Chapitre 1

Kagami Taiga lâcha un soupir, regardant le manoir par-dessus la tête de Kise et ses paillettes. Qui aurait cru que pour fêter la fin de la Winter Cup, Akashi inviterait les joueurs des autres équipes à une célébration de ce genre…

- …gami-kun. Kagami-kun.

Il tapota vaguement la tête de Kuroko, médusé par l'immensité du domaine où les avait invité le capitaine de Rakuzan. D'accord, il savait que ce type était censé être riche, mais pouvait-on seulement être aussi riche ?! Il leur avait fallu vingt minutes en bus pour aller du portail de l'entrée au parking devant le manoir ! Et le parking était à dix minutes à pied du bâtiment lui-même !

- …mi-kun…

Il se retourna un instant, contemplant la forêt qui couvrait le domaine d'Akashi, laissant échapper un petit juron, qui n'échappa pas à Riko, et lui valut une claque sèche derrière la tête. C'était. N'importe. Quoi. Vraiment.

- Kagami-kun !

Le tigre se tourna vers Kuroko avec un soupir dépité :

- Quoi ?

Il s'autorisa un sourire en avisant la mine boudeuse de son « ombre » qui supportait de moins en moins qu'on ne le remarque pas. A voir sa tête, il s'était assoupi dans le bus… Kagami passa une main dans ses cheveux en essayant de discipliner les épis bleus, alors que Kuroko s'exprimait enfin :

- Tu as l'air inquiet Kagami-kun… Je ne comprends pas vraiment pourquoi. C'est plutôt gentil de la part d'Akashi-kun de nous inviter, non ? Si tu t'inquiètes pour la nourriture, Hyuga-san a fait promettre à Akashi-kun de ne pas laisser Riko-san cuisiner.

La coach lança un regard noir à son capitaine, qui l'ignora avec brio.

- Non, je suis juste… un peu étonné, souffla Kagami.

Une statue de grenouille lui répondit :

- Je ne vois pas où est le problème.

- Bonjour, Midorima-kun, salua Kuroko d'un ton neutre.

Les lunettes sévères de Midorima Shintaro apparurent de derrière la grenouille :

- … Kuroko.

La présence de l'as de Shutoku arracha un soupir peiné à Kagami. Combien de personnes avaient été invitées au juste ?! Toutes les équipes semblaient au complet. De la part d'un homme qui disait ne valoriser que la victoire, ça faisait un bon paquet de perdants à nourrir… Ses yeux tombèrent à nouveau sur le manoir. Oui. Bon. Vu la taille du truc, il allait probablement se perdre et ne voir personne de la soirée.

La silhouette du capitaine de Rakuzan, une veste blanche couvrant ses épaules, se découpa sur le perron. Tous entendirent Midorima notifier à son coéquipier, Takao Kazunari, à quel point « ce mec avait un sens de la mode plus déplorable que celui de Kise », puis Akashi prit la parole. Enfin, faillit prendre la parole.

- Akashicchi !

Il lui avait fait un câlin. Un. Câlin. Rien n'arrêtait Kise Ryouta. Akashi le repoussa d'une main, souhaitant la bienvenue à ses anciens adversaires et/ou coéquipiers.

- Tout était prêt, nous n'attendions plus que vous.

Aomine faillit ouvrir la bouche pour lui rappeler qu'il était tout seul dans ce manoir, mais Momoi lui écrasa brutalement le pied, l'en dissuadant immédiatement. Akashi, ignorant les murmures, continua :

- J'espère que vous saurez apprécier ma demeure. Vos chambres sont dans l'annexe, ajouta-t-il en pointant du doigt un bâtiment à part, relié au manoir par deux larges passerelles.

Kagami soupira : il n'y avait même pas de chambres dans le bâtiment principal. Ses neurones se mirent en fonctionnement pour deviner ce qui remplissait le bâtiment principal si ce n'était pas les chambres, pendant qu'Akashi les invitait à déposer leurs affaires dans leurs chambres respectives, puis à revenir dans le salon.

Quasiment aussitôt, Himuro Tatsuya serra sa main sur celle de Murasakibara Atsushi, le géant aux sucreries, debout à côté de lui. Il sentait qu'il serait plus facile à Murasakibara de se perdre là-dedans que d'ouvrir un paquet de chips. C'était dire.

- Muro-chin…, commença à protester l'homme à la sucette.

- Ne commence pas à faire l'enfant, le coupa Himuro.

