Une rencontre dont on reparlera...
Quelques rayons de soleil matinal filtraient à travers la ramée des arbres. La lumière était chaude, translucide, baignait d'une lueur dorée les feuilles dentelées des arbres, l'écorce et les racines, faisaient briller mille petits diamants de rosée sur les branchages des buissons. L'air était pur, frais, et silencieux à part les chants des oiseaux. L'un d'eux s'envola soudain de sa branche, vint gentiment se poser sur son épaule. L'animal inclina vivement la tête, l'observa de ses petits yeux intelligents. Il lui sourit. Il aimait les bêtes. L'oiseau s'envola dans un gazouillement joyeux, se fondit dans la forêt. Le sentier sablonneux crissait doucement sous ses pas ; une fine dentelle d'ombres et de points lumineux le recouvrait, au gré de la brise dans les branchages. L'air sentait bon le printemps et le parfum délicat des premiers bourgeons...
Le sentier débouchait sur une petite clairière où il avait l'habitude de ramasser des plantes. Elle était entourée de grands bouleaux, et parsemée de myriades de petites fleurs blanches qui riaient au soleil. Le jeune garçon s'arrêta. Il y avait quelqu'un, étendu à l'ombre du plus grand bouleau. Une jeune fille.
Aussitôt, les sens du promeneur se mirent en éveil. Etait-elle... Non. Il n'y avait personne aux alentours, et il sentait une émanation de chakra au repos se dégager de la jeune fille. Il s'approcha. Etendue de tout son long, un bras calmement posé sur la poitrine et l'autre étendu dans l'herbe, elle semblait profondément endormie. Elle était légèrement vêtue. Ses yeux étaient clos et sa bouche entrouverte. De longs cheveux blonds ruisselaient sur la mousse, encadraient son visage régulier et paisible. Le jeune garçon fronça un sourcil. Son regard accrocha une plaque argentée qui ceignait le front de la jeune fille, et soudain, ses pupilles s'étrécirent. Il regarda mieux. Non, il ne se trompait pas. Un bandeau ninja portant le signe du Feu ! Qu'est-ce que cette fille faisait par là ? Elle n'était pourtant pas du groupe qu'il avait rencontré il y a quelques jours...
Le jeune garçon déposa son panier à terre, et s'agenouilla lentement sur ses talons. Il rejeta en arrière deux longues mèches d'un noir de jais, prit une profonde inspiration et se mit à réfléchir, tout en la dévisageant.
Elle était plutôt jolie. Son visage était fin, un peu hâlé, ses lèvres roses et délicatement ourlées, ses cils noirs gracieusement fermées. Son attitude entière était gracieuse, d'ailleurs. Il se dégageait d'elle une aura apaisante, agréable au garçon. Il se pencha un peu plus. Il vit une veine palpiter doucement sous la peau douce du cou, au rythme de la respiration tranquille de la dormeuse. Que faisait-elle ici ? Curieusement, il avait envie de savoir. Il désirait la connaître. Etait-elle réellement ninja ? Elle paraissait si fragile, allongée dans l'herbe de la clairière...
Elle bougea légèrement, ramenant délicatement son bras sur son front, et exhalant un soupir dans son sommeil. Dans son geste, elle cacha soudain le bandeau. Et le jeune garçon tendit tout à coup la main, la posa sur la sienne en la pressant légèrement.
- Iruka..? murmura la jeune fille d'une voix vague.
- Tu risques d'attraper froid avec la rosée du matin...
Edriel ouvrit les yeux d'un coup, surprise par la voix inconnue. Un flou de couleur lui apparut d'abord, puis, un visage penché sur elle. Un visage d'une extrême finesse, au sourire interrogateur, un visage illuminé par deux grands yeux gris ourlés de longs cils... En tous cas, pas de danger immédiat : l'aura était bienveillante. Elle se redressa sur un coude, se frotta les yeux en étouffant un bâillement. Puis ramena le regard sur l'inconnu. Il était jeune, peut-être quinze ou seize ans. Vêtu d'un ample habit d'un violet clair, sa longue chevelure tranchait sur le tissu, noir de jais avec de beaux reflets bleus. Les longues mèches retombaient sur les épaules minces, cascadaient dans le dos, encadraient un visage pur et doux, pâle comme de l'ivoire, androgyne. Elle aima immédiatement le sourire de l'inconnu.
- Bonjour, fit-elle d'une voix amicale. Tu m'as réveillée ?
- Je craignais que la rosée et la fraîcheur de l'air ne te fassent un bien mauvais sort...
- C'est gentil... Mais, toi-même, que fais-tu ici ? En général, les garçons ne ramassent pas les plantes de bon matin...
Le jeune garçon laissa échapper un mouvement surpris. Ses yeux gris se mirent à scruter plus attentivement Edriel.
- Comment sais-tu ? Il y a très peu de gens qui ne me prennent pas pour une fille...
Edriel sourit. Elle accrocha le regard couleur de brume du jeune garçon :
- Ce sont tes yeux qui t'ont trahis. Et... Non, oublie ce que j'allais dire !
La jeune fille sourit au froncement de sourcils de l'inconnu. Mystérieux ? Elle savait aussi jouer à ce jeu-là ! Tout de même... Celui-là était différent des autres. Son regard était à la fois impénétrable et transparent : on le sentait plein de sagesse et d'expérience. Pourtant il était si jeune... Il semblait si fragile... Elle remarqua qu'un ruban noir ceignait son cou.
- Es-tu ninja ?
Edriel releva brusquement la tête :
- Pourquoi me demandes-tu cela ?
- Ce bandeau sur ton front...
- Oui. Je suis une apprentie ninja du village de Konoha.
- Oh... Impressionnant. Nous n'en voyons pas beaucoup, par ici.
- Je suis en mission spéciale.
- Ah, vraiment ?
Edriel s'assit en tailleur. Elle aurait bien voulu en dire plus au jeune garçon, mais elle revit en un éclair le froncement de sourcils sévère d'Iruka, son sensei : « N'en parle à personne ! » Elle éluda d'un petit geste.
- C'est sans importance. Ne t'inquiète pas pour le Pays des Vagues, tout ira bien.
