Un rayon de soleil s'échappa de la fenêtre, éclairant un visage lisse, tendu, malheureux.
Ses lèvres fines ne formaient aucun sourire.
Ses longs cheveux dorés couvraient une bonne partie du lit, éparpillés dans tous les sens, témoignage d'une nuit agitée. La jeune femme s'agita, tremblant de tout son corps, puis se calma.
Ce repos ne dura pas bien longtemps.
Plusieurs minutes s'écoulèrent, puis, de nouveau elle se retourna dans son lit, et gémit.
Ses yeux se plissèrent, ses lèvres s'étirèrent en un sourire douloureux. Enfin, elle se réveilla et se mit sur son séant.
La gorge sèche, elle était en sueur.
Sans savoir les retenir, des larmes coulaient de ses beaux yeux verts, formant une tache sur la couverture bleu ciel.
Essayant de se ressaisir, la jeune femme se leva et s'avança vers la fenêtre. Elle fit jouer le loquet, avant d'écarter les deux battants.
La lumière se répandit dans toute la chambre, accompagné d'une brise légère, mais glaciale.
La jeune femme frissonna, le fin tissu qui recouvrait ses épaules ne la protégeait point.
Elle alla à son armoire et enfila sa tenue classique. Cette simple activité mit fin à ses pleurs.
Un coup d'œil à son réveil l'informa qu'elle était bien en avance. Sur son uniforme, elle passa un pull en laine.
Il faisait frais ce matin, en cette saison de fin de vacances.
Elle descendit les escaliers, sans faire de bruit, pour ne pas réveiller son père et son frère à une heure si matinale.
Arrivée à la cuisine, elle se prépara un petit déjeuner frugal qu'elle se força à engloutir en quelques minutes malgré son dégoût, son ventre refusant toute nourriture après une nuit si mouvementée, et écrivit un petit mot pour son père, ne voulant pas qu'il s'inquiète inutilement.
N'ayant plus rien à faire, elle sortit de la maison, son cartable sur le dos, et se promena au hasard.
Ses pas la menèrent vers le parc qu'elle n'avait plus foulé de ses pieds depuis une éternité.
Elle passa pensivement devant l'empereur pingouin, se désolant de le voir ainsi. Sa peinture s'écaillait et les allées auraient sérieusement nécessité l'aide d'un jardinier. Le parc était laissé à l'abandon, les enfants auparavant si nombreux avaient déserté cette plaine de jeux.
Les bancs n'accueillaient plus de couples enlacés, et menaçaient de s'effondrer. Le sable avait mal supporté les automnes, et arborait une couleur brunâtre, humide, à laquelle se mélangeaient les excréments d'animaux.
Les arbres se balançaient tristement, leurs branches recourbées vers le bas comme si elles ne supportaient plus leur âge.
Une pancarte neuve indiquait que le parc allait être rasé et remplacé par un immeuble d'une grande entreprise. Les terres alentour étaient destinées à être vendues séparément comme terrain à bâtir.
La commune de Tomoéda, au lieu de dépenser de l'argent pour rénover le parc, allait se remplir les poches.
Encore plus déprimée qu'auparavant, la jeune femme décida de poursuivre sa promenade au temple Tsukimine.
Sans hésiter longtemps où aller, elle prit la direction d'une petite cour à l'écart du bâtiment sacré, et se retrouva devant un grand chêne, imposant par sa splendeur.
L'arbre se tenait toujours aussi fièrement, ses branches agitées par la brise froide, sa couronne se dressant en l'air comme pour défier les éléments. Ses racines profondément enfouies dans le sol lui garantissaient une longue vie, et son emplacement, à l'écart des visiteurs, dans un des plus beaux endroits du temple, prouvait qu'il avait encore devant lui une longue vie.
La jeune visiteuse s'appuya contre son écorce et prit du plaisir à ce simple contact. Elle ressentait le pouvoir bienveillant de l'arbre qui s'écoulait le long du tronc jusqu'au plus profond de ses racines.
Elle
se reposa ainsi un moment, se sentant apaisée de ses
tourments, puis, après avoir lancé un regard envieux au
ciel, elle laissa glisser le cartable quelle portait sur son dos à
terre et attrapa la branche la plus proche.
Elle semblait solide,
et supporterait son poids, qui n'était pas bien lourd.
Se balançant en l'air un instant, elle se rapprocha du buste de l'arbre, et tâtonna le tronc de ses pieds. Elle sentit plus quelle ne vit des aspérités pour ses pieds et s'appuya dessus comme elle le pu.
Faisant appel à ses muscles, elle se mit à grimper, changeant toujours de branche et de prise. Lorsqu'elle fut montée assez haut, elle pu se tenir debout, et poursuivre sa progression sans l'aide du tronc.
Ainsi, elle atteignit rapidement le sommet de l'arbre, où elle s'accorda un sourire de fierté. Ni son équilibre, ni sa forme ne lui faisaient défaut.
Un vent puissant s'éleva, l'obligeant à s'agripper à la branche la plus proche pour ne pas tomber.
De là où elle était, au sommet de l'arbre du temple, avec le vent qui sifflait à ses oreilles, la jeune femme dominait le paysage alentour, et se sentait libre. Libre de tous ses soucis, de ses obligations, ses devoirs et ses déceptions.
Elle voulut s'envoler, sans que personne ne la retienne, sauter de cet arbre, rejoindre le soleil et les nuages, sentir éternellement le vent jouer avec ses cheveux. Echapper à la pression que la terre exerçait sur elle, s'enfuir.