Ironique, pensèrent les autres. Ce mec est un gamin dans un corps de catcheur. Tous suivirent sagement Akashi, qui énonçait avec bonté les différentes pièces de sa demeure, et Kagami eut sa réponse : au rez-de-chaussée du bâtiment principal se trouvaient les cuisines, le salon, une salle de musculation, et une piscine. Un soupir collectif accueillit cette déclaration. Evidemment, Akashi Seijuro avait une piscine intérieure chez lui… A l'étage du dessus, se trouvait la laverie, et le musée.

Le.

Musée.

Toujours plus. "Les riches n'ont jamais assez de choses inutiles chez eux", pensa Midorima. "Tiens, ça me fait penser à quelqu'un", pouffa silencieusement Takao.

Tout ce petit monde s'éparpilla joyeusement dans les chambres de l'annexe, "assez nombreuses pour accueillir six à huit cars de norvégiennes", d'après Aomine, mais "seulement si elles font des groupes de deux", selon Akashi.

"Pas besoin d'être un génie pour savoir que adolescent + alcool = intense bordel", pensa Takao en passant le regard sur la foule bruyante des joueurs. Akashi les avaient réunis dans ce qui semblait être une sorte de restaurant, la pièce était suffisamment grande pour accueillir tout le monde en tous cas, ce qui était déjà un exploit.

- Shin-chan, je ne suis pas ta mère, tu sais, soupira-t-il à son coéquipier vissé à sa chaise. Va t'amuser un peu...

Le numéro 6 de Shutoku secoua légèrement la tête en remontant ses lunettes.

- Je ne vois pas l'intérêt de faire ça.

- Ce que tu peux être coincé, Shin-chan.

Il avait cependant une idée précise de ce que l'adorable Shin-chan essayait d'éviter. Il avait le choix: Kise qui avait décidé d'inviter tous ses anciens coéquipiers à danser au moins une fois, Kagami qui marchait sur les pieds de tout le monde, Murasakibara qui vagabondait entre les tables à la recherche de toujours plus de sucreries... Ouais, il y avait de quoi s'inquiéter.

- Cet endroit est un genre d'hôtel particulier, en fait... C'est démesuré... Enfin, ça va plutôt bien à Akashi je présume. Tu m'écoutes, Shin-chan?

- Comment vais-je pouvoir me procurer mon porte-bonheur de demain?

La question tant attendue fit sourire Takao, qui gardait ses yeux perçants fixés sur Akashi.

- Ah, je me disais bien que tu finirais par t'en rendre compte... Tu ne vas pas pouvoir, on dirait.

- C'est un problème. Faisons un rituel de purification ce soir, Takao.

Midorima continua, ignorant le soupir de son ami.

- Il me faudra du sel.

- Va le chercher toi-même.

- Takao. Du sel.

Takao tendit la main pour une partie traditionnelle de janken, et se leva dix secondes plus tard à la recherche de sel, sous l'œil satisfait de Midorima.
Se demandant quand exactement il était devenu si soumis à la volonté de cet abruti de Shin-chan, Takao slaloma entre les tables. Il n'y connaissait rien en purification salée. Fallait-il du gros sel, ou du sel fin? Dans le doute, il piqua les salières sur son chemin. L'un ou l'autre, c'était bien la même chose.

L'ambiance était sympathique, il devait l'admettre... Bon non, par-dessus il devait surtout admettre que c'était n'importe quoi. Un combat de sumo entre Kuroko et Kise? Que faisait la manager de Touhou sur les épaules de Murasakibara? Est-ce que Kagami était en train de grimper sur les épaules d'Aomine? Est-ce que les senpais de Shutoku étaient en train de faire une pile d'ananas? Pourquoi Izuki avait-il des oreilles de chat? Pourquoi y avait-il un ballon de basket écrasé dans ce gâteau? Rien de tout ça n'avait de sens et est-ce que le duo Kagami/Aomine essayait maintenant d'ajouter Kuroko sur leurs épaules?

Quelques longues, longues minutes plus tard, la grosse majorité des joueurs étaient terrassés par l'alcool. Murasakibara mâchonna pensivement son gâteau. Sachin s'endormait contre lui, ses cheveux lui chatouillaient le bras, et il ne pouvait rien faire. Il essaya d'appeler silencieusement Murochin à l'aide... mais rien n'y faisait. Tout le monde semblait s'être calmé, les discussions n'étaient plus aussi animées. Il soupira, réveillant miraculeusement Momoi qui s'étira longuement. Discrètement, Murasakibara éloigna sa large silhouette de la jeune fille. Un peu moins discrètement, il écrasa violemment le pied de Minechin:

- Putain!

- Ah... désolé Minechin.

Un autre pied inconnu lui barra le passage.

- Ouch!

- Désolé...