- Je n'habite pas ici. Je suis... de passage : je passe une semaine chez un oncle.
- Comment t'appelles-tu ?
Il y eut un petit silence. Le jeune garçon entrouvrit les lèvres, puis secoua vivement la tête :
- Peu importe. Je n'aime pas dire mon nom.
Edriel pencha un peu la tête, lui lança un petit regard en coin :
- Je vois. Je crois que nous avons tous deux beaucoup de choses à cacher. Il vaut mieux ne pas aller plus loin.
- Je suis d'accord.
Le jeune garçon sourit doucement, rejeta en arrière sa longue chevelure noire et soyeuse. Edriel qui l'observait trouva le geste d'une grâce rare. Elle sentit ses joues brûler...
- Nous reverrons-nous ?
Le jeune garçon tourna vers elle son beau regard gris, perdu dans le vague.
- Tout dépend... Est-ce que les quatre ninjas qui sont récemment arrivés au Pays des Vagues sont tes amis ?
- Hein ?
- Un petit blond, un brun plutôt arrogant, une fille aux yeux bleus, et leur maître qui porte un masque sur le visage...
- Oui, on se connaît, répondit la jeune fille en se demandant en elle-même d'où il tenait l'information.
Le jeune garçon sourit à nouveau d'un air mystérieux. Il se leva en ramassant son panier au passage.
- Alors oui, je pense que nous nous reverrons. Adieu, donc, jolie inconnue. Jusqu'à la prochaine fois...
Il se détourna dans un froissement de soie, s'éloigna à petits pas sur le sentier de sable qui s'enfonçait dans la forêt... Edriel, songeuse, appuya son dos contre l'arbre et l'observa jusqu'à ce qu'il disparaisse. Etrange garçon... Si secret, si différent, si... mystérieux, avec ses longs yeux de filles, et son sourire énigmatique... Mais quels yeux, et quel sourire... Et quelle belle chevelure d'ébène ! Et maintenant, il avait disparu aussi bizarrement qu'il était apparu : sans bruit, tout droit sorti des bois... Edriel ferma les yeux.
Il l'avait réveillée. Qu'avait-elle donc fait, avant de s'endormir ? Ah oui... Elle avait séché l'intensif entraînement quotidien que lui infligeait son sensei... C'était la première fois que ça lui arrivait, mais ces jours-ci, bien que de bonne volonté, elle ployait sous les exercices toujours plus nombreux qu'Iruka imposait à ses deux élèves. Elle avait flâné sur la plage, puis sur les quais. Et elle s'était enfoncée dans les bois... Le crépuscule était venu... La clairière était si belle au clair de lune... Bon sang, Iruka allait l'incendier, si il la trouvait !! Même Naruto, le plus indiscipliné des aspirants ninjas, n'osait pas sécher l'entraînement de son sensei. Il faut dire que les châtiments de ce dernier, le renommé Kakashi, étaient autrement plus redoutables que ceux d'Iruka qui l'adorait et lui passait tous ses caprices... Evidemment, elle avait eu de la chance de tomber sur Iruka comme sensei, à l'issu des examens. Avec Kakashi, ce n'aurait pas été la même chanson... Enfin, là, elle était allée un peu trop loin. Sécher l'entraînement était de loin une des pires infractions au code qui unissait sensei et Genin...
- AH, TE VOILA ENFIN !!!
Edriel se redressa d'un bond, en se mordant les lèvres jusqu'au sang. Elle croisa humblement les mains dans son dos, courba la tête. Fini, le bon temps ! Elle n'osait même pas imaginer le savon qu'elle allait essuyer...
- ...PAS UN MESSAGE, AUCUNE EXCUSE !! TON LIT VIDE !! PAS REVENUE A MIDI !!! LES NEMS QUI ONT REFROIDI ! KAKASHI M'A TUE ! AUCUNE NOUVELLE, LA NUIT À TE CHERCHER ..!!
Edriel, les yeux à terre, n'osa pas les relever, mais fronça un sourcil : il paraissait s'être vraiment fait du souci... Un moment, elle faillit s'en vouloir...
- ...ET SURTOUT, SURTOUT : UN JOUR D'ENTRAINEMENT BETEMENT GASPILLE !!!
La jeune fille soupira en abandonnant toute résolution de repentir... Evidemment... Elle entendit un pas rageur traverser la clairière, vit une ombre s'arrêter devant elle.
- Regarde-moi quand je te parle, Edriel !!! Toi ! Je n'aurais jamais cru ça de ta part ! Leito, encore, je suis habitué, mais toi, c'est la première fois que tu me fais le coup ! Regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que tu vas tout m'expliquer, que tu as une excuse valable...
La jeune fille, tout en retenant un autre soupir, obéit. Elle se raidit sous le regard sévère de son sensei. Iruka avait vingt-cinq ans, et de longs cheveux sombres retenus par un bandeau ninja, de grands yeux café brûlé... Iruka. L'année où il avait été nommé Junin, elle était devenue son élève. Hasard avantageux : il la choyait comme une gamine, lui passait toutes ses bêtises et ses incartades, du moment où elle lui décochait un de ses regards suppliants... Enfin, il y avait tout de même des cas où le pardon n'est pas de mise... Comme ici.
- Alors ? J'attends, Edriel !
- Ben... Non, sensei, je n'ai rien à dire pour ma défense.
Iruka donna l'impression d'avoir pris un coup de poing dans la figure. Comment ? Elle qui trouvait toujours une excuse bien formulée qu'il n'arrivait jamais à refuser ? Edriel, victime d'une tel manque d'imagination ? Pas possible. D'ailleurs, elle avait un regard bizarre, un peu vague, comme perdu dans ses pensées...
- Tout va bien, Edi ?
La jeune fille releva sur lui un regard absent.
- Hum ? Oui, oui.
- Tu es sûre ? insista Iruka de plus en plus alarmé par le manque de réaction de son élève.
- Mais oui ! répéta plus fermement Edriel en relevant les yeux.