Elle lâcha la branche et vacilla un moment sous la fureur du vent.
Puis, le souffle céleste s'apaisa, se transformant en une légère brise, puis mourut en même temps que l'ivresse de liberté qui s'était emparé du cœur de la jeune femme, à qui s'échappa un soupir, lourd de toutes ses idées noires.
Reprenant son costume de tous les jours, docile, appliquée, mais surtout incapable de ressentir de la joie, elle se mit à redescendre, lentement, se souciant de sa sécurité par-dessus tout, comme si elle avait peur de tomber, de se blesser.
Elle n'avait plus rien de la femme libre qui tenait tête au vent, face au soleil. Le poids des années semblait s'être rabattu ses épaules fragiles.
Sakura repêcha son cartable et prit la direction de son lycée, le regard éteint.
- T'étais où ce matin ?
- Je me ba-la-dais, c'est mon droit non ? Et je ne vois pas en quoi ça te regarde.
- Holà, du calme, pas besoin d'être si agressive, je ne t'ai encore rien fait !
- Excuse-moi, grand frère, j'ai mal dormi cette nuit, j'suis de mauvais poil.
- Encore ? Enfin bon… prends garde de ne pas rattraper ton sommeil à l'école.
- Tes réflexions, gardes-les pour toi !
Laissant Sakura le distancer, Toya effaça le sourire artificiel qu'affichait son visage, le remplaçant par un air soucieux.
Sa petite sœur l'inquiétait, avec son air malheureux et ses yeux gonflés, témoignage de crises de larmes. Il en avait parlé avec son père, qui lui non plus ne comprenait rien à la situation, lui qui d'habitude percevait et devinait tous les soucis de ses deux enfants.
Toya aurait aimé pouvoir accuser directement ce Shaolan, qu'il surnommait si affectueusement le 'morveux', mais Sakura n'avait changé ainsi que quelques années après son départ.
Alors, comment savoir ? Il n'osait même pas demander à Sakura, persuadé qu'elle risquait de très mal le prendre. Et si elle ne demandait l'aide de personne, qu'elle se débrouille…
Se souvenant qu'il avait un rendez-vous important au lycée, il pressa le pas, sans pour autant parvenir à rejoindre sa petite sœur, qui filait devant.
- Tiens, il s'est passé quelque chose ce matin… je me trompe ?
Sakura
jeta un regard impressionné à son amie, admirative
devant ce tour de force.
- Comment le sais-tu ? J'ai
pourtant tout fait pour ne rien laisser paraître, et pourtant,
tu…
- Disons simplement que tu es un peu différente, par rapport à d'habitude. Et puis, je n'ai jamais vu tes cheveux aussi ébouriffés, on croirait que Windy s'est rebellée, expliqua Tomoyo en riant, ayant du mal à croire qu'une carte aussi douce et docile que Windy puisse faire quoi que ce soit contre Sakura.
- C'est un peu ça, répondit la jeune femme, ce suite à quoi le rire de Tomoyo s'éteignit en une fraction de seconde, remplacé par une mine incrédule.
- Windy s'est rebellée ? Sérieux ?
- Non non, je ne parlais pas de Windy, mais du vent en général. Il soufflait fort ce matin, et j'ai oublié de repasser chez moi pour me recoiffer. Maintenant que j'y songe, tu n'aurais pas un peigne à me prêter ?
Sortant l'objet désiré de son sac, Tomoyo proposa en souriant de lui coiffer les cheveux, ce que Sakura accepta avec reconnaissance.
Elle n'aimait pas prendre soin d'elle-même, et ne portait jamais de maquillage en classe, contrairement à la plupart des autres filles. Elle ne voulait pas plaire au garçon, son cœur étant déjà pris, et ne soignait pas spécialement ses cheveux, pourtant si longs et si jolis.
Sa chevelure brune à reflet cuivré resplendissait dans le soleil, après que Tomoyo les ait coiffés, contrastant avec la mine boudeuse et les yeux sombres de Sakura.
- Et voilà. Faudra que tu ailles chez le coiffeur un de ces jours, pour les égaliser. D'un autre côté, je pourrai le faire, en passant chez toi. Ca te dirait ?
Hochant la tête, Sakura n'essaya même pas de partager l'enthousiasme de son amie.
Cela faisait longtemps qu'elle avait perdu sa bonne humeur et son sourire rengorgeant de joie de vivre.
Mais qu'avait-elle donc fait de mal ? Elle avait beau se plonger dans ses pensées, culpabiliser, elle ne trouvait rien. Mais s'il lui était arrivé quelque chose ? Si elle ne pouvait plus jamais le revoir ? Elle en mourrait…
- Tu penses encore à lui ? chuchota Tomoyo d'une voix douce, comprenant la peine de son amie.
Sakura soupira en réponse, son regard se brouillant. Ses yeux s'embuaient de larmes à chaque fois qu'elle pensait à Shaolan. Son Shaolan, qui ne revenait pas, qui ne répondait plus à ses lettres.
Dans la dernière lettre qu'il lui avait envoyée, la garçon lui annonçait son chagrin suite au décès de sa mère, et qu'il tarderait à lui réécrire en raison de son deuil. Shaolan serait-il attristé si elle mourait ? L'avait-il oublié ?
Cette dernière lettre datait d'il y a deux ans…