Qui que tu sois, d'ailleurs. Il ne voyait pas grand-chose. Akachin, en hôte de qualité, avait baissé un peu les lumières, et il faisait déjà sombre dehors. Murasakibara s'avança vers le cercle des personnes encore éveillées et s'installa avec précaution entre Kurochin et Murochin. Aussitôt, ce dernier lui lança un gentil sourire:

- Tout va bien, Atsushi?

- Hum? Oui, oui...

- Kise-san a eu une idée d'un porte bonheur pour nous tous, tu veux t'assoir avec nous?

Ah... Voilà qui expliquait ce que faisaient Midochin, sa grenouille et ses lunettes assis avec tout le monde.

- Qu'est-ce qu'il faut faire?

- Il va expliquer, ce n'est pas difficile.

- Hum, ok.

Sachin et Minechin s'assirent avec eux:

- Nous aussi on veut le porte bonheur, commenta joyeusement la manager.

- Non, moi je m'en fous, précisa Minechin, tirant un sourire à Kurochin.

Kisechin s'émerveilla un court instant de la présence de tout le monde, et sortit de son sac tout un assortiment de talismans.

- Omamori? Tu les as pris dans un temple?, demanda l'ami de Midochin, Takao.

Kisechin sourit et hocha la tête:

- C'est chouette non? Je les ai fait faire spécialement pour nous...

Les amulettes étaient plutôt jolies, toutes presque identiques, dans les tons bleus et or. Sur l'invitation de Kise, chacun en prit une.

- Hum, il n'y en a pas assez pour tous les senpais, notifia Murasakibara.

- Ce n'est pas grave, Atsushi, nous en commanderons à nouveau pour eux, le rassura Murochin.

Tout le monde regarda attentivement son amulette, et Kisechin continua:

- Le moine m'a donné une prière à réciter tous ensemble, aussi.

- Une prière?, râla Minechin. Que dalle...

- La ferme, Aomine, fais ce qu'on te dit, le coupa Kagami.

- Kagami-kun, du calme..., modéra Kurochin.

- Inutile de s'énerver pour ça, ajouta la coach de Seirin.

- Vous allez me porter la poisse avec vos mauvaises ondes, siffla Midochin.

- S'il vous plait, tout le monde, calmez-vous..., murmura Sachin.

- Et ainsi éclata la grande guerre des abrutis, commenta Takao.

- Vous allez réveiller nos senpais, tenta de raisonner Murochin.

Akachin coupa court à la dispute naissante:

- Tout le monde se tait.

Murasakibara le remercia par la pensée. Il était fatigué, et toutes ces petites personnes qui s'échauffaient autour de lui pour rien l'épuisaient plus encore. Akachin continua:

- Tu peux commencer la prière pour nous, Ryouta.

Le blondinet fit d'abord le tour de la pièce pour distribuer les charmes restants. Il y en avait assez pour une quinzaine de personnes supplémentaires. Puis, il se rassit, et commença à réciter la prière, faisant des pauses pour permettre à tout le monde de suivre, et de répéter après lui, ce que même Akachin fit sans discuter. Kisechin, satisfait, porta le petit charme contre son cœur:

- Je suis sûr qu'avec ça, nous vivrons tous très heureux.

Quelques minutes plus tard, les Survivants du Sommeil s'arrangeaient pour transporter leurs senpais dans leurs chambres respectives. Comme les norvégiennes de plus tôt, il avait fallu faire des duos. Murochin ferma la porte de la chambre après que Murasakibara soit entré:

- Tu n'aurais pas préféré être avec Kagami?, demanda le géant.

Murochin sourit en changeant de t-shirt:

- Non, ne t'en fais pas. Lui et Kuroko-san semblent inséparables, ils veulent se lancer en carrière pro ensemble je crois... Et puis toi, tu ne ronfles pas.

Murasakibara se glissa sous les couvertures de son futon.

- Hum, d'accord.

Dans la chambre voisine, Midorima regardait silencieusement par la fenêtre. Il attendait que Takao daigne compléter ses ablutions, histoire qu'ils puissent commencer la purification.

- J'n'arrive pas à croire que tu me fasses me verser sur sel sur la tête alors que je viens de me laver, grogna l'homme aux yeux gris.

- Tu me remercieras quand tu ne mourras pas sous un camion, répondit Midorima à voix basse.

Un soupir plus loin, ils s'assirent l'un en face de l'autre.

- Qu'est-ce qui t'arrive, Shin-chan? Tu es exceptionnellement plus coincé du cul qu'à l'ordinaire...

- Je ne sais pas. J'ai un pressentiment désagréable. C'est sûrement juste l'appréhension de demain... nous aurions dû emmener la charrette avec nous. Nous allons devoir emprunter un minibus pour aller chercher mon porte bonheur... Ou appeler un taxi.

Son coéquipier lança un regard persistant à la douzaine d'objets porte bonheur que Midorima avait tenu à emmener.