Intérieurement, elle sourit. Sans avoir besoin d'inventer une excuse, elle tenait déjà le pardon de son sensei, amadoué par son petit air mélancolique. Ah, Iruka... C'était vraiment le plus chouette des senseis ! Elle fixa d'un regard amusé la cicatrice qui courait sur les deux joues de son jeune mentor, juste en dessous de ses yeux.
- Edriel ! Tu me fais marcher !
- Ben ouais, y a pas de raison que ce soit toujours toi qui tyrannise, à l'entraînement ! J'suis sûre que Leito te dira la même chose !
- A l'heure qu'il est, Leito est déjà en train de s'entraîner, après m'avoir aidé à te chercher toute la journée d'hier !
Edriel écarquilla les yeux :
- Lui ? Non, y a erreur, sensei ! Lui, il se cale tranquillement au pied d'un arbre dès que vous avez le dos tourné, pour piquer un somme ! Je balance pas, j'informe !
- Leito est un garçon travailleur... et sérieux... et... balbutia Iruka, soudain moins assuré en y réfléchissant bien.
- Ouais, j't'en parlerai, de son travail ! Il a inventé une technique pour s'endormir en temps record !!
- Edriel, c'est une accusation grave, et il faudrait que tu puisses la justi...
- C'est parti ! s'écria la jeune fille en saisissant la manche de l'uniforme vert d'Iruka. Suivez-moi, vous allez voir !
Un instant plus tard, les deux ninjas arrivaient à l'orée d'une petite clairière verdoyante. Edriel posa un doigt sur ses lèvres, fit signe à Iruka de la suivre sans un bruit. Ce dernier la rassura d'un geste affirmatif. La jeune fille bondit sur une branche d'arbre. Son sensei la suivit. De là-haut, ils avaient une vue imprenable sur l'ensemble de la clairière. Et là, allongé de tout son long à l'ombre d'un arbre, un brin d'herbe à la bouche et les yeux paresseusement entrouverts...
- Je vous l'avais dit, sensei ! chuchota Edriel en pointant un doigt accusateur sur le grand garçon brun étendu dans l'herbe. Maintenant vous me croyez quand je vous dis que c'est un flemmard ?
Iruka ouvrait des yeux ronds. Etait-il possible que Leito se soit joué de lui tout au long de son entraînement ? En tous cas, le fait était là. La punition allait être sévère, car en tant que sensei, il se devait de sanctionner sérieusement le manque de sérieux...
- Je vois. Eh bien, Edriel, sache que... BAISSE-TOI !!!
Tout à sa feinte indignation, la jeune fille n'avait apparemment pas entendu le sifflement du kunai qui fonçait vers eux. Iruka la prit à bras le corps, la plaqua contre la branche. Le petit poignard d'acier se ficha en vibrant dans le tronc juste à l'endroit où ils se tenaient quelques instants plus tôt.
- Sensei...
- Non, inutile de me remercier...
- C'est pas ça... Vous m'écrasez grave, là...
Iruka grimaça. En protégeant son élève, il s'était jeté de tout son poids sur elle, et Edriel suffoquait, plaquée contre la branche. Le Junin se redressa, un peu embarrassé, lui tendit la main pour l'aider à se rétablir :
- Hum... Pardonne-moi, Edi. Ça va ?
- Mmf... Pas grave. J'ai toujours rêvé d'un régime amaigrissant...
- Arrête, avec ça ! Tu es très bien comme ça !
- Mais je... Où est Leito ?
Les regards du maître et de l'élève convergèrent vers la petite pelouse où le jeune garçon était étendu quelques instants plus tôt. Il n'y avait plus personne, seulement la trace d'un corps dessiné par l'herbe froissée.
- Mince alors ! Il en a profité pour filer, le con !
- Tu dis, Edriel-san ?
- Vous êtes sourd, sensei ?
- Mais je n'ai rien dit !! se défendit vivement Iruka.
- Mais...
Edriel et Iruka firent volte-face. Une branche au dessus d'eux se tenait un grand garçon aux cheveux bruns, un long katana passés à la ceinture, mâchonnant tranquillement un bâtonnet coincé au coin de ses lèvres. Les yeux calmement fermés, les mains dans les poches. Omedetô Leito.
Un rouge soutenu monta aux joues d'Edriel.
- Euh... Ah, Leito ! Comment ça va, depuis hier ?
- Mais très bien, répondit l'intéressé d'une voix très calme. Alors comme ça, je suis un... flemmard ?!
Lorsqu'il prononça ce dernier mot, ses yeux s'ouvrirent d'un coup, foudroyèrent Edriel de leur regard pétillant et azuré. La jeune fille essaya de se faire la plus petite possible... Elle sentait aussi peser sur elle le coup d'œil enflammé d'Iruka...
- Euh... Leito-kun, c'est pas du tout ce que tu crois... Et...
- Eh bien, Edriel ? la coupa Iruka, les bras sévèrement croisés. J'attends une explication ! Il n'avait pas inventé une certaine technique, qui lui permettait de « s'endormir en temps record » ?!
- Ce qu'Edi a oublié de préciser, répondit placidement Leito en sautant de sa branche sur la leur, c'est que je ne dormais que d'un œil ! Excellente technique de bluff, vous ne trouvez pas, Iruka-sensei ?
Le jeune garçon arracha d'un geste vif son kunai planté dans le tronc, le rangea nonchalamment dans sa sacoche. Iruka sourit largement, lui ébouriffa paternellement les cheveux.
- En effet, je suis fier de toi, Leito ! Tu progresses vite... Et au fait... Joli tir !
Le Junin désigna l'endroit d'impact du kunai, où le bois était largement fendu.
- Ah oui, merci, reprit négligemment le jeune ninja en sautant élégamment à terre.
Iruka et Edriel le suivirent. Le Junin se tourna soudain vers elle, les poings sur les hanches. La jeune fille se raidit, en attendant l'orage, les mains dans le dos... En coulisse, elle lança un vif coup d'œil à son camarade...
- Quant à toi, Edriel...
- Sensei ! coupa Leito en levant la main. Puis-je dire un mot ?
- Vas-y, jeune !
- Edriel s'est rendue coupable de faux témoignages à mon égard. C'est donc à moi qu'elle a porté préjudice. Est-ce que vous me laisseriez proposer une sanction qui me satisfasse et me fasse oublier l'injure ?
