes.

-Qui es-tu ?

-Tu comprends quand ça t'arrange, n'est-ce pas Tieffelin ? Cette idiote de Sehanine a interdit de te faire la moindre révélation... Hum – commença t-elle d'un ton suffisant, le menton levé et le sourire narquois. Avant de tendre les bras sur les côtés, paumes ouvertes tournées vers le ciel – mais je suis la plus forte dans la nuit, Tieffelin ! La malédiction de Sehanine Lunarc ne m'a pas retenue bien longtemps ce soir !! Et elle ne me retiendra plus !!

-Qui es-tu ?! – Explosa Valen en empoignant son fléau des Diables, se jetant sur l'elfe pour la saisir par le bras.

Après un sourire aguicheur, elle tendit le cou, baissant les paupières sur son regard nuit avant de lui souffler – je suis Heally... Traqueuseaube. »

La révélation faite, Heally afficha un sourire victorieux alors que Valen était ébaubi. Quand la seconde suivante, elle déchanta, la lumière de la lune commença à scintiller sur sa peau « non !! Non !! C'était un piège ! Sehanine tu ne peux pas nous considérer distinctes !! » Elle hurla d'une voix stridente comme un oiseau et la seconde suivante dans un flash de lumière argentée apparût la chouette blanche, puis dans un autre flash, l'elfe de lune évanouie.

Valen la rattrapa par la taille avant qu'elle ne tombe dos au sol. Il la souleva ensuite et observa son visage.

Encore le même visage au triste sommeil.