- Avec ta chance habituelle, on tombera peut-être sur un de ceux-là...

- Je l'espère... J'ai sélectionné ceux qui m'ont apporté le plus de chance sur les cinq dernières années...

Il ignora royalement le soupir désabusé de Takao, et souffla:

- Alors, ce sel?

- Oui, oui...

Takao se versa un peu de sel sur les épaules et sur la tête, suivi par Midorima.

- Je te trouve bizarre, Shin-chan. C'est la première fois que tu me fais faire ce genre de rituels à la con... Pardon, ce genre de rituel -biiip-, s'autocensura Takao devant le regard glacial de son partenaire.

- Contente-toi de faire ce que je dis.

- Ouais, ouais mais...

- Et de te taire!, termina Midorima.

Ils échangèrent un regard complice. Ils avaient fini par faire de leurs fausses disputes un rituel quotidien bien précis, dont la règle majeure était que Midorima devait toujours avoir le dernier mot. Sans répliquer, Takao lui adressa un grand sourire goguenard et lui balança son Omamori sous le nez.

- Hey. Je t'ai volé ta chance.

- Humpf, lâcha Midorima. Comme si un charme bas de gamme pouvait entacher ma fortune.

- Je devrais le jeter, alors...

Les longs doigts de Midorima reprirent le talisman rapidement, sans que Takao ne fasse quoi que ce soit pour l'en empêcher.

- Au lit, Takao.

- Oh, mon Shin-chan, c'est une invitation?

"Shin-chan", agacé, répondit froidement:

- Certainement pas. Va dans ton lit, je vais dans le mien.

Ils s'installèrent sur leur futon respectif. L'air était vaguement lourd, bien que la fenêtre soit grande ouverte.

- ... Takao?, murmura Midorima.

- Shin-chan.

- Tu as ton talisman sur toi?

- Ouaip.

- Tu as le sel à portée de main?

Takao sourit dans la pénombre:

- Oui, je l'ai.

Midorima bougea légèrement, mal à l'aise.

- Trempe-le dedans avant de t'endormir...

L'as de Shutoku retira ses lunettes et les posa par terre, en continuant à voix basse:

- Juste pour être sûr...

- Comme tu veux, Shin-chan. Je dirais aux senpais que tu as dépassé ton quota d'actions égoïstes pour aujourd'hui et que tu m'as forcé à faire des choses sales.

- Et je mourrais sous une avalanche d'ananas, probablement, sourit Midorima. Fais-le, s'il te plait, ajouta-t-il en se retournant.

Un peu surpris, Takao obtempéra, et glissa le charme sous son oreiller, avant de fermer les yeux...

Ce fut la main de Midorima secouant son épaule qui le réveilla.

- Takao. Takao!

Le faucon ouvrit un œil:

- Je dors, Shin-chan.

- Réveille-toi et habille-toi.

Il sut très vite que quelque chose n'allait pas. L'air était pesant.

- Tu as fermé la fenêtre?

- Non, elle était fermée lorsque je me suis réveillé. Je n'arrive pas à la rouvrir.

Takao se traina à la fenêtre, tira dessus d'un coup sec. Le battant restait figé, comme soudé au mur. On aurait dit que la fenêtre était peinte là, sur le mur. Les carreaux, complètement noirs, ne laissait rien apparaitre de l'extérieur. Ou était-ce l'extérieur qui était si sombre? Midorima le tira de sa rêverie.

- Ton talisman. Montre le moi.

Takao sortit le charme de sous son oreiller. Il était coupé en deux par le milieu, net. Ouvrant la main, Midorima lui montra le sien, dans le même état. Takao lui tapota la joue:

- Allez, Shin-chan. C'est sûrement une mauvaise blague. Kise est un grand gamin, non?

Le shooting guard fronça les sourcils:

- Je ne pense pas... Mais il est possible que tu aies raison. Nous devrions trouver les autres.

- En plein milieu de la nuit?, soupira Takao, en jetant un coup d'œil à sa montre par terre. Hum...

- Elle s'est arrêtée? La mienne aussi.

- Arrête, Shin-chan, ce n'est pas drôle, c'est un cadeau de mon père!

Midorima soupira:

- Habille-toi et sortons.

Une fois prêts, ils ouvrirent la porte de leur chambre. Le couloir, seulement éclairé par une lumière venant de nulle part, sembla un instant s'étendre à l'infini. Soudainement, dans un craquement, il revint à sa taille habituelle. Takao calma tant bien que mal sa respiration lorsque Midorima lui mit la boite de sel dans les mains et attrapa sa grenouille porte bonheur.

- Allons-y, murmura l'as en s'enfonçant dans la pénombre.