Edriel eut soudain l'air atterrée, stupéfaite par la trahison de son ami.
- Oh ! rit Iruka. Tu parles comme un chef, aujourd'hui, Leito ! Très bien, vas-y !
- Je propose que vous me laissiez Edriel jusqu'au coucher du soleil, pour que je supervise moi-même son entraînement... Croyez-moi, elle va morfler !!!
Iruka parut immédiatement séduit par l'idée. Il se caressa doucement le menton, échangea un coup d'œil complice avec le jeune garçon...
- C'est d'accord ! Ne la ménage pas, surtout, ok ?
- No problem ! répliqua joyeusement Leito en frappant du poing contre celui de son mentor. Merci, Iruka-sensei !!
- Mais, euh !!! Moi, je proteste !! Coalition masculine !!! Discrimination macho !! Ah, les mecs, j'vous jure !! Vous êtes ligués contre moi, tous les deux, c'est pas possible !!
- Edriel, tu n'es pas en position de te plaindre ! rétorqua sèchement Iruka en levant un doigt moralisateur. Je te laisse entre les mains de ton camarade jusqu'à ce soir, et si j'apprends que tu lui as désobéi... Gare à toi !!! Sur ce... Bon entraînement, les jeunes ! A ce soir !
Iruka leur fit un petit signe de main, s'amusa de voir Edriel lancer un regard meurtrier à Leito triomphant... Il s'éloigna sur le petit chemin qui s'enfonçait dans la forêt, se demandant déjà s'il n'avait pas, après tout, été trop dur avec son élève chérie...
Dès qu'il fut hors de vue, Edriel abandonna sa mine de chien battu pour prendre le même air triomphant que son ami.
- Ouaiis, tope-là, Leito-kun, on l'a bien eu !!
- C'est en partie grâce à tes inimitables talents de comédienne, chère coéquipière ! répliqua l'intéressé en frappant joyeusement dans la paume de la jeune fille... qui poussa un cri de douleur.
- Aïïïe !! Barbare ! Tu m'as arraché la main !!
- Chochotte !! On voit le résultat du manque d'entraînement !
- Ah, commence pas, hein ? Qui a dit « manque d'entraînement » ? T'as vu comme on a pigeonné Iruka-sensei ? C'est un Junin, et il a rien capté à notre plan !!
- Ouais... répondit Leito d'un air songeur, en se baissant pour rattacher sa sandale. Heureusement que je ne dormais pas complètement, et que j'ai pu saisir ton message lumineux !
- Ouais, vraiment de la chance, approuva Edriel d'un ton moqueur. C'est bien la première fois de ta vie que tu ne dors qu'à moitié ! Tu me crois, maintenant, quand je te dis que mes bagues servent à quelque chose ?
Leito jeta un regard sceptique sur les six bagues que la jeune fille portait à ses doigts effilés et vernis de noir. L'une d'elle, plus large que les autres, ressemblait à un petit miroir. C'était celle-là qu'elle avait utilisé pour émettre des signaux lumineux que Leito avait facilement discernés dans les feuillages...
- Ouais, approuva-t-il en ôtant un instant le bâtonnet du coin de sa bouche. Je pensais pas que ça marcherait aussi bien, ce bordel... Et dire qu'on avait inventé ce système pour tuer le temps, pendant l'entraînement. Au moins on l'aura expérimenté.
- La classe !! s'enthousiasma Edriel avec un clin d'œil. Avec ça, on pourra faire des super missions de filature et de...
- Oh lala, m'en parle pas, tu me fatigues à l'avance ! la coupa Leito en s'étirant de tout son long, le visage levé au ciel.
Il vit passer dans l'azur de longs nuages aux formes variées. Il pensa à Shikamaru, un de ses meilleurs potes de Konoha... Il aimait pardessus tout se caler dans un coin peinard, et rêvasser en regardant passer les nuages... Que de bons moments ils avaient passé comme ça, ensemble ! En compensation, Leito allait passer la fin de sa journée avec Neji, histoire de se dérouiller un peu... Membre d'une illustre famille ninja, Neji était héritier d'un formidable potentiel de combat qui lui valait souvent le titre de surdoué... Leito s'ingéniait à gagner tous leurs duels, même s'il n'y était pas encore arrivé... En tous cas, il savait qu'à chacun de ses combats avec Neji, il s'enrichissait. Et il rattrapait sa journée de farniente dissimulée par tous les stratagèmes possibles aux yeux d'Iruka.
Mais aujourd'hui, c'était une belle journée de printemps qui s'annonçait, et Leito avait plus envie de suivre l'exemple de Shikamaru que de Neji...
Il se tourna vers Edriel, qui humait délicatement une fleur qu'elle avait cueilli, pensive...
- Leito ?
- Nhh ?
- On fait quoi ?
- Tu dis ça sur un ton tellement désoeuvré... marmonna-t-il en se dirigeant vers un grand arbre qui dispensait une ombre généreuse. En ce qui me concerne, je crois que je vais me caler là, et finir ma petite sieste si abruptement interrompue...
- Ah, non !! s'exclama Edriel en lui barrant le passage. Mais t'es une vraie serpillière, ma parole ! Et Iruka-sensei qui te prend pour un génie !
- Grmblgrrr... T'as autre chose à me proposer ? s'enquit le garçon brun avec mauvaise grâce.
- J'ai bien une idée, mais il faudra que tu t'occupes du financement...
Leito fronça un fin sourcil, mis en alerte par l'étincelle de malice qui brillait dans les yeux noirs d'Edriel. Il fallait se méfier, avec elle...
- Dis toujours ! lança-t-il, méfiant.
- Qu'est-ce que tu dis d'aller manger au resto, sur le bord des quais ?
- Ah...
Pour une fois, elle n'avait pas une idée totalement idiote... Leito se reprocha aussitôt sa pensée moqueuse, mâchonna son bâtonnet en pesant le pour et le contre...
- Ok, ça marche !
- Tu... Oublie pas que tu dois payer la note ! Je suis raide sur la thune, moi !
- J'ai pris ce paramètre en compte ! Je suis d'humeur généreuse, aujourd'hui !
- Waah, trop bien ! Dis, Leito-kun, tu veux pas faire un détour par les boutiques du port, pendant qu'on y est ?
- Nan !! Je suis pas con, quand même ! J'ai pas envie de finir fauché, moi !
Il jeta un regard assassin à Edriel, qui éclata de rire :
- Ok, en route, j'ai une faim de loup, moi !
« Eh ben, ça commence bien ! » soupira tout bas Leito en la suivant sur le sentier, les mains dans les poches...
Un peu plus tard, sur la jetée...
- Trop cool, ce bateau, t'as vu ? On dirait qu'il a la forme d'un dragon marin !
- Ouais, pas mal. J'aime bien la voile de celui-là, là-bas. T'as vu ?
- Mmm... ronronna Edriel en aspirant une grande bouffée d'air marin. Ah, ça fait du bien, une journée de relâche !! Iruka sensei est enragé, en ce moment ! Entraînement, entraînement... Il a que ce mot-là à la bouche, c'est pas possible !
- Je me demande si c'est vraiment moi, le flemmard... soupira Leito en passant ses bras derrière sa nuque. Aïïïïe !!
- Non mais oh !!
- ça va, ça va, je plaisantais !
- Ah, voilà le resto dont j'te parlais !
Edriel montrait du doigt un petit établissement coincé entre un marchand de poisson et un local de pêche. Il portait une jolie enseigne rouge, en forme de toit chinois décoré de têtes de dragon. Des lanternes un peu défraîchies se balançaient au gré du vent marin, mais l'odeur qui s'échappait de l'entrée était plus qu'alléchante... Edriel prit joyeusement son ami par le bras et l'entraîna sans ménagement devant un menu affiché à côté du rideau de perles qui masquait l'entrée.
- « A l'embrun du large »... lut Leito en écarquillant les yeux. C'est pas terrible, comme nom. Moi, j'aurais plutôt appelé ça, « L'argent prend du large » ! C'est hors de prix, regarde-moi ça ! T'as bon goût, minette !
- Enfin, Leito, c'est normal ! Tu as le nez sur la colonne quatre étoiles !
- Ah..? Oui, c'est vrai ! Euh... Alors... Disons... Deux étoiles, qu'est-ce qu'ils proposent ?
- Beignets de crevettes... Sushis à la dorade... Soupe aux ailerons de requins... Fugu grillé...
- Ah, non, pas pour moi, merci ! se récria Leito en faisant la grimace. J'ai un oncle qui a clamsé, comme ça !
- Bon, bon... T'es pas obligé de goûter au fugu...
- Toi non plus ! Si il t'arrive le moindre truc, Iruka-sensei va faire une attaque cardiaque, et s'il en réchappe, tout va me retomber dessus !
- Mm... Ah ! Nems au crabe...
- Ne me remercie pas, surtout !
- De quoi ?
- De jouer à la nounou avec toi !
- Mais je t'ai rien demandé ! protesta Edriel un peu vexée. Euh... Où j'en étais... Sole sauce curry... Mmm ! J'ai trop faim ! Arrive, Leito-kun !
Elle saisit son ami par la manche, le tira après elle à travers le rideau de perles bleues :
- Hééé ! On voit que c'est pas toi qui paies !
- Justement !
L'intérieur du restaurant était petit, mais avenant. Les murs étaient lambrissés, décorés de filets ou d'énormes crustacés empaillés, qui voisinaient avec des tableaux et des photos de scène de pêche. Les tables étaient séparées par de petites cloisons sculptées, donnant une impression d'intimité et de confort accueillant. L'endroit fleurait bon la soupe de poisson et la friture de crevettes. Il y avait peu de monde, seulement deux hommes au visage ridé et tanné attablés devant une bouteille de sake, sans doute des pêcheurs, et une jeune fille assise au fond de la salle qui tournait le dos à l'entrée. On ne voyait d'elle qu'une longue chevelure couleur de miel.
Au bruit que fit le rideau de perles, un petit homme aux yeux bridés sortit d'une petite pièce attenante, qui semblait être la cuisine, en s'essuyant les mains sur son tablier blanc.
- Bonjour, honorables clients ! Une table pour le déjeuner ?
- Bien sûr, s'il vous plaît ! répondit Edriel avec un grand sourire.
- Mademoiselle et monsieur n'ont qu'à choisir ! annonça le patron en disparaissant à nouveau dans la cuisine. Je reviens !
- Pfft ! souffla Leito en haussant les épaules. On n'est jamais aussi bien servis que par soi-même !
- Et ben alors, de quoi tu te plains ? répliqua Edriel dont la bonne humeur semblait inébranlable ce matin. Viens, on va là-bas, on aura vue sur le port !
- Passionnant...
Leito suivit Edriel qui avait repéré un endroit calme devant une fenêtre, à deux tables de la jeune fille blonde. Tout compte fait... Le grand garçon brun se laissa tomber sur la banquette d'un air négligent, mais sans retenir un coup d'œil intéressé vers leur voisine. Edriel ne s'aperçut de rien, s'empara du menu posé sur la table :
- Alors... Pour moi, c'est décidé ! Je prends des beignets de crevettes, des nems au crabe, une soupe et des sushis !
- Hé ho ! Ça va me coûter combien, ce modeste repas ?
- Euh... Une bagatelle comme dix mille yens...
- CA VA PAS, NON ?! se récria Leito en bondissant de son siège. J'ai pas l'intention d'y passer mes économies, non plus !
- Euh... se corrigea rapidement son amie. Je voulais dire que les beignets de crevette et les nems me suffiront !
- Je préfère ça... soupira Leito avec soulagement. Je dois aussi me payer à manger...
Au soudain intérêt du jeune garçon, l'éclat de voix avait intrigué la fille blonde assise un peu plus loin. Sans en avoir l'air, elle tourna à demi son visage vers eux.
- Hey... souffla Leito, charmé.
L'aspirant ninja en laissa tomber les baguettes avec lesquelles il avait commencé à jouer. Du peu qu'il pouvait voir, la jeune fille avait vraiment l'air adorable. Entre deux mèches couleur d'or, on devinait des traits fins et pâles de statue, des lèvres roses et pulpeuses, illuminés par de magnifiques yeux émeraude.
Dès qu'elle s'aperçut que Leito la regardait d'un air béat, l'inconnue lui jeta un coup d'œil courroucé et se retourna aussitôt. Edriel n'avait toujours rien remarqué :
- Et toi, Leito-kun, tu prends quoi ?
- Mm ?
- Tu prends quoi, à manger ?
- Ah ! Euh... Un bol de râmen fera très bien l'affaire !
- Pff ! grommela Edriel en haussant les épaules. Râmen, râmen... Encore râmen ! Ça t'arrive de manger autre chose ? C'est pas trop diététique, tout ça !
- Fiche-moi la paix, avec ta diététique !
- Bon ! Hep, patron !
Le petit homme jaillit de sa cuisine comme un diable de sa boîte. Il slaloma avec une adresse stupéfiante entre les tables, et s'approcha d'eux avec son grand sourire, un carnet et un stylo à la main :
- Ces messieurs dames ont fait leur choix ?
- Hé ! On n'est pas des jeunes mariés, quand même ! s'insurgea Leito en relevant la tête.
- La ferme, tu sers à rien ! répliqua gentiment Edriel en lui donnant un coup de pied sous la table.
- Eeeeh !
- Donc, ce sera un râmen, des nems au crabe, un...
Vexé, Leito se désintéressa de la conversation et se pencha pour masser son mollet endolori : quelle brute, cette fille ! Quand elle ne griffait pas, elle vous fracturait un os en moins de deux... Soudain, il s'immobilisa. La jeune fille blonde s'était levée, les yeux fixés sur le patron du restaurant qui lui tournait le dos. Elle avait reposé sa chope près de son bol vide, et d'un pas furtif, paraissait désireuse de s'acheminer vers la sortie sans être vue... En extase, Leito corrigea son appréciation précédente. « Adorable » n'était pas vraiment le mot qui collait pour cette fille. Fascinante était plus juste. Sa pâleur d'ivoire, ses yeux verts au regard froid et un peu dur dégageaient un charme hypnotique, qui compensait son maintien et son expression farouche. Elle était habillée d'un ensemble de lin un peu défraîchi, portait une large sacoche à la ceinture, et, à la stupéfaction de Leito, sa taille était ceinte d'un bandeau ninja dont la plaque brillait doucement au soleil. Une ninja ! C'était la dernière chose à laquelle il s'attendait ! Il essaya en vain de distinguer le signe distinctif de son bandeau ; la jeune fille fit un mouvement brusque qui le lui cacha. Silencieusement, elle s'acheminait toujours vers la porte du restaurant, les yeux fixés sur le patron en grande conversation avec Edriel, qui lui détaillait la cuisson de ses nems. Mais pourquoi faisait-elle ça ? Etait-elle un brin dérangé ou bien... Etait-elle purement et simplement en train de se barrer sans payer ? A voir son expression un peu coupable, Leito s'en persuada, et se laissa aller à une douce rêverie... Une belle voleuse, une ninja mystérieuse qui croisait sa route... Décidément, le Pays des Vagues n'était pas aussi naze qu'il l'avait d'abord pensé... Il songeait déjà au moyen de la rattraper sur le pas de la porte, quand un fracas de chaises renversées le tira de ses fantasmes. Par une maladresse regrettable, l'inconnue s'était prise les pieds dans le tapis, renversant au passage les sièges voisins...
- Ah, shit !
Toutes les illusions de Leito s'évanouirent en un instant. Adieu, la belle voleuse furtive et racée, adieu l'habile jeune fille aux pieds ailés ! Et adieu aussi la ninja... Elle avait trouvé son bandeau dans une pochette surprise, ou quoi ? Leito se rassura en se souvenant que ce genre d'accidents arrivait aussi –et plutôt souvent- à Edriel. Bon, ce n'était qu'une question congénitale relative aux filles en général...
Mais au bruit du mobilier bousculé, le patron de l'établissement avait fait volte-face :
- Hep, hep, hep, jeune fille, où allez-vous comme ça ? Je ne vous ai pas encore apporté l'addition...
La rougeur qui monta aux joues blanches de l'inconnue la trahit. Aussitôt, elle amorça un geste pour fuir, mais le patron la saisit vivement par le bras :
- Hé là ! Qu'est-ce que c'est ces manières ? Il faut payer, demoiselle, ou alors, à la plonge !
- Tu peux toujours courir, l'ancêtre ! répliqua l'intéressée en se débattant.
- Pardon ?! se récria l'autre. J'ai du mal comprendre !
- Puisque je te dis d'aller te faire voir ! J'ai pas de thune, et j'ai pas l'intention de faire ta vaisselle !
D'un geste sec, elle se libéra de la poigne de l'homme, et courut vers la porte.
- Au voleur ! A l'assassin ! On refuse de me payer !
Au cri du patron, deux cuisiniers sortirent en courant de l'office, et les marins attablés dans la salle se levèrent, bloquant la porte. Cernée, la jeune fille se saisit d'une chaise qu'elle brandit devant elle d'un air menaçant, tandis que ses pupilles s'étrécissaient dans leur écrin d'émeraude :
- Approchez, pauvres inconscients... Vous allez voir ce que vous allez prendre...
Leito et Edriel, que la scène avaient pétrifié sur place, s'entre-regardèrent soudain avec effroi :
- Nom d'un chat ! Tu sens ce chakra, Leito ?
- ça craint ! Faut l'arrêter avant qu'elle casse la baraque !
- Tu as quelque chose à proposer !
- Euh...
- C'est vrai que les idées géniales, c'est pas ton fort... remarqua Edriel en lui lançant un regard accusateur.
- Je sais !
Le grand garçon brun se leva d'un bond, en fouillant dans sa poche :
- Hep, patron ! Je paye pour elle !
Un grand silence se fit dans la salle. Le gérant, les cuisiniers, les marins se retournèrent vers Leito, tandis que la jeune fille s'immobilisait, la chaise toujours brandie au dessus de sa tête.
- Ben quoi ? Je peux pas ?
- Si, si, monsieur, bien sûr que si ! s'empressa le patron en accourant vers lui, heureux d'en avoir finalement pour son argent. C'est sept mille yens, monsieur !
- Irk ! grinça Leito en tirant à contrecoeur l'argent de sa poche. Les filles, c'est vraiment pas économique !
Sous le regard intrigué de l'inconnue, il mit les pièces dans la main du patron, qui s'inclina profondément avant de disparaître dans l'office, accompagné des cuisiniers. Les vieux marins s'étaient rassis. La salle avait repris son calme accoutumé, et on aurait presque dit qu'il ne s'était rien passé. Leito, dont le porte-monnaie allégé avait considérablement refroidi l'ardeur amoureuse, se retourna vers la jeune fille :
- Et alors, même pas un merci ? grommela-t-il en rangeant le peu qu'il lui restait au fond de sa poche.
- Merci.
- Vas-y, laisse éclater ta joie !
L'attitude réservée de l'inconnue, qui avait reposé sa chaise et le dévisageait les bras ballants, acheva d'irriter le jeune ninja. Il avait payé sa dette au prix des trois-quarts de ses économies, et ça ne suffisait pas à briser la glace ? Elle aurait du lui sauter au cou pour le remercier, et elle était là, sans rien dire, à le détailler de son regard qui ne s'était pas beaucoup refroidi... Exaspéré, il allait la planter là quand Edriel intervint. Elle s'était approchée sans bruit et rendait tranquillement à la jeune fille son observation un peu défiante :
- Tu viendras bien boire un coup avec nous ?
- Certainement pas !!! se récria Leito en serrant les poings. Qui c'est qui va payer, encore ?!!
- Rooh, Leito...
- Y a pas de « Rooh, Leito » qui tiennent !! La plonge, ça me tente pas, merci !
Edriel fit un clin d'œil contrit à la jeune fille, qui avait paru sourire :
- Alors, tu bavarderas bien un brin avec nous, euh... Je ne sais pas ton nom.
L'autre pencha un peu la tête de côté, puis sourit franchement :
- Pourquoi pas ? Je m'appelle Poltergeist.
Quelques instants plus tard...
- Alors, si j'ai bien compris, résuma Leito abasourdi, tu es une ninja de Suna, orpheline mais surdouée. Tu détestais l'ambiance de ton bled, ton sensei et les mecs de ton équipe, et par conséquent, tu as décidé de fuguer pour trouver mieux... C'est bien ça ?
- Exactement ! approuva la jeune fille en hochant sa jolie tête de sauvageonne.
Depuis qu'ils avaient tous trois entamé la conversation, elle avait peu à peu baissé son attitude défensive. Loin d'être froide et hautaine comme Leito l'avait cru, elle se montrait très disposée à bavarder et plutôt sympathique, malgré son abord un peu bizarre. En tous cas, son histoire l'était tout autant.
- Poltergeist la bien nommée ! conclut Leito en replongeant dans son râmen.
En face de lui, Edriel ignorait carrément ses nems et ses beignets de crevettes. Elle paraissait captivée par le récit de la ninja du Sable, et plus encore ravie de sa compagnie. Entre les deux jeunes filles, le courant passait exceptionnellement bien, ce qui inquiétait un peu Leito. Mais un grand bol de râmen avait toujours eu la bénéfique vertu de le désintéresser de tout ce qui se passait autour de lui. Les nouilles de ce petit resto étaient particulièrement savoureuses... Pas aussi excellentes que celles d'Ichiraku, bien sûr, mais tout de même...
- Je suis sidérée, reprit Edriel, les poings serrés sous son menton. Moi qui me croyait une véritable délinquante de sécher l'entraînement de mon sensei ! Fuguer de son village, en laissant son équipe en plan, ça c'est fort !
- Tu serais moins étonnée si tu connaissais Suna et les connards de mon équipe, répliqua franchement Poltergeist en émiettant distraitement la mie d'un morceau d'un pain sur la nappe.
- J'avoue que je ne connais pas le Pays du Vent. C'est si terrible que ça ?
- Suna : le bled le plus paumé du désert et du monde ; ses rues ensablées, ses tempêtes de sable quotidiennes, ses tripots enfumés –crois-moi, j'y ai fait un bout de temps serveuse pour gagner un peu de thune- ses racailles qui traînent à tous les coins de rue, son Académie poussiéreuse, ses senseis bornés, ses étudiants stupides ; Suna, l'endroit le plus pourri et le plus injuste du monde –ça ne te dit rien ?
La jeune fille s'arrêta, hors d'haleine, un feu couvant dans ses yeux verts, redevenus durs et froids. Leito avait relevé la tête de son râmen, et Edriel éclata de rire :
- Vu comme ça... Je te comprends ! Et ça fait trois mois que tu as pris la tangente ? Et tu voyages seule, comme ça ? Tu vis de restaurateurs pigeonnés et de l'eau des rivières ?
- Pour tout dire, ça ne fait qu'un mois que je suis vraiment à la rue, répliqua Poltergeist en jouant avec un kunai qu'elle avait tiré de sa sacoche. Avant, j'ai bien créché un mois et quelques à Kumo, au Pays de la Foudre... ça m'a permis d'apprendre quelques techniques pas trop inutiles... Et puis, ils sont devenus chiants aussi, alors je leur ai tiré ma révérence.. Ils doivent encore attendre que je rentre de ma promenade, ajouta-t-elle avec une moue mi-sournoise, mi-amusée.
- Edriel, mange tes nems, elles vont refroidir !
- Et toi, occupe-toi de tes râmen ! Mais qu'est-ce que tu comptes faire, maintenant ? Tu vas pas voler ta bouffe jusqu'à la fin de ta vie, quand même ?
- ça me regarde ! répliqua vivement la jeune fille, intimidée par le ton sérieux d'Edriel. C'est pas tes affaires...
- Edriel, tes beignets...
- La ferme ! siffla-t-elle d'un ton agacé. Ecoute, Poltergeist, je ne voulais pas te vexer. Seulement, même si tu voulais gagner ta vie en temps que mercenaire, tu ne pourrais pas ! Tu n'as même pas fini ta formation académique...
- Je sais, merci, rétorqua l'intéressée d'un air buté.
- Alors, qu'est-ce que tu comptes faire ?
- Edriel, ton repas, gémit Leito en grinçant des dents.
- Mais bouffe-le, mince ! Au moins, tu me ficheras la paix !
- T'es sûre ?
- Ben oui, t'en meurs d'envie !
- Merci !
Leito, qui louchait sur les nems et les beignets depuis un bon moment, s'en empara sans scrupule et entama l'assiette avec appétit. Pendant ce temps, Edriel regardait Poltergeist qui réfléchissait silencieusement. Elle décroisa les bras, puis déclara :
- J'ai mon idée là-dessus. Comme tu dis, ma formation n'est pas bouclée, et tant qu'elle le sera pas, je ne pourrais pas être vraiment indépendante. Aussi, je te le dis carrément : je cherche un village d'accueil où je pourrais terminer tout ça sans trop d'embrouilles...
Même si elle s'en doutait un peu, Edriel sursauta :
- Tu te rends compte que c'est toute une procédure, de se faire naturaliser quand on est étrangère ?
- Mais non, tu dramatises, ma poule ! répliqua tranquillement la ninja en écartant les bras. Je me suis renseignée : il faut juste l'autorisation du village natal et du responsable légal ! En ce qui me concerne, vu toutes les conneries que j'ai faites à l'Académie, je crois que Suna ne fera pas trop de difficultés à me renier... Pour le responsable légal, je n'ai ni père ni mère, et je suis seule responsable de moi-même. Et voilà, le tour est joué !
- Mm... Tu n'as pas peur d'être mal accepté par ton village d'accueil ? Par les nouveaux collègues que tu auras dans ton équipe ?
- Réfléchis deux secondes, Edi : si je demande à me faire naturaliser, c'est que j'aurais fait ma petite enquête avant. J'aurais choisi un village qui me plaît, et je connaîtrai à l'avance mes futurs potes... J'ai trop souffert du hasard pour me laisser encore une fois prendre au piège...
Edriel contempla pensivement le pli qui était apparu sur le front de Poltergeist, puis tapa sur la table du plat de la main :
- Dans ce cas, j'ai un truc à te proposer : viens chez nous, à Konoha ! Au nom d'Iruka, le plus chic sensei de la terre, de cette bonne vieille serpillière de Leito et de moi-même, je t'accueille dans notre équipe !
Poltergeist sursauta, et baissa vivement les yeux. Elle se tordit un peu les mains et secoua sa longue chevelure dorée :
- C'est plutôt direct, comme proposition...
- Il n'en est pas question !!! Et d'abord, je suis pas une serpillière !
- Tiens, t'as fini tes beignets, Leito ?
- Tu accepterais dans notre équipe une fille qui bouffe gratis dans les restos et qui se barre sans payer la note ?!
Le grand garçon brun n'était pas vraiment fâché, mais stupéfait par l'offre spontanée d'Edriel. Elle aurait pu prévenir, quand même... Voir lui demander son avis... Aussi tyrannique qu'à l'ordinaire, elle se contenta de faire claquer ses longs ongles d'un air menaçant :
- Tu as une autre objection –je veux dire, une objection valable, Leito-kun ?
L'intéressé recula un peu (un réflexe de longue date) puis considéra plus sérieusement la chose, en jetant un regard en coulisse à Poltergeist –à son beau teint pâle, ses belles lèvres pulpeuses, ses yeux brillants. Il se dit que tout bien considéré... En grognant un peu pour la forme, il déclara :
- ça va, toute façon tu fais toujours ce que tu veux, alors...
Rayonnante, Edriel se tourna vers Poltergeist toute songeuse :
- Alors ?
- Alors, je maintiens ce que j'ai dit : c'est plutôt direct, comme proposition... ...mais ça me plaît. Et d'après ce que j'ai compris, vous n'êtes que deux, dans votre équipe ? Ça tombe à pic...
- Oui, notre troisième collègue a été refusé par Iruka. Il avait déjà redoublé deux fois, et il ne faisait rien pour arranger les choses... Je crois qu'il a abandonné l'idée d'être ninja. Quoi qu'il en soit, cette place est faite pour toi, Poltergeist !
- Euh... Il me faudrait du temps, quand même...
- Ben voyons princesse... marmonna Leito en pianotant des doigts sur le bord de la table.
- Bien sûr ! approuva Edriel. Si tu veux, pour te faire une idée, tu peux même venir avec nous : on te présentera Iruka-sensei, et tu te feras une idée...
Poltergeist secoua négativement la tête :
- Non, non. Ça, ça se fera sur place. Et puis, avant de me fixer, j'ai quelques trucs à régler...
Sa voix était un peu rêveuse, son regard vert mélancolique. Edriel l'observa avec attention :
- Toi, tu ne nous as pas tout dit...
- Non, c'est clair. Vous avez pas besoin de savoir toute ma vie, quand même !
Elle se leva brusquement :
- Bon, on se dit rendez-vous un de ces quatre à Konoha ?
- Attends ! se récria Leito. Tu pars comme ça, carrément, sans nous laisser au moins ton portable ?
Poltergeist lui jeta un regard méfiant. Puis :
- Tu crois que j'ai les moyens de me payer un portable ?
- Il plaisantait ! affirma précipitamment Edriel en donnant une bonne bourrade à son ami, qui accusa le coup. Si tu nous promets qu'on se reverra, ça nous suffit ! Pas vrai, ma serpillière préférée ?
- Ah, les filles...
Poltergeist sourit. Elle ébouriffa gentiment les cheveux d'un Leito agacé, échangea une poignée de main avec Edriel :
- Oki, c'est promis ! Allez, à un de ces jours les copains !
Elle se détourna, et un petit de geste de main plus tard, disparut derrière le rideau de perles de l'entrée, laissant Edriel et Leito se regarder dans le blanc des yeux.
- Qu'est-ce que tu nous as fait, encore ? soupira Leito en recoinçant un bâtonnet au coin de ses lèvres.
- Une nouvelle amie, répondit Edriel qui rayonnait de confiance.
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